Interview de Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d'Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, avec Radio Classique le 20 novembre 2018, sur la contestation concernant le prix des carburants.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
Nous sommes sur l'antenne de Radio Classique. Bonjour Emmanuelle WARGON, vous êtes donc secrétaire d'Etat chargée de la Transition écologique dans le gouvernement que dirige Edouard PHILIPPE…
EMMANUELLE WARGON
Bonjour Guillaume DURAND.
GUILLAUME DURAND
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que les questions sont extrêmement nombreuses ce matin, on va y venir en direct, en tout cas, merci d'être venue sur l'antenne de Radio Classique.
EMMANUELLE WARGON
Merci de m'inviter.
GUILLAUME DURAND
Je vous disais tout à l'heure bienvenue, on est ravi que vous soyez là, d'abord, parce qu'il y a une clarification évidemment à entreprendre ce matin par rapport à ce qu'on a appris cette nuit, c'est la fameuse fermeture donc de six réacteurs d'ici 2028. Alors, comme je vous ai vue à BFM TV hier soir expliquer la situation du gouvernement par rapport aux gilets jaunes, je me suis dit : mais comment se fait-il que ça n'ait pas été évoqué hier en direct sur la principale chaîne d'information de France, et que ça tombe comme ça en pleine nuit, d'abord, est-ce que c'est vrai, cette histoire-là ou est-ce que c'est une indiscrétion, ces sorties ?
EMMANUELLE WARGON
Alors, les décisions sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, c'est-à-dire en gros la feuille de route sur la production d'énergie en France pour les dix prochaines années, elles arrivent la semaine prochaine, et elles seront annoncées au plus haut niveau de l'Etat. Donc il n'y a pas d'information pour l'instant, même si je peux regretter avec vous que, parfois…
GUILLAUME DURAND
Ah, moi, je ne le regrette pas, ce que je voudrais savoir, c'est si c'est vrai ou pas ?
EMMANUELLE WARGON
La fin de ma phrase, c'était regretter parfois que dans l'information en continu, on soit vraiment uniquement sur l'événement et pas forcément sur des sujets plus larges, mais en tout cas, non, ça n'est pas une information. Les décisions, les annonces sur cette programme de l'énergie, elles auront lieu la semaine prochaine, pour l'instant, le gouvernement est encore au travail, on est en train de réajuster les scénarii…
GUILLAUME DURAND
C'est-à-dire que vous voulez dire que ce matin, parce qu'il y a plusieurs pôles qui s'occupent de ces questions-là, il y a la Transition écologique, il y a Bercy, etc., ce matin, rien n'a été décidé ou est-ce que ça a été décidé et que vous laissez au président de la République la priorité, ce qui pourrait être normal de faire cette annonce ?
EMMANUELLE WARGON
Les annonces seront faites la semaine prochaine…
GUILLAUME DURAND
Oui, ça, j'avais compris…
EMMANUELLE WARGON
Et les décisions sont en cours. Il y a encore des discussions, c'est un choix très important de trouver le bon chemin de l'autonomie et de la sécurité énergétique à 2028 ou à 2030, il n'y a d'ailleurs pas que la question du nucléaire, il y a aussi la place des énergies renouvelables dans ce chemin. Il y a aussi la place des économies d'énergie. Ce qu'on va faire en matière de rénovation du bâtiment, parce que le chemin énergétique, c'est d'abord consommer moins d'énergie, et consommer moins d'énergie, c'est bon à la fois pour la planète et pour le pouvoir d'achat. Tout ceci est en fin de discussions et d'arbitrages, et ça sera prêt au moment des annonces.
GUILLAUME DURAND
Alors, justement, il y a une chose qui évidemment relance non pas la polémique, mais les interrogations ce matin sur ce qui s'est passé cette nuit, dont vous venez de donner la lisibilité, qui reste quand même en attente, mais les gens se disent…
EMMANUELLE WARGON
Quelques jours…
GUILLAUME DURAND
D'un point de vue politique : bon, eh bien, on a compris, puisque de toute façon, le gouvernement est attaqué en disant : au fond, cette taxation du diesel, c'est pour renflouer les caisses de l'Etat, et pas pour affirmer une vraie politique écologique, on se dit : bon, eh bien, ils vont en rajouter en annonçant un certain nombre de fermetures, pour montrer qu'en fait, il s'agit bien d'une politique de transition écologique et non pas d'un renflouement des caisses de l'Etat, est-ce que je me trompe ou est-ce que cette analyse – qu'on lit partout dans les journaux ce matin – est une réalité ?
