Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur l'intensification des programmmes du CEA dans le domaine de la recherche sur les infections à prions, sur le rôle et le financement du Groupement d'intérêt scientifique "infection à prions" et sur la coopération internationale dans le domaine de la recherche et du dépistage, Saclay le 11 octobre 2001.

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Circonstance : Inauguration du laboratoire L3 du CEA consacré aux recherches sur le diagnostic des maladies à prions, à Saclay (Essonne), le 11 octobre 2001

Texte intégral

Je suis heureux d'inaugurer aujourd'hui ce nouveau laboratoire L3 du Commissariat à l'énergie atomique, laboratoire de haute sécurité microbiologique de niveau 3, consacré à la recherche sur les prions.
Ce nouveau laboratoire du CEA est le premier équipement résultant des actions que le ministère a décidées en novembre 2000, il y a donc moins d'un an, par la création du Groupement d'intérêt scientifique (GIS) "Infections à prions".
Onze mois plus tard - c'est-à-dire dans un délai très bref-, ce nouvel équipement existe concrètement et nous en inaugurons aujourd'hui la première tranche, qui comporte 170 m2 de laboratoire.
Je tiens à saluer l'action du CEA qui possède une expertise internationalement reconnue pour ses recherches en sciences de la vie et en particulier sur les infections à prions.
Face à l'ampleur prise par l'épizootie d'encéphalopathie spongiforme bovine, face à l'apparition du nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, le ministère de la recherche a décidé d'impulser la recherche sur les ESST et les prions et de renforcer la coopération entre les différents acteurs de cette recherche.
Il y a un peu moins d'un an, en novembre 2000, j'ai obtenu du Premier Ministre l'adoption d'un plan exceptionnel en faveur de la recherche sur les encéphalopathies subaiguës spongiformes transmissibles et les maladies à prions.
Un premier programme spécifique de recherche sur les ESST avait été mis en place au plan national en 1996, lorsque le nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob est apparu en Grande Bretagne. Ce programme, dont nous avions porté le budget à 70 MF en 2000, a obtenu des résultats notables. La recherche fondamentale française a fourni des données importantes, comme celles portant sur la structure et le rôle de la protéine PrP. La communauté scientifique a été dotée, par la mise en réseau de laboratoires, d'outils qui lui faisaient défaut. Une recherche thérapeutique a été amorcée avec des expériences sur des molécules agissant dès la phase précoce de l'infection. Enfin, les activités de surveillance et de recherche épidémiologique sur la maladie de Creutzfeldt-Jacob ont été développées.
Mais il était important d'aller désormais plus loin, en accentuant fortement cet effort de recherche.
Grâce à l'accord du Premier Ministre, qui en a fait l'annonce le 14 novembre 2000, les crédits consacrés à la recherche sur les prions ont été triplés et sont passés de 70 MF en 2000 à 210 MF en 2001.
Ceci a permis notamment de renforcer le potentiel de recherche par le recrutement de 120 chercheurs, ingénieurs et techniciens supplémentaires dans les organismes de recherche, dont 100 dès 2001.
Ces moyens fortement accrus ont été destinés à renforcer surtout trois axes de recherche :
le développement de nouveaux tests de détection ;
la recherche sur la nature de l'agent infectieux et la physiologie des maladies à prions ;
la recherche épidémiologique et thérapeutique.
Pour impulser la recherche sur les ESST et les prions, pour renforcer la coopération entre organismes, nous avons créé dès le 23 novembre 2000 le Groupement d'intérêt scientifique "Infections à prions", formé par les ministères de la recherche et de l'agriculture, le ministère délégué à la santé et les organismes concernés par les recherches sur les prions : organismes de recherche (CNRS, INRA, INSERM, CEA, Institut Pasteur), agences (AFSSA, AFSSAPS, InVS), et universités.
J'ai installé le 24 janvier 2001 le Comité directeur de ce GIS. Il a été chargé de délibérer sur la définition et la mise en uvre, dans le cadre des orientations définies par l'Etat, de l'ensemble des actions de recherche sur les prions examinées ou proposées par le Conseil scientifique du GIS, et de répartir les moyens consacrés à ces recherches.
