Déclaration de M. Georges Sarre, président du Mouvement des citoyens, sur le vote du MDC pour la proposition de loi concernant la "Reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir à la mémoire des victimes des combats en Afrique du Nord", à l'Assemblée nationale, le 15 janvier 2002.

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Circonstance : Intervention à l'Assemblée nationale,lors de la proposition de loi de "Reconnaissance du 19 mars comme Journée nationale du souvenir à la mémoire des victimes des combats en Afrique du Nord", le 15 janvier 2002

Texte intégral

Monsieur le Président,
Chers collègues,
Je sais quelle émotion entoure cette proposition de loi. Je la comprends. Je la partage. Son examen est, pour notre pays, un moment grave et solennel.
Que ceux qui croient qu'il s'agit de mettre un point final à un chapitre douloureux de notre passé commun se détrompent.
Que ceux qui croient que l'objectif est de se défaire dans la précipitation d'un trop lourd fardeau, en oubliant l'engagement sincère des ultimes victimes de cet épilogue tragique se détrompent également.
Si nous ne sommes pas capables de regarder en face, sans complaisance ni masochisme, tous les aspects de notre histoire, qui le fera à notre place et comment ?
On voit bien que certains sont toujours prêts à saisir toutes les occasions qui se présentent pour flétrir la France.
Ils savent s'emparer des épisodes les plus tristes de notre histoire, pratiquent l'amalgame à outrance, et salissent l'honneur de nos soldats en laissant croire que tous furent des tortionnaires.
Notre but est au contraire de faire triompher la vérité, en plaçant l'histoire de la France en Algérie dans sa juste perspective.
C'est à ce prix que la Nation dans son ensemble sera à même d'apprécier sur la longue durée l'histoire de la colonisation car il faut le recul, la profondeur de l'histoire pour comprendre, voir clair, et d'honorer dignement le souvenir des souffrances endurées par les harkis, dont l'abandon est injustifiable.
C'est à ce prix que nous rendrons aux Pieds Noirs la légitime fierté de l'oeuvre accomplie par leurs aïeux sur cette terre qui était aussi la leur.
C'est sur ces bases que doit être connu et apprécié le long cheminement du peuple algérien.
Cette exigence de vérité vaut aussi évidemment pour les générations futures, les citoyens de demain.
On n'enseigne plus à ces jeunes qui ont pourtant soif d'idéal et de repères le souvenir du sacrifice consenti, au nom de la France, par tant de générations de jeunes Français, les soldats du contingent, les soldats professionnels et les soldats d'Afrique.
On ne leur enseigne pas le contexte réel, les déchirements cruels qu'engendrèrent, pour des millions d'hommes et de femmes, cette période de leur histoire. Et cela est très inquiétant. Il y a quarante ans et plus, il n'était pas facile d'avoir vingt ans dans les Aurès. Des millions d'hommes et de femmes s'en souviennent encore.
Il faut donc dire toute la vérité, en particulier aux jeunes issus de l'immigration algérienne nés sur notre sol. C'est ainsi que nous les aiderons à trouver toute leur place dans notre Nation.
Il faut leur dire qu'entre ceux qui défendent une conception superficielle de la nation, et ceux qui renient, en bloc, notre appartenance à une Nation citoyenne, il y a les autres, c'est à dire l'écrasante majorité de notre peuple qui est, elle, attachée à cette Nation républicaine ouverte, généreuse, et en éternel mouvement.
Vous conviendrez qu'il est anormal et, pour tout dire, étrange, que la France ne commémore pas officiellement, dans le recueillement et le respect de tous, la fin d'une guerre. La guerre d'Algérie, par notre vote unanime, porte enfin son nom depuis peu !
C'est la raison pour laquelle, je vous le rappelle mes chers collègues, vous êtes nombreux, au cours de plusieurs législatures, et encore celle-ci, à avoir signé et déposé des propositions de loi convergentes instituant le 19 mars en journée de recueillement.
C'est la raison pour laquelle nous sommes nombreux, de tous les horizons politiques, de droite comme de gauche, a avoir souhaité cette démarche, comme le souhaitent de nombreux anciens combattants d'Afrique du Nord et leurs associations, dont la FNACA, fédération d'anciens combattants forte de plus de 370 000 membres.
