Texte intégral
- Quelle analyse faites-vous du malaise des médecins ?
- Bien que notre système de santé obtienne globalement de bons résultats, son organisation paraît de plus en plus anarchique, opaque, bureaucratique et en définitive démotivante pour ses acteurs. Beaucoup de médecins éprouvent des difficultés devant la lourdeur croissante de leurs tâches, confrontés qu'ils sont à des détresses sociales trop réelles. La Puissance publique considère à tort que les médecins sont des dépensiers. Ils sont en réalité des prescripteurs de soins. Le problème n'est pas pour eux de savoir si le médicament est coûteux mais s'il est efficace. Il faudrait donc associer davantage les médecins à la définition des traitements standards selon les pathologies, et ne pas hésiter le cas échéant à inciter les petits laboratoires qui produisent des molécules non reconnues par les sociétés savantes à se reconvertir. Je suis pour la pleine responsabilisation des professionnels de la santé. Il faut cesser des les accuser systématiquement d'être responsables d'une dérive qui tient davantage à l'évolution des techniques médicales, au vieillissement de la population, au coût de certains médicaments. Des choix s'imposent : décentralisation de l'hôpital et valorisation du rôle social de la médecine de ville en particulier.
- Quelles sont, selon vous, les besoins de santé à satisfaire en priorité ?
- Je suis frappé, après les visites que j'ai faites sur le terrain, notamment à Lyon, par l'absence de visibilité à long terme qu'éprouvent aussi bien les médecins de ville que les personnels hospitaliers. On a vraiment l'impression que chacun se sent prisonnier de la maîtrise comptable des coûts. Il n'y a pas de véritable politique de santé à long terme, qui mettrait l'accent par exemple sur la prévention ou le caractère prioritaire de la lutte contre certaines pathologies comme le cancer.
Naturellement, une politique de santé doit aussi s'attacher à corriger certaines inégalités entre les régions. Cette politique, à peine entreprise, a été remise en cause à la suite des grèves qui se sont produites à l'Assistance publique à Paris.
D'une manière générale, il faudrait responsabiliser davantage les hôpitaux en leur permettant d'investir leurs excédents de gestion et reconnaître le rôle de la médecine de ville dans les politiques de prévention ou dans le traitement des urgences au quotidien. Je serais partisan, de ce point de vue de relever très substantiellement les frais de garde et d'introduire un élément forfaitaire de rémunération, afin de donner au médecin plus de temps pour accueillir les patients, sans être obligé d'effectuer une perpétuelle course à l'acte.
- Quel signe fort donner pour restaurer la confiance ? La suppression des lettres clefs flottantes par exemple ?
- Oui. Ce système de lettres clefs flottantes à trop d'effets pervers : D'abord, c'est un système de punition collective appliquée à la profession tout entière. Ensuite il crée un cercle vicieux : la course à l'acte entraîne la baisse des rémunérations qui nourrit une véritable course à l'échalote. Il faut repenser le financement du système à partir du rapport coût-qualité.
- Comment voyez-vous la complémentarité entre la ville et l'hôpital ?
- Une grande partie des difficultés actuelles provient qu'il n'y a pas de bonne coordination entre la médecine de ville d'une part et le système hospitalier de l'autre. J'ai visité les Hospices civils de Lyon, un lundi. Le service des urgences était encombré de brancards dans lesquels étaient entassés les malades du week-end. Pourquoi ne pas aider davantage la médecine de ville à traiter elle-même, quand elle le peut, les urgences au quotidien ? La création d'Agences Régionales de santé associant les médecins libéraux permettrait une utile coordination. La médecine de ville ne voit pas son rôle social suffisamment reconnu, alors qu'elle affronte beaucoup de difficultés, ne serait-ce que l'insécurité.
- Au point que beaucoup de médecins dévissent leur plaque pour changer de lieu.
