Déclaration de Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, sur la politique de prévention des catastrophes naturelles, Paris, le 18 juin 1999.

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Circonstance : Décennie Internationale pour la Prévention des Catastrophes Naturelles, à Paris, le 18 juin 1999

Texte intégral

Monsieur le Président du comité français de la DIPCN,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les responsables d'organisations françaises et étrangères,
Mesdames, Messieurs,
Je vous remercie de m'accueillir parmi vous pour ouvrir la seconde journée de cette conférence consacrée à la gestion des territoires et au développement durable dans le cadre de la prévention des catastrophes naturelles. Nos travaux visent effectivement à concevoir et à mettre en uvre un
développement qui ne soit pas périodiquement remis en cause par les catastrophes naturelles.
L'enjeu est important.
Les catastrophes naturelles ont occasionné en 1998 dans le monde des dizaines de milliers de victimes, souvent parmi les populations les plus défavorisées, et des pertes économiques évaluées à 90 milliards d'euros, chiffre qui augmente d'année en année.
En France, le montant des dommages, plus modestes, s'élève tout de même à plusieurs milliards de francs, et pourrait atteindre des dizaines de milliards de francs en cas de crue centennale sur l'un de nos grands fleuves ou en cas de séisme significatif aux Antilles françaises ou sur la Côte d'azur.
La mission de la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement est d'impulser, puis de mettre en uvre, la politique menée par le gouvernement en matière de prévention des risques naturels majeurs :
- je dois veiller à ce que la prise en compte des risques naturels fasse partie intégrante de nos préoccupations et de nos démarches d'environnement, au même titre que la qualité de l'air, la biodiversité, ou la lutte contre le bruit, par exemple dans les études d'impact utilisées dans l'évaluation préalable de demandes concernant de grands projets.
- j'ai aussi à veiller à ce que l'aménagement du territoire les prenne en compte, et j'ai tenu à ce que la prévention des risques figure dans la nouvelle loi d'orientation et de développement durable du territoire, adoptée hier par le parlement français.
- enfin, j'anime la réflexion interministérielle en veillant à ce que les autres ministères intègrent aussi la prévention des risques dans leurs politiques.
Je saisis donc cette occasion pour faire part de mes réflexions quant à la manière dont nous pouvons encore progresser. Ces réflexions s'articulent autour de trois thèmes :
1- Nous devons développer une culture de la prévention
2- Cette culture de la prévention permet une réduction de notre vulnérabilité aux catastrophes.
3- La solidarité doit favoriser réparation et prévention.
Le développement d'une culture de la prévention passe tout d'abord par la connaissance des événements et de la vulnérabilité correspondante des territoires qu'ils affectent.
Nous avons aujourd'hui les possibilités de connaître, et même de prévoir nombre de phénomènes.
Les administrations nationales et locales ont un rôle fondamental à jouer dans l'acquisition de cette connaissance, dans son organisation, son actualisation, et dans son amélioration permanente. Les experts qui collectent et mettent en forme ces données doivent naturellement aussi y contribuer.
Je voudrais ici rendre hommage à tous ceux qui, depuis le début de ce siècle ont collationné les données pluviométriques, mesuré le débit des rivières, ou reporté sur leurs carnets le tracé des avalanches. Je voudrais dire combien la réalisation de zonages sismiques, la surveillance des ouragans et des volcans, sont indispensables au bon exercice d'une politique de prévention.
Cet effort doit se poursuivre.
Il s'agit, en sollicitant aussi la recherche et les scientifiques, de compléter notre connaissance géographique des risques à une échelle suffisamment fine, de progresser dans nos évaluations de la vulnérabilité associée, d'intégrer les progrès de la technologie, d'être vigilants par rapport aux évolutions que pourraient occasionner les changements climatiques.
Transformer cette connaissance en culture nécessite de la partager.