Une enveloppe de 140 MF supplémentaires a donc été allouée à ce programme. Elle s'ajoute aux 70 MF déjà consacrés par le ministère de la recherche aux travaux sur les prions, notamment par le canal du Fonds national de la science. Elle a permis le lancement de deux appels d'offres en 2001.
Je saisis cette occasion pour remercier les Professeurs Dominique Dormont, président du Comité scientifique du GIS, Michel Fougereau, président du Comité directeur, ainsi que M. François Hirsch, secrétaire général, et tous les scientifiques associés aux décisions, de la rapidité avec laquelle le GIS s'est mis en action. En effet, dès le 31 mars 2001, les projets d'infrastructures étaient sélectionnés. Ils ont été suivis des appels d'offres, lancés le 12 avril, concernant les projets de recherche, dont les résultats sont en cours de notification.
La mobilisation exceptionnelle de chacun a permis la mise en uvre immédiate des meilleures propositions scientifiquement validées.
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Moins d'un an, donc, après l'engagement que nous avions pris, quel bilan sommes-nous en mesure de dresser ?
- Le premier appel d'offres finalisé en mars avait pour objet le financement d'installations de sécurité ainsi que la mise en place des personnels techniques associés à ces équipements.
13 équipements lourds dont 9 animaleries protégées (pour les rongeurs d'une part ; pour les grands ruminants et lémuriens d'autre part), et 4 laboratoires protégés, dont une plate-forme de criblage au CEA, ont été retenus. Ils seront situés dans plusieurs grandes villes françaises comme Toulouse, Lyon, Tours, Marseille, ou en Ile de France. A ces infrastructures ont été affectés 26 postes d'ingénieurs et techniciens ( dont 4 postes au CEA).
Ces opérations représentent un engagement de 114 MF.
Elles permettent la construction de structures pérennes, qui pourront être utilisées, au-delà des infections à prions, pour d'autres pathologies. Les équipements ainsi constitués fournissent à la recherche des infrastructures aptes à développer des réponses non seulement à des menaces infectieuses connues, mais aussi à des maladies émergentes comme la Blue Tongue du mouton, qui a durement frappé la Corse cet été, ou le West Nile, encore limité à quelques cas animaux en France, comme les chevaux de Camargue.
- Le second appel d'offres avait pour objet le soutien de projets de recherche en terme de fonctionnement et de personnels, techniciens et post-doctorants.
Un total de 143 projets ont été présentés, ce qui traduit l'excellente motivation des équipes de recherche françaises en ce domaine.
107 projets ont été retenus, dont 29 projets de faisabilité pour de nouvelles équipes s'engageant dans cette thématique. Le champ scientifique sur lequel ils portent est très vaste et recoupe souvent plusieurs disciplines, comme la biologie structurale, la physiopathologie, la biologie cellulaire, les sciences sociales, le retraitement des farines, la sécurité thérapeutique et épidémiologie.
L'ensemble de ces projets bénéficient d'un soutien de base de 53 MF, auquel s'ajoutent la rémunération de 29 post-doctorants et 39 postes d'ingénieurs et techniciens, pour un budget total de 90 MF.
Le ministère de la recherche a donc accompli un effort de grande ampleur. Au delà même de l'enveloppe allouée par le Gouvernement dans la Loi de finances pour 2001, qui était de 140 MF, j'ai redéployé 50 MF supplémentaires afin de pouvoir retenir tous les projets d'excellence scientifiquement validés.
Au total, ce sont donc 190 MF supplémentaires qui ont été consacrés à la recherche sur les prions, en plus des 70 MF déjà dépensés par le ministère en 2000.
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Le GIS " Infections à prions " a retenu deux projets d'infrastructure présentés par le CEA : celui d'une animalerie protégée, et celui du nouveau laboratoire que nous inaugurons aujourd'hui.
La création d'un laboratoire L3 à Saclay poursuit deux objectifs : le développement des méthodes de diagnostic pour les différentes ESST humaines et animales ; l'hébergement d'une plate forme de criblage pour les tests et la recherche de médicaments.
