Interview de Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé à LCI le 13 novembre 2018, sur la loi de financement de la sécurité sociale, le climat social et le mécontentement des gilets jaunes.

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Texte intégral


CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bonjour à tous. Notre invitée ce matin est la ministre des Solidarités et d la santé. Bonjour Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Bonjour.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci d'être avec nous ce matin, entre, j'ai envie de dire, l'Assemblée et le Sénat, parce que vous défendez votre texte, le projet de financement de la Sécurité sociale, avec des mesures qui concernent tous les Français, on va donc parler des principales, on commence évidemment par cette mobilisation des gilets jaunes, qui inquiète le gouvernement, le président de la République sera sur TF1 et LCI demain soir, à 20h, peut-être de nouvelles annonces, et pourtant, au sein du gouvernement, vous, vous n'avez pas peur, vous assumez la hausse des taxes sur le diesel et l'essence.
AGNES BUZYN
Non, je ne suis pas la seule à ne pas avoir peur, on cherche à avoir une politique cohérente, nous sommes persuadés que le changement climatique est le défi de l'humanité, nous pensons que la France doit être en pointe dans la lutte contre le réchauffement climatique, et aujourd'hui, les gaz à effet de serre proviennent essentiellement, enfin, beaucoup des transports, et la pollution de l'air est un enjeu de santé publique majeur. La France ne tient pas ses engagements européens sur la pollution de l'air, je rappelle que cette pollution est responsable d'environ 48.000 morts prématurées de personnes âgées fragiles, elle est responsable…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
En France ?
AGNES BUZYN
En France…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
La pollution de l'air, 48.000 morts prématurées, par an évidemment…
AGNES BUZYN
Prématurées, voilà, et puis, elle a des conséquences néfastes en termes de risques de cancers, le diesel, alors je tiens à le rappeler, le diesel est classé cancérigène de niveau 1 par l'OMS…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous diriez ce matin : le diesel tue ?
AGNES BUZYN
Bien sûr, le diesel tue, et il est classé au même titre que le tabac comme un cancérigène prouvé par l'Organisation Mondiale de la Santé…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Même avec les nouveaux pots dont on nous a dit qu'ils filtraient les particules fines ?
AGNES BUZYN
Même avec les nouveaux pots, parce que ça filtre un certain nombre de particules fines, mais pas la totalité, notamment au démarrage, et donc le diesel est responsable de cancers, nous le savons, et notamment, il y a par exemple cela risque accru de leucémie de l'enfant autour des grands axes routiers, ça a été démontré, et donc, voilà, nous ne pouvons pas faire semblant qu'il n'y a pas un sujet autour du diesel notamment.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais est-ce que c'est audible ce que vous dites ce matin face à ces centaines de milliers de Français qui se préparent à manifester, à bloquer les grands axes routiers samedi, parce qu'ils disent : c'est un faux prétexte que le gouvernement utilise pour remplir les caisses ?
AGNES BUZYN
Alors, écoutez en tant que médecin, en tant que ministre de la Santé, ça n'est pas un faux prétexte, simplement, il faut aussi entendre les difficultés qu'ont les gens notamment dans les zones rurales quand elles doivent prendre leur voiture, et donc ces personnes doivent être accompagnées, je dirais que c'est la politique du "en même temps", en même temps, nous devons avoir une politique cohérente vis-à-vis du changement climatique et des risques sanitaires liés au diesel et à l'essence, et puis, en même temps, nous devons faire en sorte que les personnes qui ont besoin de leur voiture aujourd'hui au quotidien puissent être accompagnées, et les annonces seront faites par le Premier ministre.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Quand ?
