Texte intégral
Comme vous le savez, nous sommes parvenus après une longue nuit de négociation ce matin à 8h00 à un accord sur le renforcement de la zone euro. Je considère que c'est une étape décisive dans le renforcement de la zone euro et dans l'affirmation de notre monnaie commune. Nous avons mis en place tous les instruments qui doivent nous permettre de faire face à une éventuelle crise économique ou nouvelle crise financière. Nous avons mis en place le fameux filet de sécurité, le backstop, qui doit fournir les réserves financires nécessaires, en particulier en cas de crise bancaire. Nous avons renforcé le mécanisme européen de stabilité, et nous avons jeté les bases d'un budget de la zone euro. Que de chemin parcouru en quelques mois. Je rappelle qu'il y a quelques mois ces progrès semblaient hors de portée. Désormais, nous avons une zone euro qui sera plus solide, plus stable et qui va permettre aux 19 économies de la zone euro de converger davantage.
Donc je crois que les décisions qui ont été prises tôt ce matin sont effectivement une étape décisive parce qu'elles répondent aux deux faiblesses structurelles de la zone euro depuis des années, en somme depuis sa création.
La première faiblesse c'est une incapacité à faire face à une crise financière de grande ampleur. Il y a des instruments qui ont été mis en place qui sont des instruments très utiles, je pense évidemment au mécanisme européen de stabilité, mais nous savons tous, et cela était largement reconnu, que ces instruments n'étaient pas suffisants en cas de nouvelle crise bancaire, de nouvelle crise financière. Nous avons répondu à cette première faiblesse par le backstop et le renforcement du mécanisme européen de stabilité, avec un backstop qui pourra entrer en vigueur dès 2020, avec des modalités de mise en oeuvre qui sont simplifiées et rapides.
La deuxième faiblesse, c'est le manque de convergence entre les économies de la zone euro. Je l'ai dit à plusieurs reprises, il ne peut pas y avoir une zone monétaire unique et 19 politiques économiques différentes. Et nous avons besoin de construire cette convergence. Le budget de la zone euro nous permet de construire et d'accélérer cette convergence. Et il nous permet dans le même temps de faire face à une éventuelle crise économique puisque nous allons poursuivre les travaux, c'est ce qui est indiqué, sur la fonction de stabilisation de ce budget de la zone euro.
Donc les deux faiblesses structurelles de la zone euro sont traitées par cet accord. Le défaut de capacités en cas de crise financière ou bancaire, le manque de convergence des économies. Est-ce que tout est réglé pour autant ? Non bien entendu et nous avons parfaitement conscience qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, je pense en particulier à la fonction de stabilisation de la zone euro qui reste à discuter pour reprendre exactement les termes qui sont dans l'accord mais je veux saluer l'esprit de compromis dont ont fait preuve tous les Etats membres. Tous. La France a fait preuve d'esprit de compromis, notamment sur la question du budget de la zone euro. Sans doute que sur la fonction de stabilisation que nous jugeons nécessaire, que le FMI juge nécessaire - il l'a rappelé dans son intervention hier -, que la Banque centrale européenne juge nécessaire, nous aurions aimé aller plus loin. Mais nous savons que pour certains Etats ce n'est pas possible. Nous avons accepté d'avoir une ambition moindre sur ce sujet. D'autres Etats qui étaient opposés à l'idée même d'un budget de la zone euro ont accepté que ce budget de la zone euro figure dans le compromis final. Donc je crois que chacun a eu à coeur de défendre l'intérêt général européen plutôt que ses intérêts nationaux. Et c'est une bonne nouvelle pour l'Europe. Je pense vraiment que ce matin on peut se dire "il y a une bonne nouvelle pour l'Europe, la zone euro est renforcée". Elle est renforcée grâce à cet esprit de compromis dont ont fait preuve tous les Etats.
