Déclaration de M. Luc Guyau, président de la FNSEA, sur la loi d'orientation agricole, l'agenda 2000 et la réforme de la PAC, notamment la fixation du taux de jachère, Angers le 11 juin 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès de l'AGPB (Association générale des producteurs de blé et autres céréales) à Angers le 11 juin 1998

Texte intégral

Chers Amis, Cher Président, Cher Henri.
Merci Cher Président pour tes mots d'accueil à l'égard du président de la FNSEA qui me vont droit au coeur.
Je voudrais faire devant vous le point sur les grandes orientations de la FNSEA concernant les grands débats actuellement en cours au niveau mondial.
La FNSEA c'est avant tout des hommes, des produits et des territoires dans toutes leurs diversités mais aussi avec toutes leurs complémentarités. Faire la synthèse entre ces trois éléments c'est ce qui permet de définir le modèle agricole européen ; un modèle de société pour l'Union Européenne car l'Europe n'est ni le Texas, ni l'Argentine, ni le Japon, ni la Russie. C'est un continent avec ses spécificités historiques, culturelles, sa gastronomie, sa répartition des populations sur le territoire, sa capacité à produire les produits alimentaires en quantité et en qualité, sa participation à l'équilibre alimentaire mondial. C'est tout cela qui fait la force de l'agriculture européenne dans une Europe qui se construit. Il ne faudrait pas qu'on l'oublie et qu'on oublie ceux qui ont été les moteurs de cette construction.
Je voudrais aborder devant vous trois sujets qui nous préoccupent actuellement :
- la loi d'orientation agricole ;
- le Paquet Santer et la réforme de la politique agricole ;
- la fixation du taux de jachère pour la prochaine campagne.
La Loi d'orientation : un manque d'ambition pour qu'elle soit une véritable loi d'orientation.
Lorsque le président de la République, lors du 50ème Congrès de la FNSEA, a annoncé qu'il fallait une nouvelle grande Loi d'orientation pour l'agriculture et la société, nous avons dit "banco" car nous savons que ceux qui ne bougent pas reculent et qu'il faut adapter l'agriculture aux nouvelles attentes de la société.
Il y a 30 ans, on nous a dit de produire des biens alimentaires en quantité et de nous restructurer pour fournir des emplois à l'industrie. Les agriculteurs ont répondu pleinement à cette demande aussi bien au niveau national, qu'européen et ils ont également contribué à l'équilibre alimentaire mondial.
Nous avons eu certes quelques soubresauts mais l'essentiel c'est que nous sommes encore là pour répondre aujourd'hui aux nouvelles attentes de la société.
Aujourd'hui les consommateurs sont devenus plus exigeants sur la qualité : nous devons y répondre ; ils sont devenus plus exigeants sur l'environnement : nous devons y répondre ; ils souhaitent des campagnes vivantes et accueillantes, nous devons y répondre.
Il est donc devenu essentiel aujourd'hui de mettre en valeur les autres missions de l'agriculture, qu'elles soient marchandes comme le tourisme vert, ou non marchandes comme l'entretien des paysages et du territoire. Dans ce dernier cas c'est l'ensemble de la collectivité qui doit y participer.
Les soutiens à l'agriculture doivent désormais être davantage mieux justifiés, mieux expliqués par rapport à tous ces rôles et notamment ce qui reste sa première fonction : la sécurité alimentaire.
La loi d'orientation doit aussi nous permettre d'être la locomotive dans l'évolution de la PAC.
Nous sommes clairement favorables à une loi d'orientation mais il faut en améliorer le contenu, notamment le contrat territorial d'exploitation (CTE) que nous voyons plutôt d'un bon il à condition qu'il ne soit pas seulement une mécanique administrative qui empêcherait les agriculteurs de réaliser leur métier sur leurs exploitations.
Si le CTE que nous appelons nous contrat d'initiative et de développement territorial (CIDT) est véritablement un contrat qui permet aux exploitations, au-delà de la fonction de production, de s'intégrer dans les différentes fonctions de l'agriculture, nous disons "banco".
