Déclaration de Mme Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes, sur la préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 10 décembre 2018.

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Circonstance : Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d'un projet de loi adopté par le Sénat, à l'Assemblée nationale le 10 décembre 2018

Texte intégral


M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures de préparation au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne (nos 1388, 1461).
Présentation
M. le président. La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre chargée des affaires européennes. Cette séance publique se tient dans un moment qui illustre particulièrement bien une des caractéristiques principales du Brexit au Royaume-Uni : je veux bien sûr parler de l'incertitude. La Chambre des communes doit, en principe demain, approuver ou rejeter l'accord de retrait ainsi que la déclaration politique sur les relations futures. Malgré la force des arguments de la Première ministre, force est de constater que ce vote n'est pas acquis et je me garderai bien de spéculer sur son résultat. Une chose est certaine : un rejet de l'accord de retrait est possible. Je le dis au moment où Mme May vient de dire qu'elle reportait le vote prévu demain dans l'espoir de faire évoluer la position de l'Union européenne, en particulier sur la question de la clause de sauvegarde relative à la question irlandaise.
Ce dernier développement ne doit pas nous faire perdre de vue qu'un rejet de l'accord de retrait est de plus en plus probable, et le risque d'une sortie sans accord également. Une telle sortie serait sans aucun doute extrêmement coûteuse pour le Royaume-Uni, mais pénaliserait aussi l'Union européenne – UE. Certains imaginent encore d'autres scénarios et la confusion reste forte à Londres.
Je voudrais contribuer ici à clarifier la situation et décrire devant vous les enjeux dont nous parlons, à commencer par l'accord de retrait et la déclaration politique sur le cadre des relations futures entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. Cet accord et cette déclaration ont été agréés par le gouvernement britannique et le négociateur européen. Les chefs d'État et de gouvernement des vingt-sept les ont approuvés le 25 novembre dernier. Ce n'était pas un moment de joie – car quoique l'on fasse, le Brexit reste fondamentalement une mauvaise nouvelle – mais c'était une étape importante.
L'accord de retrait auquel les négociateurs ont abouti est par essence un compromis. C'est, je le redis aujourd'hui, le seul accord possible, vingt mois après la notification officielle par le Royaume-Uni de son intention de quitter l'Union européenne. Je rends à nouveau ici un hommage très appuyé au négociateur européen, Michel Barnier, qui a siégé quinze ans sur les bancs de votre assemblée et qui a réalisé un travail dont chacun reconnaît en Europe l'exceptionnelle qualité pour trouver un chemin de crête entre les lignes rouges britannique et européenne. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Toutes les options techniques ont été explorées ; toutes les priorités politiques, respectées. Il n'y a pas d'autre accord possible – je le dis devant vous comme nous le disons à nos amis britanniques – et cet accord est un bon accord. Il protège les droits de nos concitoyens qui résident au Royaume-Uni, en leur permettant de continuer à vivre, à travailler et à étudier dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui, tout comme il protège les droits des Britanniques qui vivent en Europe. Il assure un juste règlement financier des engagements pris par le Royaume-Uni, et donc la protection des intérêts financiers de l'Union. Le Royaume-Uni s'engage à s'acquitter des obligations qu'il a souscrites durant toute la période pendant laquelle il aura été un État membre. Cet accord prévoit une période de transition à compter du retrait britannique et jusqu'au 31 décembre 2020 au moins, pendant laquelle le droit de l'Union européenne continue temporairement à s'appliquer au Royaume-Uni, ce qui doit permettre de cheminer sans heurt vers la relation future. Enfin, l'accord de retrait permet de protéger les spécificités de la question irlandaise, caractérisée par un processus de paix qui a fortement dépendu de l'Union européenne et par l'existence d'une frontière qui n'en est pas vraiment une. Après la période de transition et en cas d'absence d'un accord futur, une union douanière entre le Royaume-Uni et l'Union européenne serait ainsi mise en place, assortie d'un alignement réglementaire de l'Irlande du Nord sur l'Union, ce qui permettrait d'éviter le rétablissement d'une frontière physique sur l'île d'Irlande.
L'accord de retrait est complété par une déclaration politique qui donne à nos relations futures un cadre d'une ambition sans précédent dans les relations de l'UE avec les pays tiers. Ce cadre inclura notamment un partenariat économique, un partenariat en matière de sécurité et un autre en matière de recherche. En particulier – et la France, qui en avait fait l'une de ses priorités, y a tout spécialement veillé –, aussi bien l'accord de retrait que la déclaration politique, qui a l'aval du gouvernement britannique, précisent qu'un accord de pêche devra être conclu d'ici juillet 2020, donc bien avant la fin de la période de transition, et qu'il devra reposer, entre autres, sur l'accès réciproque aux eaux des deux parties ainsi que sur les parts de quotas de pêche existants. Nous serons particulièrement attentifs à la négociation et à la conclusion satisfaisante de cet accord.
