Texte intégral
Comment percevez-vous la situation politique actuelle de la Corse ?
Vous savez, il est difficile pour quelqu'un qui se trouve à l'extérieur de l'île, même s'il est corse, d'y comprendre quelque chose. Je dirai simplement qu'il serait intéressant pour tout le monde que les responsables politiques de la Corse clarifient leurs positions par rapport à la situation actuelle.
Je rappelle que les différentes parties associées au processus de Matignon n'avaient aucune compétence pour entrer dans ce processus. L'Assemblée de Corse est une assemblée territoriale. Elle n'a de fait aucune vocation politique et ses membres n'ont reçu aucun mandat pour engager quelque discussion que ce soit avec le gouvernement.
Est-ce pour cette raison que vous estimez que le processus de Matignon ne résoudra pas les problèmes de l'île ?
Je ne conteste pas au gouvernement le droit d'avoir les positions qu'il lui semble bon de devoir prendre. En revanche, je conteste à des gens qui constituent la majorité de l'Assemblée territoriale actuelle et qui ont été élus contre les nationalistes, le droit d'entrer dans un système qui consiste, en réalité, à accepter les revendications de ces derniers.
Les seuls dans cette affaire, si j'ose dire, à finalement avoir une attitude conforme à leurs engagements, ce sont les nationalistes. Tout le monde peut certes changer d'opinion, mais dans ce cas, il serait souhaitable que l'on se décide à revenir devant le suffrage universel pour lui demander son avis.
Le processus de Matignon est trompeur. Ceux qui se sont engagés de bonne foi dans cette démarche se laissent rouler dans la farine, tandis que les élus nationalistes n'ont jamais caché qu'il s'agissait d'un préalable vers l'indépendance. Aussi, quant à prétendre que le projet de loi sur la Corse ramènera la paix sur l'île, les événements de cet été ont prouvé le contraire.
Attentats, assassinats La nouvelle flambée de violence qu'a connue la Corse cet été démontre en effet que le cercle infernal n'est pas rompu. Comment pensez-vous qu'il puisse l'être un jour ?
Ce dont un gouvernement a le plus besoin pour conduire une politique avec quelque chance de succès que ce soit, c'est de la durée. J'ai été à deux reprises ministre de l'Intérieur. De 1986 à 1988, j'ai mené une politique qui consistait à interpeller et mettre hors d'état de nuire ceux qui conduisaient des actions violentes. Mais quand nous avons quitté le gouvernement en 1988, tout le monde a été amnistié. Cinq ans plus tard, à notre retour, la situation était tout autre.
J'ai alors considéré qu'il fallait conduire en Corse une double démarche - c'est d'ailleurs ce que revendique aujourd'hui sans le faire le gouvernement Jospin - visant d'une part à rétablir la sécurité et d'autre part à faire évoluer le développement économique insulaire.
Je suis d'ailleurs surpris de constater que tout le monde ait aujourd'hui oublié que l'Assemblée de Corse, à l'automne 1993, avait voté un projet de développement économique à la quasi unanimité. L'Etat à l'époque avait tenu ses engagements en apportant les contreparties qui étaient prévues dans ce plan. Ce qui nous a manqué, c'est le temps.
Selon vous, la Corse aurait donc davantage besoin de développement économique que de nouvelles mesures institutionnelles ?
Naturellement. Surtout si l'on considère l'essentiel, que l'on soit de droite, de gauche, nationaliste ou pas. Et l'essentiel, c'est de savoir l'avenir que l'on peut bâtir pour la jeunesse corse. Il est évident que cela dépend, avant tout, du développement économique de l'île. Le reste est secondaire.
Le débat sur la loi littoral cristallise toutes les passions entre ceux qui craignent des investissements massifs sur les côtes insulaires et ceux qui réclament la possibilité de construire Quel modèle de développement pourrait-on appliquer à l'île ?
Les choses sont relativement simples. Quels sont les principaux atouts de la Corse ? Sa situation géographique au cur de la Méditerranée, son climat et son environnement. Partant de là, le tourisme est naturellement une de ses principales sources de développement. Nombreuses sont également les activités - activités de recherche, laboratoires, nouvelles technologies - qui pourraient s'implanter si la Corse retrouvait un climat serein et paisible. Or si la violence continue à exister, même partiellement, rien de tout cela ne pourra se faire. Ce que je reproche d'ailleurs au gouvernement, c'est d'être entré dans cette voie de la discussion sans qu'auparavant il ait obtenu de tous ceux qui ont des armes qu'ils les rendent aux autorités. C'est un préalable absolu pour inscrire la Corse sur la voie d'un développement durable.
