Extraits de la Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur le rythme des négociations et le calendrier de l'élargissement de l'Union européenne, et les conditions de l'aide européenne à la reconstruction de l'Afghanistan, Bruxelles le 19 novembre 2001.

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Circonstance : Réunion du Conseil affaires générales à Bruxelles le 19 novembre 2001

Texte intégral

Ce matin, nous avons parlé OMC, élargissement, avenir de l'Europe.
Au déjeuner, nous avons parlé de la question de l'organisation d'un Conseil de défense, du Proche-Orient sous différents aspects? et nous avons parlé longuement de l'Afghanistan.
Différents points sur l'élargissement : il y a un bon rapport d'ensemble et treize rapports de progrès intéressants présentés par la Commission. J'ai souligné que nous restions attachés au respect du calendrier, à la méthode de la feuille de route, aux négociations conduites sur la base de l'acquis existant et au respect du cadre des perspectives de Berlin naturellement.
En ce qui concerne ce que dit la Commission sur le fait que le rythme actuel des négociations et les progrès accomplis permettent d'envisager une adhésion en 2004 de dix nouveaux membres, j'ai fait remarquer d'abord que je m'en réjouissais et deuxièmement, si dès lors que cela est fait sur des bases vraiment objectives, que c'est vraiment fondé sur une vraie analyse des négociations d'élargissement, j'ai demandé que l'on réfléchisse à ce moment là à l'inconvénient de laisser deux pays en-dehors si les négociations se passent bien comme la Commission l'espère.
Faire rentrer dix pays en 2004, c'est notre objectif ; vous savez que nous, nous sommes favorables à l'entrée dès que possible, dès lors que les problèmes sont réglés par la négociation. A ce moment là, faire rentrer dix pays ou en faire rentrer douze, ce n'est pas tellement différent en pratique. Et donc, j'ai demandé que l'on réfléchisse tout en prenant acte, encore une fois, positivement de ces perspectives et donc du bon travail fait par le commissaire Verheugen et du bon travail fait par les pays candidats. J'ai demandé que l'on réfléchisse aux inconvénients comparés. Est-ce qu'à ce moment là il faut laisser les deux pays en question dehors, avec le contrecoup que cela peut créer et les perspectives elles-mêmes déstabilisantes dans certaines régions ou alors ne faut-il pas faire un effort particulier puisque l'on peut aller jusqu'à dix, pour englober l'ensemble de ce mouvement ?
Au point de départ, vous vous rappelez que les Quinze avaient adopté le principe de la différenciation, ce qui veut dire négociation avec chaque candidat. Si la négociation sérieuse, différenciée, aboutit à la conclusion objective que tout avance, que les problèmes sont surmontés, que nous sommes quasiment en mesure de prévoir qu'en 2004 dix pays peuvent entrer donc, c'est une question que j'ai posée.
Je dois dire que c'était une réflexion interne de travail. Je préfère expliquer ici dans quel esprit je l'ai dit. Ce n'était pas pour lancer une discussion publique, c'est plutôt une question que j'ai lancée aux membres du CAG pour que l'on voit ce que l'on pense de cette idée.
Q - (Inaudible)
R - Oui, je voudrais que l'on ait quand même une discussion là-dessus. Que l'on ait une discussion encore une fois sur la meilleure façon de permettre à ces deux pays de rattraper les retards qu'ils ont. Est-ce que c'est en faisant un effort complémentaire, presque sur mesure par rapport à eux, ou est-ce qu'en se bornant à dire simplement : nous constatons que vous n'êtes pas prêts.
Je pense qu'il y a des pays dans les dix qui ne sont pas tout à fait prêts, par rapport auxquels on doit faire un effort particulier, d'une façon ou d'une autre.
Q - A qui pensez-vous ?
R - Je pense à personne, c'est une réflexion de bon sens.
Q - Quelle est la réaction de vos collègues ?
R - Ils ont eu l'air de trouver cela très intéressant. Original et intéressant.