- J'ai constaté à Vénissieux la force de cette tentation. Les médecins, les pharmaciens, les infirmières, comme du reste les sapeurs pompiers ou les conducteurs de bus, ont de plus en plus de peine à exercer leur métier du fait de l'insécurité grandissante. Je ne pense pas cependant que l'on puisse mettre un policier derrière chaque médecin. Il faut avoir le courage de prendre les moyens d'une politique d'ensemble cohérente pour éradiquer les noyaux durs de la délinquance. On ne fera pas, dans l'immédiat, l'impasse sur une plus grande fermeté, avec naturellement à l'arrière plan, une claire conscience que ces problèmes d'insécurité traduisent une carence globale d'éducation, un défaut de citoyenneté. Il y a là un immense effort à faire pour redonner des repères simples sans lesquels aucune société tant soit peu civilisée ne peut se développer.
Une politique de sécurité cohérente serait en elle-même une politique sociale, à l'avantage des plus démunis, des personnes âgées, de celles qui habitent les quartiers populaires particulièrement frappés par la délinquance. Mais il faut du courage, par exemple pour réformer l'ordonnance de 1945 et mettre un terme à l'impunité dont bénéficient aujourd'hui les multirécidivistes mineurs. De même faut-il suspendre certaines dispositions législatives qui alourdissent les charges procédurales pesant sur les gardes à vue : celles-ci ont baissé en un an de 11 % ! La bonne conscience ne fait pas une politique !
Enfin, il faut avoir parallèlement une politique énergique d'accès à la citoyenneté pour donner à la jeunesse de nos quartiers d'autres modèles de réussite que ceux des petits caïds. Mais ça c'est du long terme !
- Pour en revenir au système de santé, faut-il à votre avis revoir le dispositif qui lie les professionnels de santé aux caisses ? La voie choisie par le gouvernement de déposer un amendement au PLFSS vous semble-t-elle une bonne méthode ? Un amendement qui amende son propre projet de loi, c'est curieux...
- C'est malheureusement une pratique qui se développe de plus en plus. Introduire en dernière lecture un amendement gouvernemental supprime toute possibilité de débat parlementaire. Par conséquent on adopte des mesures à la va-vite.
La contractualisation entre les caisses d'assurance maladie et les professions de santé reste de bonne méthode. Je suis très attaché au maintien d'une couverture solidaire par l'assurance maladie mais il faut mettre de la rigueur dans la gestion. Les caisses seraient bien inspirées d'étoffer leurs services médicaux, d'associer les professionnels de santé à leur démarche si on veut que cette contractualisation ait un sens.
- Vous êtes partisan d'une gestion paritaire de l'A.M. ?
- On ne peut remettre en cause une tradition de paritarisme bien enracinée dans nos habitudes, même si le financement de la sécurité sociale évolue inévitablement vers une fiscalisation plus large.
- Impact médecin invite à débattre de la notion de médecine libérale solidaire. Que vous inspire ces notions ?
- C'est le secret de la réussite du système français qui repose sur la complémentarité entre un système hospitalier largement public et une médecine libérale de grande qualité, permettant le libre choix de son médecin par le patient. C'est un grand atout. Il ne faut pas toujours voir les choses en noir. Nous n'avons consacré depuis dix ans qu'un effort supplémentaire de 0,8 point de PIB à la santé. C'est peu, compte tenu du vieillissement de la population et de l'évolution des coûts. Il y a des réformes à faire mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
- Au cas où vous ne pourriez pas vous présenter au second tour, pour qui vous désisteriez-vous ?
- Je me concentre entièrement sur l'hypothèse où je serai présent au second tour. Les Français ont envie de sortir du système que j'appelle " du pareil au même ". Ils attendent des réformes courageuses inspirées par la seule considération de l'intérêt public. Et je me sens en capacité non seulement d'être présent au second tour mais de répondre à leur attente.