AGNES BUZYN
Je pense dans la semaine, et nous travaillons aujourd'hui sur un élargissement du chèque énergie pour les personnes qui se chauffent au fuel, dont on sait que c'est…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On parle de 150 à 200 euros…
AGNES BUZYN
Je laisserai ceux qui doivent faire les annonces les faire. Mais nous travaillons sur l'élargissement du chèque énergie, nous travaillons sur l'élargissement du nombre de bénéficiaires de la prime à la casse... pardon, la prime de conversion…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
A la conversion…
AGNES BUZYN
A la conversion, elle a un franc succès, il y a eu 200.000 demandes, nous allons monter à 500.000. Donc ça veut dire que nous accompagnons les Français pour qu'ils changent de voiture pour aller vers des voitures hybrides ou électriques, c'est un vrai changement de société, nous devons l'accompagner, bien sûr, ne pas laisser les personnes seules face à leurs difficultés, mais nous ne pouvons pas changer de ligne face au changement climatique.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, vous parliez de la pollution de l'air, vous parliez de 48.000 morts prématurées en France, l'OMS parle de 600.000 morts dans le monde, notamment de moins de 15 ans, pardon, d'enfants de moins de 15 ans dans le monde mais, Agnès BUZYN, je vais me faire l'avocat des automobilistes, on lit aussi dans cette étude de l'OMS, que l'air intérieur, dans les maisons, est au moins aussi pollué, si ce n'est plus pollué que l'air extérieur, parce que, il y a les peintures, les solvants les matières plastiques.
AGNES BUZYN
Mais, absolument, ce n'est pas la même pollution, il ne faut pas opposer l'un à l'autre, il y a les décès liés à la pollution de l'air extérieur, et ça, ce sont les particules fines issues des transports et du chauffage, et puis, il y a la pollution de l'air intérieur avec d'autres produits qui ont d'autres toxicité, je dirais qu'on travaille sur... on doit travailler sur l'ensemble de ces sujets, bien entendu, éviter au maximum les produits chimiques, nous le savons, et nous travaillons sur cette transition écologique que notre société doit opérer.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc le 17 novembre, le gouvernement fera le dos rond en espérant que ça passe cette colère des Français et de leur pouvoir d'achat ?
AGNES BUZYN
Non, moi, je sais que les Français comprennent aussi que nous n'avons pas d'autre choix, je veux dire, on ne peut pas s'émouvoir du départ de Nicolas HULOT en disant qu'on n'a pas pris la mesure des alertes du groupe d'études sur le climat, on ne peut pas s'énerver que la France ne tienne pas ses engagements européens…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ne respecte pas ses engagements européens sur la pollution de l'air notamment à Paris et dans des grandes métropoles, et le jour où on essaie d'avancer vers des véhicules propres, hybrides, ou plus de transports en commun, nous reprocher d'aller fermement vers une transition écologique pour laquelle la majorité des Français est convaincue de la nécessité.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, puisque, on parle de pouvoir d'achat, il y a une bonne nouvelle quand même, enfin, presque, pas encore, mais presque, c'est le futur remboursement à 100 % des lunettes, des prothèses dentaires et des prothèses auditives, on va être très concret ce matin, c'est pour quand, Agnès BUZYN ?
AGNES BUZYN
Alors, la totalité de la prise en charge, où les Français n'auront plus rien à débourser de leur poche pour les lunettes les prothèses dentaires ou les prothèses auditives ce sera en janvier 2021, mais nous commençons…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc si on a besoin de se soigner, il faut attendre encore 2021 ?
AGNES BUZYN
Non, non, mais c'est une réforme qui se fait sur 3 ans, parce qu'elle est compliquée elle change les équilibres des filières de l'optique, du dentaire, et donc il faut accompagner les professionnels et puis, c'est à un effort financier considérable pour la Sécurité sociale je rappelle que nous allons rendre aux Français l'équivalent d'un milliard d'euros d'argent qu'ils déboursent aujourd'hui de leurs poches pour se soigner, et 750 millions d'euros vont être pris en charge par la Sécurité sociale, et 250 millions d'euros par les mutuelles.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On va parler de ça, mais d'ici 2021, on n'a pas de moyens d'avoir des lunettes moins chères ou des…
AGNES BUZYN
Si, alors tout à fait, donc ça commence au 1er janvier 2019, où il y aura déjà une baisse de 200 euros sur les prothèses auditives, je rappelle que, aujourd'hui, quand on veut s'équiper d'une prothèse auditive, c'est 850 euros de reste à charge, c'est-à-dire d'argent déboursé par les Français, les prothèses coûtent environ 1.500 euros par oreille, 850 à la charge des personnes, là, le prix va baisser de 200 euros dès cette année, et puis, encore l'année prochaine. En 2020, il y aura une baisse considérable du prix des lunettes et des prothèses dentaires, notamment des bridges, on commence par les bridges, puis, les prothèses, donc, voilà, ça se fait en trois temps, et à chaque fois, les Français seront informés de l'avantage qu'ils auront à chaque fois que nous franchirons une étape ils recevront un courrier de la Sécurité sociale.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et vous disiez, les mutuelles prendront à leur charge un quart de ces dépenses supplémentaires avec le risque qu'elles répercutent sur les cotisations cette surcharge.