EMMANUELLE WARGON
Moi, je voudrais dire deux choses là-dessus, la première, c'est que ça fait des mois et des mois que le gouvernement travaille à cette feuille de route de l'énergie, donc on n'a pas découvert, il y a deux jours, qu'il fallait prendre une décision là-dessus, c'est en préparation depuis longtemps, et c'est un choix stratégique important qui se trouve arriver au moment de la crise, mais qui n'est pas téléguidé par la crise, et après, la crise, moi, le point que je voudrais mentionner ce matin, c'est de dire que : la question n'est pas de se demander si nos concitoyens ils sont pour ou contre la transition écologique, quand on discute avec beaucoup d'entre eux, tout le monde est pour la transition écologique, la question, c'est de savoir comment on la rend possible pour ceux qui ont besoin de leur voiture, pour ceux qui ont des revenus modestes, et pour ceux qui, comme tous les citoyens, ont envie de participer à une économie moins carbonée, moins polluante, mais qui simplement n'en ont pas les moyens aujourd'hui, et c'est la raison pour laquelle on travaille sur toutes ces mesures d'accompagnement, et tout ceci fait une stratégie qu'on espère cohérente, homogène, à la fois dans le mode de production et dans le mode de consommation.
GUILLAUME DURAND
Alors, je reprends ma question et vous allez y répondre, est-ce qu'il s'agit effectivement d'une vraie politique de transition écologique, ou est-ce qu'il s'agit, comme le disent beaucoup d'analystes, de remplir les caisses de l'Etat ?
EMMANUELLE WARGON
Il s'agit d'une vraie politique de transition écologique, puisque, d'un côté, l'idée est de rééquilibrer la fiscalité avec moins de fiscalité sur le travail, plus de fiscalité sur les produits qui sont polluants, en particulier les carburants, et ça se double d'une politique de soutien au pouvoir d'achat en général, avec la baisse de la taxe d'habitation...
GUILLAUME DURAND
Les gilets jaunes ne l'entendent pas, vous avez bien entendu... enfin, vous constatez ça, ce matin, on est sur un front où les infirmiers sont en train de se demander s'ils ne vont pas rejoindre un mouvement qui est un mouvement général de grogne sociale, donc cette idée que le gouvernement, il est à l'attaque, si je puis dire, tous les matins pour le pouvoir d'achat est totalement incompris par une partie des manifestants…
EMMANUELLE WARGON
Les mesures sur le pouvoir d'achat, elles arrivent maintenant, la baisse des cotisations sociales arrive maintenant, la baisse de la taxe d'habitation arrive maintenant, à un moment où, bien sûr, on constate des tensions sur le pouvoir d'achat, et je pense qu'on n'a probablement pas été suffisamment pédagogue, pas été suffisamment capable d'expliquer, de faire…
GUILLAUME DURAND
Mais ils ne veulent de pédagogie, ils veulent l'arrêt ! Non, mais ce n'est pas de la pédagogie, je lis par exemple ce matin dans Le Parisien, il s'agit de Sacha HOULIE qui – vous le savez – est un député de La République En Marche : on ne gagne rien à jouer la psychorigidité, ça ne fait qu'exacerber les tensions, notre erreur, c'est de ne pas donner suffisamment de sens et de perspectives, dit-il, et en gros, il considère qu'à un moment, lui ou peut-être d'autres, il va falloir lâcher plus, et quoi ?