Aujourd'hui le ministère de l'agriculture consulte tous azimuts et veut expérimenter le contrat territorial d'exploitation dans certains départements. Je vous invite tous à être candidat à cette expérimentation pour qu'elle corresponde à ce que nous souhaitons. A la FNSEA nous allons nous investir pleinement pour que ce contrat soit vraiment dynamique.
Cette loi d'orientation pèche par ce qui y manque et il manque beaucoup pour qu'elle devienne vraiment une loi d'orientation. C'est le cas notamment pour :
- la définition du statut de l'exploitant en lien avec l'entreprise.
Nous sommes des chefs d'entreprises et il ne serait pas envisageable qu'une loi d'orientation pour les 10-15 prochaines années ne donne pas un cap fort sur la fiscalité et le social en agriculture ;
- les retraites.
Le rattrapage des retraites est indispensable car il n'est pas pensable que ceux qui ont tant fait pour le développement de l'agriculture continuent à recevoir des retraites de misère. Améliorer le niveau des retraites c'est un problème de justice, or rien n'est prévu pour cela dans la loi d'orientation ;
- le pouvoir économique des producteurs.
C'est le point le plus fondamental pour l'avenir de l'agriculture. La question est en effet de savoir si demain nous serons toujours des chefs d'entreprises qui continueront à produire des aliments de qualité pour un marché en lien avec le consommateur, car la fonction de chef d'entreprise ne s'arrête pas à la porte de l'exploitation. Si demain je devais défendre des agriculteurs qui ne seraient plus que des producteurs, il faudrait alors changer les statuts de la FNSEA.
Ne nous laissons pas dépouiller petit à petit de ce pouvoir. Or la pression de l'amont et de l'aval est très forte pour une intégration progressive tout azimut (semence, production, distribution, etc) pour faire de nous de simples exécutants.
Dans ce domaine également la loi doit fixer un cadre bien précis. Nous demandons que ce soit inscrit dans la loi car c'est essentiel pour l'avenir de notre métier.
- la création d'un fonds de communication pour l'agriculture.
Avec la crise de la vache folle les consommateurs ont découvert que le lien qui les reliait avec les producteurs s'était progressivement distendu en 30 ans et qu'ils avaient progressivement oublié que l'agriculture était devenue un secteur moderne avec beaucoup de technicité. Il faut faire connaître l'agriculture d'aujourd'hui notamment auprès des jeunes, par exemple à travers les opérations de "fermes ouvertes". Il faut que les jeunes sachent que le lait est produit par des vaches et pas par le supermarché. Parce que le jour où ils auront oublié qu'il y a des agriculteurs qui produisent nous ne pourrons plus leur faire comprendre nos différentes missions.
Nous avons dans ce domaine un travail considérable à effectuer d'autant que nous avons parfois contribué à perpétuer nous-même une image passéiste de l'agriculture.
Il nous faut aujourd'hui faire comprendre aux consommateurs que l'agriculture peut conjuguer tradition et modernité et que l'agriculture moderne peut produire des produits de qualité.
Si nous parvenons à intégrer dans la loi tous ces éléments qui manquent, nous parviendrons, je crois, à une bonne loi qui encouragera les jeunes à s'installer. C'est d'autant plus indispensable que l'Europe nous regarde et nous attend. Au COPA nous avons réussi l'exploit de mettre d'accord les agriculteurs anglais et grecs sur les rôles et les missions de l'agriculture, sur le modèle agricole européen.
Ce modèle européen nous ne voulons pas l'imposer au monde entier, mais nous voulons qu'il soit reconnu dans les négociations internationales. Ce qu'ont obtenus les agriculteurs japonais lors du dernier cycle de l'Uruguay sur la protection du riz doit nous interpeller et nous encourager à aller dans ce sens. Comme eux, nous avons une relation spécifique entre les hommes, les produits et les territoires, que nous entendons défendre.
