Texte intégral
Monsieur Alain Richard, l'arrestation prochaine, annoncée du Mollah Omar, mettra t-elle un point final à la guerre en Afghanistan, ou bien faudra t-il attendre l'arrestation de Ben Laden pour crier victoire ?
L'objectif est de limiter et d'empêcher le risque terroriste à l'avenir. D'une part, il faut, pour l'Afghanistan, que les dirigeants des Talibans les plus fanatiques soient en effet livrés à la justice de leur pays. Et, d'autre part, que l'ensemble du réseau Al Qaïda soit réduit. Ne parlons pas de victoire, mais plutôt de résultats concluants, il faut véritablement acquérir la conviction que Al Qaïda n'est plus en état d'organiser des attentats.
Pour l'instant, si l'on voit la situation à l'heure où nous parlons, Ben Laden et le Mollah Omar sont en fuite. Est-ce que le résultat d'actions militaires américaines est un succès ou un échec ?
C'est un succès, je dirais à 70 à 80 % du résultat recherché. Il faut bien voir que Al Qaïda fonctionne comme un service secret. Ce sont des gens qui ont eu une expérience, qui savent se dissimuler, qui sont extraordinairement méfiants vis-à-vis de leurs propres partenaires, mais ils ne se sont jamais mélangés avec les Afghans et il est vraisemblable que Ben Laden, et certains des autres dirigeants opérationnels d'Al Qaïda, se sont organisés, pour pouvoir se replacer ailleurs. D'où l'insistance, que nous avons, pour contrôler les accès maritimes, pour acquérir le maximum de renseignements, dans les Etats de la zone et pour coopérer avec tous les ceux qui contrôlent le territoire afghan.
Je voudrais savoir, après les bombardements français, anglais et américains, combien de millions d'Afghans sont morts de faim, de froid, et de soif sur les routes, après avoir quitté les villes. Et j'aimerais aussi savoir pourquoi ne dit-on pas que c'est le Mossad qui a fait tomber les tours du World Trade Center, le Mossad étant le service secret israélien, et les services secrets turcs , pourquoi on le dit pas que ces services-là qui, sous prétexte de GIA, ont tué les moines Thibérine, les touristes allemands sur les temples égyptiens, il y a quelques années, et peut-être sont même les instigateurs de l'Airbus d'Air France .
En ce qui concerne les effets, pour la population, des actions militaires, les quelques cas dans lesquels il y a eu des erreurs de tirs, ont été identifiés, et le " meilleur juge ", c'est évidemment la presse internationale qui est présente partout en Afghanistan, et qui peut recueillir, partout, de l'information. En ce qui concerne les effets humanitaires, ce sont les organisations humanitaires. Or, monsieur, je voudrais appeler votre attention sur des faits qui sont établis et patents, qui sont que la situation humanitaire, et notamment les menaces sur les vies des personnes, du fait des privations, sont très réduites par rapport à ce que l'on craignait, et n'oubliez pas que, si la population afghane était dans une situation si précaire, c'était évidemment le bilan des factions qui s'étaient affrontées et en particulier des Talibans. Mais je dois vous rassurer à l'heure actuelle, ce qui m'a été dit par les représentants internationaux, avant hier, en Afghanistan, c'est que la situation humanitaire est en net redressement et qu'il n'y a pas de risque de pertes dans la population.
Mais, Alain Richard, il est vrai quand même qu'il faut se poser la question du bilan humain, ne serait-ce que, par exemple, le bilan humain des frappes. Aujourd'hui, est-ce qu'on a une idée du nombre de personnes qui sont mortes en Afghanistan ?
Ce travail n'est pas achevé, et il est à mon avis inconsidéré de se lancer dans des chiffres. Tous les éléments d'investigation sont maintenant accessibles. Les Talibans ont utilisé cette affaire des erreurs de tirs, comme un moyen de propagande sur lequel, hélas, on l'a entendu, certains se sont jetés.
Pourquoi on ne disait pas que c'était le Mossad, c'est-à-dire les services secrets israéliens qui étaient responsables des attentats contre les tours de New York ?
