Déclaration de M. Charles Josselin, secrétaire d'Etat à la coopération,sur les priorités et les méthodes du secrétariat d'Etat à la coopération, à Paris le 29 août 1997.

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Circonstance : Conférence des ambassadeurs à Paris du 27 au 30 août 1997

Texte intégral

Je suis heureux de pouvoir vous adresser quelques mots, à l'occasion de cette conférence désormais annuelle, un peu moins de trois mois après ma prise de fonctions.

Trois mois, c'est le temps de prendre la mesure des choses, de se forger quelques idées-forces, sans qu'elles soient encore figées.

Je voudrais donc vous présenter les priorités de l'action du secrétariat d'Etat à la Coopération, telles que je les conçois aujourd'hui. Naturellement, je dirai aussi quelques mots au passage concernant les questions que vous vous posez, je le sais, à propos du champ d'action de mon département, des priorités en matière de coopération et aussi des compétences nouvelles du secrétariat d'Etat : Francophonie, Action humanitaire et Droits de l'Homme.

Mais auparavant, permettez-moi d'évoquer le contexte international, profondément bouleversé ces dernières années, dans lequel s'inscrit cette action.

La mondialisation est devenue l'un des slogans obligés que l'on met un peu à toutes les sauces. Et pourtant le terme recouvre une réalité, qui d'ailleurs présente deux aspects symétriques.

La mondialisation, c'est, d'une certaine manière, l'unicité du monde, tous les Etats étant insérés dans le marché global, et, en tendance, l'uniformisation, y compris celle des comportements culturels.

Pourtant, on observe aussi, singulièrement parmi les pays justiciables de notre aide au développement, une diversification, marquée ou même croissante, des pays émergents aux pays avancés, sans parler de la remontée des particularismes largement encouragés, en Afrique surtout, par la diversité ethnique.

Cette dialectique uniformisation-diversification, nous devons d'autant plus la prendre en compte que nous ne pouvons plus envisager les relations avec tel ou tel pays indépendamment de ses voisins.

Les instances d'intégration régionale se multiplient, tout comme les coopérations trilatérales.

Ces évolutions ne sont pas sans conséquences pour notre coopération au développement. Elles nous imposent de participer par des contributions originales au débat international.

L'Europe est à la veille d'un renouvellement profond de sa relation avec les pays du Sud. Une nouvelle vitalité au service d'un partenariat plus actif doit insuffler la préparation du mandat français de négociation d'ici septembre 1998, pour ce qu'on appelle les Accords de Lomé, et notre implication est d'autant plus nécessaire que, par la force des choses, l'aide française se " communautarisera" davantage dans les prochaines années

Notre présence doit aussi s'exprimer avec plus d'énergie au sein des instances multilatérales. La réforme du PNUD sera suivie avec attention. Au sein de la Banque mondiale, toutes les initiatives qui sont conduites en faveur du renforcement des capacités nationales sont à privilégier. Il convient aussi de s'attacher à faire prévaloir davantage dans les programmes financiers du FMI l'importance de la maîtrise des dépenses publiques, afin que la priorité soit effectivement accordée aux dépenses sociales, d'éducation et de santé notamment.

C'est de cette analyse globale que procèdent la nouvelle organisation des compétences et une configuration dans laquelle le secrétariat d'Etat est un secrétariat d'Etat délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, pour la Coopération, mais également pour la Francophonie, les Droits de l'Homme et l'Action humanitaire.

L'appartenance du secrétariat d'Etat à l'ensemble "Affaires étrangères" marque naturellement la volonté de considérer la politique de coopération au développement comme étant une composante importante et partie intégrante de la politique extérieure de la France.

Cette nouvelle organisation découle également de ce que le secrétariat d'Etat à la Coopération n'est plus le "ministère de l'Afrique". Concrètement, cela veut dire que, si les pays africains continuent d'être ses premiers partenaires, ils ne sont pas les seuls. Cela signifie également que le ministre des Affaires étrangères, en quelque sorte ne "sous-traite" plus l'Afrique, il fait le choix de s'impliquer personnellement.

Que l'on m'entende bien, l'Afrique demeure et demeurera pour longtemps, ne serait-ce qu'en raison du poids de l'Histoire, notre partenaire principal. Mais il convient de prendre en compte toute l'Afrique, et pas seulement celle à laquelle nous sommes liés par l'Histoire coloniale.