Le parlement français a voté le 22 juillet 1987 une loi qui instaure le droit à l'information sur les risques majeurs pour tout citoyen. Cette obligation d'information et de transparence sur les risques me semble avoir une valeur universelle et répond aux orientations de la convention d'Aarhus signée l'an passé par la France.
Soyons imaginatifs sur les moyens de la mettre en oeuvre, en associant les collectivités locales bien sûr, mais aussi les éducateurs, les entreprises, les associations, voire les notaires à cette information. Profitons du cadre offert par la journée initiée par la décennie internationale. Rappelons-nous que la prévention commence avec l'information.
Favorisons dans le même temps le réflexe consistant à rechercher des solutions préventives pour diminuer notre vulnérabilité.
Les médias ont aussi leur rôle à jouer, en décrivant aussi les moyens de prévention possible, à chaque fois qu'ils évoquent telle ou telle catastrophe naturelle. En annonçant un tremblement de terre, il faudrait ainsi évoquer dans le même temps la construction parasismique et les comportements à adopter en cas de séisme permettent ou auraient permis d'atténuer les effets du tremblement de terre. Il faut dire et redire, surtout en période de crise, que la prévention n'est efficace que si elle est menée avec persévérance.
Enfin cette culture aura d'autant plus de chance de succès qu'elle sera une culture mondiale. La décennie internationale pour la prévention des catastrophes naturelles a eu pour ambition de favoriser l'apparition de cette culture commune. L'effort mérite d'être poursuivi au delà de cette décennie, en s'appuyant sur les différentes initiatives annoncées à cette occasion par tel ou tel pays.
Ensuite, il me parait indispensable d'agir pour réduire notre vulnérabilité, et donc l'impact des aléas.
La décennie qui s'achève a vu les sociologues conclure unanimement que le succès des politiques de prévention des risques reposait d'abord sur l'adhésion des communautés, l'appropriation du risque et des mesures de prévention. Dans certaines parties du monde, si l'on ne trouve pas de solution satisfaisante pour préserver la vie du bétail, il est déraisonnable d'espérer que les habitants se regroupent dans des abris en cas de cyclone.
En France, le rôle des particuliers, des entreprises, des gestionnaires de réseaux, des agriculteurs, des collectivités locales, est tout aussi important pour réduire notre vulnérabilité. Tous les partenaires publics ou privés ont le devoir d'encourager et d'aider à entreprendre de telles démarches. J'illustrerai ces propos par quelques exemples:
- les entreprises ont un rôle déterminant pour mettre hors d'eau installations vulnérables et produits périssables ou polluants, et choisir leurs implantations en tenant compte des aléas naturels.
- les gestionnaires de réseaux doivent simuler le fonctionnement de leurs installations en cas d'événement naturel majeur. Les expériences récentes de tremblements de terre ou de cyclones illustrent combien la fourniture d'eau potable est alors cruciale.
- les agriculteurs seront aussi concernés dans le cadre des contrats territoriaux d'exploitation, tels que définis par la récente Loi d'Orientation Agricole.
- les collectivités locales sont au coeur de cette démarche. Une planification prenant en compte les risques est l'un des moyens d'y parvenir. La réalisation de plans de prévention des risques, en concertation étroite avec les municipalités, est un objectif important sur lequel j'ai souhaité que mon ministère, mais aussi les services de l'Etat et les collectivités locales, se mobilisent.
Enfin, il nous faut être solidaires dans la prévention, comme nous le sommes dans la réparation.
La solidarité en cas de catastrophe est d'abord une nécessité morale, et, pour ce qui concerne mon pays une nécessité législative depuis le vote de la loi de 1982 sur l'indemnisation des catastrophes naturelles.
La solidarité dans la prévention ne doit pas signifier dé-responsabilisation des acteurs impliqués.
En matière de prévention, comme de réparation, nous pouvons trouver une combinaison équilibrée de ces deux objectifs : solidarité, responsabilité.