Eh bien, vraiment, la réponse est simple parce que ça n'est pas le cas.
Est-ce que vous ne craignez pas un nouveau conflit, entre l'Inde et le Pakistan, à la suite justement de la guerre en Afghanistan ?
C'est une question compliquée et il est un peu " acrobatique " d'y répondre en une minute. Il y a un point commun, qui est réel, à savoir qu'il y a aussi des groupes de combattants fanatiques islamiques qui agissent au Cachemire et qui ont bénéficié, je le dis au passé, d'un certain soutien de services officiels pakistanais, pour porter des coups contre la présence indienne dans la partie sud du Cachemire. Il y a quand même de grandes différences. Ce qui s'est passé, et qui a déclenché la tension actuelle, c'est un attentat avéré qui a fait 15 morts en plein Parlement indien. Vous avez une démocratie, vous avez des gens qui viennent tuer du monde dans votre Parlement, cela provoque une émotion légitime, pour dire les choses gentiment. L'Inde demande donc au Pakistan, de prendre des mesures limitant les possibilités d'action de ces groupes à tendance terroriste, le Pakistan l'a fait et il est évident en même temps, qu'un grave incident politique comme celui-ci, fait remonter la tension entre les deux Etats. Chacun des partenaires internationaux avec lesquels nous avons des relations de coopération et, pour certains, des relations amicales, intervient auprès des deux nations, pour qu'elles fassent retomber la tension. D'un côté comme de l'autre, nous avons affaire à des dirigeants qui ont le sens des responsabilités.
L'inquiétude vient aussi du fait que ce sont deux puissances nucléaires, mais vous Alain Richard personnellement, vous n'êtes pas inquiet par la situation ?
Je regarde tout cela avec beaucoup de prudence, je mentionne les facteurs négatifs, c'est-à-dire le fait qu'il y ait une véritable rivalité, que des affrontements armés se sont produits, je mentionne aussi les facteurs positifs, que ce sont des dirigeants qui ne se sont pas montrés ni d'un côté ni de l'autre.
J'aimerais souligner le fait que les demandes réitérées, très fermes, des dirigeants indiens, adressées aux dirigeants pakistanais, d'arrêter les leaders des mouvements terroristes qui, très vraisemblablement, ont organisé ces attentats contre le Parlement de New Delhi, eh bien ces demandes ont été très largement satisfaites. Et s'il y a de la tension à la frontière entre les deux pays, dans la région du Cachemire, nous observons que sur le front diplomatique, les deux gouvernements, au-delà évidemment des déclarations martiales, s'acharnent au contraire, à canaliser cette tension et à éviter qu'elle ne dérive. Il y a, là, très certainement un effet des pressions très vigoureuses exercées sur les deux capitales, par les Etats Unis, car ces derniers, comme aucun Etat de la région, ne souhaitent évidemment que cette situation dégénère.
J'ajoute un mot, puisque vous avez mentionné l'armement nucléaire des uns et des autres, je rappelle que, depuis 50 ans, le débat se poursuit pour savoir si la détention, par une puissance, d'un armement nucléaire, la conduit à être plus belliqueuse ou, au contraire plus modérée. Il y a de bons arguments dans les deux sens.
Revenons, un instant, sur la situation en Afghanistan, sur la traque du Mollah Omar et de Ben Laden. Les Américains exigent que le Mollah Omar leur soit remis, s'il est capturé, ils veulent le juger devant un tribunal militaire, un tribunal très particulier, on va dire un tribunal d'exception. Quelle est votre position par rapport à ce tribunal, est-ce qu'il est normal que Georges Bush ait voulu le mettre sur pied ?