EMMANUELLE WARGON
Mais la question, elle va au-delà du prix du carburant, d'ailleurs, il se trouve que les prix du carburant à la pompe, ils ont baissé depuis le début de la crise, quand on regarde sur une longue période le prix du carburant, qui est à peu près à 1,50 euro, on se rend compte qu'on n'est pas très loin de là où on était dans les années 80, dans les années 70. Si on regarde combien on peut acheter, avec une heure de Smic, de carburant, combien on peut rouler, en 73, on pouvait faire 30 kilomètres, aujourd'hui, on peut en faire 130. La question, ce n'est pas uniquement le prix du carburant, la question, c'est une difficulté réelle qu'il faut qu'on entende de nos concitoyens les plus modestes, ceux dont la mobilité dépend de la voiture et ceux qui nous disent : on adorerait pouvoir faire des choix positifs pour la transition écologique, mais il faut nous aider à le faire, parce qu'on est sous contrainte permanente…
GUILLAUME DURAND
Alors, pour l'instant, le plan…
EMMANUELLE WARGON
Des dépenses contraintes dans le budget des ménages qui sont de plus en plus fortes, on est passé de 15 à 20 %, et on peut atteindre presque 60 % de dépenses contraintes dans le budget d'un ménage modeste, ça, il faut l'entendre…
GUILLAUME DURAND
D'accord, mais l'entendre, pour l'instant, là, l'enveloppe qui a été consacrée, je mets tout ensemble, c'est 500 millions, est-ce qu'il va falloir faire plus ?
EMMANUELLE WARGON
Alors, d'abord, ce n'est pas 500 millions, c'est presque trois milliards et demi de mesures ciblées sur la transition écologique pour les ménages, c'est le crédit d'impôt pour la transition écologique, c'est tout le chèque énergie, c'est toute la prime, la prime à la conversion a été renforcée, le chèque a été renforcé…
GUILLAUME DURAND
Je vous accorde le chiffre, mais est-ce qu'il faut faire plus ?
EMMANUELLE WARGON
Peut-être qu'il faut continuer à travailler pour trouver d'autres mesures d'accompagnement, continuer dans la ligne du gouvernement qui est de redonner du pouvoir d'achat, en particulier aux plus modestes, c'est aussi une action qui se déploie pendant tout le quinquennat, le Premier ministre l'a dit : on va continuer à baisser les impôts, on va continuer à maîtriser la dépense publique, en tout cas, c'est un message important qui nous est adressé, et là où je rejoins Sacha HOULIE, c'est qu'il faut comprendre qu'on n'est pas dans un refus de faire de la part de certains de nos concitoyens, tout le monde y croit à cette transition écologique, ça, j'en suis convaincue, on est à un moment où nous concitoyens nous disent : ça n'est pas possible pour nous aujourd'hui, et donc la politique, c'est : rendre les choix possibles, c'est aussi comme quand on travaille à la fermeture des centrales à charbon, ça sera difficile dans les territoires touchés, on a quatre territoires touchés, on va aller dire : le charbon, c'est l'un des modes de production d'électricité les plus polluants, et il faut arrêter. Et on sera confronté à des interrogations, des inquiétudes, des emplois directs, des emplois indirects, c'est la transition territoriale qu'il faut qu'on mène. Donc l'enjeu, c'est de ne pas opposer l'écologie et le social.
GUILLAUME DURAND
Je vais faire un effort considérable pour ne pas vous interrompre de manière brutale, et c'est tout à fait normal, mais quand même, la situation est extrêmement tendue à La Réunion, Le Parisien, ce matin, considère que... quatre hommes radicalisés avaient envisagé de mener une attaque terroriste, vous avez vu qu'il y a parmi les manifestants des gens qui tiennent des propos homophobes, on a l'impression, parfois, que tout ça essaye d'être récupéré par des partis politiques qui ne sont pas à la manoeuvre, mais qui sont derrière, il s'agit de La France Insoumise, il s'agit des Républicains, il s'agit donc du Rassemblement national, donc c'est un véritable combat politique, là, vous êtes dans le rationnel, mais on vous oppose une colère, et cette colère, elle est peut-être manipulée, et je lis ce matin, puisque ce sont les propos de Christophe CASTANER, qui dit donc sur France 2, il y a quelques instants : on assiste à une dérive totale du mouvement, donc vous êtes très tranquille, vous êtes très argumentée, mais vous vous rendez compte de la situation ?
EMMANUELLE WARGON
Moi, je crois qu'il y a une vraie colère partagée par un certain nombre de nos concitoyens qui sont sincères, et après, il y a de la violence, il y a de la récupération, il y a la volonté de profiter d'un mouvement qui s'est créé par lui-même, et ça, le gouvernement n'a pas à accepter ni la violence ni la récupération, et encore moins la récupération politique de gens qui, au début, étaient tous d'accord pour la transition écologique et la taxe carbone.