Q - (Inaudible)
R - On leur pose la question justement. S'ils pensent que pour les dix cela peut tenir dans les perspectives, j'imagine que c'est en faisant quand même des efforts pour faire entrer l'édredon dans la valise malgré tout. Alors c'est pour poursuivre le dialogue que nous sommes là en réunion, nous ne sommes pas là que pour traiter les choses de façon formelle ou tout est décidé à l'avance, on discute. Il y a le commissaire Verheugen, il fait un excellent travail, il fait des propositions, des analyses, je discute avec lui, je pose des questions, et on verra après. Mais ne prenez pas cela comme plus important que cela n'est. C'est une réflexion en séance d'un des ministres. On verra ensuite quelles sont les réactions et si la question est fondée ou pas.
Q - Et sur les dates ?
R - Les dates, je ne sais pas, ce n'est pas moi qui lance les dates.
Q - La Commission parle de 2004 pour les dix pays ?
R - Oui, je sais bien. Je ne me suis pas exprimé sur la date. Puisque la Commission nous dit qu'en 2004, c'est possible pour dix pays, j'ai posé la question des deux autres, c'est tout. Mais ce n'est pas un débat sur la date. Le problème de la date n'a jamais été un problème, les pays peuvent rentrer quand les problèmes sont réglés. Si tous les problèmes étaient tous réglés le mois prochain, ils pourraient tous rentrer le mois prochain. Il n'y a pas de problèmes abstraits de date, pas de problèmes artificiels de calendrier. Cette discussion dure depuis des années, tout le monde le sait.
Q - Les deux pays concernés ont dit eux-mêmes qu'ils ne seraient pas prêts avant 2007. Est-ce que vous ne risquez pas de les gêner ?
R - Si les deux pays en question disent : "Nous, cela ne nous pose aucun problème que dix pays entrent en 2004, on a besoin de temps supplémentaire", je ne vais pas militer pour eux à leur place. D'ailleurs, je ne milite pas pour eux, je pose une question sur l'efficacité de l'élargissement.
Vous vous rappelez que notre politique c'est de toujours de réussir l'élargissement. Donc puisque l'on avance bien et vite, et qu'encore une fois on a félicité la Commission pour son bon travail, j'ai demandé que l'on réfléchisse aux conséquences pour les deux pays qui restent en dehors de ce mouvement pour savoir si cela va les aider à préparer leur retard en restant en dehors ou si l'on ne peut pas faire un effort particulier, comme on va le faire pour certains des dix, je le répète.
Q - Vous avez parlé d'un certain effet déstabilisateur de l'entrée d'un groupe de dix et pas d'un groupe de douze . Qu'est ce que cela signifie pour vous "effet déstabilisateur" ?
R - Je pensais surtout à l'aspect interne, c'est à dire, pour les pays qui restent en dehors est-ce que c'est un encouragement à faire les réformes encore mieux et encore plus vite, ou est-ce que c'est un service à leur rendre que de les amener éventuellement à baisser les bras ?
Mais si les pays en question nous disent : "Cela ne nous pose pas de problèmes, on a besoin de quelques années de plus", c'est très bien.
Ne cherchez pas des choses bizarres derrière ce que j'ai dit. C'est une remarque de bon sens, puisque cela avance bien et vite, que nous sommes prêts à aller jusqu'à dix, est-ce que l'on est en mesure d'aller jusqu'à douze ? Si la Commission réfléchit et me dit : "Mais non, ils ne sont vraiment pas prêts, ils ne le demandent pas, cela ne les gêne pas, ils ont un calendrier pour la suite", c'est très bien.
Q - Est-ce que vous ne dites pas que c'est une décision politique finalement ? La décision politique pour les dix, ce sera une décision politique, une décision pour les douze, ce sera aussi une décision politique ?
R - On me dit que non. La Commission nous dit qu'elle travaille sur la base de la différenciation, sur une base objective, et que s'ils nous annoncent dix, ce n'est pas pour des raisons politiques. Ce n'est pas moi qui négocie. La Commission ne cesse de dire qu'il y a toujours le principe de différenciation. Nous travaillons objectivement, ce n'est pas une façon politique de voir les choses.
Q - Elle le dit de moins en moins dans ce cas là. Ce glissement progressif du langage de différenciation vers le langage du big-bang, c'est impressionnant. Ils ont carrément jeté le masque la semaine dernière ?
