Texte intégral
Mesdames, Messieurs
Je suis heureuse de pouvoir introduire vos journées de réflexion consacrées à des questions importantes relatives au système de soins. On sait que la santé tient une place à part dans notre économie : 810 milliards pour la seule consommation médicale, soit environ 8,7 % du produit intérieur brut. C'est considérable : il y a dix ans, la part des dépenses de santé dans le PIB était inférieure d'environ 10 % à ce qu'elle est aujourd'hui.
Cette dépense est prise en charge par la sécurité sociale pour les trois quarts. Elle progresse régulièrement, sous l'effet de l'innovation, de l'amélioration de la qualité des soins mais également de la démographie : l'accroissement de la population et le vieillissement de la population contribuent à augmenter les dépenses d'environ 1 % chaque année.
Au total, l'évolution des dépenses de santé tient essentiellement compte de ces tendances - il n'y a pas en France de rationnement des soins. L'assurance maladie rembourse sans limitation des soins qui sont dispensés et prescrits par les professionnels : depuis 1997, la collectivité a d'ailleurs consacré près de 140 milliards de francs supplémentaires au système de soins.
Au-delà de ces statistiques, il est clair pour tous que " la santé n'est pas une marchandise " : c'est d'ailleurs l'une des raisons qui justifient les réglementations qui encadrent à la fois les pratiques médicales, les conditions d'activité et les prix des actes ou des médicaments. De plus notre système de soin répond à un " cahier des charges " qui va au-delà de la production d'un service de santé de qualité - on attend de lui qu'il soit accessible partout, tout le temps et pour tous.
À cet égard, nous pouvons, je crois, être assez fiers du résultat : en juin 2000, l'organisation mondiale de la santé a classé le système français au premier rang mondial au vu de nombreux critères comme la solidarité, l'espérance de vie et le degré de satisfaction des usagers. Pourtant cette distinction ne doit pas nous conduire à nous endormir sur nos lauriers : pour garantir la meilleure prise en charge de la santé de nos concitoyens, les dépenses s'accroissent, or nous devons constamment amplifier notre vigilance pour être certains que les dépenses sont bien justifiées.
Ces résultats permettent de fonder le prix payé pour la santé. Néanmoins, le financement de la santé par prélèvement obligatoire implique que quand l'un d'entre nous bénéficie de soins, c'est l'ensemble des français qui paye. A ce titre, l'ensemble des français a son mot à dire sur l'évolution des dépenses. Le financement par prélèvements obligatoires s'accompagne donc nécessairement d'une obligation de transparence, autant sur le diagnostic, que sur les décisions ou le suivi des décisions.
Ainsi, chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale donne l'occasion d'un débat avec les parlementaires sur le montant des dépenses de la sécurité sociale et leur évolution - nous sommes d'ailleurs à l'Assemblée Nationale en deuxième lecture du Projet de loi de financement de la sécurité sociale et je retourne d'ailleurs à l'assemblée nationale après mon intervention pour l'examen de ce texte. Plus qu'ailleurs, les décisions opérationnelles s'effectuent également dans la transparence : dans chaque région, un comité régional d'organisation sanitaire (incluant élus, représentants des employeurs, du personnel ou des usagers) examine les évolutions d'activité ou les équipements lourds. Pour chaque discipline, il est également défini un schéma régional d'organisation sanitaire.
Pour les négociations des mesures sociales, chaque protocole donne lieu à un comité de suivi qui associe les signataires et tient informés les non-signataires.
Le financement par prélèvements obligatoires s'accompagne d'une obligation de transparence sur le prix payé et de résultats en matière de qualité. Je sais que vous êtes sensibles à ces deux aspects : en tant que responsables d'entreprises, vous êtes sensibles au niveau des prélèvements et en tant que spécialistes de la santé, vous êtes évidemment attentifs à la qualité des soins. Vous vivez vous-même au quotidien l'équation que doivent résoudre ceux qui ont la responsabilité du système de soins. Vous savez donc que le sujet est complexe et qu'il ne se résout pas avec des solutions simplistes - par exemple privatiser ou dérembourser massivement pour ne citer que quelques unes de ces solutions simplistes.
Les contraintes de finances publiques, on ne doit pas les ignorer - en général on ne peut d'ailleurs pas le faire. Mais il ne s'agit évidemment pas de les intégrer d'une façon purement comptable : l'économie de la santé, ce n'est pas une santé à l'économie qui se traduirait par une baisse de la qualité ou une réduction injustifiée du salaires des professionnels. C'est au contraire expliciter les choix, poser les arbitrage d'une façon transparente et, au final, accepter de payer le prix s'il est justifié et si la répartition est correctement justifiée.
En ce qui concerne son organisation, notre système de soins fait également une large part à la complémentarité entre le secteur public et le secteur privé, mais également entre les différents acteurs du champ social. Et je crois que c'est là un des secrets de sa réussite.
Hôpitaux et cliniques participent ensemble à l'offre de soins au niveau local. Les Français sont très attachés au rôle de l'hôpital public. Ils sont aussi attachés à notre système mixte qui comporte également une offre privée financée par l'assurance maladie. Le secteur privé participe à hauteur de 30 % à la prise en charge hospitalière de la population ; il regroupe 1.380 établissements. Le système de santé français reste organisé - et je crois que c'est une bonne chose- sur la base de la loi de 1991 sur la complémentarité de l'intervention de l'hôpital public et des cliniques privées dans la réponse aux besoins de la population.