AGNES BUZYN
Ce risque a été négocié, il a fait l'objet complètement de la négociation que nous avons eue avec les organismes complémentaires, donc on peut dire qu'il y a un risque, simplement, nous l'avons considéré quand nous avons négocié et quand nous avons signé avec l'ensemble des filières. Et donc les organismes complémentaires, mutuelles, assurances, se sont engagés à ne pas répercuter cela sur leurs coûts.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Promesse de Gascons, non ?
AGNES BUZYN
Non, parce qu'en fait, le surcoût pour elles, par rapport à leur chiffre d'affaires, est négligeable, ça représente 0,14 % de leur chiffre d'affaires, donc on comprend bien qu'en faisant un effort sur leurs frais de gestion par exemple, elles peuvent tout à fait intégrer ce surcoût.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc, vous veillerez à ce qu'il n'y ait pas d'augmentation supérieure à ce qu'elle est d'habitude ?
AGNES BUZYN
Absolument. Il y a une augmentation annuelle, parce que le coût de la santé augmente globalement, et ça, nous n'y pouvons rien, c'est le vieillissement de la population, c'est le prix des médicaments, mais il y a dans cette augmentation qui est autour de 1 % par an, la capacité des mutuelles évidemment à prendre en compte le reste à charge zéro, il y aura un observatoire des prix, nous allons vérifier que l'ensemble des professionnels qui se sont engagés à nos côtés pour cette réforme respectent leurs engagements.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, la semaine dernière, vous avez participé à deux journées d'itinérance avec le président, le long de la ligne de front, de la Grande Guerre et vous avez entendu, vous avez vu la colère des Français, notamment des retraités sur la hausse de la CSG, et pourtant, la semaine dernière, vous vous êtes opposée, à l'Assemblée, à des amendements de votre majorité, de La République En Marche, qui vous proposaient de moduler la hausse de la CSG en fonction des revenus des retraités, pourquoi avez-vous refusé, Agnès BUZYN ?
AGNES BUZYN
L'année dernière, lorsque nous avons mis en place l'augmentation de la CSG sur les pensions…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
1,7 %…
AGNES BUZYN
1,7 %, à partir de 1.400 euros de pension pour les retraités de plus de 65 ans, c'est-à-dire, sur 60 % des retraités qui ont les pensions les plus élevées, il y a eu un débat qui a duré des heures sur le seuil de 1.400 euros. Est-ce que vous estimez qu'au-dessus, on est riche, est-ce que... et donc, cette CSG qui était proposée progressive, elle réintroduisait des seuils, avec cette discussion interminable de : pourquoi en dessous on est exonéré, pourquoi au-dessus...
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et donc avez arbitré…
AGNES BUZYN
Et donc nous avons tranché, c'est une mesure, la CSG, qui permet de mieux répartir les coûts de la Sécurité sociale sur l'ensemble des citoyens français, c'est une mesure qui permet de taxer le capital, je le rappelle, jusqu'à présent, les personnes qui avaient un capital ne participaient pas du tout à notre Sécurité sociale, aujourd'hui, grâce à la CSG, c'est une plus juste…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça fait quelques années que le capital subit la CSG, mais on a augmenté…
AGNES BUZYN
Oui, mais on l'a augmenté, et donc il me paraît indispensable maintenant d'expliquer aux Français que le coût de la Sécurité sociale, ce que nous payons pour nos retraites, l'assurance-maladie de la famille ne peut pas être totalement assumée par des travailleurs…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais les retraités ont été parfaitement frappés, parce que, eux n'ont pas bénéficié d'une baisse des cotisations sociales comme les salariés. Mais vous ne vouliez pas qu'on module davantage comme le voulaient vos députés, certains de vos députés…
AGNES BUZYN
Certains des députés, ils ont compris que cette discussion sur les seuils ne trouve pas d'issue, en réalité, elle pose des problèmes considérables, parce qu'en réalité, nous n'avons pas la capacité de faire un impôt totalement progressif, et donc nous voulons sortir de ce débat. Maintenant, les choses ont été tranchées, les retraités les plus vulnérables, c'est-à-dire 40 % d'entre eux, ne vont pas payer la CSG, ça a été acté l'année dernière, ils vont bénéficier du reste à charge zéro, c'est pour eux, c'est eux qui sont les premiers concernés…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Pour les lunettes, les prothèses…
AGNES BUZYN
Lunettes, prothèses dentaires et prothèses auditives, ça concerne essentiellement les retraités, même si tous les Français peuvent en bénéficier, et puis, nous mettons en place une réforme extrêmement importante pour accéder aux complémentaires santé pour les personnes qui gagnent moins de 1.000 euros par mois.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
A partir de l'an prochain ?
