Déclaration de M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le cadre européen du régime sucre, la filière de la betterave et les biocarburants, Paris le 12 décembre 2001.

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Circonstance : Congrès de la Confédération générale des planteurs de betteraves à Paris le 12 décembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
Je suis très heureux de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer aujourd'hui devant les planteurs de betteraves de France réunis en congrès.
Vous avez connu cette année, je le sais, une mauvaise campagne en raison de conditions climatiques particulièrement difficiles qui ont pesé sur vos rendements et votre production. Mais je constate également que ces difficultés n'ont en rien entamé votre détermination et votre capacité à vous projeter dans l'avenir, à anticiper, à réaliser.
Je voudrais répondre aux préoccupations que vous venez d'évoquer, Monsieur le Président, en commençant par les dossiers internationaux.
Le paysage est aujourd'hui considérablement éclairci puisque vous disposez d'un cadre réglementaire pour les cinq années qui viennent. Lors de ma dernière intervention à votre congrès en 1999, nous étions face à un régime sucre finissant et nous attendions les propositions de la Commission européenne que nous espérions rapides. Nous ne pensions pas alors que le combat serait si rude.
Il a fallu faire preuve d'une vigilance constante, d'abord pour obtenir une proposition de la Commission qui constitue une base de travail acceptable, puis pour l'améliorer, ensuite pour dégager une majorité qualifiée et enfin l'unanimité. Au cours de ce long combat, la concertation avec vous, Monsieur le Président, a été permanente et nous avons été constamment à la manuvre ensemble tout au long de la négociation.
Le Conseil européen des Ministres de l'agriculture de mai 2001 a reconduit pour 5 ans le régime sucre : les prix sont garantis jusqu'en 2006, et ni le calendrier de Doha, ni celui des PMA, ni les négociations avec le Mercosur, ni l'élargissement ne sont susceptibles de remettre en cause l'OCM sucre d'ici à 2006.
Pour autant, vous ne pouvez ignorer le contexte qui règne au plan international comme à la Commission européenne et chez certains de nos partenaires. Le régime sucrier est vécu comme un symbole et certains rêvent de le supprimer. Pour l'instant, ils en sont pour leurs frais. Il faut dire que leur discours opposant les fragiles utilisateurs, des PME aussi mal armées que Coca Cola ou Cadbury au puissant lobby sucrier est parfois légèrement excessif !
Pour autant, vous ne pouvez pas négliger certains signaux de la Commission comme la suppression du système de péréquation des frais de stockage : les 4 années qui viennent doivent donc être mises à profit pour préparer l'avenir. Cela suppose de la part de tous les acteurs de la filière une réflexion approfondie, libre et sans tabous, à conduire dans une étroite concertation entre l'Etat, les planteurs et les fabricants.
A ce titre, la solidité du dialogue interprofessionnel est la clé de voûte de la filière. Le dialogue, cela peut comporter des éclats de voix mais la solidarité doit rester la plus forte.
Le régime sucre ne pourra résister et répondre aux nombreuses attaques dont il fait l'objet que si les planteurs et les fabricants sont une force de proposition et parlent d'une seule et même voix.
Outre la décision de reconduction de l'OCM, je considère que nous avons obtenu un bon accord à Doha. Dans le contexte économique actuel, cette annonce constitue une bonne nouvelle pour la France, pays moderne et ouvert sur le monde, comme pour vous qui êtes l'une de nos grandes filières exportatrices et avez donc besoin d'un commerce mondial régulé.
Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de négociation dont on ne préjuge pas l'issue, contrairement à ce que nos partenaires auraient souhaité, notamment à Seattle, en particulier pour nos restitutions à l'exportation. Le cadre de négociation défini à Doha nous laisse donc des marges de manuvre. J'ai la conviction que nous aurons ainsi la capacité de poursuivre sereinement la mise en uvre de l'accord de Berlin et la réflexion sur la poursuite du processus de réforme de la PAC. Le débat s'engage donc sur des bases saines. Notre vigilance devra être entière pour défendre nos intérêts.
J'en viens maintenant à un autre dossier stratégique pour votre filière, celui des biocarburants. Sur ce sujet, mon objectif n'a pas changé : l'usage des biocarburants doit être développé pour préparer l'avenir. Il s'agit bien sûr de participer activement à la lutte contre l'effet de serre, d'améliorer l'indépendance énergétique de la France et de créer des emplois. Il s'agit aussi, par la remise en culture des terres en jachère, d'offrir aux agriculteurs de nouvelles perspectives, et d'améliorer leurs revenus.
En septembre 2000, ce gouvernement a pris une décision forte pour ce secteur qui s'inscrit dans le droit fil de l'impulsion décisive donnée en 1992 par Pierre BEREGOVOY. Malheureusement, sur la plainte du groupe BP, le Tribunal européen de Première Instance a annulé l'autorisation donnée à la France en 1997 d'accorder une dérogation fiscale au biocarburants, ce qui a reporté la mise en uvre de cette décision.
Cette difficulté est aujourd'hui surmontée puisque la Commission européenne a adopté hier un projet de décision qu'elle va soumettre dans les prochains jours au Conseil, autorisant la France à mettre en uvre une dérogation fiscale. Je ne doute pas du vote favorable du Conseil. Les projets annoncés pourront donc être lancés au terme de ce qui n'aura été qu'une péripétie.
Le travail de conviction que nous avons fait à Bruxelles n'aura pas été inutile. Il va porter ses fruits au-delà de nos espoirs. En effet, la Commission européenne a présenté le 7 novembre dernier 2 projets de directives qui devraient ouvrir définitivement la voie aux biocarburants.