Nos critiques sur l'agenda 2000
- la baisse des prix systématique et généralisée :
C'est parce que nous voulons défendre notre modèle agricole européen que nous contestons la démarche de la réforme de la PAC.
Il faut qu'il y ait un autre axe que la baisse systématique des prix sur toutes les productions. Non, la baisse des prix ne doit pas être la seule politique agricole. On ne traite pas au niveau mondial de la même façon les céréales, le lait ou la viande. Il n'est pas bon que certains agriculteurs touchent des aides supérieures à leur revenu réel. Cela ne tiendra pas. A terme on finira par nous donner des aides pour ne plus produire.
- la remise en cause des OCM.
Nous devons faire en sorte que la politique agricole préserve un minimum de sécurité aux frontières et conserve les filets de sécurité existant. Nous ne voulons pas, par exemple, que ce soit le seul marché de Chicago qui régule le marché des céréales.
- la renationalisation rampante de la PAC pour le biais d'enveloppes nationales.
Nous n'avons pas subi et condamné pendant de nombreuses années les montants compensatoires, le swich over, les dévaluations compétitives et autre politique agrimonétaire pour qu'aujourd'hui nous acceptions d'avoir des politiques agricoles différentes d'un Etat-membre à l'autre qui créeraient de nouvelles distorsions de concurrence.
- la modulation des aides.
Pour la FNSEA, s'il doit y avoir modulation, elle ne peut être qu'à la marge et horizontale. J'ai déjà cité le chiffre maximum de 5 % du budget. Nous ne sommes pas d'accord sur ce point avec le ministre de l'agriculture qui veut prélever 20 % sur 25 % des agriculteurs pour arriver à la moyenne de 5 %. Nous pensons que ce n'est pas avec cette modulation que l'on réglera les problèmes des disparités entre les productions et les territoires. Ce qui est plus grave c'est qu'avec le type de modulation proposé par le ministre, on va accroître encore les disparités entre Etats-Membres.
Pour la FNSEA si on doit dégager des moyens à la marge pour faire du rééquilibrage, cela doit être fait de façon horizontale.
- La simplification de la PAC.
La nouvelle politique agricole doit impérativement simplifier les mécanismes de gestion. Or nous constatons au contraire que le projet l'a complique encore davantage. Je ne voudrais pas citer à nouveau l'exemple des "vaches virtuelles" mais si cela continue, nos amis des PECO ne vont pas tarder à regretter l'ancien régime. Alors de grâce simplification, simplification.
Le paquet Santer ne doit pas oublier l'essentiel et l'essentiel c'est que les agriculteurs européens doivent produire des produits en quantité, en qualité, pour un marché intérieur de 350 millions de consommateurs solvables. Un marché intérieur que le monde entier nous envie et qu'il cherche à pénétrer. Nous devons donc nous battre pour maintenir un minimum de protection aux frontières lors des prochaines négociations à l'OMC, pour préserver notre marché intérieur.
L'Union Européenne doit affirmer sa volonté de se battre au niveau mondial pour ne pas être à la remorque des Etats-Unis et doit imposer sa propre politique agricole.
Dans le précédent cycle il manquait trois volets : monétaire, social, fiscal. Si la clause monétaire est en phase d'être réglée, tout reste à faire au niveau social et fiscal.
La fixation du taux de jachère
Si nous avons bataillé pendant plusieurs années pour obtenir un taux de jachère à 5 %, non rotationnel, ce n'est pas pour accepter aujourd'hui son doublement.
Cette augmentation n'est pas justifiée économiquement. C'est la faute de la commission qui a mal géré les marchés lorsque qu'ils étaient porteurs. La Commission n'a pas pris ses responsabilités lorsqu'elle le devait, elle doit aujourd'hui les assumer.
Nous n'accepterons pas que l'on remonte le taux de jachère. La jachère est à 5 % et elle doit y rester.
(source http://www.fnsea.fr, le 14 février 2002)