Entretien paru sous le titre " Non à un système opaque et bureaucratique"
(Source http://www.chevenement2002.net, le 20 novembre 2001)
- Bien que notre système de santé obtienne globalement de bons résultats, son organisation paraît de plus en plus anarchique, opaque, bureaucratique et en définitive démotivante pour ses acteurs. Beaucoup de médecins éprouvent des difficultés devant la lourdeur croissante de leurs tâches, confrontés qu'ils sont à des détresses sociales trop réelles. La Puissance publique considère à tort que les médecins sont des dépensiers. Ils sont en réalité des prescripteurs de soins. Le problème n'est pas pour eux de savoir si le médicament est coûteux mais s'il est efficace. Il faudrait donc associer davantage les médecins à la définition des traitements standards selon les pathologies, et ne pas hésiter le cas échéant à inciter les petits laboratoires qui produisent des molécules non reconnues par les sociétés savantes à se reconvertir. Je suis pour la pleine responsabilisation des professionnels de la santé. Il faut cesser des les accuser systématiquement d'être responsables d'une dérive qui tient davantage à l'évolution des techniques médicales, au vieillissement de la population, au coût de certains médicaments. Des choix s'imposent : décentralisation de l'hôpital et valorisation du rôle social de la médecine de ville en particulier.
- Quelles sont, selon vous, les besoins de santé à satisfaire en priorité ?
- Je suis frappé, après les visites que j'ai faites sur le terrain, notamment à Lyon, par l'absence de visibilité à long terme qu'éprouvent aussi bien les médecins de ville que les personnels hospitaliers. On a vraiment l'impression que chacun se sent prisonnier de la maîtrise comptable des coûts. Il n'y a pas de véritable politique de santé à long terme, qui mettrait l'accent par exemple sur la prévention ou le caractère prioritaire de la lutte contre certaines pathologies comme le cancer.
Naturellement, une politique de santé doit aussi s'attacher à corriger certaines inégalités entre les régions. Cette politique, à peine entreprise, a été remise en cause à la suite des grèves qui se sont produites à l'Assistance publique à Paris.
D'une manière générale, il faudrait responsabiliser davantage les hôpitaux en leur permettant d'investir leurs excédents de gestion et reconnaître le rôle de la médecine de ville dans les politiques de prévention ou dans le traitement des urgences au quotidien. Je serais partisan, de ce point de vue de relever très substantiellement les frais de garde et d'introduire un élément forfaitaire de rémunération, afin de donner au médecin plus de temps pour accueillir les patients, sans être obligé d'effectuer une perpétuelle course à l'acte.
- Quel signe fort donner pour restaurer la confiance ? La suppression des lettres clefs flottantes par exemple ?
- Oui. Ce système de lettres clefs flottantes à trop d'effets pervers : D'abord, c'est un système de punition collective appliquée à la profession tout entière. Ensuite il crée un cercle vicieux : la course à l'acte entraîne la baisse des rémunérations qui nourrit une véritable course à l'échalote. Il faut repenser le financement du système à partir du rapport coût-qualité.
- Comment voyez-vous la complémentarité entre la ville et l'hôpital ?
- Une grande partie des difficultés actuelles provient qu'il n'y a pas de bonne coordination entre la médecine de ville d'une part et le système hospitalier de l'autre. J'ai visité les Hospices civils de Lyon, un lundi. Le service des urgences était encombré de brancards dans lesquels étaient entassés les malades du week-end. Pourquoi ne pas aider davantage la médecine de ville à traiter elle-même, quand elle le peut, les urgences au quotidien ? La création d'Agences Régionales de santé associant les médecins libéraux permettrait une utile coordination. La médecine de ville ne voit pas son rôle social suffisamment reconnu, alors qu'elle affronte beaucoup de difficultés, ne serait-ce que l'insécurité.
- Au point que beaucoup de médecins dévissent leur plaque pour changer de lieu.