- En ce qui concerne le diagnostic, le Service de pharmacologie et d'immunologie (SPI/CEA) a été, en collaboration avec le Service de neurovirologie, à l'origine du test mis au point pour le diagnostic de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) : ce test est maintenant commercialisé par la société Bio-Rad, et pratiqué dans plusieurs pays d'Europe dans le cadre des tests systématiques réalisés aux abattoirs sur les bovins de plus de 30 mois. Il est l'un des deux principaux tests utilisés à l'échelle internationale.
Ces travaux ont également abouti à la production de plus de 120 anticorps monoclonaux, qui ont été très largement mis à la disposition des laboratoires français et étrangers impliqués dans les recherches sur les ESST.
Afin de poursuivre sur cette lancée, le SPI, sous la direction du Professeur Jacques Grassi, a privilégié trois axes de recherche :
dans l'immédiat, le développement de l'application du test existant, mis au point pour des tissus nerveux, à d'autres tissus périphériques : rate, ganglions, intestins.
à court terme, la mise au point d'un test sanguin pour le diagnostic pré-clinique de la tremblante du mouton.
à moyen terme, le développement d'un test sanguin pour le diagnostic pré-clinique du variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob.
En effet, il n'existe pas encore de diagnostic rapide et sensible pour les ovins, et il n'en existe pas non plus pour l'homme. Les travaux progressent, par exemple ceux du Professeur Adriano Aguzzi de Zurich, ou ceux du Docteur Soto à New-York. Ils ouvrent de nouvelles perspectives diagnostiques, sans permettre encore de conclure quant aux applications immédiates.
Pourtant, l'intérêt des tests sensibles est de garantir l'élimination de tous les animaux potentiellement dangereux pour l'homme. Comme l'écrivent les Docteurs Jean-Philippe Deslys et André Picot, " le dépistage systématique chez tous les bovins de plus de 30 mois implique de tester environ 10 000 animaux par jour sur l'ensemble du territoire français. L'utilisation de tests garantissant la sécurité du consommateur, à condition d'être correctement maîtrisée, doit théoriquement résoudre la crise liée à l'ESB, sous réserve que soit appliquée la mesure d'élimination des abats à risque (cerveau et moelle épinière surtout)."
- Une plate-forme de criblage est également installée à côté de l'unité dédiée au diagnostic et à la recherche d'un traitement efficace.
Elle vient compléter le nouveau dispositif. Elle servira à développer des tests d'infection expérimentale sur des cellules en culture, et à tester sur ces modèles in vitro des molécules pouvant posséder une activité anti-prions. Les modèles cellulaires peuvent de plus faciliter le typage des différentes souches de prions et permettre des tests à haut débit. Cette plate forme sera donc complémentaire des infrastructures destinées aux recherches sur les modèles animaux développées depuis de nombreuses années.
Cette plateforme de criblage thérapeutique sera surtout dédiée à la recherche de médicaments capables de traiter ces nouvelles maladies.
En effet, de nouveaux espoirs thérapeutiques sont récemment apparus. Certains sont issus de recherches françaises, en particulier sur les dérivés de médicaments antifongiques. Il est encore trop tôt pour que soient confirmés les résultats préliminaires encourageants rapportés récemment par le Pr. Prusiner, avec l'efficacité éventuelle de l'amantadine. C'est l'une des fonctions de ce nouvel équipement que de mettre à disposition de nouvelles molécules et de les évaluer en comparaison avec les traitements existants.
L'intensification des programmes du CEA dans le domaine des maladies à prions a conduit à renforcer les équipes en chercheurs, ingénieurs et techniciens. Il convient d'ajouter à cette mobilisation les nombreuses collaborations que les laboratoires de sciences du vivant du CEA entretiennent avec leurs homologues d'autres organismes comme l'INRA, l'INSERM ou le CNRS, ainsi qu'avec l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). Le partage des travaux et des structures adaptées ne peut qu'accélérer l'obtention de résultats.
De fait, la plate-forme est destinée aux chercheurs du service de neurovirologie, mais elle est également accessible aux équipes d'autres organismes de recherche qui ne disposent pas d'un environnement L3 pour effectuer de tels tests de criblage.