En votre qualité de ministre de l'Intérieur, vous avez été confronté de très près aux réalités insulaires. Après avoir testé la manière forte, vous avez misé sur le dialogue. Auriez-vous mis de l'eau dans votre vin ?
Je suis moins têtu qu'il n'y paraît. A mon retour en 1993, j'ai pris acte de la situation que j'ai trouvée et j'ai essayé de faire avancer les choses. C'est la raison pour laquelle l'action que j'ai conduite, y compris dans les contacts que j'avais alors avec les dirigeants des mouvements nationalistes, visait à faire comprendre qu'il était indispensable d'arrêter toute action violente. Elle n'est plus justifiée par rien, dès lors que nous sommes dans un système démocratique, où chacun peut s'exprimer, défendre ses idées, même celle de la rupture avec la France.
Je persiste cependant à dire que la priorité des priorités - sachant qu'il n'est pas normal que des gens qui prétendent défendre l'identité de la Corse continuent à faire parler les armes - est d'obtenir l'assurance de la paix civile. Dès lors, ceux qui poursuivraient sur la voie de la violence ne pourraient plus s'abriter derrière les idées des nationalistes et ne seraient que des gangsters, des criminels. Ils devraient donc être traités comme tels. A l'heure actuel, l'amalgame est trop facile.
Parlant d'amalgame, on ressent sur l'île une grande lassitude de l'opinion nationale à l'égard de la Corse. Pensez-vous qu'il soit possible d'inverser la tendance ?
Les médias sont ce qu'ils sont, ils sont une caisse de résonance. Quand vous n'êtes pas corse, que vous vivez sur le continent, que vous voyez les pressions qui sont exercées sur le gouvernement, que dans le même temps vous voyez une partie des responsables politiques corses se prostituer avec les nationalistes sans qu'aucune réaction importante de la part de la population insulaire ne se manifeste, vous êtes fondé à penser qu'il y a une sorte de consensus. Quand on est corse, on sait bien que les choses ne sont pas ce qu'elles y paraissent. Nous savons que la majorité de nos compatriotes considèrent que l'Etat n'exerce pas ses responsabilités pour régler le problème de la violence.
La plaisanterie a assez duré ! Un référendum local n'est pas constitutionnellement possible. Dans le contexte actuel, un référendum national risquerait de bouter l'île hors de la République. Je suis donc étonné du comportement à la fois des élus nationalistes et des autres élus territoriaux. Si dans le fond, ils pensent avoir raison et supposent que la majorité des Corses adhère à leur démarche, pourquoi ne décident-ils pas eux-mêmes de remettre leur mandat et d'appeler le peuple à revenir aux urnes.
C'est la seule démarche démocratique possible pour que les insulaires puissent choisir en toute liberté. A la lecture des résultats, chacun pourra tirer les conséquences qui s'imposent.
Les réseaux Pasqua, vos relations avec certains milieux insulaires vous ont été reprochés au cours de ces derniers mois Comment réagissez-vous à ces attaques ?
Tout ça c'est de la fantasmagorie. Je n'ai pas de relations particulières avec les milieux insulaires depuis que je ne suis plus ministre de l'Intérieur. Je me suis bien gardé, du reste, depuis, de m'occuper des affaires de la Corse. Elles étaient déjà bien assez compliquées comme ça lorsque je faisais partie du gouvernement ! j'ai entendu tout ce qu'on a pu raconter comme bêtises à propos des réseaux Pasqua. En guise de réponse, je dirai simplement qu'il ne faut pas s'abriter derrière des faux-semblants.
Le responsable du dossier corse, c'est l'Etat, à travers sa présentation gouvernementale. A mon sens, le gouvernement actuel devrait d'ailleurs être jugé beaucoup plus sévèrement que les autres parce qu'il aura eu devant lui la durée nécessaire (cinq ans) pour résoudre le problème. Seize ans de pouvoir socialiste Faites l'addition !