Ecoutez, dans notre pays, qui a lui aussi été confronté, dans son histoire récente, à des situations dramatiques, à des agressions extrêmement inquiétantes, nous avons mis fin, depuis une bonne vingtaine d'années, à l'existence de justice d'exception. Il existe des juridictions spécialisées notamment anti-terroristes et nous pensons qu'un Etat de droit, qui est assuré de ces principes de sécurité, peut régir l'ensemble des crimes et délits qu'il peut avoir à juger, à travers son appareil judiciaire de droit commun. La Nation américaine est également un Etat de droit particulièrement réputé pour son sens des règles permanentes et, donc, nous pensons, et nous l'avons déjà dit - tous les Européens d'ailleurs - à nos amis américains ? qu'il serait plus conforme à leurs propres règles, à nos principes démocratiques, que nous partageons et y compris à la crédibilité de l'action que nous partageons avec eux, contre le terrorisme, que la conclusion judiciaire soit menée devant des tribunaux présentant toutes les garanties des pays démocratiques.
Mais des tribunaux américains ?
Soyons réalistes. Il n'y a pas de cour internationale en place, qui soit compétente pour juger ce type d'exaction. Posez-vous la question : si les 4000 morts l'avaient été dans des tours françaises ? Est-ce qu'il ne paraîtrait pas naturel, à notre République, que ce soit notre appareil judiciaire qui les juge ?
Oui, mais il y a un peu aussi deux discours : ne dit-on pas que la lutte contre le terrorisme est une lutte internationale ?
Oui, mais les crimes sont bien commis contre le code pénal d'un pays. Et je vous dis simplement : si les terroristes avaient fait 4000 morts chez nous, est-ce que nous ne considérerions pas comme simplement imaginable qu'ils soient jugés ailleurs ?
Ne doit-on pas faire une différence entre Oussama Ben Laden qui semble être responsable de ces attentats et de ces morts, et le Mollah Omar qui, apparemment, n'a pas été opérationnel du tout, dans cette affaire. Si le Mollah Omar peut être accusé de quelque chose, c'est de crime contre son propre peuple, de crime contre l'humanité, et je ne vois pas en quoi un tribunal américain aurait une capacité quelconque pour le juger. C'est plutôt à une forme de justice internationale qu'il faudrait faire appel. Peut-être, puisque la Cour de justice internationale n'existe pas encore, à une nouvelle division du Tribunal pénal international qui a opéré sur l'ex-Yougoslavie, sur le Rwanda, et pourquoi pas sur l'Afghanistan, maintenant ? Ce serait une possibilité. Mais en tout cas il faut bien différencier me semble t-il en droit, les deux cas du Mollah Omar et d'Oussama Ben Laden.
J'exprimerai un petit désaccord, car ce que vous dites est vrai en ce qui concerne les responsabilités du Mollah Omar dans son propre pays. Il a certainement à rendre des comptes à ce titre. Mais il y a beaucoup d'arguments pour dire qu'en ce qui concerne les attentats aux Etats-Unis, il est au moins justiciable d'un procès pour complicité. Et quant à ce qui pourrait être donné comme suite à ces exactions et aux crimes dont il est responsable en Afghanistan, je rappelle qu'il y a quand même toujours deux solutions : soit un tribunal international, soit un tribunal national du pays. C'est d'ailleurs une question qui s'est posée pour certains des criminels de guerre de l'ex-Yougoslavie, à partir du moment où la Yougoslavie est revenue vers un Etat de droit tout à fait acceptable internationalement - ce qui est le cas me semble-t-il. L'argumentaire des autorités yougoslaves pour juger une partie des criminels de guerre chez elles devenait alors recevable. Puisqu'on est en train de construire un Etat de droit en Afghanistan, je crois qu'il ne faut pas écarter d'un revers de main la possibilité pour l'Afghanistan de juger lui-même ses anciens dirigeants criminels.
Je voudrais savoir si les dégâts occasionnés actuellement, en Afghanistan, seront plus ou moins importants que ceux qui avaient été faits par les Soviétiques.