- J'ai constaté à Vénissieux la force de cette tentation. Les médecins, les pharmaciens, les infirmières, comme du reste les sapeurs pompiers ou les conducteurs de bus, ont de plus en plus de peine à exercer leur métier du fait de l'insécurité grandissante. Je ne pense pas cependant que l'on puisse mettre un policier derrière chaque médecin. Il faut avoir le courage de prendre les moyens d'une politique d'ensemble cohérente pour éradiquer les noyaux durs de la délinquance. On ne fera pas, dans l'immédiat, l'impasse sur une plus grande fermeté, avec naturellement à l'arrière plan, une claire conscience que ces problèmes d'insécurité traduisent une carence globale d'éducation, un défaut de citoyenneté. Il y a là un immense effort à faire pour redonner des repères simples sans lesquels aucune société tant soit peu civilisée ne peut se développer.
Une politique de sécurité cohérente serait en elle-même une politique sociale, à l'avantage des plus démunis, des personnes âgées, de celles qui habitent les quartiers populaires particulièrement frappés par la délinquance. Mais il faut du courage, par exemple pour réformer l'ordonnance de 1945 et mettre un terme à l'impunité dont bénéficient aujourd'hui les multirécidivistes mineurs. De même faut-il suspendre certaines dispositions législatives qui alourdissent les charges procédurales pesant sur les gardes à vue : celles-ci ont baissé en un an de 11 % ! La bonne conscience ne fait pas une politique !
Enfin, il faut avoir parallèlement une politique énergique d'accès à la citoyenneté pour donner à la jeunesse de nos quartiers d'autres modèles de réussite que ceux des petits caïds. Mais ça c'est du long terme !
- Pour en revenir au système de santé, faut-il à votre avis revoir le dispositif qui lie les professionnels de santé aux caisses ? La voie choisie par le gouvernement de déposer un amendement au PLFSS vous semble-t-elle une bonne méthode ? Un amendement qui amende son propre projet de loi, c'est curieux...
- C'est malheureusement une pratique qui se développe de plus en plus. Introduire en dernière lecture un amendement gouvernemental supprime toute possibilité de débat parlementaire. Par conséquent on adopte des mesures à la va-vite.
La contractualisation entre les caisses d'assurance maladie et les professions de santé reste de bonne méthode. Je suis très attaché au maintien d'une couverture solidaire par l'assurance maladie mais il faut mettre de la rigueur dans la gestion. Les caisses seraient bien inspirées d'étoffer leurs services médicaux, d'associer les professionnels de santé à leur démarche si on veut que cette contractualisation ait un sens.
- Vous êtes partisan d'une gestion paritaire de l'A.M. ?
- On ne peut remettre en cause une tradition de paritarisme bien enracinée dans nos habitudes, même si le financement de la sécurité sociale évolue inévitablement vers une fiscalisation plus large.
- Impact médecin invite à débattre de la notion de médecine libérale solidaire. Que vous inspire ces notions ?
- C'est le secret de la réussite du système français qui repose sur la complémentarité entre un système hospitalier largement public et une médecine libérale de grande qualité, permettant le libre choix de son médecin par le patient. C'est un grand atout. Il ne faut pas toujours voir les choses en noir. Nous n'avons consacré depuis dix ans qu'un effort supplémentaire de 0,8 point de PIB à la santé. C'est peu, compte tenu du vieillissement de la population et de l'évolution des coûts. Il y a des réformes à faire mais il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain.
- Au cas où vous ne pourriez pas vous présenter au second tour, pour qui vous désisteriez-vous ?
- Je me concentre entièrement sur l'hypothèse où je serai présent au second tour. Les Français ont envie de sortir du système que j'appelle " du pareil au même ". Ils attendent des réformes courageuses inspirées par la seule considération de l'intérêt public. Et je me sens en capacité non seulement d'être présent au second tour mais de répondre à leur attente.
Entretien paru sous le titre " Non à un système opaque et bureaucratique"
(Source http://www.chevenement2002.net, le 20 novembre 2001)