Propos recueillis par Dominique Faux
(source http://www.pasqua-2002.org, le 12 février 2002)
Vous savez, il est difficile pour quelqu'un qui se trouve à l'extérieur de l'île, même s'il est corse, d'y comprendre quelque chose. Je dirai simplement qu'il serait intéressant pour tout le monde que les responsables politiques de la Corse clarifient leurs positions par rapport à la situation actuelle.
Je rappelle que les différentes parties associées au processus de Matignon n'avaient aucune compétence pour entrer dans ce processus. L'Assemblée de Corse est une assemblée territoriale. Elle n'a de fait aucune vocation politique et ses membres n'ont reçu aucun mandat pour engager quelque discussion que ce soit avec le gouvernement.
Est-ce pour cette raison que vous estimez que le processus de Matignon ne résoudra pas les problèmes de l'île ?
Je ne conteste pas au gouvernement le droit d'avoir les positions qu'il lui semble bon de devoir prendre. En revanche, je conteste à des gens qui constituent la majorité de l'Assemblée territoriale actuelle et qui ont été élus contre les nationalistes, le droit d'entrer dans un système qui consiste, en réalité, à accepter les revendications de ces derniers.
Les seuls dans cette affaire, si j'ose dire, à finalement avoir une attitude conforme à leurs engagements, ce sont les nationalistes. Tout le monde peut certes changer d'opinion, mais dans ce cas, il serait souhaitable que l'on se décide à revenir devant le suffrage universel pour lui demander son avis.
Le processus de Matignon est trompeur. Ceux qui se sont engagés de bonne foi dans cette démarche se laissent rouler dans la farine, tandis que les élus nationalistes n'ont jamais caché qu'il s'agissait d'un préalable vers l'indépendance. Aussi, quant à prétendre que le projet de loi sur la Corse ramènera la paix sur l'île, les événements de cet été ont prouvé le contraire.
Attentats, assassinats La nouvelle flambée de violence qu'a connue la Corse cet été démontre en effet que le cercle infernal n'est pas rompu. Comment pensez-vous qu'il puisse l'être un jour ?
Ce dont un gouvernement a le plus besoin pour conduire une politique avec quelque chance de succès que ce soit, c'est de la durée. J'ai été à deux reprises ministre de l'Intérieur. De 1986 à 1988, j'ai mené une politique qui consistait à interpeller et mettre hors d'état de nuire ceux qui conduisaient des actions violentes. Mais quand nous avons quitté le gouvernement en 1988, tout le monde a été amnistié. Cinq ans plus tard, à notre retour, la situation était tout autre.
J'ai alors considéré qu'il fallait conduire en Corse une double démarche - c'est d'ailleurs ce que revendique aujourd'hui sans le faire le gouvernement Jospin - visant d'une part à rétablir la sécurité et d'autre part à faire évoluer le développement économique insulaire.
Je suis d'ailleurs surpris de constater que tout le monde ait aujourd'hui oublié que l'Assemblée de Corse, à l'automne 1993, avait voté un projet de développement économique à la quasi unanimité. L'Etat à l'époque avait tenu ses engagements en apportant les contreparties qui étaient prévues dans ce plan. Ce qui nous a manqué, c'est le temps.
Selon vous, la Corse aurait donc davantage besoin de développement économique que de nouvelles mesures institutionnelles ?
Naturellement. Surtout si l'on considère l'essentiel, que l'on soit de droite, de gauche, nationaliste ou pas. Et l'essentiel, c'est de savoir l'avenir que l'on peut bâtir pour la jeunesse corse. Il est évident que cela dépend, avant tout, du développement économique de l'île. Le reste est secondaire.
Le débat sur la loi littoral cristallise toutes les passions entre ceux qui craignent des investissements massifs sur les côtes insulaires et ceux qui réclament la possibilité de construire Quel modèle de développement pourrait-on appliquer à l'île ?
Les choses sont relativement simples. Quels sont les principaux atouts de la Corse ? Sa situation géographique au cur de la Méditerranée, son climat et son environnement. Partant de là, le tourisme est naturellement une de ses principales sources de développement. Nombreuses sont également les activités - activités de recherche, laboratoires, nouvelles technologies - qui pourraient s'implanter si la Corse retrouvait un climat serein et paisible. Or si la violence continue à exister, même partiellement, rien de tout cela ne pourra se faire. Ce que je reproche d'ailleurs au gouvernement, c'est d'être entré dans cette voie de la discussion sans qu'auparavant il ait obtenu de tous ceux qui ont des armes qu'ils les rendent aux autorités. C'est un préalable absolu pour inscrire la Corse sur la voie d'un développement durable.