Sur le premier point, il n'y a pas de comparaison possible parce que la guerre d'occupation, menée par l'Union Soviétique, pour des raisons matérialistes, en Afghanistan, a duré des années et des années, et s'est étendue sur tout le territoire afghan. Il y a eu à ce moment-là, beaucoup de dégâts, notamment des dégâts humains de pertes particulièrement cruelles. Cette fois-ci il y a eu des opérations de frappe aérienne limitée, ponctuelle, sur des forces ou sur des installations militaires, il y a eu quelques erreurs de tirs, qui sont évidemment dramatiques, mais la comparaison n'est pas envisageable.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 15 janvier 2002)
L'objectif est de limiter et d'empêcher le risque terroriste à l'avenir. D'une part, il faut, pour l'Afghanistan, que les dirigeants des Talibans les plus fanatiques soient en effet livrés à la justice de leur pays. Et, d'autre part, que l'ensemble du réseau Al Qaïda soit réduit. Ne parlons pas de victoire, mais plutôt de résultats concluants, il faut véritablement acquérir la conviction que Al Qaïda n'est plus en état d'organiser des attentats.
Pour l'instant, si l'on voit la situation à l'heure où nous parlons, Ben Laden et le Mollah Omar sont en fuite. Est-ce que le résultat d'actions militaires américaines est un succès ou un échec ?
C'est un succès, je dirais à 70 à 80 % du résultat recherché. Il faut bien voir que Al Qaïda fonctionne comme un service secret. Ce sont des gens qui ont eu une expérience, qui savent se dissimuler, qui sont extraordinairement méfiants vis-à-vis de leurs propres partenaires, mais ils ne se sont jamais mélangés avec les Afghans et il est vraisemblable que Ben Laden, et certains des autres dirigeants opérationnels d'Al Qaïda, se sont organisés, pour pouvoir se replacer ailleurs. D'où l'insistance, que nous avons, pour contrôler les accès maritimes, pour acquérir le maximum de renseignements, dans les Etats de la zone et pour coopérer avec tous les ceux qui contrôlent le territoire afghan.
Je voudrais savoir, après les bombardements français, anglais et américains, combien de millions d'Afghans sont morts de faim, de froid, et de soif sur les routes, après avoir quitté les villes. Et j'aimerais aussi savoir pourquoi ne dit-on pas que c'est le Mossad qui a fait tomber les tours du World Trade Center, le Mossad étant le service secret israélien, et les services secrets turcs , pourquoi on le dit pas que ces services-là qui, sous prétexte de GIA, ont tué les moines Thibérine, les touristes allemands sur les temples égyptiens, il y a quelques années, et peut-être sont même les instigateurs de l'Airbus d'Air France .
En ce qui concerne les effets, pour la population, des actions militaires, les quelques cas dans lesquels il y a eu des erreurs de tirs, ont été identifiés, et le " meilleur juge ", c'est évidemment la presse internationale qui est présente partout en Afghanistan, et qui peut recueillir, partout, de l'information. En ce qui concerne les effets humanitaires, ce sont les organisations humanitaires. Or, monsieur, je voudrais appeler votre attention sur des faits qui sont établis et patents, qui sont que la situation humanitaire, et notamment les menaces sur les vies des personnes, du fait des privations, sont très réduites par rapport à ce que l'on craignait, et n'oubliez pas que, si la population afghane était dans une situation si précaire, c'était évidemment le bilan des factions qui s'étaient affrontées et en particulier des Talibans. Mais je dois vous rassurer à l'heure actuelle, ce qui m'a été dit par les représentants internationaux, avant hier, en Afghanistan, c'est que la situation humanitaire est en net redressement et qu'il n'y a pas de risque de pertes dans la population.
Mais, Alain Richard, il est vrai quand même qu'il faut se poser la question du bilan humain, ne serait-ce que, par exemple, le bilan humain des frappes. Aujourd'hui, est-ce qu'on a une idée du nombre de personnes qui sont mortes en Afghanistan ?
Ce travail n'est pas achevé, et il est à mon avis inconsidéré de se lancer dans des chiffres. Tous les éléments d'investigation sont maintenant accessibles. Les Talibans ont utilisé cette affaire des erreurs de tirs, comme un moyen de propagande sur lequel, hélas, on l'a entendu, certains se sont jetés.
Pourquoi on ne disait pas que c'était le Mossad, c'est-à-dire les services secrets israéliens qui étaient responsables des attentats contre les tours de New York ?
Eh bien, vraiment, la réponse est simple parce que ça n'est pas le cas.
Est-ce que vous ne craignez pas un nouveau conflit, entre l'Inde et le Pakistan, à la suite justement de la guerre en Afghanistan ?