Les cliniques ne sont en effet pas des entreprises privées de droit commun. Elles sont financées à 9/10e par l'assurance maladie et elles font partie intégrante du système de soins : la fermeture ou l'ouverture d'une clinique n'est jamais sans conséquences sur l'activité des hôpitaux de la même zone. C'est pourquoi le Gouvernement a prévu dans le protocole du 7 novembre l'affectation de 1,7 milliard de francs de crédits pour des mesures sociales et salariales des cliniques. Ce protocole définit, et c'est la première fois, précisément l'emploi de ces fonds - le financement d'actions en matière sociale et salariale, - ainsi que les modalités de contrôle associées. Le protocole contribuera notamment à la revalorisation des salaires, notamment avec le fléchage vers les augmentations de salaires des personnels y compris les infirmières. Et je mettrai en place le 29 novembre l'Observatoire tripartite (Etat, syndicats et représentants patronaux) pour veiller à ce que l'attribution des fonds légitimement accordés aux cliniques aillent bien aux augmentations salariales, dans le respect de la complémentarité qu'apporte les cliniques dans notre système de soins.
La protection sociale est également diversifiée : les différents régimes de sécurité sociale, les mutuelles ou les assureurs coexistent d'une façon qui donne globalement satisfaction. Là encore, lorsqu'on interroge les Français, on constate qu'ils sont attachés à cette diversité et à cette possibilité de choix.
Une partie des professionnels est salariée, l'autre possède un statut libéral - médecins bien sûr, mais aussi infirmières, masseurs-kinésithérapeutes, orthoptistes. Quel que soit leur statut, ils réalisent tous un travail considérable, que traduit bien l'image très forte dont ils bénéficient - à juste titre - dans l'opinion. Je crois que nos professionnels de santé font chaque jour la preuve de leur compétence : cela a été le cas lors de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse.
S'agissant des médicaments, on retrouve également une complémentarité entre ce qui relève de la politique de santé - la fixation du prix ou la mise sur le marché -, qui sont encadrés et ce qui relève du champ concurrentiel, comme la production des médicaments.
Il y a bien aussi complémentarité entre partenaires sociaux - en charge de la gestion des organismes de sécurité sociale - et l'Etat - garant des grands équilibres et de " l'ordre public social ".
Plus largement, on trouve d'ailleurs une complémentarité entre la santé et le reste du champ social. Par exemple, de plus en plus, les assistantes sociales travaillent avec l'hôpital pour assurer la continuité du suivi de ceux qui relèvent à la fois de l'action sanitaire et de l'action sociale. Il est extrêmement important de multiplier l'interaction entre les deux (cf. rapport de MM Piel et Roeland sur la psychiatrie, remis en 2001). L'intérêt d'un ministère qui associe la santé, l'emploi et la solidarité est un véritable atout : ainsi, la lutte contre les exclusions à naturellement inclus un volet d'accès aux soins qui n'aurait peut-être pas existé si l'exclusion et la santé avaient relevé de ministères différents. Un ministère propre à la santé affaiblirait le poids de la santé dans le système public de décision : jamais je n'aurais pu obtenir les 2 milliards pour l'hôpital en loi de finance rectificative pour 2001 au titre du protocole conclu par Martine Aubry en mars 2000 sans l'existence de ce grand ministère de l'emploi, de la solidarité et de la santé.
Je pense qu'au total notre système de santé réalise un bon équilibre entre la part qui relève de l'Etat et celle qui est ouverte au secteur privé. Pour cette raison, je suis en profond désaccord avec les propositions qui ont été avancées récemment par le MEDEF sur l'assurance santé. Le MEDEF propose en effet :
de déléguer aux assureurs privés la gestion de l'offre de soins, sur la base d'un versement forfaitaire qu'ils recevraient de l'Etat pour chaque assuré qu'ils prendraient en charge ;
d'uniformiser les régimes de retraite et de les transformer en régimes par points strictement contributifs ;
de confier la gestion de l'assurance accidents du travail aux seuls employeurs.
Cela fait déjà un certain temps que le MEDEF manifeste qu'il ne croit plus au paritarisme, je crois que cette proposition dégraderait notre système de santé. Vis-à-vis de la question du choix entre privé et public, je n'ai pas une attitude idéologique, mais j'ai une attitude pragmatique : or il faut bien reconnaître, qu'il existe des domaines dans lesquels le seul jeu du marché produit des résultats désastreux. Les raisons tiennent essentiellement à deux points : d'abord, dans la mesure où les dépenses de santé sont inégalement réparties entre les personnes et touchent plus particulièrement certains, c'est la sélection des " bons risques " - plutôt que la bonne gestion - qui offre les perspectives de rendement les plus fortes. On aboutirait nécessairement alors à une santé à deux vitesses, où le système public devrait prendre en charge les " mauvais risques ". Ensuite, dans la mesure où l'enjeu principal est d'attirer les " bons risques ", la concurrence entre opérateurs s'accompagne de coûts de distribution et de marketing très élevés - de l'ordre du tiers du coût total. On aboutirait alors à un système profondément inégalitaire, plus coûteux et pas forcément plus efficace, à l'image de l'exemple des Etats-Unis, où la santé coûte environ 40 % plus cher qu'en France - on a pas le sentiment que les Américains sont mieux soignés.
Plutôt que la proposition du MEDEF, les Français attendent d'autres réponses des responsables politiques. Il y a en effet beaucoup à faire pour adapter ce grand service public qu'est la sécurité sociale à leurs besoins en constante évolution. Il nous faut améliorer la régulation du système de santé sans créer des discriminations dans l'accès aux soins. Il nous faut introduire dans nos régimes publics de retraite la souplesse qu'en attendent nos concitoyens, quant aux conditions du départ en retraite. Et il faut nous permettre de financer dans la durée notre régime de retraite par répartition, ce qui implique un nouveau pacte entre les générations. Il nous faut enfin améliorer la réparation des accidents du travail, et notamment aller vers leur réparation intégrale, car la loi de 1898 n'est plus satisfaisante : personne ne comprend que les accidents de voiture soient mieux indemnisés que les accidents du travail.
La diversité des acteurs du système de soins est parfois source de tensions, qui ne doivent cependant pas masquer tous les avantages de notre système de santé. Le premier d'entre eux tient à la méthode de travail qu'impose cette diversité : la division ou l'affrontement conduisent au blocage.