En votre qualité de ministre de l'Intérieur, vous avez été confronté de très près aux réalités insulaires. Après avoir testé la manière forte, vous avez misé sur le dialogue. Auriez-vous mis de l'eau dans votre vin ?
Je suis moins têtu qu'il n'y paraît. A mon retour en 1993, j'ai pris acte de la situation que j'ai trouvée et j'ai essayé de faire avancer les choses. C'est la raison pour laquelle l'action que j'ai conduite, y compris dans les contacts que j'avais alors avec les dirigeants des mouvements nationalistes, visait à faire comprendre qu'il était indispensable d'arrêter toute action violente. Elle n'est plus justifiée par rien, dès lors que nous sommes dans un système démocratique, où chacun peut s'exprimer, défendre ses idées, même celle de la rupture avec la France.
Je persiste cependant à dire que la priorité des priorités - sachant qu'il n'est pas normal que des gens qui prétendent défendre l'identité de la Corse continuent à faire parler les armes - est d'obtenir l'assurance de la paix civile. Dès lors, ceux qui poursuivraient sur la voie de la violence ne pourraient plus s'abriter derrière les idées des nationalistes et ne seraient que des gangsters, des criminels. Ils devraient donc être traités comme tels. A l'heure actuel, l'amalgame est trop facile.
Parlant d'amalgame, on ressent sur l'île une grande lassitude de l'opinion nationale à l'égard de la Corse. Pensez-vous qu'il soit possible d'inverser la tendance ?
Les médias sont ce qu'ils sont, ils sont une caisse de résonance. Quand vous n'êtes pas corse, que vous vivez sur le continent, que vous voyez les pressions qui sont exercées sur le gouvernement, que dans le même temps vous voyez une partie des responsables politiques corses se prostituer avec les nationalistes sans qu'aucune réaction importante de la part de la population insulaire ne se manifeste, vous êtes fondé à penser qu'il y a une sorte de consensus. Quand on est corse, on sait bien que les choses ne sont pas ce qu'elles y paraissent. Nous savons que la majorité de nos compatriotes considèrent que l'Etat n'exerce pas ses responsabilités pour régler le problème de la violence.
La plaisanterie a assez duré ! Un référendum local n'est pas constitutionnellement possible. Dans le contexte actuel, un référendum national risquerait de bouter l'île hors de la République. Je suis donc étonné du comportement à la fois des élus nationalistes et des autres élus territoriaux. Si dans le fond, ils pensent avoir raison et supposent que la majorité des Corses adhère à leur démarche, pourquoi ne décident-ils pas eux-mêmes de remettre leur mandat et d'appeler le peuple à revenir aux urnes.
C'est la seule démarche démocratique possible pour que les insulaires puissent choisir en toute liberté. A la lecture des résultats, chacun pourra tirer les conséquences qui s'imposent.
Les réseaux Pasqua, vos relations avec certains milieux insulaires vous ont été reprochés au cours de ces derniers mois Comment réagissez-vous à ces attaques ?
Tout ça c'est de la fantasmagorie. Je n'ai pas de relations particulières avec les milieux insulaires depuis que je ne suis plus ministre de l'Intérieur. Je me suis bien gardé, du reste, depuis, de m'occuper des affaires de la Corse. Elles étaient déjà bien assez compliquées comme ça lorsque je faisais partie du gouvernement ! j'ai entendu tout ce qu'on a pu raconter comme bêtises à propos des réseaux Pasqua. En guise de réponse, je dirai simplement qu'il ne faut pas s'abriter derrière des faux-semblants.
Le responsable du dossier corse, c'est l'Etat, à travers sa présentation gouvernementale. A mon sens, le gouvernement actuel devrait d'ailleurs être jugé beaucoup plus sévèrement que les autres parce qu'il aura eu devant lui la durée nécessaire (cinq ans) pour résoudre le problème. Seize ans de pouvoir socialiste Faites l'addition !
Propos recueillis par Dominique Faux
(source http://www.pasqua-2002.org, le 12 février 2002)