C'est une question compliquée et il est un peu " acrobatique " d'y répondre en une minute. Il y a un point commun, qui est réel, à savoir qu'il y a aussi des groupes de combattants fanatiques islamiques qui agissent au Cachemire et qui ont bénéficié, je le dis au passé, d'un certain soutien de services officiels pakistanais, pour porter des coups contre la présence indienne dans la partie sud du Cachemire. Il y a quand même de grandes différences. Ce qui s'est passé, et qui a déclenché la tension actuelle, c'est un attentat avéré qui a fait 15 morts en plein Parlement indien. Vous avez une démocratie, vous avez des gens qui viennent tuer du monde dans votre Parlement, cela provoque une émotion légitime, pour dire les choses gentiment. L'Inde demande donc au Pakistan, de prendre des mesures limitant les possibilités d'action de ces groupes à tendance terroriste, le Pakistan l'a fait et il est évident en même temps, qu'un grave incident politique comme celui-ci, fait remonter la tension entre les deux Etats. Chacun des partenaires internationaux avec lesquels nous avons des relations de coopération et, pour certains, des relations amicales, intervient auprès des deux nations, pour qu'elles fassent retomber la tension. D'un côté comme de l'autre, nous avons affaire à des dirigeants qui ont le sens des responsabilités.
L'inquiétude vient aussi du fait que ce sont deux puissances nucléaires, mais vous Alain Richard personnellement, vous n'êtes pas inquiet par la situation ?
Je regarde tout cela avec beaucoup de prudence, je mentionne les facteurs négatifs, c'est-à-dire le fait qu'il y ait une véritable rivalité, que des affrontements armés se sont produits, je mentionne aussi les facteurs positifs, que ce sont des dirigeants qui ne se sont pas montrés ni d'un côté ni de l'autre.
J'aimerais souligner le fait que les demandes réitérées, très fermes, des dirigeants indiens, adressées aux dirigeants pakistanais, d'arrêter les leaders des mouvements terroristes qui, très vraisemblablement, ont organisé ces attentats contre le Parlement de New Delhi, eh bien ces demandes ont été très largement satisfaites. Et s'il y a de la tension à la frontière entre les deux pays, dans la région du Cachemire, nous observons que sur le front diplomatique, les deux gouvernements, au-delà évidemment des déclarations martiales, s'acharnent au contraire, à canaliser cette tension et à éviter qu'elle ne dérive. Il y a, là, très certainement un effet des pressions très vigoureuses exercées sur les deux capitales, par les Etats Unis, car ces derniers, comme aucun Etat de la région, ne souhaitent évidemment que cette situation dégénère.
J'ajoute un mot, puisque vous avez mentionné l'armement nucléaire des uns et des autres, je rappelle que, depuis 50 ans, le débat se poursuit pour savoir si la détention, par une puissance, d'un armement nucléaire, la conduit à être plus belliqueuse ou, au contraire plus modérée. Il y a de bons arguments dans les deux sens.
Revenons, un instant, sur la situation en Afghanistan, sur la traque du Mollah Omar et de Ben Laden. Les Américains exigent que le Mollah Omar leur soit remis, s'il est capturé, ils veulent le juger devant un tribunal militaire, un tribunal très particulier, on va dire un tribunal d'exception. Quelle est votre position par rapport à ce tribunal, est-ce qu'il est normal que Georges Bush ait voulu le mettre sur pied ?
Ecoutez, dans notre pays, qui a lui aussi été confronté, dans son histoire récente, à des situations dramatiques, à des agressions extrêmement inquiétantes, nous avons mis fin, depuis une bonne vingtaine d'années, à l'existence de justice d'exception. Il existe des juridictions spécialisées notamment anti-terroristes et nous pensons qu'un Etat de droit, qui est assuré de ces principes de sécurité, peut régir l'ensemble des crimes et délits qu'il peut avoir à juger, à travers son appareil judiciaire de droit commun. La Nation américaine est également un Etat de droit particulièrement réputé pour son sens des règles permanentes et, donc, nous pensons, et nous l'avons déjà dit - tous les Européens d'ailleurs - à nos amis américains ? qu'il serait plus conforme à leurs propres règles, à nos principes démocratiques, que nous partageons et y compris à la crédibilité de l'action que nous partageons avec eux, contre le terrorisme, que la conclusion judiciaire soit menée devant des tribunaux présentant toutes les garanties des pays démocratiques.