L'officialisation de la date du 19 mars 1962 est donc un acte hautement symbolique. Ce sera une journée officielle de souvenir et de recueillement.
Il s'agit bien, au nom de la République, d'honorer tous ceux qui sont
morts au court de cette guerre
Car c'est bien la République qui a su alors, malgré les doutes, les regrets et les erreurs, se relever une fois de plus d'une terrible épreuve. Se relever par elle même et en restant fidèle à ses propres valeurs.
Quoique l'on puisse penser des accords d'Evian, et de leur application ultérieure, cette date, le 19 mars, et l'ordre du jour du Général Ailleret, marquent bien la fin officielle, donc légale, de l'engagement de l'armée de la France, ordonnée par les autorités légitimes de la République.
Quoique l'on puisse penser de la façon dont ces accords ont été négociés, c'est bien le gouvernement de la République qui a pris la lourde responsabilité de tirer toutes les conséquences de l'effondrement d'un rêve pour certains, d'un mythe pour d'autres, celui d'une Algérie française.
Entre le débarquement de Sidi Ferruch, en 1830, et les accords d'Evian, en passant par le royaume arabe de Napoléon III et le projet BLUM-VIOLLETTE en 1936, que d'occasions ont été manquées pour éviter le drame final !
C'est évidemment dans ce cadre qu'il faut placer la signature du cessez-le feu. C'est à la lumière d'une connaissance objective de la situation qu'il faut comprendre le choix de l'homme d'Etat, du grand Français que fut le général de Gaulle.
Certains d'entre nous, à l'époque, n'auraient peut être pas partagé ses convictions. Mais sa légitimité, sa volonté et son courage, ne souffrent, quarante ans plus tard, aucune mise en cause.
Chacun sait quelles hésitations accompagnèrent sa propre évolution. Peu d'hommes, je le crois, auraient eu comme lui la force de prendre tous les risques .
Voilà pourquoi le fait de refuser cette officialisation, au motif que la date du 19 mars ne serait pas la bonne, serait condamner le peuple français qui vota " oui " massivement, " oui " aux deux référendums qui conduisirent à l'indépendance de l'Algérie.
Oui, la guerre d'Algérie a pris fin le 19 mars 1962. Après cette date, il était clair que l'Algérie était indépendante. Toute autre interprétation des faits serait fallacieuse.
Elle ne permettrait d'ailleurs pas de rendre justement hommage à ceux qui en ont souffert, de mieux comprendre et donc de mieux respecter la tragédie des soldats, des Pieds Noirs et des harkis.
Elle ne permettrait pas à tous d'admettre totalement que L'Algérie est aujourd'hui un pays ami, dont le peuple nous sera toujours proche, et avec lequel la France doit construire une grande politique de coopération et donc dans le Sud.
Plutôt que de ressasser éternellement nos griefs réciproques, tournons nous courageusement vers l'avenir ! A ce propos, je suggère qu'une Commission d'historiens français et algériens se réunisse et travaille pour écrire cette histoire commune.
Il est facile, trop facile, de se contenter périodiquement de quelques manifestations de repentance. Il est moins facile d'affronter la réalité des faits avec objectivité et bon sens.
C'est pourtant la voie que nous avons choisie.
Car elle seule permettra que de vieilles plaies se referment à jamais, afin que la paix et la concorde, dans la justice, soient instaurées.
Elle seule nous permettra de regarder résolument vers l'avenir, en reconnaissant enfin que cette histoire commune, jalonnée de tant de souffrances et de deuils, a aussi crée entre la France et l'Algérie des liens que rien n'effacera.
C'est donc un acte de vérité que nous vous invitons, mes chers collègues, à accomplir en adoptant cette proposition de loi.
Après avoir donné son nom à cette guerre, vous allez solennellement en marquer le terme. Pour qu'il soit enfin possible d'aller de l'avant, sans honte et sans reniement, en toute sécurité.
Nous vous demandons de le faire pour oeuvrer à une réconciliation nationale dont notre pays ressent aujourd'hui grandement le besoin.
Afin qu'il puisse de nouveau trouver son chemin et jouer tout son rôle dans le monde, en faveur de la paix et de la prospérité.
Je vous remercie.
(Source http://www.mdc-France.org, le 21 janvier 2002)