Nous serons également très vigilants, et tout le Conseil européen avec nous, au maintien de conditions de concurrence équitables entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, quelle que soit la forme de la relation future. C'est en particulier le cas pour ce qui est de l'alignement sur les normes environnementales européennes : c'est indispensable, sans quoi nous n'aurions le choix qu'entre accepter que nos entreprises subissent une concurrence déloyale ou renoncer en Europe à nos ambitions futures en matière d'environnement.
Voici donc dans quelles conditions se passerait le Brexit en cas de ratification de l'accord de retrait. Mais, je l'ai dit d'emblée, cette ratification dépend d'une situation politique britannique qu'il nous faut qualifier d'incertaine. C'est pourquoi nous avons conclu à la nécessité de nous préparer, États membres comme Commission européenne, à tous les scénarios, y compris celui d'une sortie sans accord. Dès le mois de mars dernier, c'est ce que le Conseil européen avait demandé aux institutions comme aux États membres. Une équipe dédiée au sein du secrétariat général de la Commission identifie les mesures qui devraient être prises dans les domaines qui relèvent de la compétence de l'Union, notamment les droits des citoyens, les services financiers, les transports, les contrôles douaniers et sanitaires, la protection des données personnelles, la pêche ou le climat. Nous travaillons étroitement avec eux. Ensemble, Commission et États membres, nous avons dégagé des principes communs : les mesures de contingence ne doivent pas être aussi avantageuses pour le Royaume-Uni que l'appartenance à l'Union ou que l'accord de retrait ; elles ont un caractère temporaire ; elles pourront être révoquées ; enfin, elles ne se substituent pas à la nécessité pour les acteurs économiques privés de prendre leurs propres mesures de préparation.
À l'échelon national, il est de notre responsabilité collective, celle du Gouvernement comme celle du Parlement, de nous préparer sérieusement à toutes les hypothèses, y compris à celle d'un retrait sans accord. C'est l'objet du présent projet de loi, présenté le 3 octobre dernier en conseil des ministres, adopté par le Sénat le 6 novembre, voté par la commission spéciale le 5 décembre et que j'ai l'honneur de présenter devant vous aujourd'hui. Je souhaite à cette occasion remercier le président Jean-Louis Bourlanges, le rapporteur Alexandre Holroyd et les membres de la commission pour leur travail très important, qui a permis d'améliorer le texte. Le Gouvernement sollicite l'habilitation du Parlement à prendre par ordonnances les mesures nécessaires, soit, pour certaines d'entre elles, en cas d'accord de retrait, soit – et ce sont les plus nombreuses – en cas d'absence d'accord, dans trois grands blocs de domaines : la situation des ressortissants français et, de manière générale, les intérêts français ; la situation des Britanniques en France ; la circulation des personnes et des marchandises.
Le choix de l'habilitation, qui permet une plus grande flexibilité, est ici indispensable au regard des enjeux comme de la possibilité de devoir appliquer des mesures dans des délais très rapides, à l'approche de l'échéance du 30 mars 2019. Il faudra en particulier que nous puissions ajuster notre dispositif en fonction des mesures qui seraient prises par le gouvernement britannique, mais aussi par la Commission pour ce qui relève des compétences communautaires et par les autres États membres pour ce qui les concerne. Le Gouvernement a recherché le meilleur équilibre possible entre l'exigence constitutionnelle de précision de l'habilitation, prévue par l'article 38 de notre Constitution, et le besoin de flexibilité imposé par le contexte dans lequel nous nous trouvons.
Avant de revenir sur certains aspects du texte, je voudrais rappeler que des points très importants n'y sont pas traités, tout simplement parce qu'ils ne relèvent pas, dans le contexte du Brexit, du domaine de la loi et donc du champ de l'ordonnance. C'est par exemple le cas du transport aérien, pour l'essentiel régi par le droit communautaire, ou de la pêche, qui représente une politique intégrée de l'Union européenne. Le Gouvernement agira naturellement avec vigueur dans ces domaines, mais il le fera à la fois à Bruxelles, pour peser sur la détermination des mesures communautaires, et en France, dans le champ réglementaire.
S'agissant des préoccupations liées à la gestion des flux migratoires, je voudrais rappeler ici plusieurs éléments. Le projet de loi traite des questions relatives à l'entrée et au séjour des Britanniques en France. S'agissant de la question particulièrement importante des relations entre la France et le Royaume-Uni en matière de contrôle de la frontière, je rappelle qu'elles relèvent d'un accord bilatéral, le traité du Touquet. J'ai eu amplement l'occasion de débattre avec les parlementaires des points forts comme des points faibles de cet accord. Le Gouvernement y est particulièrement attentif et a d'ores et déjà saisi l'occasion du dernier sommet bilatéral franco-britannique pour obtenir de substantielles améliorations, contenues dans le traité de Sandhurst. Cette question reste ouverte et quelles que soient les formes que prendra le Brexit, le Gouvernement est déterminé à poursuivre avec fermeté la défense des intérêts français dans la gestion des flux migratoires à destination du Royaume-Uni.
