Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur la nécessité de développer les réseaux de diffusion des média et de la communication dans l'espace francophone et sur l'aide à apporter aux pays francophones sub-sahariens en la matière, Paris le 30 juin 1999.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Médias et francophonie" à l'Assemblée nationale le 30 juin 1999

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Grâce au satellite et à Internet notamment, les réseaux de diffusion deviennent mondiaux. Or, nos actions publiques et politiques sont le plus souvent limitées aux frontières nationales. L'Europe et la Francophonie doivent donc devenir les territoires naturels d'ambitions partagées. La Francophonie a démontré sa capacité à faire, mais nous constatons ses difficultés à faire savoir. Sur le terrain des médias, reconnaissons que l'espace francophone ne dispose pas encore de tous les moyens de ses ambitions. Cette journée d'études permettra d'examiner cette question et beaucoup d'autres, j'en félicite les initiateurs, en particulier Bruno Bourg-Broc.
Les difficultés, nous les connaissons. La puissance américaine règne, au niveau mondial, sur la production des images et sur ses canaux de diffusion. La langue anglo-américaine marque des points. Elle est celle de la Bourse et des marchés, du commerce et des échanges. La force de la francophonie, qui n'est dirigée contre personne, dépend de la vitalité économique des pays qui en sont membres, de leur créativité : il n'y aura pas de rayonnement de la langue française dans le monde, sans une croissance des économies nationales qui la constituent. Celles du Nord. Celles du Sud. C'est pourquoi la Francophonie doit être porteuse de développement et de coopération.
Vous avez choisi un thème essentiel de réflexion. Permettez-moi d'esquisser à ce sujet quelques pistes.
Sur les hommes, d'abord. Avant même de penser à développer de nouveaux instruments de communication, je crois prioritaire de développer entre nous les capacités d'accueil de nos ressortissants respectifs, en particulier des étudiants. À cet égard, je regrette de voir que notre pays, depuis quelques années, a perdu sa place de deuxième pays d'accueil d'étudiants pour les formations supérieures. Après les Etats-Unis, le Royaume-Uni désormais nous devance. Nous sommes talonnés par l'Australie. Nous devons, en ce domaine, avoir une démarche volontariste. Cela passe par une politique adaptée de visas. De même, et au-delà de la revalorisation nécessaire des bourses, les universités françaises doivent développer des offres éducatives attractives et adaptées aux pays demandeurs, notamment dans les domaines dits de pointe.
Les femmes et les hommes dialoguent avec des mots. Ayant une langue en commun, nous devons faciliter, grâce à des systèmes d'aides appropriés, la circulation des livres et des journaux entre nous. Concernant Internet, il est capital que la communauté francophone ne reproduise pas, en son sein, les disparités qui existent entre les deux hémisphères, mais aussi à l'intérieur de chacune de nos sociétés, entre Inforiches et Infopauvres. Aujourd'hui, trop de pays, en particulier les pays francophones africains, sont hors réseau. Etre hors réseau, c'est malheureusement souvent être hors jeu. Il y a à peine 15 lignes téléphoniques pour 1000 habitants en Afrique subsaharienne. Il est souhaitable que toutes les classes de français disposent à travers le monde d'un micro ordinateur branché sur le réseau. Cela ne devrait-il pas être un axe d'une politique de développement ? Il est également indispensable que l'AFP puisse, tout en se rénovant, rester la troisième agence mondiale d'information et regagner le terrain perdu face à ses deux concurrentes.
Avec les hommes et les mots, il y a les images. Elles structurent nos imaginaires. Nous savons que les cinématographies francophones doivent être aidées. Le combat de l'exception culturelle est vital. Comme dans le domaine de l'écrit, il est nécessaire que nous trouvions de meilleure voies de circulation des uvres que nous produisons. CFI a vu ses missions recentrées autour de son premier métier, la banque d'images. Dans le même esprit, ne serait-il pas utile de créer une banque francophone de logiciels permettant, au moindre coût, aux pays les moins riches d'y accéder ?
Concernant les moyens de diffusion dont dispose la Francophonie, je veux saluer l'effort accompli pour mieux préciser les missions notamment de TV5 et de CFI. La défense du français et des valeurs dont il est porteur nous invite à aller plus loin. Au moment où la France regroupe ses forces télévisuelles nationales sous une même responsabilité, n'est-il pas utile d'en faire de même concernant notre audiovisuel extérieur ? TV5 avec un public potentiel de 80 millions de foyers contre 120 millions pour CNN devance la BBC (40 millions de foyers). RFI est le quatrième réseau mondial. RFO développe une politique de bassins caraïbes, pacifiques, africains. Nous avons donc des atouts, il convient de leur donner des synergies. La Francophonie en a besoin. Il me paraît également essentiel que le futur grand groupe France Télévision intègre complètement dans ses missions l'exportation et la circulation de nos images et qu'il présente à nos concitoyens les images que nos amis francophones produisent.
Je le disais au début de mon propos : la Francophonie ne peut vivre sans créativité. La Francophonie, c'est non seulement des imaginaires mais c'est aussi des marchés à conquérir. Cela suppose cette créativité.
Ni dominatrice, ni dominée, la Francophonie n'est pas " ringarde ". Elle est une valeur pour le siècle qui vient. Dans un monde complexe et multipolaire, son avenir est un acte d'équilibre et de justice autant que d'imagination. Les médias y ont leur place pleine. Une place centrale. Je vous remercie.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 1er juillet 1999)