Je reviendrai sur ce point à propos de la Francophonie, mais je voudrais insister ici sur le fait que le continent africain est un continent d'avenir
Certes, les vingt dernières années ont été marquées par la nouvelle crise du pétrole, l'endettement des pays qui, par la mauvaise gouvernance comme l'on dit, ont trop souvent gâché leurs chances de développement. Avec la fin de la guerre froide, en outre, l'Afrique a reçu moins d'aide et d'investissements, parce qu'elle n'était plus un enjeu aussi intéressant.

Il me semble qu'actuellement la perspective change, sans doute en partie grâce aux premiers succès des politiques d'ajustement structurel : l'Afrique tend à redevenir attractive. J'en suis pour ma part en tout cas convaincu
Le secrétariat d'Etat à la Coopération entend donc bien continuer à uvrer au développement de l'Afrique. Mais il s'ouvre aux autres régions du monde.

Quant au couplage, si je puis dire, de la Coopération et de la Francophonie, il vise à optimiser les synergies entre ces deux secteurs, étant entendu que la Coopération est (avec la Direction générale des Relations culturelles, scientifiques et techniques), le principal contributeur au budget de la Francophonie. Surtout, notre conception de la Francophonie n'est pas seulement celle d'une Francophonie culturelle. Nous entendons l'appréhender dans toutes ses dimensions et en faire un facteur de développement. C'est également la manière de voir de nos partenaires, pour lesquels, de plus en plus, développement culturel et développement économique ont partie liée.

Multilatérale, enfin, la Francophonie est un instrument privilégié pour favoriser en Afrique une coopération régionale qui me paraît constituer l'une des clés du développement de ce continent. Ceci me conduit à formuler une dernière observation : la Francophonie, ce n est, certes, pas seulement l'Afrique et il entre bien dans nos intentions de la promouvoir partout où elle est souhaitée et où cela est possible. La logique régionale qui préside à l'organisation de l'Afrique de demain modifie la donne pour ce qui est de la place de notre langue sur ce continent.

Elle suscite une appétence de français dans les pays lusophones, et aussi de plus en plus anglophones, qui ressentent les besoins de coopération avec les pays francophones voisins. La Francophonie, en outre, ce n'est pas seulement l'Afrique, mais aussi l'Asie ou le Moyen-Orient, l'Amérique latine et également l'Europe de l'Est.

Le rattachement des Droits de l'Homme et de l'Action humanitaire à la Coopération est également cohérent, dans la mesure où il est impensable d'aider au développement durable d'un pays si les Droits de l'Homme n'y sont pas respectés ; les meilleurs résultats que l'on pourrait y obtenir seraient fragilisés.

Quant à l'Action humanitaire, il s'agit d'interventions dans des situations de catastrophes naturelles ou de guerres civiles qui, hélas, atteignent beaucoup plus les pays qui se trouvent en situation précaire que les autres. Il y a donc un continuum entre Action humanitaire et développement qu'il convient de couvrir de bout en bout, sans oublier que l'Action humanitaire s'inscrit également dans la démarche globale de notre action extérieure.
Je n'entrerai pas dans le détail des réflexions concernant la réforme des structures de la coopération. A cet égard, nous n'en sommes pas encore au stade des décisions. Les données du problème et les options sont connues, pour avoir été décrites déjà dans de nombreux rapports. Il n'y aura pas de nouveau rapport. Mais une méthode a été définie. Le fait que la réflexion et la recherche du consensus soient privilégiées par rapport aux effets d'annonce reflète la méthode générale de travail adoptée par le gouvernement

En tout état de cause, les structures sont des outils. Et la nature des outils doit découler des objectifs poursuivis. C'est tout d'abord à cela que s'attache le gouvernement : rénover notre politique de Coopération.

J'en viens précisément aux axes prioritaires qui guident mon action La notion de solidarité est le fondement de notre aide au développement. Une attention particulière doit donc être accordée aux pays du Sud qui traversent les difficultés les plus grandes, qui sont engagés dans des politiques exigeantes et qui ont avec nous les liens politiques les plus fort L'expérience française de Coopération est ancienne et riche. Quel peut-être son apport ? le plus utile, le plus efficace ? Parmi ceux où notre savoir faire est incontestable, quatre domaines sont à mon sens à privilégier.

D'abord, la conquête de la souveraineté économique. Dans sa dimension économique, l'appui français doit viser à promouvoir l'insertion des pays du Sud dans l'économie mondiale.