Les progrès ne sont possible que par l'explication, la concertation. Sur des sujets aussi importants que celui de la santé, j'estime que cette " obligation démocratique " est une très bonne chose. La mesure que j'ai présentée hier à l'assemblée nationale pour rénover en profondeur le cadre conventionnel, qui détermine les relations entre les professionnels et les caisses illustre, je crois, cette méthode qu'il nous faut continuer à approfondir. Le nouveau dispositif comprendra deux niveaux :
un accord-cadre transversal, qui s'appliquera aux professionnels qui exercent en ville ;
chaque profession fera ensuite l'objet d'une convention propre avec les caisses de sécurité sociale, qui fixera notamment les bonnes pratiques à respecter par les professionnels ;
Les professions qui ne concluront pas de convention resteront soumises au dispositif actuellement en vigueur des lettres-clefs flottantes. A contrario celle qui s'engagerait dans la convention se verrait dispenser des lettres-clés flottantes.
En matière de protection sociale il faut également savoir gérer le temps : je viens de le dire, il faut savoir prendre le temps de la concertation lorsque c'est nécessaire. Et il ne faut pas confondre concertation et négociation. Mais il faut également savoir réagir très rapidement en cas de situation d'urgence : l'urgence médicale n'attend pas, elle concerne chaque année plus de 12 millions de passages dans les hôpitaux. La sécurité sanitaire n'attend pas non plus. Pour le plan " Biotox ", ce sont au total 1,3 milliards de francs qui ont pu être débloqués en quelques jours pour prévenir les risques d'attaque biologique par le charbon, la variole, la peste ou le botulisme.
Ma méthode en matière de santé, c'est également de laisser la place à des initiatives inscrites dans le cadre conventionnel. J'en citerai quelques exemples :
pour l'hôpital, le protocole du 14 mars 2001 permet de moderniser la gestion sociale des personnels. Il a été suivi le 7 novembre 2001 par un accord dans les cliniques poursuivant le même objectif ;
à la suite de la réunion du 25 janvier - appelé " grenelle de la santé " par certains - puis de la mission des " quatre sages ", qui a exploré les pistes d'un renouveau du contrat qui lie professionnels et usagers ainsi que l'amélioration de la qualité, j'ai fait 13 propositions, soumises à la concertation. Je citerai notamment la création d'un Haut conseil de la santé, l'aide à l'installation des professionnels dans certaines zones rurales ou zones urbaines sensibles aujourd'hui désertifiées, le soutien aux expériences innovantes en matière de garde médicale, ou l'appui au développement des réseaux. Tous ces points sont soit dans le projet de loi " droit des malades ", soit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Savoir gérer le temps, concerter et faire preuve d'initiative : voilà la méthode qui, je crois, s'impose en matière de protection sociale. Cette méthode est au service de convictions fortes, auxquelles la majorité des Français est attachée :
l'égalité d'accès et de traitement pour tous. Elle ne va pas de soi compte tenu de l'évolution de la répartition de la population sur le territoire, de l'évolution de l'offre de santé mais aussi de l'apparition de nouvelles formes d'exclusion. La création de la couverture maladie universelle a permis de combler des inégalités fortes, notamment en matière de soins dentaires. La création de l'allocation personnalisée d'autonomie permet d'unifier l'aide à la dépendance d'une région à l'autre. D'une façon plus générale, chaque modification de la carte hospitalière a des conséquences en matière d'aménagement du territoire. Il faut évidemment en tenir compte et je suis très attachée à ce travail de plus en plus territorialisée de notre système de soins ;
la prise en charge collective des risques essentiels que sont la maladie, le handicap ou les risques liés au vieillissement (dépendance notamment). Ce choix est à la fois le choix de la cohésion sociale et celui de l'efficacité - les expériences étrangères montrent que la libéralisation dans ce domaine se traduit essentiellement par une exclusion des assurés qui entraînent le plus de dépenses et une forte inflation des dépenses de marketing et de distribution. J'ai n'ai personnellement rien contre le marketing, mais en tant que Ministre de l'Emploi et de la Solidarité, je préfère que l'effort national -financé sur fonds publics- en matière de santé serve à ouvrir des lits supplémentaires plutôt qu'à faire de la publicité ;
le respect de la personne. Nous avons souhaité progresser sur ce sujet grâce au projet de loi sur le droit des malades, qui sera voté définitivement fin février et que Bernard Kouchner défend devant l'Assemblée Nationale : les usagers auront un meilleur accès à leur dossier, et ils seront mieux représentés. Ils seront également mieux protégés face au risque d'aléa thérapeutique.