Mais des tribunaux américains ?
Soyons réalistes. Il n'y a pas de cour internationale en place, qui soit compétente pour juger ce type d'exaction. Posez-vous la question : si les 4000 morts l'avaient été dans des tours françaises ? Est-ce qu'il ne paraîtrait pas naturel, à notre République, que ce soit notre appareil judiciaire qui les juge ?
Oui, mais il y a un peu aussi deux discours : ne dit-on pas que la lutte contre le terrorisme est une lutte internationale ?
Oui, mais les crimes sont bien commis contre le code pénal d'un pays. Et je vous dis simplement : si les terroristes avaient fait 4000 morts chez nous, est-ce que nous ne considérerions pas comme simplement imaginable qu'ils soient jugés ailleurs ?
Ne doit-on pas faire une différence entre Oussama Ben Laden qui semble être responsable de ces attentats et de ces morts, et le Mollah Omar qui, apparemment, n'a pas été opérationnel du tout, dans cette affaire. Si le Mollah Omar peut être accusé de quelque chose, c'est de crime contre son propre peuple, de crime contre l'humanité, et je ne vois pas en quoi un tribunal américain aurait une capacité quelconque pour le juger. C'est plutôt à une forme de justice internationale qu'il faudrait faire appel. Peut-être, puisque la Cour de justice internationale n'existe pas encore, à une nouvelle division du Tribunal pénal international qui a opéré sur l'ex-Yougoslavie, sur le Rwanda, et pourquoi pas sur l'Afghanistan, maintenant ? Ce serait une possibilité. Mais en tout cas il faut bien différencier me semble t-il en droit, les deux cas du Mollah Omar et d'Oussama Ben Laden.
J'exprimerai un petit désaccord, car ce que vous dites est vrai en ce qui concerne les responsabilités du Mollah Omar dans son propre pays. Il a certainement à rendre des comptes à ce titre. Mais il y a beaucoup d'arguments pour dire qu'en ce qui concerne les attentats aux Etats-Unis, il est au moins justiciable d'un procès pour complicité. Et quant à ce qui pourrait être donné comme suite à ces exactions et aux crimes dont il est responsable en Afghanistan, je rappelle qu'il y a quand même toujours deux solutions : soit un tribunal international, soit un tribunal national du pays. C'est d'ailleurs une question qui s'est posée pour certains des criminels de guerre de l'ex-Yougoslavie, à partir du moment où la Yougoslavie est revenue vers un Etat de droit tout à fait acceptable internationalement - ce qui est le cas me semble-t-il. L'argumentaire des autorités yougoslaves pour juger une partie des criminels de guerre chez elles devenait alors recevable. Puisqu'on est en train de construire un Etat de droit en Afghanistan, je crois qu'il ne faut pas écarter d'un revers de main la possibilité pour l'Afghanistan de juger lui-même ses anciens dirigeants criminels.
Je voudrais savoir si les dégâts occasionnés actuellement, en Afghanistan, seront plus ou moins importants que ceux qui avaient été faits par les Soviétiques.
Sur le premier point, il n'y a pas de comparaison possible parce que la guerre d'occupation, menée par l'Union Soviétique, pour des raisons matérialistes, en Afghanistan, a duré des années et des années, et s'est étendue sur tout le territoire afghan. Il y a eu à ce moment-là, beaucoup de dégâts, notamment des dégâts humains de pertes particulièrement cruelles. Cette fois-ci il y a eu des opérations de frappe aérienne limitée, ponctuelle, sur des forces ou sur des installations militaires, il y a eu quelques erreurs de tirs, qui sont évidemment dramatiques, mais la comparaison n'est pas envisageable.
(Source http://www.défense.gouv.fr, le 15 janvier 2002)