L'amélioration de la compétitivité passe souvent par des réformes d'envergure impliquant le réajustement du rôle de l'Etat dans l'économie. A cet égard, une question se pose aujourd'hui : n'est-on pas allé parfois trop loin dans la critique de l'Etat ? Ne s'est-on pas souvent trompé de cible ? De fait, ici ou là, il faut certes privatiser, mais il faut aussi "renationaliser l'Etat" dans ses fonctions essentielles, voire au préalable le construire

Je suis donc convaincu qu'il nous faut aujourd'hui reconsidérer la question de l'Etat, tout comme du reste la place et le rôle des entreprises, et apporter notre contribution à la reconstitution de capacités nationales de gestion et de prévision pour discerner les enjeux et les besoins de la société, identifier les ressources, définir les modes de résolution des problèmes et des conflits et clarifier les cheminements du développement, qui doivent impérativement coller au terrain. Ce premier axe inclut les appuis qu'il convient d'accorder aux expériences d'intégration régionale et à l'harmonisation des règles juridiques et administratives.

En second lieu, l'enracinement de la citoyenneté dans les institutions démocratiques. En phase de transition, la conscience politique et sociale ne peut venir que de l'utilisation opportune de toutes les situations pour responsabiliser les populations.

Il ne faut certes pas confondre agitation politique et intériorisation du changement. Mais la démocratie suppose à la fois des institutions politiques et juridiques, nécessaires mais insuffisantes, et des pratiques décentralisées mettant en mouvement des associations de quartier, des comités de jeunes ou de femmes, des groupements professionnels, des collectivités territoriales

Il y a là un immense champ d'action en faveur de la démocratie locale et du développement participatif, où les opérateurs décentralisés et non gouvernementaux révèlent de grandes capacités et obtiennent des résultats.

En troisième lieu, le développement humain. Le développement ne se résume pas à la taille du PIB ; il inclut plus fondamentalement le bien être du plus grand nombre, un niveau supérieur de connaissances, d'apprentissage et de responsabilités critiques et une densification des relations sociales. Il convient de s interroger sur les moyens d'accroître l'impact de nos actions sur la réduction des disparités sociales. Dans certaines régions du monde, les enfants sont moins scolarisés que l'ont été leurs parents. De grandes disparités persistent dans l'accès aux soins. Il faudra surtout concentrer l'effort dans deux directions : relancer l'enseignement de base et conforter la politique des soins de santé primaires.

Enfin, le développement durable. Les accidents climatiques, les troubles politiques comme les crises économiques se traduisent par une pression plus forte sur les ressources naturelles.

Une stratégie plus clairement affirmée devrait mettre au coeur de la coopération française (et européenne) les principes du développement durable. La politique à préconiser doit articuler les liens entre pauvreté et dégradation du patrimoine naturel et du cadre de vie et s'appuyer sur une approche participative.

Ainsi, l'enjeu est de promouvoir des formes de gestion des ressources qui en assurent la pérennité. Il convient donc de veiller à associer ceux qui vivent de l'exploitation des ressources aux décisions concernant leur espace naturel et, quand cela est possible, d'envisager l'implication des communautés rurales ou du secteur privé dans la valorisation de cet espace

Ces quatre thèmes privilégiés ont une valeur universelle, mais ils doivent être déclinés différemment selon les pays et les régions.

La place me manque pour développer ici l'action que je mènerai dans les deux autres secteurs de compétence qui sont les miens. Cela ne signifié pas que j'y attache une importance moindre, bien au contraire. Mais sans doute la Coopération est-elle le secteur dans lequel les innovations les plus importantes doivent être mises en oeuvre, c'est en tout cas celui dans lequel les problèmes se posent avec une acuité et une urgence particulières.

Dans le domaine des Droits de l'Homme et de l'Action humanitaire, vous ne serez pas étonnés que ce gouvernement, sur la base de son orientation générale, entende mener une politique particulièrement active. Le Premier ministre y avait fait expressément référence dans sa déclaration de politique générale : le 50ème anniversaire de la Déclaration des Droits de l'Homme est une occasion pour le gouvernement d'affirmer avec force la valeur universelle des droits fondamentaux de la personne humaine. Le président de la République lui aussi a fortement insisté avant hier sur cette dimension de la politique française.

