Interview de M. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, dans "Le Monde" du 16 mai 2000, sur la réforme de l'enseignement professionnel, notamment l'idée de rétribuer les éléves lors de leur passage en entreprise, la revalorisation des filières et le statut des enseignants de lycées professionnels.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Les élèves de lycées professionnels pourront être rétribués lors de leurs passages en entreprises. Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, reprend, dans un entretien au Monde, l'idée lancée en septembre 1999 par Claude Allègre : "Systématiser la rétribution correspond à une demande exprimée par les lycéens, leurs syndicats et les conseils départementaux de la jeunesse". M. Mélenchon cherche un mode de financement " qui soit neutre pour l'entreprise ". Ce système devrait permettre d'éviter que les élèves, considérés comme une main-d'uvre bon marché par les entreprises, ne quittent les lycées avant l'obtention de leur diplôme.
Jean-Luc Mélenchon, ministre délégué à l'enseignement professionnel, annonce dans un entretien au " Monde " qu'il a rouvert un dossier lancé par Claude Allègre.
" Quelles sont vos premières impressions sur les lycées professionnels, cinq semaines après votre arrivée ?
Ma première tâche est celle de la réconciliation. Il est nécessaire de donner de l'apaisement au terrain. Aujourd'hui, les acteurs sont mûrs pour se réconcilier : ce sont des pédagogues, ils savent qu'ils représentent une chance pour les jeunes et sont angoissés de les voir prendre du retard. Il a vraiment fallu que la situation dépasse les bornes pour que ces enseignants se fâchent. J'y vais aussi pour chercher des réponses. Par exemple, pourquoi, alors que l'on me dit qu'il manque cent trente mille professionnels dans le secteur du bâtiment, des établissements voient leurs inscriptions chuter dans cette filière.
Comment expliquez-vous le mouvement des enseignants de lycées professionnels contre Claude Allègre, et dont certains, proches de l'extrême gauche vous accusent de vendre l'école à l'entreprise ?
Ce mouvement s'explique par la superposition de plusieurs facteurs. Nous vivons la tension d'une société qui se recompose dans l'emploi - certains retrouvent du travail, d'autres non -, et l'émergence d'un état d'esprit plus revendicatif : les rapports de forces changent dans de nombreux secteurs économiques, où la pénurie de main-d'uvre commence à se faire sentir, et cela se sait. Dans ce contexte, le style personnel du précédent ministre de l'éducation a déplu. En outre, le diagnostic de Lionel Jospin sur la méthode était le bon : le changement doit être coproduit avec le terrain. Quant au discours dénonçant "l'école vendue à l'entreprise", il est hors de la réalité. Il illustre une série de conflits qui sont autant de jeux de rôle, censés opposer les " conservateurs " aux " réformateurs ", ou les " liquidateurs du service public " aux " défenseurs de l'école républicaine ". Ainsi, nous sortons d'un conflit dans lequel personne n'ose dire : " On a gagné ! ". Un ministère à l'enseignement professionnel a été créé, nous avons distribué l'équivalent de deux mille six cents postes d'enseignants, diminué de cinq heures hebdomadaires le temps de service d'une partie d'entre eux, attribué 600 millions de francs aux lycées professionnels et il ne se serait rien passé ? Contrairement à ce que demandaient certains, je n'ai pas retiré la Charte pour l'enseignement professionnel intégré, que je considère comme un document d'étape. Pour préparer la prochaine rentrée, j'ai demandé aux recteurs de rencontrer tous les proviseurs afin de discuter des dotations horaires. J'ai aussi demandé à ce que l'on cesse de fermer, dans la hâte, les classes de 4e technologique. C'est du concret : il fallait solder la pagaille et mettre de l'ordre dans la mise en uvre des décisions annoncées.
Le " changement des rapports de forces " que vous évoquez peut-il avoir des conséquences pour l'enseignement professionnel ?
Avec la reprise de la croissance et de l'emploi, nous sommes à un changement d'époque, c'est la nouvelle donne. Les défis auxquels se trouve désormais confronté le service public d'éducation ne sont plus ceux de la période du chômage de masse, au cours de laquelle l'économie nous pressait de spécialiser toujours davantage les jeunes. Désormais, l'attente à l'égard de l'école devient plus claire : il s'agit de tirer le maximum de jeunes vers le haut et former une main-d'uvre de fort niveau de qualification. La partie est gagnée pour le service public d'éducation, qui a su faire progresser dans un délai très court la proportion de bacheliers et fournir les compétences qui ont fait de la France la deuxième puissance exportatrice mondiale par tête. Tant mieux, car l'école doit manier avec précaution le concept d'adaptabilité. Nous sommes, contrairement aux entreprises, les gardiens du temps long : les bacheliers de 2015 sont déjà à l'école maternelle, les travailleurs qui prendront leur retraite en 2040 sortent de nos écoles. Nous ne devons pas lâcher prise vis-à-vis du Medef ; en matière de contenu des qualifications, nous devons maintenir l'objectif de 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat, remettre la machine en route en multipliant les passerelles entre les différents types d'enseignement, et développer la validation des acquis professionnels.
