Interview de Mme Catherine Tasca, ministre de la culture et de la communication, à RDI le 30 avril 2001, sur les relations culturelles entre la France, le Québec et le Canada, sur la loi réglementant la place de la publicité à la télévision public et sur la préparation de la commémoration de la découverte du Canada par Samuel de Champlain.

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Média : Emission Les mardis de l'information - RDI

Texte intégral

Question : Mme Tasca, vous arrivez chez nous au lendemain ou presque d'un Sommet qui est venu redonner une impulsion à un accord de libre échange à l'échelle des Amériques. Quand on pense à libre échange, on pense à diversité culturelle. Est-ce que c'est votre impression que le Canada demeure un solide partenaire, un solide allié de la France pour défendre la diversité culturelle ?
Oui, c'est un partenaire que nous apprécions beaucoup et dont nous avons besoin parce que aucun pays ne peut, à lui tout seul, défendre la diversité culturelle, c'est à dire défendre finalement son droit à une expression originale dans un monde où l'économie évidemment tend plutôt à gommer. Donc, pour nous, le Canada est un vrai partenaire avec son histoire, son bilinguisme, avec aussi les relations que nous avons avec le Québec.
Question : Avec le Québec oui. Le Québec aussi est un partenaire. Quand on parle aujourd'hui de diversité culturelle, on employait il y a quelques années l'expression exception culturelle, exemption culturelle. Est-ce que le changement de concept change quelque chose au fonds ou si c'est un changement d'étiquette pour le rendre politiquement plus acceptable ?
Non, ce n'est pas seulement un changement d'étiquette même si l'objectif reste le même, mais le concept d'exception culturelle a été ressenti, à tort ou à raison, d'une part comme une attitude très défensive, protectionniste, et aussi d'une certaine manière par plusieurs de nos partenaires, comme une attitude un peu arrogante de la France qui était porteur de ce concept à l'origine. L'avantage du changement de terminologie, c'est qu'un très grand nombre de pays se reconnaissent maintenant dans cet objectif, qui est un objectif dynamique. L'exception, on avait le sentiment qu'on retirait la culture, je dirais presque du champ de la vie, de la vie active, qu'on la mettait à l'abri. Avec la diversité, ce que nous défendons, qui n'est évidemment pas contradictoire avec le principe de l'exception et de la sortie du marché, c'est la capacité de chaque pays, pour autant qu'il le veuille, de préserver par tout moyens légaux ou réglementaires sa capacité de production originale. Et je crois que ces termes de diversité sont mieux compris et, de ce fait, c'est évidemment plus positif. Mieux vaut ne pas se retrouver seul à camper sur une exception et je dirais être, au contraire, le plus nombreux possible à défendre la diversité.
Question : Vous êtes responsable en France de la télévision publique et il y a une loi qui vient d'être adoptée pour réduire la publicité à la télévision publique. Est-ce que, selon vous, c'est là une recette indispensable pour que la télévision publique se démarque de la télévision privée ?
Oui, dans son principe, la publicité crée un lien entre les annonceurs et ceux qui font les programmes. Je crois que personne ne peut nier cela. Donc, plus on est dépendant de la publicité, de la recette publicitaire, plus la tentation est grande de se fixer des objectifs d'audience qui, certes, sont importants, mais qui ne peuvent pas pour moi être le seul critère de programmation d'une télévision publique. En août 2000, nous avons en effet adopté une loi qui a restreint cette part de la ressource publicitaire et je pense que la télévision publique y a gagné en liberté et que c'est plus clair aussi par rapport à ses missions spécifiques de ne pas se mettre une trop grande dépendance par rapport à la publicité.
Question : Nous sommes en 2001 et on commence déjà à penser au 400ème anniversaire de l'arrivée de Samuel de Champlain. Les gouvernements du Canada et du Québec vont sûrement vouloir souligner l'événement. On peut penser que chacun des deux gouvernements vont vouloir tirer partie de l'histoire à son profit. Est-ce que ça veut dire que, pour la France, vous allez devoir naviguer dans les eaux troubles du triangle Paris-Ottawa-Québec encore une fois ?
D'abord, c'est une histoire que nous partageons. Donc, nous sommes, je dirais, concernés très directement et pas seulement à travers le regard que nos amis ici portent sur ce moment de leur histoire. Et je pense, mais c'est le trait de l'ensemble de notre relation, tant avec le Canada qu'avec le Québec, je pense que nous n'aurons pas à naviguer en eaux troubles. Nous aurons à travailler ensemble et, je l'espère, à nourrir cet anniversaire, ces anniversaires, puisque ça va s'étaler entre 2004 à 2008, les nourrir ensemble d'une réflexion très sérieuse, historique, scientifique. C'est l'occasion pour nous tous, tous ensemble, de fabriquer des contenus, j'espère notamment des contenus francophones qui viendront répondre aux interrogations de nos jeunes concitoyens, de part et d'autre de l'Atlantique. C'est un beau chantier. Je pense qu'il faut éviter d'en faire un enjeu politico-diplomatique. C'est un enjeu culturel et historique.
Question : Vous craignez que les gouvernements aient la tentation de se l'approprier et de le détourner à des fins politiques ?
Je suis sûre qu'ils seront assez sages pour ne pas avoir une occasion, comme vous le dites, de détournement à des fins politiques. Tous nos pays sont confrontés à la difficulté de transmettre des repères, de transmettre l'histoire. Nous avons aussi des enjeux culturels, linguistiques en commun et je pense que ce grand rendez-vous 2004-2008 peut être l'occasion de bonnes et belles production qui servent des publics très larges. Donc, je souhaite très vivement que ce ne soit pas un enjeu politicien.
Question : Vous êtes ici, entre autres choses, pour lancer la saison de la France au Québec, comme il y avait eu le Printemps du Québec en France. Etes-vous étonnée de la place, de l'importance que prennent les artistes québécois à Paris ou en France en général ?
Non, d'abord parce qu'il y a une tradition, notamment dans la musique et la chanson. Il y a une affection, une écoute particulière du public français en direction de ces artistes. C'est un peu lié à l'histoire, à l'histoire ancienne. C'est lié au goût de la langue que nous partageons, le goût des mots, le goût du jeu sur le vocabulaire et donc ça fait partie pour nous de cette diversité culturelle à laquelle nous sommes, c'est vrai, très attachés.
(source http://www.ambafrance-ca.org, le 10 octobre 2001)