La Francophonie, elle, doit-être, comme l'a également souhaité le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, "vivante et attractive". J'espère que le Sommet de Hanoï, en résolvant la "question institutionnelle" permettra à la communauté francophone de se consacrer pleinement à l'approfondissement des programmes de coopération culturelle et à la mise en place conjuguée d'une Francophonie politique et d'une économique. Je souhaite pour ma part favoriser, là encore, la coopération décentralisée

Une politique nouvelle, ce ne sont pas seulement de nouvelles priorités, d'autant que, convenons-en, la mise en oeuvre de certaines de celles que je viens d'énoncer a déjà été partiellement engagée dans les années passées. Une politique nouvelle, ce sont aussi des méthodes nouvelles, ce devraient être aussi de nouveaux moyens

Les méthodes doivent tenir compte des évolutions intervenues chez nos partenaires. Les sociétés bougent, des institutions naissent, une nouvelle génération de cadres politiques, d'entrepreneurs, d'intellectuels, de journalistes, d'artistes signale à notre attention que l avenir dans ces pays est riche de promesses. Une alliance, dénuée de complexes comme de paternalisme, et fondée sur un dialogue responsable avec des élites émergentes, qui n'ont pas la même histoire que leurs pères, ni les mêmes références à la période coloniale, ouvre de nouvelles perpectives à la coopération.

Le renforcement des capacités nationales de gestion est une orientation fondamentale pour faire de nos interlocuteurs africains de véritables partenaires, en mesure de participer à la mise en place de programmes adaptés aux conditions locales. Coopérer, c'est agir ensemble dans un dialogue libre. L'évolution de nos concours sera donc subordonnée à la négociation de "contrats de partenariat et de développement" avec les pays qui le désirent et qui s'avèrent en mesure de formuler une stratégie crédible de développement dans un cadre démocratique renforcé.

Un dialogue libre et égal est aussi un dialogue exigeant. Bien entendu, il nous faut sortir des systèmes d'intervention clientéliste et des réseaux

Là encore, il est vrai, l'affirmation n'est pas véritablement nouvelle, mais le temps n'est plus de se contenter d'annoncer de bonnes intentions plus ou moins suivies d'effets.

Nos concours, fondés sur de véritables priorités, doivent être plus sélectifs. Pour chaque pays bénéficiaire, nos moyens seront concentrés sur quelques programmes essentiels et les projets, moins nombreux, seront plus conséquents. D'ailleurs, des crédits pourront, et peuvent du reste déjà, être délégués aux postes - sous réserve naturellement d'un contrôle a posteriori - pour des actions de moindre envergure, proches du terrain, en appui notamment à la coopération décentralisée.

Enfin, il faut envisager pour certaines opérations des gestions déléguées confiées à des opérateurs de statut privé (agences d'exécution, opérateurs privés, ONG). Les projets à gestion étatique devront ainsi devenir moins nombreux. Une telle évolution exige certainement beaucoup plus de professionnalisme et de transparence de la part des ONG et des autres opérateurs potentiels français et africains, qui devront pour certains démontrer sur le terrain leurs qualités de gestionnaire.

Parmi ces autres opérateurs, une place particulière revient, à mes yeux, aux collectivités locales et territoriales. Au fil des années, la coopération décentralisée a trouvé une place de plus en plus importante dans nos échanges avec le Sud.

Elle correspond à une forme d'investissement de la société civile française dans le développement qu'il faut encourager, car elle lui permet d'exprimer une générosité qui est l'autre face de la solidarité. Mais aussi parce qu'elle complète souvent utilement nos propres projets. En les adaptant au terrain et en leur conférant une dimension affective, elle leur donne, si je puis dire, de la chair. Elle est enfin un moyen privilégié d'encouragement à la démocratie locale, dont l'enracinement est indispensable à la démocratie. II faut la guider sans l'encadrer ; mais en recherchant la meilleure liaison avec nos propres orientations.

Je vous demande d'y veiller, de coordonner, d'expliquer, bref de garder à l'esprit la cohérence entre toutes ces formes d'aide qui sera utile au développement.

Je n'ai pas commenté l'évolution de notre dispositif militaire en Afrique. Permettez-moi de dire qu'évidemment il s'inscrit dans la même perspective, nouveaux objectifs et renouvellement des méthodes allant de pair, et que cette évolution devrait se traduire finalement par un rôle accru de notre coopération militaire.

Des objectifs, des méthodes, disais-je, et, bien sûr, des moyens adéquats :
L'aide publique que la France consacre au développement est certes encore significative puisqu'elle fait de nous le second donateur des pays de l'OCDE. Elle a néanmoins décru régulièrement et se situe à présent en dessous de 0,5% du PNB.