Je voulais aussi mentionner que le projet de loi bioéthique inscrira dans la loi l'interdiction de la discrimination en raison des caractéristiques génétiques. Il s'agissait d'un point particulièrement important, notamment pour éviter que la concurrence ne conduise les assurances à devoir refuser certains profils sur la base de tests génétiques. Ce projet de loi, qui viendra en discussion à l'Assemblée Nationale à la mi-janvier, permettra également - en l'encadrant - de faciliter la greffe d'organes. En effet, le droit actuel limite le cercle des donneurs potentiels à l'entourage proche du demandeurs : cette situation crée à la fois des situations de pénurie, ainsi qu'une pression parfois très forte sur les donneurs potentiels. La loi bioéthique définira en outre un cadre pour la recherche sur l'embryon - sujet qui présente à la fois des débats éthiques et des espoirs considérables en termes de guérison de certaines pathologies. Le respect de la personne, concerne enfin l'accès aux données individuelles ainsi que la protection contre leur utilisation abusive. Cet enjeu est d'autant plus important que les nouvelles technologies contribuent à créer de nouveaux risques ;
Je voudrai également évoquer la nécessité de maîtriser la mondialisation. Elle pose un certain nombre de défis.. J'en citerais quatre :
premier défi, la question des brevets et de l'accès des pays en voie de développement aux médicaments. Le débat est délicat et difficile : personne ne souhaite décourager l'innovation médicale -elle doit être protégée- mais, dans le même temps, il est difficile d'accepter que des milliers de personnes meurent de maladies que l'on saurait soigner à coût réduit avec des génériques. Sur ce point, l'Union Européenne a remporté un succès qui mérite d'être signalé à la Conférence ministérielle de DOHA : pour la première fois, l'OMC reconnaît le droit des membres d'interpréter et de mettre en oeuvre l'accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC ou "TRIPS") dans un sens favorable à la santé publique, afin de lutter contre les épidémies comme le SIDA et de promouvoir l'accès de tous aux médicaments ;
deuxième défi : dans un cadre global les récentes crises sanitaires (vache folle, légionellose, etc) ont donné lieu à une prise de conscience collective des responsables européens : la libre circulation des biens et des personnes au sein du marché commun nécessite également des moyens de réponse au niveau européen. L'agence européenne sur la sécurité alimentaire devrait voir le jour prochainement ;
troisième défi : la menace bioterroriste, qui concerne l'ensemble des pays européens. Le dernier Conseil des ministres de la santé (le 15 novembre) est ainsi parvenu à un accord sur quelques grandes orientations : mise en place d'un système concerté de surveillance épidémiologique, mise en place d'une équipe d'experts en charge de la synthèse des stratégies nationales de réponse à la menace bioterroriste, information mutuelle sur les capacités disponibles en matière de vaccins, sérums et antibiotiques et cartographie des capacités des laboratoires européens ;
enfin, il y a les questions d'éthique qui ne peuvent se résoudre dans un cadre uniquement national : il est intolérable que des projets de clonage d'humains puissent être en cours dans des pays qui n'interdisent pas ce genre de pratiques. La France a demandé à l'ONU d'étudier la façon de mettre hors la loi ce genre d'expériences. A terme, il faudra qu'une cour pénale internationale dispose des moyens de sanctions nécessaires pour faire appliquer cette interdiction ;
Notre conception de la santé porte un certain nombre de valeurs. Nous sommes également attachés à des modes de gestion qui permettent de garantir ces valeurs :
l'organisation et la régulation publique du système de soins - qui est la seule à permettre de garantir les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Elle ne s'oppose pas à la complémentarité entre secteurs privé et public ou à la possibilité de choix des usagers. En revanche, cette organisation publique s'oppose totalement - je l'ai déjà évoqué - à la conception du système de santé que propose le MEDEF ;
la gestion des grands équilibres, et en particulier le niveau de prélèvements et la structure de ces prélèvements. Des réformes importantes ont été réalisées dans ce domaine, qu'il s'agisse de la création de la CSG ou des exonérations de cotisations sociales. Ces réformes ont contribué à baisser la part des salaires dans le financement de la sécurité sociale, avec un double bénéfice : d'abord, favoriser l'emploi et le pouvoir d'achat des revenus les plus modestes et ensuite, asseoir le financement de la sécurité sociale sur des bases qui n'oblige pas à arbitrer entre l'emploi et la santé ;
Etre attaché à des valeurs ne signifie pas refuser le progrès : au contraire, la santé se modernise pour mieux répondre aux objectifs qui lui sont fixés. Les pratiques ou les équipements médicaux sont en perpétuelle évolution - nous avons d'ailleurs créé des structures spécifiques pour accélérer la diffusion des bonnes pratiques. L'innovation est également présente en matière de médicament : elle présente beaucoup d'opportunités, mais également parfois des risques - on l'a vu récemment avec le retrait du médicament anticholesterol produit par un grand laboratoire.
L'innovation a également été introduite dans la gestion de la santé, grâce à l'introduction de la carte Vitale et grâce à l'informatisation des cabinets médicaux. Comme tout projet informatique de grande ampleur, cette réforme a mis un certain temps à se mettre en place. Mais sur le long terme, personne ne pourra en contester le bilan.
Par ailleurs, le système de santé doit également s'adapter aux possibilités offertes par les nouvelles technologies. Je pense notamment au développement de sites qui offrent en ligne des conseils médicaux. Or en matière de santé, les mauvais conseils peuvent avoir des conséquences graves : il était nécessaire que le contenu de ces sites puisse faire l'objet d'une validation. Ce sujet n'est pas anodin, dans la mesure où il pose la question de la régulation d'innovations qui surgissent en dehors du cadre habituel : les procédures de certification du contenu de ces sites sont à créer, et la plupart de ces sites n'ont pas demandé d'avis au ministère de la santé avant de s'ouvrir au public. Voilà un sujet de réflexion qui me paraît devoir être approfondi.
Assurer aux français une protection sociale de qualité, c'est permettre de prendre en charge les risques qui sont aujourd'hui bien identifiés, mais c'est aussi se donner les moyens prévenir ceux que l'on redoute. Nous disposons en France d'un système de soins qui possède des spécificités conformes avec ce que nous attendons de notre système de santé. Il ne vise pas uniquement à produire des services de santé, il est également porteur de certaines valeurs. Pour cette raison, je suis convaincue qu'il est armé pour résister aux changements que l'innovation en matière d'offre médicale et l'évolution de la demande ne manqueront pas de susciter. Bien sûr il ne faut pas que ce système reste immobile, je vous ai d'ailleurs donné des indications pour le faire évoluer. Répondre à ces évolutions relève de l'Etat, mais aussi de l'ensemble des professions qui forment notre système de santé, c'est à dire chacun d'entre vous. J'espère donc que vos réflexions viendront enrichir la mienne. Nous avons besoin d'abord et avant tout de l'adhésion de nos citoyens sur les évolutions à apporter à notre système de santé.