GUILLAUME DURAND
Mais vous visez qui par exemple ? Mais non, mais c'est pour... Dans cette nouvelle génération, vous avez, comment dirais-je, une sorte de crainte de mettre des mots, dans la génération d'avant, les PASQUA, SEGUIN, MITTERRAND, etc., ils passaient leur temps justement à dénoncer leurs ennemis politiques pour essayer de défendre leurs positions ; on a vu par exemple que Jean-Yves LE DRIAN a déclaré, lui, qui est un peu un ancien, hier, qui faudrait peut-être d'une certaine manière en gros lâcher du lest ou comprendre, donc est-ce que vous n'êtes pas trop naïf ?
EMMANUELLE WARGON
Jean-Yves LE DRIAN a dit : il est important que les mesures qu'on prend soient des mesures qui soient perçues comme justes, la justice sociale, la répartition juste de l'effort, c'est probablement la clé de la capacité à convaincre et à entraîner nos concitoyens, et tous ceux qui mettent de l'huile sur le feu et qui réclament un chèque carburant, une annulation des hausses, sont les mêmes qui, après, quand le prix du pétrole va continuer à augmenter…
GUILLAUME DURAND
Ça, c'est pour Les Républicains…
EMMANUELLE WARGON
C'est ce qui se produira à un moment ou à un autre, diront : mais pourquoi est-ce qu'on n'a pas organisé la transition de l'économie vers moins de pétrole, vers des énergies qu'on sait produire en France, et qu'on maîtrise; moi, je ne crois pas à la politique des petites phrases, je ne crois pas à l'accusation des uns ou des autres…
GUILLAUME DURAND
Oui, mais c'est le combat politique, les petites phrases, ce n'est pas simplement des mots qui sont prononcés comme ça pour s'agiter dans les médias, il y a une sorte de bataille qui existe actuellement…
EMMANUELLE WARGON
Moi, je crois qu'il faut entendre le message de ce mouvement, je ne pense pas qu'il faille…
GUILLAUME DURAND
Même s'il est poujadiste, même s'il est réactionnaire, même si vous lisez des phrases qui sont totalement homophobes…
EMMANUELLE WARGON
Je réprouve totalement évidemment toutes les phrases homophobes, toutes les phrases racistes qui ne pourront plus êtes dites en marge de ce mouvement, mais je pense que ce qu'on pourrait nous reprocher aussi, c'est une forme d'incompréhension ou une forme qui pourrait être perçue comme du mépris, et je crois qu'on n'en est pas là, il faut que nous comprenions que le message de nos concitoyens, c'est : c'est dur de s'en sortir aujourd'hui, c'est la raison pour laquelle le président a été élu, ce gouvernement a été mis en place. La question qui nous est posée…
GUILLAUME DURAND
Et pourtant, une grande partie disent – pardonnez-moi encore une fois de vous interrompre, mais c'est la réalité – disent MACRON, démission, il y a des gens qui ont marché vers l'Elysée, ils étaient extrêmement peu nombreux, ils parlent de la dissolution de l'Assemblée nationale, il y a même un éditorialiste des Echos hier matin qui disait : tout ça ressemble au 6 février 34, vous vous rendez compte quand même. Soyons calmes, soyons pédagogues, comprenons la colère, ce n'est pas du tout ce qui se passe !
EMMANUELLE WARGON
Bien sûr qu'il faut du maintien de l'ordre, et le ministre de l'Intérieur l'a dit : liberté de circulation, c'est normal de ne pas laisser se développer de la violence, mais je trouve qu'on se trompe quand on déplace le débat de la question qui est posée qu'il faut qu'on entende, qui était le fait générateur du mouvement autour du pouvoir d'achat et de la capacité à répondre aux inquiétudes, à un débat qui est beaucoup plus autour du maintien de l'ordre et de la violence. Le maintien de l'ordre fait partie de ce que nous devons faire aujourd'hui, mais pas uniquement, et je crois que c'est ça que Jean-Yves LE DRIAN a voulu dire.
GUILLAUME DURAND
Merci Emmanuelle WARGON d'être venue ce matin. La situation est complexe. Nous écouterons tout à l'heure Christophe CASTANER, donc qui parlait et qui s'exprimait sur France 2. Bonne journée à vous. Merci d'être devenue donc sur l'antenne de Radio Classique.
EMMANUELLE WARGON
Bonne journée. Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 novembre 2018