A l'intérieur du budget de l'Etat, la part de l'action extérieure a suivi la même pente.

Sans préjuger des chiffres définitifs de notre budget, j'ai toutefois bon espoir que, pour 1998, nos priorités auront été prises en compte et que les moyens dont nous disposerons seront en conformité avec le schéma que je vous ai présenté.

J'ai considéré que la déflation de l'assistance technique, civile comme militaire, pouvait être poursuivie, car elle signifie une évolution positive de notre conception de la Coopération. Elle dégage d'ailleurs des marges de manoeuvre pour faire davantage de projets, pour accueillir davantage de stagiaires ou d'étudiants, pour appuyer davantage d'organisations dédiées à la Coopération.

En réalité, au delà des seules considérations budgétaires, la France dispose, pour faire face aux tâches qui ont été énumérées, de nombreux atouts, et, si nous les mettons en oeuvre avec détermination, je suis convaincu que nous pourrons maintenir globalement nos positions.

Je sais qu'elles sont parfois menacées, ici ou là, nous avons perdu du terrain. S'agissant des pays d'Afrique francophone, force est de constater que, dans plusieurs d'entre eux, notre image est brouillée. Dans quelques-uns, peu nombreux, elle est dégradée.

Mais je suis tout autant frappé par, si vous permettez l'expression, le besoin de France qui s'exprime en de nombreuses régions du globe. Je l'ai, jusqu'à présent, surtout éprouvé en Afrique, car c'est encore le continent dans lequel je voyage le plus, en Afrique lusophone. Je me suis déjà rendu au Mozambique et en Angola. Ce besoin se manifeste également en Afrique anglophone. C'est ainsi que le président du Nigeria vient d'exprimer le souhait d'assister comme observateur au Sommet de Hanoï.

J'ajoute que même les situations que j'ai qualifiées de dégradées sont réversibles. Nous demeurons pour le continent africain un partenaire majeur, dont le principal défaut serait au fond qu'il n'en fait pas assez ou, ce qui est une autre façon de comprendre les choses, qu'il néglige un peu trop d'expliquer ce qu'il fait et qui souvent réussit. Beaucoup de nos partenaires engagés dans l'aide au développement n'ont pas cette retenue.

Ceci soulève un réel problème de communication, en direction de l'opinion française qui ne retient que les aspects les plus négatifs sur lesquels les médias braquent volontiers leurs projecteurs, mais aussi en direction de l opinion des pays partenaires plus attentive aux actions nouvelles et spectaculaires qu'à l'effort continu et plus silencieux.

Globalement, l'image de notre coopération est en réalité bien loin d'être aussi mauvaise qu'on le dit parfois. Cela ne tient pas uniquement à son importance, du reste très inégale selon les régions. Cela tient surtout aux valeurs qu'elle exprime, à la présence humaine qu'elle représente sur le terrain, cela tient enfin à la voix qu'elle prête volontiers à nombre de ces pays pour les accompagner dans les difficiles négociations qu'ils ont à conduire sur la scène internationale.

Sur le chemin des réformes entreprises par de nombreux Etats, notamment d'Afrique francophone, nous demeurons une référence.

A ce propos, je ne voudrais pas éluder le débat suscité par certaines initiatives américaines (même si vous avez l'occasion de l'approfondir demain matin), d'autant qu'il me permettra de préciser encore notre philosophie de la Coopération.

C'est un fait : on enregistre à l'évidence un regain de l'action en Afrique des Etats-Unis, après quelques années d'abandon, depuis que, ainsi que je l'ai déjà signalé, la guerre froide achevée, le continent africain n'était plus un enjeu entre bloc de l'Est en décomposition et occident capitaliste. Inutile de mentionner des exemples de ce regain d'activité : nous les avons tous à l'esprit.

Ce que j'aimerais dire tout d'abord, c'est que cet intérêt est, après tout, un motif d'optimisme, le signe que les premiers résultats des plans d'assainissement aidant, l'attention se porte à nouveau sur les immenses richesses du sous sol africain, et aussi sur les espoirs d'une mise en valeur plus rationnelle que fait naître l'émergence d'élites nouvelles.

Vous avez remarqué comme moi que l'attention américaine est tout à fait sélective, centrée sur le pétrole et les ressources minières, et par conséquent sur certains pays.