La réponse la plus immédiate est une réponse financière : veillons à ce que toute démarche de réparation financée par un mécanisme de solidarité intègre la prévention, vise à éviter que la catastrophe ne se reproduise. Veillons aussi, par exemple à ce qu'une part significative de l'aide humanitaire soit consacrée à des actions de prévention. Réfléchissons à l'utilisation des outils fiscaux pour favoriser la prévention.
Si nous voulons lutter contre l'effet de serre, qui, si nous ne le maîtrisons pas, aura des conséquences à terme sur les phénomènes naturels, il n'est pas illogique de penser à utiliser la fiscalité écologique, et corrélativement de baisser certains autres impôts. La France a, en avril dernier, pris une initiative pour inciter à une relance des réflexions européennes sur ce thème.
La seconde réponse est technique : avant toute réparation, demandons-nous quelles sont les améliorations à apporter en terme de localisation, de conception des constructions, d'ouvrages collectifs de prévention. Chaque catastrophe naturelle doit être l'occasion d'une réflexion locale sur les moyens d'améliorer nos pratiques, et, après quelque temps, d'une évaluation des actions réalisées.
L'évaluation de la politique française de prévention des risques naturels a montré que plusieurs voies de progrès devaient être intégrées :
le développement d'une culture du risque au sein de notre société ;
la conjugaison des efforts de tous pour réduire la vulnérabilité de notre territoire aux événements extrêmes ;
enfin l'amélioration des conditions d'application de la loi de 1982 sur l'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles, pour la rendre cohérente avec la priorité à donner à la prévention.
Depuis deux ans, la prévention des risques naturels a été l'une des priorités budgétaires de mon ministère. Les crédits consacrés à l'information préventive et aux plans de prévention des risques ont ainsi augmenté de moitié en deux ans. L'objectif de 2000 plans de prévention des risques en l'an 2000 est atteint. Mais je souhaite que l'action globale de l'Etat en matière de prévention des risques soit complétée et amplifiée dans les années à venir.
En matière de connaissance des risques, tout d'abord, je souhaite que l'on continue la réalisation de cartes d'aléa suffisamment précise de façon à couvrir tous les territoires à risques, que ces cartes soient numérisées pour permettre la plus grande fluidité dans la diffusion publique de ces informations.
En matière de surveillance, la modernisation des réseaux de surveillance devra être poursuivie, qu'il s'agisse par exemple du réseau d'annonce de crues ou des observatoires vulcanologiques implantés dans les départements d'outre-mer.
En matière d'information, je souhaite que l'on réfléchisse à la meilleure façon de faire parvenir l'information sur les risques jusqu'au citoyen, en évaluant par exemple les possibilités de diffuser formellement cette information lors de transactions immobilières.
En matière de réduction de la vulnérabilité, je souhaite stimuler, si nécessaire par des voies fiscales, des initiatives des différents maîtres d'ouvrage concernés.
Enfin, nous développerons un véritable retour d'expérience en matière de catastrophes naturelles; plusieurs rapports viennent de m'être remis et sont sur le point de l'être, sur ce thème.
Le gouvernement a par ailleurs adopté le principe d'une communication au Conseil des Ministres dans le domaine de la prévention des risques majeurs, qui interviendra d'ici quelques mois. Ce programme d'action reprendra les orientations que je viens de vous exposer.
Mesdames, Messieurs, les années passées ont démontré, en matière de risques naturels également, l'intérêt et l'efficacité de la prévention pour protéger l'environnement et la santé publique, pour permettre un aménagement durable des territoires.
Cette philosophie commune doit sous-tendre notre action face aux événements naturels extrêmes : ne les baptisons plus catastrophes ; ne les considérons plus comme des manifestations de la fatalité, mais apprenons à les connaître avec vigilance, à prévenir leurs conséquences et à réduire en permanence les risques qu'elles représentent.
Nous avons les moyens de relever ce défi pour construire ensemble, dans la prochaine décennie, les solutions du prochain millénaire.
Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre attention.
(source http://www.environnement.gouv.fr le 02 juillet 1999)