Craignez-vous que la reprise économique incite un certain nombre de jeunes à interrompre leurs études plus tôt pour aller travailler ?
L'évaporation des élèves vers les entreprises est réelle. C'est une erreur. Les jeunes doivent aller jusqu'au bout de leur cursus d'études. La réponse à ce problème tient dans le statut du jeune en formation. Pour commencer, je souhaite analyser la situation des élèves de LP, sur laquelle l'administration ne dispose d'aucune étude. J'ai demandé à l'inspection générale un sondage sur les discriminations raciales en matière de stage et une enquête sur la situation sociale des jeunes de LP.
Allez-vous reprendre l'idée lancée par votre prédécesseur (Le Monde du 1er octobre 1999) de rémunérer les élèves de LP ?
L'idée de rétribuer les élèves lors de leur passage en entreprise est justifiée. Mais il faut parler clairement de rétribution, et non de rémunération car ce second terme renvoie à un statut sous contrat de travail et non à un statut scolaire. Systématiser la rétribution correspond à une demande, exprimée par les lycéens, leurs syndicats et les conseils départementaux de la jeunesse. Mais il ne faut pas avoir d'attitude suspicieuse vis-à-vis de l'entreprise qui propose un stage. Nous devons nous entendre avec les branches professionnelles. Il faut trouver une solution qui soit neutre financièrement pour l'entreprise. Celle-ci pourrait choisir de voir l'une de ses charges allégée, la somme étant en contrepartie versée à l'élève. Je ne puiserai pas pour cela dans la taxe d'apprentissage. J'ouvre le débat. Quant au contenu des stages, il va faire l'objet d'un travail de cadrage, qui pourra peut-être déboucher sur des mesures réglementaires. Lionel Jospin m'a confié le soin de discuter, avec le Medef et les branches professionnelles, d'un protocole national sur les périodes de formation en entreprise.
Reprenez-vous le discours récurrent sur la nécessaire revalorisation de la filière professionnelle ?
Je refuse d'adopter ce vocabulaire. La filière professionnelle est dévaluée dans certains imaginaires, et tenir ce discours revient à s'adresser à ceux qui ne sont pas concernés par elle. Quoi qu'il en soit, ce n'est pas à coups de campagne de publicité que l'on va donner aux jeunes le goût de l'enseignement professionnel. Pour devenir plus attrayant, il doit offrir la même fluidité de parcours que celle de l'enseignement général.
Comment assurer cette fluidité des parcours dans l'enseignement professionnel ?
Il ne s'agit pas de parler de grande réforme, mais d'avoir un rôle " d'ajusteur régleur ", pour faire sauter les verrous qui bloquent la poursuite d'études des élèves dans de nombreuses filières. Il faut développer les passerelles et les contre-marches. Nous allons par exemple travailler à l'amélioration du passage entre le CAP et le BEP, entre le bac pro et le BTS ou l'IUT. L'éducation nationale a créé trois types de filières, à courte portée (le professionnel), moyenne portée (le technologique) et longue portée (le général). Si l'on maintient cette logique, on ne peut faire que de l'orientation par défaut dans la filière professionnelle.
Comment comptez-vous régler le problème des personnels à statut précaire, nombreux dans les LP ?
Sur les 6 000 enseignants de LP, 20 000 ne sont pas titulaires et, parmi eux, 10 000 sont des maîtres-auxiliaires. Or nous allons bientôt être confrontés à des départs massifs à la retraite. Je crains aussi que la compétition avec le secteur privé ne nous prive de ces compétences. Il faut trouver un moyen de stabiliser ces personnels précaires, sinon demain nous ne trouverons plus personne. Les maîtres-auxiliaires et les contractuels doivent logiquement être tous réemployés à la rentrée 2000. Mais il ne s'agit pas de prendre une mesure qui nie la qualification nécessaire pour enseigner. Le statut de professeur associé qui existe déjà, les concours réservés, doivent apporter des solutions. Cette question sera traitée dans le plan pluriannuel pour l'éducation et des discussions sur le temps de travail menées dans la fonction publique. "
Propos recueillis par Sandrine BLANCHARD et Nathalie GUIBERT.
(source http://www.education.gouv.fr, le 1 septembre 2000)