J'en viens aux principales mesures envisagées par le projet de loi d'habilitation. Elles visent tout d'abord à protéger les intérêts des Français vivant au Royaume-Uni qui reviendraient en France en cas de retrait sans accord. Il est en effet nécessaire que leurs diplômes et leurs qualifications professionnelles soient reconnus, et que leur période d'activité Outre-Manche soit prise en compte dans le calcul de leurs droits au chômage ou pour la retraite.
Ces préoccupations sont celles de très nombreux Français que j'ai rencontrés à Londres en septembre dernier. Le Gouvernement les a entendues et vous demande de l'autoriser sans retard à préparer les mesures qui éviteront à nos compatriotes de se retrouver au 30 mars privés de leurs droits.
La défense des intérêts français passe également par la possibilité, pour les entreprises françaises, dont un nombre très important de PME, de poursuivre les transferts de produits et matériels de défense à destination du Royaume-Uni lorsqu'elles disposent d'une autorisation. Il est par ailleurs souhaitable que nos entreprises ne soient pas brutalement empêchées d'accéder, au Royaume-Uni, aux systèmes de règlement interbancaire et de règlement livraison de pays tiers, et qu'elles continuent d'utiliser des conventions-cadres en matière de services financiers ou sécurisent les contrats existants dans ces domaines.
J'en viens à la situation des Britanniques vivant sur notre sol. Je veux leur dire qu'ils seront les bienvenus demain comme ils le sont aujourd'hui.
M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien.
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Beaucoup d'entre eux n'ont d'ailleurs pu participer au référendum qui a conduit au Brexit. Ils ne doivent pas devenir les otages d'un Brexit sans accord.
Les mesures que prépare le Gouvernement concernent les droits d'entrée et de séjour, l'emploi des ressortissants britanniques exerçant à la date du retrait une activité professionnelle salariée en France, la situation des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique française de nationalité britannique – le Gouvernement s'engage à ce qu'ils soient maintenus dans leur statut – et l'application aux ressortissants britanniques résidant en France au moment du retrait de la législation relative aux droits sociaux et aux prestations sociales.
Nous nous engageons sans ambiguïté à tout faire pour assurer aux ressortissants britanniques vivant sur notre territoire une situation comparable à celle dont ils auraient bénéficié dans le cadre de l'accord de retrait. Je demande au Gouvernement britannique de prendre les mêmes engagements à l'égard de nos ressortissants et de leur donner des assurances précises et détaillées sur les garanties qui leur seront apportées en l'absence d'accord. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Nous serons extrêmement vigilants sur ce point : les Français du Royaume-Uni peuvent compter sur notre engagement sans faille.
Une troisième catégorie de mesures concerne la circulation des personnes et des marchandises à travers la Manche. Le Gouvernement souhaite pouvoir agir sans délai afin d'assurer la continuité du transport par le tunnel sous la Manche et de mettre en place les contrôles nécessaires à l'entrée sur notre territoire des marchandises venant du Royaume-Uni sans porter atteinte à la fluidité du trafic et à la compétitivité de nos ports.
Même en cas de ratification de l'accord de retrait, certaines de ces mesures sont nécessaires en vue de la réalisation des travaux de construction ou d'aménagement de locaux, d'installations ou d'infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires et routières qui pourront être requis d'ici le 31 décembre 2020 par le rétablissement des contrôles de marchandises et de passagers à destination et en provenance du Royaume-Uni. Tel est l'objet de l'article 3 du projet de loi.
Le Gouvernement sollicite une marge de manoeuvre pour réaliser ces aménagements, en particulier dans les ports, parce que ceux-ci, qui étaient habitués à gérer du commerce intracommunautaire, sont confrontés à de nouveaux défis – mais aussi à de nouvelles opportunités. Or, la compétitivité de nos infrastructures portuaires est une priorité du Gouvernement.
Nous serons extrêmement attentifs aux mesures prises par les autorités britanniques dans les mêmes domaines que ceux que couvre ce projet de loi. Il serait vain de chercher des équivalences précises dans la mesure où nos systèmes comme nos priorités diffèrent, mais nous serons attentifs au respect du principe de réciprocité et sollicitons de l'Assemblée l'autorisation de suspendre certaines des mesures nationales envisagées au cas où la partie britannique ferait défaut.
Avant que nous engagions la discussion de ce texte, je voudrais encore insister sur deux points. Le premier est l'urgence à agir, car ni nos compatriotes, ni nos entreprises, ni les Britanniques vivant en France ne comprendraient que nous n'ayons pas tout fait pour être prêts à amortir les conséquences d'un Brexit sans accord.
Le second est le fait que les enjeux auxquels nous faisons face, qu'il s'agisse de la protection de nos intérêts nationaux ou de ceux de nos concitoyens, dépassent les clivages partisans, ainsi que l'a montré le vote en commission spéciale. Je forme le voeu que le débat d'aujourd'hui reflète également le caractère transpartisan du défi qu'il nous revient, ensemble, de relever. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 18 décembre 2018