AGNES BUZYN
A partir du 1er novembre 2019, nous fusionnons ce qu'on appelle la CMU-C avec une aide à la complémentaire santé, que les Français ne connaissaient pas et à laquelle ils n'accédaient pas. Et donc aujourd'hui, pour toutes les personnes qui touchent moins de 1.000 euros par mois, ils pourront accéder à une complémentaire santé à moins de 1 euro par jour, c'est-à-dire avec une vraie économie par rapport à ce à quoi ils ont droit aujourd'hui. Et nous allons toucher trois millions de Français, notamment des retraités les plus pauvres.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, autre sujet sur lequel vous avancez très prudemment, l'alcool, le vin, on a vu que des médecins s'étaient mobilisés, il y a quelques semaines, pour vous demander d'être plus... plus de taxes, plus de contrôles, plus d'avertissements à "l'alcool tue", vous ne voulez pas de "l'alcool tue", et à l'Assemblée, on a rejeté tous les amendements, alors, il y a peut-être une raison c'est qu'on a un président qui est le premier lobbyiste de France, qui dit que : il boit un verre de vin à chaque repas, est-ce que c'est bien, est-ce que ce n'est pas bien déjà, ça ?
AGNES BUZYN
Alors, ce qu'il faut savoir, c'est que, évidemment, l'alcool a des dangers pour la santé…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On voit le président qui est un bon vivant et qui aime bien boire du vin…
AGNES BUZYN
Mais beaucoup d'entre nous aimons le vin, enfin, la seule question qu'on doit se poser, c'est : qu'est-ce qui est dangereux pour la santé, qu'est-ce qui ne l'est pas…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bien sûr, bien sûr…
AGNES BUZYN
Donc aujourd'hui, les repères…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Il faut pouvoir contrôler…
AGNES BUZYN
Voilà, il faut pouvoir contrôler, aujourd'hui, l'alcoolisme en France touche quand même 2,5 millions de personnes…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
48.000 morts par an de l'alcoolisme…
AGNES BUZYN
48.000 morts par an de l'alcool en général. Aujourd'hui, j'ai deux combats principaux, l'alcoolisme des femmes enceintes, même pas l'alcoolisme, la consommation d'alcool chez les femmes enceintes, je dois rappeler à toutes les femmes enceintes que c'est zéro alcool pendant la grossesse, qu'elles exposent leur bébé à ce qu'on appelle le syndrome d'alcoolisation foetale, c'est-à-dire, un handicap physique ou psychique, et il n'y a pas de seuil en deçà duquel on est protégé. Donc zéro…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est la loterie, si on boit un verre de vin, parfois, il n'y a rien sur l'enfant, et parfois, l'enfant est malade…
AGNES BUZYN
Voilà, donc c'est zéro alcool pendant la grossesse, et je travaille sur une augmentation du logo montrant que l'alcool est interdit chez les femmes enceintes, ne devrait pas être consommé par les femmes enceintes, et mon autre combat, c'est le "binge drinking" des jeunes, qui était un phénomène de société, qui entraîne des morts chaque année…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Dans les soirées étudiantes notamment…
AGNES BUZYN
Soirées étudiantes, avec des jeunes qui font des comas éthyliques, avec des accidents de la route que l'on connaît évidemment, ce drame des accidents de la route, et donc aujourd'hui, je travaille sur ces deux fléaux.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais vous ne voulez pas écrire "l'alcool tue" sur les bouteilles ?