La deuxième chose sur laquelle je veux insister, c'est que nous avons présenté ce matin avec mon homologue allemand, Olaf Scholz, notre proposition de compromis sur la taxation des géants du numérique. Est-ce que j'aurais aimé que nous ayons davantage ce matin sur la taxation des géants du numérique ? Oui. J'aurais aimé que nous soyons capables de conclure sur la base de la directive et du travail remarquable qui a été fait par la Commission européenne et par Pierre Moscovici sur la taxation des géants du numérique. Je le dis avec beaucoup de simplicité. Mais je sais aussi que sur tous les sujets de taxation, l'Europe a une longue expérience des échecs, une très longue expérience des échecs. Et que cette fois-ci, en acceptant de nous y prendre autrement, en demandant à la Commission européenne d'améliorer cette directive, de réduire son champ qui portera sur la publicité, tout en gardant la base qui est le chiffre d'affaires ; nous avons une prise de conscience et nous avons un point de départ qui doit nous permettre d'aboutir. D'aboutir à un résultat. Et plutôt que l'intransigeance, je préfère un résultat concret. Même si ce résultat, je le reconnais bien volontiers, est plus modeste que ce que j'aurais souhaité. Mais la discussion de ce matin qu'est-ce qu'elle a montré ? Elle a montré que sur cette base-là, taxation du chiffre d'affaires, 3%, la publicité et pour les Etats qui le souhaitent d'autres champs, les places de marché, les reventes de données personnelles, certains Etats pourront aller plus loin, mais sur cette base-là, le ton a changé ce matin autour de la table. Tout d'un coup on voit qu'il y a non seulement une prise de conscience mais la possibilité de parvenir à un accord. Et je le redis, plutôt qu'une intransigeance qui ne mène nulle part, je préfère revoir nos ambitions, avoir un texte dont les fondamentaux restent les mêmes, mais qui est plus progressif et qui avance étape après étape. Et je crois qu'il y a une prise de conscience autour de la table qui se fait petit à petit. Que cette question des géants du numérique est une question stratégique pour l'Union européenne. Et je l'ai dit ce matin dans mon intervention. La question de ces géants du numérique qui à eux seuls ont des milliers de milliards de dollars de capitalisation pose un problème de justice fiscale et ce problème de justice fiscale doit être traité et pourra être traité sur la base de ce que nous avons proposé ce matin avec Olaf Scholz et sur la base des travaux de la Commission. Ces géants du numérique posent un problème de concurrence et comme je l'ai rappelé, le droit de la concurrence est au coeur de la construction européenne. Ces géants du numérique posent un problème démocratique, de contrôle des données, de maitrise des informations, de contrôle des messages qui sont diffusés sur les réseaux sociaux quand ce sont des appels à la haine ou à la violence.
Donc derrière cette question des géants du numérique, il y a la capacité ou non de l'Europe à défendre ses valeurs et ses intérêts économiques. C'est le défi d'une génération. Ce n'est pas un défi que nous allons traiter en quelques mois. Le défi des géants du numérique qui aujourd'hui rivalisent avec des Etats souverains est le défi d'une génération donc n'attendez pas que nous traitions le défi d'une génération en quelques semaines ou en quelques mois, cela prendra plus de temps. Mais je crois sincèrement que nous sommes dans la bonne direction et que là aussi, nous avons franchi ce matin une étape importante en redéfinissant une base acceptable par tous qui peut conduire à un résultat plutôt qu'à une impasse. Or sur tous les sujets de fiscalité, l'Europe depuis des années et des années est systématiquement allée dans les impasses. Cette fois-ci parce que nous avons adopté une autre méthode qui est plus conciliante, nous pouvons avoir un résultat. Il ne sera pas exactement à la hauteur de ce que la France aurait souhaité, mais ce sera un résultat.
Enfin, je voudrais conclure en vous disant que si j'avais besoin d'être convaincu, qu'un accord franco-allemand est le préalable à toute décision européenne solide, vous imaginez bien que je n'ai pas besoin d'être convaincu de cela, les deux résultats que nous avons obtenus aujourd'hui en sont la preuve la plus éclatante. Si nous avons pu obtenir ce renforcement de la zone euro, c'est parce que la nuit blanche que nous avons passé à 27 a été précédée de beaucoup de nuits blanches à deux, avec Olaf Scholz, qui ont conduit à l'accord de Meseberg, signé par le président de la République et la chancelière allemande et qui ont ouvert la voie à cet accord global sur le backstop, le mécanisme européen de stabilité et le budget de la zone euro. Sans Meseberg, il n'y a pas de Bruxelles. Même chose pour la taxation du digital, je pense que nous serions aujourd'hui dans une impasse, si depuis des jours, des jours et des jours, y compris à Buenos Aires où le président de la République, la chancelière, Olaf Scholz et moi-même avons pris du temps pour discuter de cette taxation du numérique, si nous n'avions pas fait ce travail-là, à deux, la France et l'Allemagne, au niveau des ministres des finances mais aussi au niveau des chefs d'Etat, nous n'aurions pas pu présenter cette proposition-là ce matin. Ces accords franco-allemands, et je termine par-là, ils sont ouverts, ouverts à tous, ils sont faits pour être discutés, critiqués, améliorés. Ce sont des points de départ. Ce ne sont pas des accords tous faits devant lesquels nous ne laisserions d'autre choix aux Etats que de les accepter ou de les refuser. C'est aussi je crois un changement dans la méthode de négociation et de discussion avec nos partenaires européens.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 décembre 2018