(Source http://www.santé.gouv.fr, le 30 novembre 2001)
Je suis heureuse de pouvoir introduire vos journées de réflexion consacrées à des questions importantes relatives au système de soins. On sait que la santé tient une place à part dans notre économie : 810 milliards pour la seule consommation médicale, soit environ 8,7 % du produit intérieur brut. C'est considérable : il y a dix ans, la part des dépenses de santé dans le PIB était inférieure d'environ 10 % à ce qu'elle est aujourd'hui.
Cette dépense est prise en charge par la sécurité sociale pour les trois quarts. Elle progresse régulièrement, sous l'effet de l'innovation, de l'amélioration de la qualité des soins mais également de la démographie : l'accroissement de la population et le vieillissement de la population contribuent à augmenter les dépenses d'environ 1 % chaque année.
Au total, l'évolution des dépenses de santé tient essentiellement compte de ces tendances - il n'y a pas en France de rationnement des soins. L'assurance maladie rembourse sans limitation des soins qui sont dispensés et prescrits par les professionnels : depuis 1997, la collectivité a d'ailleurs consacré près de 140 milliards de francs supplémentaires au système de soins.
Au-delà de ces statistiques, il est clair pour tous que " la santé n'est pas une marchandise " : c'est d'ailleurs l'une des raisons qui justifient les réglementations qui encadrent à la fois les pratiques médicales, les conditions d'activité et les prix des actes ou des médicaments. De plus notre système de soin répond à un " cahier des charges " qui va au-delà de la production d'un service de santé de qualité - on attend de lui qu'il soit accessible partout, tout le temps et pour tous.
À cet égard, nous pouvons, je crois, être assez fiers du résultat : en juin 2000, l'organisation mondiale de la santé a classé le système français au premier rang mondial au vu de nombreux critères comme la solidarité, l'espérance de vie et le degré de satisfaction des usagers. Pourtant cette distinction ne doit pas nous conduire à nous endormir sur nos lauriers : pour garantir la meilleure prise en charge de la santé de nos concitoyens, les dépenses s'accroissent, or nous devons constamment amplifier notre vigilance pour être certains que les dépenses sont bien justifiées.
Ces résultats permettent de fonder le prix payé pour la santé. Néanmoins, le financement de la santé par prélèvement obligatoire implique que quand l'un d'entre nous bénéficie de soins, c'est l'ensemble des français qui paye. A ce titre, l'ensemble des français a son mot à dire sur l'évolution des dépenses. Le financement par prélèvements obligatoires s'accompagne donc nécessairement d'une obligation de transparence, autant sur le diagnostic, que sur les décisions ou le suivi des décisions.
Ainsi, chaque année, le projet de loi de financement de la sécurité sociale donne l'occasion d'un débat avec les parlementaires sur le montant des dépenses de la sécurité sociale et leur évolution - nous sommes d'ailleurs à l'Assemblée Nationale en deuxième lecture du Projet de loi de financement de la sécurité sociale et je retourne d'ailleurs à l'assemblée nationale après mon intervention pour l'examen de ce texte. Plus qu'ailleurs, les décisions opérationnelles s'effectuent également dans la transparence : dans chaque région, un comité régional d'organisation sanitaire (incluant élus, représentants des employeurs, du personnel ou des usagers) examine les évolutions d'activité ou les équipements lourds. Pour chaque discipline, il est également défini un schéma régional d'organisation sanitaire.
Pour les négociations des mesures sociales, chaque protocole donne lieu à un comité de suivi qui associe les signataires et tient informés les non-signataires.
Le financement par prélèvements obligatoires s'accompagne d'une obligation de transparence sur le prix payé et de résultats en matière de qualité. Je sais que vous êtes sensibles à ces deux aspects : en tant que responsables d'entreprises, vous êtes sensibles au niveau des prélèvements et en tant que spécialistes de la santé, vous êtes évidemment attentifs à la qualité des soins. Vous vivez vous-même au quotidien l'équation que doivent résoudre ceux qui ont la responsabilité du système de soins. Vous savez donc que le sujet est complexe et qu'il ne se résout pas avec des solutions simplistes - par exemple privatiser ou dérembourser massivement pour ne citer que quelques unes de ces solutions simplistes.
Les contraintes de finances publiques, on ne doit pas les ignorer - en général on ne peut d'ailleurs pas le faire. Mais il ne s'agit évidemment pas de les intégrer d'une façon purement comptable : l'économie de la santé, ce n'est pas une santé à l'économie qui se traduirait par une baisse de la qualité ou une réduction injustifiée du salaires des professionnels. C'est au contraire expliciter les choix, poser les arbitrage d'une façon transparente et, au final, accepter de payer le prix s'il est justifié et si la répartition est correctement justifiée.
En ce qui concerne son organisation, notre système de soins fait également une large part à la complémentarité entre le secteur public et le secteur privé, mais également entre les différents acteurs du champ social. Et je crois que c'est là un des secrets de sa réussite.
Hôpitaux et cliniques participent ensemble à l'offre de soins au niveau local. Les Français sont très attachés au rôle de l'hôpital public. Ils sont aussi attachés à notre système mixte qui comporte également une offre privée financée par l'assurance maladie. Le secteur privé participe à hauteur de 30 % à la prise en charge hospitalière de la population ; il regroupe 1.380 établissements. Le système de santé français reste organisé - et je crois que c'est une bonne chose- sur la base de la loi de 1991 sur la complémentarité de l'intervention de l'hôpital public et des cliniques privées dans la réponse aux besoins de la population.