AGNES BUZYN
Aujourd'hui, nous négocions avec la filière d'alcool déjà sur le logo femme enceinte, c'est une priorité, nous travaillons avec eux au quotidien pour améliorer l'information des Français sur le risque lié à l'alcool, voilà, les choses progressent. Les choses progressent…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est comme aux Antilles, on sait que le rhum antillais n'est pas taxé, et finalement, ce qui a été concédé, c'est que sur dix ans, on aligne la fiscalité…
AGNES BUZYN
Non, alors là, ce qui a été voté à l'Assemblée nationale, donc la proposition du gouvernement était d'aligner sur dix ans la taxation du rhum avec celle des autres alcools, de façon à ce que l'alcoolisme touche moins nos départements d'outre-mer, que ça n'est le cas aujourd'hui, et il a été voté à l'Assemblée que ça se ferait sur cinq ans. Je pense qu'il faut qu'on trouve un juste temps pour la transition de nos agriculteurs dans les DOM, parce que, ils produisent beaucoup de rhum et de canne à sucre. Et donc nous devrions trouver, je pense, une voie de passage et un consensus autour d'une convergence dans six, sept ou huit ans. Nous allons y travailler avec les députés et les sénateurs.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, est-ce que le Baclofène qui vient d'être autorisé par l'agence de mise sur le marché des médicaments, même si c'était déjà expérimenté, est-ce que c'est le produit miracle pour guérir de l'alcoolisme ?
AGNES BUZYN
Il n'y a jamais de produit miracle, il marche chez beaucoup de patients, et donc effectivement, aujourd'hui, il est accessible, et on peut le prescrire, il a fait l'objet d'une surveillance particulière, et donc les personnes qui souffrent de l'alcoolisme peuvent y accéder facilement. Mais ça n'est pas un produit miracle, et rien ne remplacera jamais la prévention et l'information des gens.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On va parler de la loi bioéthique qui doit arriver prochainement en discussion au Parlement, vous vous êtes prononcée, vous, pour la PMA, et surtout, vous êtes favorable au remboursement pour toutes, donc y compris les femmes seules ou les couples de lesbiennes, de la PMA, au nom de l'égalité ?
AGNES BUZYN
Alors, moi, pour l'instant, je prends position de façon prudente, pourquoi, parce que je pense que ces sujets sont tellement intimes qu'il faut un débat parlementaire, il faut un débat parlementaire apaisé, si chacun vient avec des convictions telles qu'il n'accepte pas le débat, nous risquons d'avoir des confrontations violentes…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On a dit que même au sein de La République En Marche, les députés s'opposent sur le sujet…
AGNES BUZYN
Certains s'opposent, et c'est pour ça que je souhaite vraiment laisser la place au débat parlementaire, pourquoi je parle du remboursement, parce que, aujourd'hui, les femmes qui ont des moyens, elles vont déjà en Belgique ou en Espagne, et donc en réalité, elles vont faire de la PMA, qu'elles soient couples homosexuels ou femmes seules, elles vont le faire. Et donc la question du remboursement, c'est en fait l'accès au droit réel, si nous permettons l'accès à la PMA, mais que les personnes qui n'ont pas les moyens ne peuvent pas le faire, c'est quand même plusieurs milliers d'euros…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc vous êtes favorable à ce remboursement par la Sécurité sociale…
AGNES BUZYN
Mais ça n'a pas encore été discuté, attendez, d'abord, les arbitrages n'ont pas été pris, la loi n'est pas écrite, elle est en cours de rédaction, les arbitrages ne sont pas finis, c'est mon opinion personnelle, je pense que ça sera évidemment un objet de débat, mais en tous les cas, ça ne peut pas être pris comme la position ferme du gouvernement, c'est ma position personnelle aujourd'hui.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Autre sujet sur la loi bioéthique, qui va sans doute faire débat, j'ai vu que le rapporteur de la commission parlementaire se déclarait favorable à la déclaration préalable des parents d'intention pour que, même s'il n'y a pas de père, prenons le cas d'un couple lesbien, les deux parents sont reconnus comme étant des parents, pour qu'il n'y ait pas des drames que vous avez vécus, vous, en tant que médecin, où, finalement, l'épouse, j'ai envie de dire, ou le conjoint survivant n'ait aucun droit par rapport aux enfants, vous y êtes favorable, vous aussi, à ça ?