Les opérations qu'implique ce programme nécessitaient des installations spécifiques. La manipulation de nombreux échantillons de tissus humains ou animaux infectieux, les opérations d'hybridation lymphocytaire, la culture d'hybridomes doivent se faire dans un environnement protégé. L'augmentation significative du nombre de personnes amenées à travailler supposait également une extension des locaux et un rapprochement des équipes de recherche, qu'elles appartiennent au CEA ou à d'autres organismes.
C'est pourquoi le Gis "Infections à prions" a soutenu la réalisation de ce nouveau laboratoire par une subvention de 10,45 MF et l'attribution de 2 postes d'ITA.
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Cette première réalisation s'inscrit, comme je l'ai déjà dit, dans un réseau d'infrastructures et de recherches de dimension nationale. Le GIS poursuivra son rôle de coordination. Il devra également intégrer les travaux français dans les réseaux internationaux.
Dans le domaine des infections à prions, la France n'est évidemment pas le seul pays touché. La systématisation du dépistage, depuis le début 2001, a permis d'identifier de nouveaux cas : en Espagne et en Allemagne qui se croyaient indemnes il y a quelques mois encore, en Italie plus récemment. La contamination est présente dans tous les pays d'Europe. Les solutions doivent donc être cherchées en commun.
Des coopérations bilatérales existent déjà, comme j'ai pu le constater en ouvrant, le 14 mars, le symposium Encéphalopathies spongiformes transmissibles, organisé conjointement par l'Académie des sciences, l'Académie nationale de médecine et l'Academy of medical sciences du Royaume Uni. Le but de ce colloque réunissant les meilleurs spécialistes des deux communautés scientifiques était d'éviter les redondances de recherche et d'organiser les travaux à venir.
Plusieurs programmes de recherche franco-britanniques sont en cours, comme les programmes BIOMED et FAIR. Du côté français, plus d'une vingtaine d'équipes sont impliquées. Outre les recherches que mène le CEA avec des équipes britanniques comme la Veterinary Laboratory Agency, l'INRA est engagé dans six programmes FAIR : ils portent sur le typage des souris transgéniques, l'analyse des tissus atteints chez les bovins, la barrière d'espèces avec les modèles souris et mouton, la tremblante.
Il existe également un groupe scientifique d'experts européens, installé à ma demande à la suite du Conseil des ministres de la Recherche du 16 novembre 2000, dont j'exerçais alors la Présidence. Cinq experts français en font partie. Ces experts se sont réunis pour la première fois le 15 décembre 2000, et ont établi un bilan des recherches pays par pays.
Enfin le GIS "infections à prions" déposera le 18 octobre prochain, auprès de l'Union européenne et dans le cadre du Vème programme-cadre de recherche et développement, un projet de communication citoyen sur les maladies à prions.
Ce projet associera 16 Etats européens. Il a pour objectif d'assurer la transmission de l'ensemble des informations pratiques et aisément accessibles nécessaires aux différents partenaires sociaux impliqués dans la gestion du problème des encéphalopathies spongiformes transmissibles. Le but est de parvenir à la création d'un centre virtuel polyglotte d'information citoyen qui prendra en compte les besoins des personnes concernées : les consommateurs, les chercheurs, les agriculteurs, les patients et leur famille, les associations de soutien, les professionnels de la santé.
Ce centre virtuel sera régulièrement alimenté par un flux de données actualisées par les différents pays participants. Une attention toute particulière sera portée aux pays nouvellement associés à l'Union européenne : les pays d'Europe centrale et d'Europe de l'Est.
Nous avons donc voulu traiter concurremment tous les aspects de cette affection : prévention, diagnostic, traitement, environnement psychologique. Si nous parvenons à éradiquer la maladie, et la crainte de la maladie, nous aurons peut-être réussi la première réalisation commune européenne en matière de santé.
Je remercie le CEA et tous ses chercheurs de leur action très efficace dans un domaine qui concerne l'ensemble de notre société. Je les félicite pour la rapidité de leur mobilisation sur ce nouveau projet. Et je leur dis toute ma confiance, connaissant la grande qualité de leur expertise en sciences du vivant et en biotechnologies.

Source http://www.recherche.gouv.fr, le 13 octobre 2001)