Les cliniques ne sont en effet pas des entreprises privées de droit commun. Elles sont financées à 9/10e par l'assurance maladie et elles font partie intégrante du système de soins : la fermeture ou l'ouverture d'une clinique n'est jamais sans conséquences sur l'activité des hôpitaux de la même zone. C'est pourquoi le Gouvernement a prévu dans le protocole du 7 novembre l'affectation de 1,7 milliard de francs de crédits pour des mesures sociales et salariales des cliniques. Ce protocole définit, et c'est la première fois, précisément l'emploi de ces fonds - le financement d'actions en matière sociale et salariale, - ainsi que les modalités de contrôle associées. Le protocole contribuera notamment à la revalorisation des salaires, notamment avec le fléchage vers les augmentations de salaires des personnels y compris les infirmières. Et je mettrai en place le 29 novembre l'Observatoire tripartite (Etat, syndicats et représentants patronaux) pour veiller à ce que l'attribution des fonds légitimement accordés aux cliniques aillent bien aux augmentations salariales, dans le respect de la complémentarité qu'apporte les cliniques dans notre système de soins.
La protection sociale est également diversifiée : les différents régimes de sécurité sociale, les mutuelles ou les assureurs coexistent d'une façon qui donne globalement satisfaction. Là encore, lorsqu'on interroge les Français, on constate qu'ils sont attachés à cette diversité et à cette possibilité de choix.
Une partie des professionnels est salariée, l'autre possède un statut libéral - médecins bien sûr, mais aussi infirmières, masseurs-kinésithérapeutes, orthoptistes. Quel que soit leur statut, ils réalisent tous un travail considérable, que traduit bien l'image très forte dont ils bénéficient - à juste titre - dans l'opinion. Je crois que nos professionnels de santé font chaque jour la preuve de leur compétence : cela a été le cas lors de l'explosion de l'usine AZF à Toulouse.
S'agissant des médicaments, on retrouve également une complémentarité entre ce qui relève de la politique de santé - la fixation du prix ou la mise sur le marché -, qui sont encadrés et ce qui relève du champ concurrentiel, comme la production des médicaments.
Il y a bien aussi complémentarité entre partenaires sociaux - en charge de la gestion des organismes de sécurité sociale - et l'Etat - garant des grands équilibres et de " l'ordre public social ".
Plus largement, on trouve d'ailleurs une complémentarité entre la santé et le reste du champ social. Par exemple, de plus en plus, les assistantes sociales travaillent avec l'hôpital pour assurer la continuité du suivi de ceux qui relèvent à la fois de l'action sanitaire et de l'action sociale. Il est extrêmement important de multiplier l'interaction entre les deux (cf. rapport de MM Piel et Roeland sur la psychiatrie, remis en 2001). L'intérêt d'un ministère qui associe la santé, l'emploi et la solidarité est un véritable atout : ainsi, la lutte contre les exclusions à naturellement inclus un volet d'accès aux soins qui n'aurait peut-être pas existé si l'exclusion et la santé avaient relevé de ministères différents. Un ministère propre à la santé affaiblirait le poids de la santé dans le système public de décision : jamais je n'aurais pu obtenir les 2 milliards pour l'hôpital en loi de finance rectificative pour 2001 au titre du protocole conclu par Martine Aubry en mars 2000 sans l'existence de ce grand ministère de l'emploi, de la solidarité et de la santé.
Je pense qu'au total notre système de santé réalise un bon équilibre entre la part qui relève de l'Etat et celle qui est ouverte au secteur privé. Pour cette raison, je suis en profond désaccord avec les propositions qui ont été avancées récemment par le MEDEF sur l'assurance santé. Le MEDEF propose en effet :
de déléguer aux assureurs privés la gestion de l'offre de soins, sur la base d'un versement forfaitaire qu'ils recevraient de l'Etat pour chaque assuré qu'ils prendraient en charge ;
d'uniformiser les régimes de retraite et de les transformer en régimes par points strictement contributifs ;
de confier la gestion de l'assurance accidents du travail aux seuls employeurs.
Cela fait déjà un certain temps que le MEDEF manifeste qu'il ne croit plus au paritarisme, je crois que cette proposition dégraderait notre système de santé. Vis-à-vis de la question du choix entre privé et public, je n'ai pas une attitude idéologique, mais j'ai une attitude pragmatique : or il faut bien reconnaître, qu'il existe des domaines dans lesquels le seul jeu du marché produit des résultats désastreux. Les raisons tiennent essentiellement à deux points : d'abord, dans la mesure où les dépenses de santé sont inégalement réparties entre les personnes et touchent plus particulièrement certains, c'est la sélection des " bons risques " - plutôt que la bonne gestion - qui offre les perspectives de rendement les plus fortes. On aboutirait nécessairement alors à une santé à deux vitesses, où le système public devrait prendre en charge les " mauvais risques ". Ensuite, dans la mesure où l'enjeu principal est d'attirer les " bons risques ", la concurrence entre opérateurs s'accompagne de coûts de distribution et de marketing très élevés - de l'ordre du tiers du coût total. On aboutirait alors à un système profondément inégalitaire, plus coûteux et pas forcément plus efficace, à l'image de l'exemple des Etats-Unis, où la santé coûte environ 40 % plus cher qu'en France - on a pas le sentiment que les Américains sont mieux soignés.
Plutôt que la proposition du MEDEF, les Français attendent d'autres réponses des responsables politiques. Il y a en effet beaucoup à faire pour adapter ce grand service public qu'est la sécurité sociale à leurs besoins en constante évolution. Il nous faut améliorer la régulation du système de santé sans créer des discriminations dans l'accès aux soins. Il nous faut introduire dans nos régimes publics de retraite la souplesse qu'en attendent nos concitoyens, quant aux conditions du départ en retraite. Et il faut nous permettre de financer dans la durée notre régime de retraite par répartition, ce qui implique un nouveau pacte entre les générations. Il nous faut enfin améliorer la réparation des accidents du travail, et notamment aller vers leur réparation intégrale, car la loi de 1898 n'est plus satisfaisante : personne ne comprend que les accidents de voiture soient mieux indemnisés que les accidents du travail.
La diversité des acteurs du système de soins est parfois source de tensions, qui ne doivent cependant pas masquer tous les avantages de notre système de santé. Le premier d'entre eux tient à la méthode de travail qu'impose cette diversité : la division ou l'affrontement conduisent au blocage.