AGNES BUZYN
Oui, je suis favorable, moi, je suis toujours favorable à ce qui protège les droits de l'enfant, ce qui doit nous animer, c'est la sécurisation de l'enfant, et effectivement, vous faites référence à une expérience personnelle où j'ai une femme malade qui était en couple homosexuel avec une autre femme, elles avaient élevé deux enfants ensemble. Et la mère génitrice est décédée, brutalement, et l'autre mère n'avait aucun droit sur les enfants qui sont repartis vivre avec des grands-parents assez hostiles. Et elles ont perdu du jour au lendemain leurs deux parents, ça a été d'une violence extrême, il faut sécuriser les droits de l'enfant à garder évidemment... à être reconnus totalement par le conjoint, c'est pour moi une priorité.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et alors, du coup, ce que vous dites, on pourrait l'appliquer à des couples de garçons, d'hommes, qui auront des enfants, est-ce que vous, vous êtes pour aussi la reconnaissance préalable de la parentalité conjointe, de la même manière que pour les femmes, c'est ce que dit le rapporteur, déclaration préalable des parents d'intention, est-ce que deux hommes qui ont recours à la GPA à l'étranger peuvent être des parents d'intention ?
AGNES BUZYN
Mais aujourd'hui, la GPA n'est pas permise, vous le savez bien, donc aujourd'hui…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Puisque vous parlez des droits de l'enfant…
AGNES BUZYN
Alors, aujourd'hui, ce qui est obligatoire, quelque part, et ça, c'est la Cour européenne des Droits de L'Homme qui le dit, c'est que nous devons sécuriser les enfants nés par GPA, ils ne peuvent pas être apatrides et sans reconnaissance, donc aujourd'hui, il y a un travail qui est fait par la Garde des sceaux sur tous ces sujets, ce sont des sujets de droit, ce ne sont pas des sujets de santé publique, donc je la laisse faire ce travail évidemment de rédaction des articles pour la sécurisation de l'état civil des enfants et de la reconnaissance des enfants, c'est totalement dans le champ du ministère de la Justice.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, vous êtes très prudente sur cette loi bioéthique, vous voulez que je vous dise pourquoi, Agnès BUZYN, parce que cette loi va être reportée sans doute après les européennes, est-ce que vous êtes au courant de cet arbitrage présidentiel ?
AGNES BUZYN
Cette loi, en réalité, on parle beaucoup de la PMA et de la GPA, je le regrette vraiment, je le regrette vraiment, parce qu'en réalité, les autres sujets qui vont être discutés dans cette loi sont encore beaucoup plus impactants pour la société que ne peut l'être la PMA. Et donc, je dirais que je suis un peu fatiguée de ce débat sur la PMA qui, s'il cristallise certains, je l'entends, mais sincèrement, les autres sujets, comme les études génétiques par exemple sont beaucoup plus intéressantes à discuter. Or, je pense qu'elles sont assez complexes techniquement, et ce que je veux, c'est un débat prolongé avec les parlementaires, moi…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc le débat va être prolongé, notamment parce qu'il y a cette cristallisation sur la PMA, on va sans doute…
AGNES BUZYN
Non, justement pas, je crois que les députés et les sénateurs avec lesquels je travaille aujourd'hui se rendent compte que le problème de la PMA est en fait très simple, c'est un problème de société celui de la PMA…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On comprend, mais est-ce que la…
AGNES BUZYN
Les autres sujets sont des sujets où il faut une connaissance scientifique…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous avez raison, mais est-ce que la loi va être reportée, est-ce que la présentation du projet de loi va être reportée ?
AGNES BUZYN
Alors, aujourd'hui, ce sur quoi nous nous sommes engagés, c'est un temps de travail approfondi avec les députés et les sénateurs sur les autres sujets…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et prolongé…
AGNES BUZYN
Nous verrons, le calendrier parlementaire, vous le savez, il est chargé, il y aura évidemment cette loi en 2019, nous nous sommes engagés sur l'année 2019…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Après les européennes ?
AGNES BUZYN
Nous verrons quand nous déposerons la loi, aujourd'hui, ce qui compte pour moi, c'est un temps de travail de fond avec les députés et les sénateurs, non pas sur la PMA, parce que la PMA n'est pas un problème, quelque part, scientifique…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais elle parasite le débat…
AGNES BUZYN
Elle parasite le débat, et je voudrais qu'on prenne le temps de regarder les autres mesures qui sont à mon avis beaucoup plus impactantes.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci beaucoup Agnès BUZYN.
AGNES BUZYN
Merci.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Je vous laisse rejoindre le Premier ministre pour la commémoration des attentats du 13 novembre à Paris. Merci d'avoir été avec nous ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 novembre 2018