Déclaration de M. Georges Sarre, président du Mouvement des citoyens, sur les causes de l'échec du processus de Matignon concernant la Corse, à l'Assemblée nationale le 27 novembre 2001.

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Circonstance : Discussion du projet de loi sur la Corse à l'Assemblée nationale le 27 novembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mes Chers Collègues,
Après avoir entendu les arguments discutables du gouvernement et le laborieux plaidoyer du rapporteur, je suis plus convaincu que jamais de la nécessité de renvoyer en commission ce projet de loi. Le processus dit de Matignon s'avère un échec. Ensuite, les conséquences à terme de ce texte sont telles qu'il ne peut être adopté par le Parlement avant que les Français se prononcent par deux fois au printemps prochain. Enfin, l'actuel gouvernement s'est engouffré si profondément dans une impasse qu'il n'est plus à même d'agir sur ce dossier avec la sérénité qui convient.
Il faut le reconnaître : le processus dit de Matignon est un échec. Le Premier ministre nous avait promis la tranquillité en Corse grâce à cette négociation. Pourtant, après il est vrai une courte période sinon d'accalmie, du moins de diminution du nombre d'exactions, des attentats continuent à être commis ; des assassinats continuent à être perpétrés. Il faut toutefois noter que souvent les victimes en sont précisément les opposants à ce processus qualifié de " processus de paix ". Pour certains, il s'agit de la paix des cimetières. Surtout, on veut nous faire accroire que ces meurtres et ces agressions ne sont que de malheureuses affaires de droit commun. Il est incontestable que cet aspect est bien souvent présent. Mais, cela ne peut étonner que les naïfs et ceux qui veulent eux-mêmes s'aveugler. Car, le crime organisé et l'indépendantisme sont intimement mêlés au point qu'il est impossible de faire le partage entre les deux.



Sont d'abord victimes les étrangers, non pas au sens juridique du terme, mais ethnique. Dans une démocratie, on ne négocie pas avec le terrorisme, surtout quand il est lié au banditisme. Tout compromis dégénère en compromission. Toute discussion finit en capitulation. Mais, il est vrai que devant le terrorisme, les conseilleurs ne sont pas les payeurs. Les victimes sont les anonymes, la foule des anonymes qui n'est pas consultée, qui est réduite au silence, qui est contrainte de s'incliner.
Sans vouloir me référer à la situation internationale, je ne peux m'empêcher d'évoquer le Pays Basque espagnol. Une large autonomie n'y a pas désarmé l'ETA. La stratégie de la terreur s'y poursuit. Les objectifs prennent volontiers une coloration raciste. Comme en Corse, sont d'abord visés, sont d'abord victimes les étrangers, non pas au sens juridique du terme, mais ethnique. Le peuple et le gouvernement espagnols font preuve d'un courage exemplaire. Il est regrettable que la France ne retienne pas la leçon.
Donc, tant que le sang continue à couler, cet énième statut de la Corse ne devrait pas être discuté par le parlement de la République. Par simple dignité, mais aussi par souci d'efficacité, nous devrions au moins attendre que les armes se taisent. On ne peut légiférer sous l'emprise de la violence. On ne peut donner des gages aux poseurs de bombes.


En 2004, si ce projet funeste aboutit, la loi, qui fonde la nation républicaine, ne sera plus égale pour tous en France. Sur le fond, ce projet de loi est subversif. Il introduit des éléments de décomposition de la France et de la République. Malgré les précautions prises, l'article premier est contestable sur le plan constitutionnel. Il amorce un transfert partiel du pouvoir législatif. Mais, le Premier ministre nous a déjà averti : en 2004, cette amorce deviendra un abandon au prix du démantèlement de la constitution de la République, non seulement dans le dispositif même de ses articles, mais surtout dans les principes qui la sous-tendent.
En 2004, si ce projet funeste aboutit, la loi, qui fonde la nation républicaine, ne sera plus égale pour tous en France. Bientôt, chaque région, pourra faire ses lois mais pourquoi s'arrêter à la région ? Pourquoi ne pas descendre encore en dessous ? Bientôt, donc, chaque collectivité territoriale aura, au moins partiellement, sa propre législation. La France en tant que communauté de citoyens aura vécu.
De plus, vous avez de fait maintenu l'obligation d'apprendre le Corse. Avec la généralisation d'une telle mesure à tout le territoire, les Français ne se comprendront plus entre eux dans deux ou trois générations. Cette affirmation ne relève ni du pessimisme, ni du catastrophisme. Elle résulte d'un simple constat. Aujourd'hui, en Belgique, les jeunes flamands et les jeunes wallons sont contraints de se parler en anglais. Il n'existe pas des langues de France. Il y a en revanche une langue officielle de la République.



il faudrait que les Français soient sinon directement consultés, du moins puissent en débattre Et puis, pourquoi donc se limiter aux langues régionales ? Pourquoi ne pas accorder un statut équivalent aux langues minoritaires ? Alors, nos villes et nos banlieues deviendraient des mosaïques linguistiques, des marqueteries ethniques où sévirait l'enfermement communautariste. La violence raciale serait au coin de la rue.
Avant de s'engager plus avant dans cette voie périlleuse, dans cet engrenage déjà grippé et grinçant, il faudrait que les Français soient sinon directement consultés, du moins puissent en débattre. L'occasion naturelle s'en présente avec la double consultation électorale du printemps prochain. La nouvelle Assemblée nationale sera mieux à même de se prononcer. C'est aussi pour cette raison que, à nos yeux, le renvoi en commission s'impose. C'est la seule solution raisonnable et démocratique.


Le Premier ministre est alors condamné à la fuite en avant. Enfin, le Premier ministre est trop engagé. Il voudrait prouver par la réussite de sa politique en Corse qu'il est capable de briguer la plus haute charge de l'Etat. Aujourd'hui, il n'est plus libre, il n'est plus maître de ses mouvements ; il est comme englué dans des sables mouvants : chaque fois qu'il bouge, il s'enfonce un peu plus. Non seulement, la violence se poursuit, mais ses interlocuteurs ethnicistes et indépendantistes se dérobent, ils ont, eux, suspendu leur participation aux processus. En réalité, à l'élection présidentielle, ils jouent déjà l'autre sortant, en essayant quand même de soutirer à l'actuel gouvernement le plus grand nombre possible de concessions.
Le Premier ministre est alors condamné à la fuite en avant. Il ne peut plus arrêter la machine infernale qu'il a lancée. Car, il avouerait son échec. Il avouerait qu'il eût été préférable d'écouter son ministre de l'Intérieur d'alors plutôt que les mauvais conseillers dont il s'est entouré. Chacun mesure les conséquences à court terme qui en découleraient pour lui.
Aussi, il revient à la représentation nationale d'assumer la responsabilité que le gouvernement ne peut plus assurer. D'une certaine façon, c'est une façon réelle, quoique paradoxale, d'aider le gouvernement : renvoyons ce projet de loi en commission. Il sera toujours temps dans un moment de plus grande sérénité de discuter de ce dossier.

(Source http://www.mdc-France.org, le 11 décembre 2001)