Les progrès ne sont possible que par l'explication, la concertation. Sur des sujets aussi importants que celui de la santé, j'estime que cette " obligation démocratique " est une très bonne chose. La mesure que j'ai présentée hier à l'assemblée nationale pour rénover en profondeur le cadre conventionnel, qui détermine les relations entre les professionnels et les caisses illustre, je crois, cette méthode qu'il nous faut continuer à approfondir. Le nouveau dispositif comprendra deux niveaux :
un accord-cadre transversal, qui s'appliquera aux professionnels qui exercent en ville ;
chaque profession fera ensuite l'objet d'une convention propre avec les caisses de sécurité sociale, qui fixera notamment les bonnes pratiques à respecter par les professionnels ;
Les professions qui ne concluront pas de convention resteront soumises au dispositif actuellement en vigueur des lettres-clefs flottantes. A contrario celle qui s'engagerait dans la convention se verrait dispenser des lettres-clés flottantes.
En matière de protection sociale il faut également savoir gérer le temps : je viens de le dire, il faut savoir prendre le temps de la concertation lorsque c'est nécessaire. Et il ne faut pas confondre concertation et négociation. Mais il faut également savoir réagir très rapidement en cas de situation d'urgence : l'urgence médicale n'attend pas, elle concerne chaque année plus de 12 millions de passages dans les hôpitaux. La sécurité sanitaire n'attend pas non plus. Pour le plan " Biotox ", ce sont au total 1,3 milliards de francs qui ont pu être débloqués en quelques jours pour prévenir les risques d'attaque biologique par le charbon, la variole, la peste ou le botulisme.
Ma méthode en matière de santé, c'est également de laisser la place à des initiatives inscrites dans le cadre conventionnel. J'en citerai quelques exemples :
pour l'hôpital, le protocole du 14 mars 2001 permet de moderniser la gestion sociale des personnels. Il a été suivi le 7 novembre 2001 par un accord dans les cliniques poursuivant le même objectif ;
à la suite de la réunion du 25 janvier - appelé " grenelle de la santé " par certains - puis de la mission des " quatre sages ", qui a exploré les pistes d'un renouveau du contrat qui lie professionnels et usagers ainsi que l'amélioration de la qualité, j'ai fait 13 propositions, soumises à la concertation. Je citerai notamment la création d'un Haut conseil de la santé, l'aide à l'installation des professionnels dans certaines zones rurales ou zones urbaines sensibles aujourd'hui désertifiées, le soutien aux expériences innovantes en matière de garde médicale, ou l'appui au développement des réseaux. Tous ces points sont soit dans le projet de loi " droit des malades ", soit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Savoir gérer le temps, concerter et faire preuve d'initiative : voilà la méthode qui, je crois, s'impose en matière de protection sociale. Cette méthode est au service de convictions fortes, auxquelles la majorité des Français est attachée :
l'égalité d'accès et de traitement pour tous. Elle ne va pas de soi compte tenu de l'évolution de la répartition de la population sur le territoire, de l'évolution de l'offre de santé mais aussi de l'apparition de nouvelles formes d'exclusion. La création de la couverture maladie universelle a permis de combler des inégalités fortes, notamment en matière de soins dentaires. La création de l'allocation personnalisée d'autonomie permet d'unifier l'aide à la dépendance d'une région à l'autre. D'une façon plus générale, chaque modification de la carte hospitalière a des conséquences en matière d'aménagement du territoire. Il faut évidemment en tenir compte et je suis très attachée à ce travail de plus en plus territorialisée de notre système de soins ;
la prise en charge collective des risques essentiels que sont la maladie, le handicap ou les risques liés au vieillissement (dépendance notamment). Ce choix est à la fois le choix de la cohésion sociale et celui de l'efficacité - les expériences étrangères montrent que la libéralisation dans ce domaine se traduit essentiellement par une exclusion des assurés qui entraînent le plus de dépenses et une forte inflation des dépenses de marketing et de distribution. J'ai n'ai personnellement rien contre le marketing, mais en tant que Ministre de l'Emploi et de la Solidarité, je préfère que l'effort national -financé sur fonds publics- en matière de santé serve à ouvrir des lits supplémentaires plutôt qu'à faire de la publicité ;
le respect de la personne. Nous avons souhaité progresser sur ce sujet grâce au projet de loi sur le droit des malades, qui sera voté définitivement fin février et que Bernard Kouchner défend devant l'Assemblée Nationale : les usagers auront un meilleur accès à leur dossier, et ils seront mieux représentés. Ils seront également mieux protégés face au risque d'aléa thérapeutique.