R - Oui, mais on pourrait penser que les deux choses se rejoignent. On pourrait penser que la négociation objective avec les dix pays amène à constater qu'ils vont être tous prêts en même temps.
Après, nous avons eu un échange sur l'avenir de l'Europe. Je laisserai naturellement Louis Michel en présenter les résultats. Nous avons eu un échange sur l'Afghanistan.
Le point important, c'est que nous avons décidé de dire qu'un comportement responsable dans une série de domaines concernant le droit militaire international, les Droits de l'Homme, la mise en place des administrations nouvelles, etc... une série de choses que nous attendons des autorités afghanes, un comportement responsable dans ce domaine constituera un facteur déterminant de l'aide que l'Union européenne est disposée à apporter à la reconstruction du pays.
L'idée est très simple. Sur le plan humanitaire, nous sommes disposés à aider l'Afghanistan sans conditions. Les Afghans eux-mêmes peuvent poser des conditions, les pays voisins peuvent poser des conditions, nous on le fait sans conditions.
Nous sommes prêts à aider massivement partout et on l'a montré, on y est prêt.
En ce qui concerne la reconstruction ou la construction du pays, cela est différent. On ne va pas aider de façon aveugle n'importe quoi. Nous n'avons pas envie d'aider au retour en Afghanistan des guerres civiles ou à l'éclatement du pays en fiefs ou chacun ferait sa propre loi. On a envie d'aider la population. Il est évident que l'on a envie d'aider les écoles à redémarrer, les hôpitaux à redémarrer, la France a fait beaucoup de choses dans le passé, par exemple l'hôpital de Kaboul pendant très longtemps a été tenu par des médecins français.
Mais pour la reconstruction comme je l'ai dit dans ma déclaration de ce matin, nous, nous sommes prêts à aider les Afghans à construire l'Afghanistan de demain pas à revenir à l'Afghanistan d'hier, ce n'est pas notre projet. Et il faut le dire maintenant, vous voyez bien pourquoi. Vous suivez l'actualité et les questions que l'on peut se poser et même si l'on est évidemment ravi de voir achever de s'effondrer ce régime des Taleban, on doit se poser des questions pour la suite ; parce qu'il y a la destruction d'Al Qaïda, le renversement des Taleban, mais il y a l'avenir de l'Afghanistan, l'avenir du peuple afghan. On a fait cela aussi pour redonner un avenir au peuple afghan, donc il est normal que l'on cherche à utiliser positivement l'aide dont nous sommes capables et qui est importante pour cet avenir et je suis heureux que cette idée soit reprise.
Q - L'acception des troupes occidentales, c'est une pré-condition ?
R - Il n'y a pas de pré-condition, nous n'avons pas employé le mot de condition exprès, parce qu'il faut quand même être un peu réaliste par rapport à la situation du pays.
Nous avons dit que le comportement responsable constituerait un facteur déterminant de l'aide. Il n'y a pas le mot de pré-condition. A partir de là nous avons décidé de travailler, d'aider Javier Solana à définir ce que pourrait être une politique commune européenne plus précise.
Au début, on dit que nos efforts visent à favoriser l'établissement en Afghanistan d'un gouvernement légitime, largement représentatif, multiethnique et qui s'engage à instaurer le respect des Droits de l'Homme. On dit qui s'engage à instaurer le respect, parce que l'on sait très bien que l'on part de rien. Donc, on ne rétablit pas le respect des Droits de l'Homme en Afghanistan comme on remet la télévision à Kaboul. Ce n'est pas la même chose, il y a un énorme travail à faire bien sûr.
On veut aider un gouvernement qui s'engage dans cette voie. Alors après, je ne veux pas re-rentrer dans une logique trop rigide de pré-conditions parce que j'ai toujours combattu ce type d'idées, qui est un comportement occidental, souvent critiquable. Nous espérons que le fait de le dire maintenant sera incitatif. Que les chefs afghans l'entendront, qu'ils comprendront que cela aidera M. Brahimi et ses représentants dans leur travail, que cela influera sur le comportement des différents groupes à la fois pour la constitution du gouvernement que nous souhaitons, représentatif et multiethnique, et d'autre part dans sa politique concrète. Donc, voilà pourquoi nous le disons maintenant. Ce n'est pas ni trop tôt, ni trop tard.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2001)