Cela doit nous inciter à nous garder de toute paranoïa. Les Etats-Unis ne chassent pas la France d'Afrique, la France ne s'évanouit pas à leur approche. Nous restons le pays le plus présent, par les hommes, en terme d'aide et aussi d'investissements et d'échanges, et de loin !

Surtout, je ne suis pas assuré que les Américains disposent de la sensibilité nécessaire pour mener en Afrique une action continue et durable. Cela s'est déjà vérifié dans le passé, car la poussée américaine - si je puis m'exprimer ainsi, que nous constatons n'est pas la première, et les précédentes ont été suivies de reflux. Il est vrai que le contexte est cette fois fondamentalement différent. Il n'en demeure pas moins que la proposition américaine est toujours, comme il est apparu à Denver, celle qu'aimait à tracer le président Reagan " Trade, but not aid ".

Pour ma part, je tiens cette assertion pour erronée. Le commerce, j'en conviens, doit jouer un rôle croissant ; plus vite son importance s'affirmera, et mieux ce sera, car on ne peut fonder le développement sur des économies artificiellement soutenues, dotées de secteurs publics hypertrophiés. Et pourtant l'aide, singulièrement l'aide publique, reste indispensable, y compris pour le développement économique. C'est aussi toute une philosophie de l'Homme et de la société. Je persiste à considérer que la nôtre est plus adéquate au continent africain.

Cependant, pour que notre action soit pleinement efficace, pour qu'elle soit bien perçue comme nous le souhaitons, il nous faut tout d'abord rester fidèles au message et aux valeurs fondamentales qui sont les nôtres

A cet égard, la politique de Coopération ne saurait donc être envisagée séparément de nos politiques envers les étrangers, qu'il s'agisse des visas ou de l'immigration.

Je ne développe pas ce point, car ces débats sont sur la place publique et connus de tous, mais j'y insiste fortement : cette dimension est cruciale, et j'attache pour ma part la plus grande importance aux nouvelles instructions sur les visas, car, si la France n'apparaissait plus comme un pays d'accueil - il faudrait en avoir conscience, je le dis sans polémique, c'en serait fini de sa présence en Afrique.

La vigilance que j'appelle de mes vux, c'est évidemment aussi l'attention aux évolutions récentes.

C'est ici qu'intervient le débat sur les nouvelles élites africaines. Je pense à ce mouvement vers les universités américaines - que, soit dit en passant, on n'observe pas seulement en Afrique, mais tout autant en Europe de l'Est ou en Asie. S'agissant de l'Afrique, nous sommes plus concernés encore peut-être - sachez que c'est pour moi une préoccupation majeure, et c'est pourquoi je me réjouis qu'elle soit au coeur de vos travaux cet après-midi.

Au fond, ce débat fort intéressant cristallise notre façon de voir l'avenir. Rien d'étonnant à cela. Notre Coopération a formé tant et tant de cadres et d'intellectuels , notre pays a accueilli tant d'étudiants étrangers dans ses universités, qu'aucun d'entre nous aujourd'hui ne peut se résigner à voir gaspiller l'investissement que représentent la confiance, les valeurs et les cultures partagées.

Je ne voudrais pas préjuger vos débats, et surtout, je n'aurai pas le temps, dans ce bref exposé, de présenter une analyse suffisamment fine des très intéressantes réponses que vous avez apportées aux questions qui vous ont été adressées. Je me contente donc de vous dire la très grande importance que j'attache à ce thème, et ma résolution d'accentuer nos efforts et ma résolution à accroître l'engagement de mon département ministériel sur l'enseignement supérieur et la recherche.

Permettez-moi enfin une dernière remarque d'ordre en quelque sorte méthodologique : faire face aux défis que j'ai exposés implique l'union des efforts de tous les agents de nos différents postes diplomatiques, quelle que soit leur administration d'origine, toutes leurs compétences, qui sont variées et appréciées, et que leurs services, sous votre autorité et dans la confiance, prennent l'habitude de réflexions partagées dans des domaines qui sont irréductibles à un traitement cloisonné et technique : l'économie, l'environnement, le développement social.

C'est d'une culture commune de développement que nous tirerons la satisfaction d'une aide mieux ciblée, mieux négociée, mieux évaluée, et en définitive mieux comprise.

Au-delà de la représentation nationale, que le président de la République appelait avant hier à en débattre, c'est de l'adhésion des Français à sa politique de Coopération dont la France a besoin pour affirmer mieux encore sa présence dans le monde.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 octobre 2001)