Parmi les questions à résoudre se pose celle de l'incorporation directe de l'éthanol dans l'essence. Cette pratique est réalisée à très grande échelle aux Etats Unis et au Brésil à la satisfaction des producteurs, des distillateurs, des pétroliers, des motoristes et des usagers. Le retard pris dans les projets français d'unités d'ETBE du fait notamment de la décision du TPI et les nouvelles propositions de directives conduisent à envisager très sérieusement cette possibilité. Une concertation doit rapidement être engagée entre les acteurs de la filière et les pouvoirs publics afin d'en définir les modalités.
J'en viens maintenant à des sujets qui pour en être strictement nationaux n'en sont pas moins sensibles.
Les difficultés rencontrées pour le renouvellement de l'accord interprofessionnel doivent être surmontées dans le dialogue. Les questions d'environnement sont cruciales et doivent donc être traitées de façon constructive en ayant soin d'un partage équilibré des concessions et en veillant à récompenser l'effort accompli par les planteurs. Je souhaite qu'un accord puisse être trouvé sur ces bases dans les délais que vous venez de fixer.
De même, je suis avec une extrême attention les opérations de recomposition du paysage industriel sucrier français. Je me tiens régulièrement informé et je m'efforce de favoriser toute solution qui permettrait de concilier aux mieux les intérêts généraux du pays, des planteurs et des salariés de la filière. Le secteur industriel français a besoin d'être consolidé afin d'être à même d'affronter à l'avenir une plus grande concurrence.
Il faut pour cela une adhésion de l'ensemble de la filière planteurs, industriels, employés. Les opérations de restructuration à venir doivent viser au renforcement des pôles coopératifs et à l'établissement d'un lien solide et pérenne entre le territoire, l'agriculture et l'industrie.
Je constate d'ailleurs que dans tous les pays du monde, les coopératives de planteurs prennent une place grandissante. Pour autant, mon rôle n'est pas de m'exprimer sur les opérations en tant que telles ou sur la nature des repreneurs.
En revanche et en tant qu'autorité attributaire des quotas sucre, je me réserve le droit, le moment venu et au cas par cas, de faire jouer les clauses réglementaires prévues en matière de transfert de quotas mais aussi, et en collaboration avec le Ministre de l'économie et des finances, de veiller si nécessaire au respect des règles relatives au contrôle des concentrations. Je serai ainsi particulièrement attentif à la pérennité des petites sucreries, notamment lorsqu'elles sont installées dans des zones excentrées.
Je vous dirai seulement une chose : je ne peux que me réjouir de voir les agriculteurs se mobiliser pour investir dans leur outil de production afin de conserver le maximum de valeur ajoutée. Vous avez des opportunités, sachez les saisir.
Pour conclure, je voudrais vous dire quelques mots sur la situation de l'agriculture française et sur ses perspectives. Vous avez connu une mauvaise campagne, certaines filières connaissent des crises graves et douloureuses. Je suis ces dossiers avec attention en veillant à apporter des solutions immédiates et à préparer l'avenir. Je recevrai ainsi demain les représentants de la filière bovine pour une réunion importante. Pour autant, je demeure fondamentalement confiant. Le métier d'agriculteur suscite la sympathie d'une très large majorité de nos concitoyens et les dernières enquêtes montrent que la confiance dans la qualité de l'alimentation augmente. Je pense que les crises que nous avons connues, ont permis de prendre des mesures qui démontrent la volonté des agriculteurs d'être davantage à l'écoute des préoccupations de la société. Ces signaux ont été très favorablement accueillis par l'opinion, ce qui constitue un formidable encouragement.
Je considère à ce titre que la loi d'orientation agricole votée par le parlement en juillet 1999 a marqué des avancées irréversibles dans le rapprochement de l'agriculture et de la société en fournissant des outils porteurs d'espoirs et de développement pour de nombreuses exploitations familiales.
Vous le savez, je ne suis pas un libéral. Je défends les indispensables régulations pour éviter que le marché ne devienne socialement destructeur. C'est particulièrement vrai dans le domaine agricole. Je suis donc en faveur d'organisations communes de marché dotées de mécanismes de gestion. J'ai toujours veillé à Bruxelles à préserver les outils destinés à la maîtrise des marchés.
L'Europe doit rester une grande puissance agricole et participer au commerce mondial, notamment pour répondre aux demandes des pays du bassin méditerranéen qui constitue la zone la plus déficitaire au monde qui est à nos portes et avec lesquels nous entretenons des relations de proximité et d'amitié.
La clause de rendez-vous à mi-parcours des accords de Berlin doit nous permettre de poursuivre le rééquilibrage des soutiens publics en rendant obligatoire pour les Etats membres un régime de modulation. A cet égard, la dégressivité constitue toujours la voie la plus prometteuse.
Je pense également que le monde agricole doit davantage dialoguer avec la société, exprimer ses inquiétudes mais aussi ses projets et ses ambitions en étant attentif aux messages qui lui sont adressés.
En conclusion, je reprendrai simplement les mots de mon ami Henri Nallet au dernier congrès de la CFCA : " N'ayez pas peur, sachez être à l'écoute de la société, faire entendre votre voix, construire des projets".
Mais à vous entendre, Monsieur le Président, je constate que vous n'en manquez pas.
Je vous remercie.
(Source http://www.agriculture.gouv.fr, le 13 décembre 2001)