Je voulais aussi mentionner que le projet de loi bioéthique inscrira dans la loi l'interdiction de la discrimination en raison des caractéristiques génétiques. Il s'agissait d'un point particulièrement important, notamment pour éviter que la concurrence ne conduise les assurances à devoir refuser certains profils sur la base de tests génétiques. Ce projet de loi, qui viendra en discussion à l'Assemblée Nationale à la mi-janvier, permettra également - en l'encadrant - de faciliter la greffe d'organes. En effet, le droit actuel limite le cercle des donneurs potentiels à l'entourage proche du demandeurs : cette situation crée à la fois des situations de pénurie, ainsi qu'une pression parfois très forte sur les donneurs potentiels. La loi bioéthique définira en outre un cadre pour la recherche sur l'embryon - sujet qui présente à la fois des débats éthiques et des espoirs considérables en termes de guérison de certaines pathologies. Le respect de la personne, concerne enfin l'accès aux données individuelles ainsi que la protection contre leur utilisation abusive. Cet enjeu est d'autant plus important que les nouvelles technologies contribuent à créer de nouveaux risques ;
Je voudrai également évoquer la nécessité de maîtriser la mondialisation. Elle pose un certain nombre de défis.. J'en citerais quatre :
premier défi, la question des brevets et de l'accès des pays en voie de développement aux médicaments. Le débat est délicat et difficile : personne ne souhaite décourager l'innovation médicale -elle doit être protégée- mais, dans le même temps, il est difficile d'accepter que des milliers de personnes meurent de maladies que l'on saurait soigner à coût réduit avec des génériques. Sur ce point, l'Union Européenne a remporté un succès qui mérite d'être signalé à la Conférence ministérielle de DOHA : pour la première fois, l'OMC reconnaît le droit des membres d'interpréter et de mettre en oeuvre l'accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC ou "TRIPS") dans un sens favorable à la santé publique, afin de lutter contre les épidémies comme le SIDA et de promouvoir l'accès de tous aux médicaments ;
deuxième défi : dans un cadre global les récentes crises sanitaires (vache folle, légionellose, etc) ont donné lieu à une prise de conscience collective des responsables européens : la libre circulation des biens et des personnes au sein du marché commun nécessite également des moyens de réponse au niveau européen. L'agence européenne sur la sécurité alimentaire devrait voir le jour prochainement ;
troisième défi : la menace bioterroriste, qui concerne l'ensemble des pays européens. Le dernier Conseil des ministres de la santé (le 15 novembre) est ainsi parvenu à un accord sur quelques grandes orientations : mise en place d'un système concerté de surveillance épidémiologique, mise en place d'une équipe d'experts en charge de la synthèse des stratégies nationales de réponse à la menace bioterroriste, information mutuelle sur les capacités disponibles en matière de vaccins, sérums et antibiotiques et cartographie des capacités des laboratoires européens ;
enfin, il y a les questions d'éthique qui ne peuvent se résoudre dans un cadre uniquement national : il est intolérable que des projets de clonage d'humains puissent être en cours dans des pays qui n'interdisent pas ce genre de pratiques. La France a demandé à l'ONU d'étudier la façon de mettre hors la loi ce genre d'expériences. A terme, il faudra qu'une cour pénale internationale dispose des moyens de sanctions nécessaires pour faire appliquer cette interdiction ;
Notre conception de la santé porte un certain nombre de valeurs. Nous sommes également attachés à des modes de gestion qui permettent de garantir ces valeurs :
l'organisation et la régulation publique du système de soins - qui est la seule à permettre de garantir les valeurs auxquelles nous sommes attachés. Elle ne s'oppose pas à la complémentarité entre secteurs privé et public ou à la possibilité de choix des usagers. En revanche, cette organisation publique s'oppose totalement - je l'ai déjà évoqué - à la conception du système de santé que propose le MEDEF ;
la gestion des grands équilibres, et en particulier le niveau de prélèvements et la structure de ces prélèvements. Des réformes importantes ont été réalisées dans ce domaine, qu'il s'agisse de la création de la CSG ou des exonérations de cotisations sociales. Ces réformes ont contribué à baisser la part des salaires dans le financement de la sécurité sociale, avec un double bénéfice : d'abord, favoriser l'emploi et le pouvoir d'achat des revenus les plus modestes et ensuite, asseoir le financement de la sécurité sociale sur des bases qui n'oblige pas à arbitrer entre l'emploi et la santé ;
Etre attaché à des valeurs ne signifie pas refuser le progrès : au contraire, la santé se modernise pour mieux répondre aux objectifs qui lui sont fixés. Les pratiques ou les équipements médicaux sont en perpétuelle évolution - nous avons d'ailleurs créé des structures spécifiques pour accélérer la diffusion des bonnes pratiques. L'innovation est également présente en matière de médicament : elle présente beaucoup d'opportunités, mais également parfois des risques - on l'a vu récemment avec le retrait du médicament anticholesterol produit par un grand laboratoire.
L'innovation a également été introduite dans la gestion de la santé, grâce à l'introduction de la carte Vitale et grâce à l'informatisation des cabinets médicaux. Comme tout projet informatique de grande ampleur, cette réforme a mis un certain temps à se mettre en place. Mais sur le long terme, personne ne pourra en contester le bilan.
Par ailleurs, le système de santé doit également s'adapter aux possibilités offertes par les nouvelles technologies. Je pense notamment au développement de sites qui offrent en ligne des conseils médicaux. Or en matière de santé, les mauvais conseils peuvent avoir des conséquences graves : il était nécessaire que le contenu de ces sites puisse faire l'objet d'une validation. Ce sujet n'est pas anodin, dans la mesure où il pose la question de la régulation d'innovations qui surgissent en dehors du cadre habituel : les procédures de certification du contenu de ces sites sont à créer, et la plupart de ces sites n'ont pas demandé d'avis au ministère de la santé avant de s'ouvrir au public. Voilà un sujet de réflexion qui me paraît devoir être approfondi.
Assurer aux français une protection sociale de qualité, c'est permettre de prendre en charge les risques qui sont aujourd'hui bien identifiés, mais c'est aussi se donner les moyens prévenir ceux que l'on redoute. Nous disposons en France d'un système de soins qui possède des spécificités conformes avec ce que nous attendons de notre système de santé. Il ne vise pas uniquement à produire des services de santé, il est également porteur de certaines valeurs. Pour cette raison, je suis convaincue qu'il est armé pour résister aux changements que l'innovation en matière d'offre médicale et l'évolution de la demande ne manqueront pas de susciter. Bien sûr il ne faut pas que ce système reste immobile, je vous ai d'ailleurs donné des indications pour le faire évoluer. Répondre à ces évolutions relève de l'Etat, mais aussi de l'ensemble des professions qui forment notre système de santé, c'est à dire chacun d'entre vous. J'espère donc que vos réflexions viendront enrichir la mienne. Nous avons besoin d'abord et avant tout de l'adhésion de nos citoyens sur les évolutions à apporter à notre système de santé.
(Source http://www.santé.gouv.fr, le 30 novembre 2001)