Déclaration de M. Luc Guyau, président de la FNSEA et du COPA, sur l'avenir de l'agriculture européenne, l'agenda 2000 et l'élargissement de l'Union européenne, Hambourg le 8 juin 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès de la Confédération internationale des betteraviers européens (CIBE) à Hambourg du 8 au 13 juin 1998

Texte intégral


C'est avec un très grand plaisir que j'ai accepté l'invitation de votre Président, mon ami Dominique DUCROQUET, de participer au 37ème Congrès de votre Confédération. C'est désormais une tradition bien établie que le Président du COPA participe aux travaux de vos congrès pour vous parler de la situation et des perspectives d'avenir de l'agriculture européenne et de la PAC.
Mais ma présence parmi vous va bien plus loin que cette seule tradition. Elle est l'expression de la reconnaissance du Président du COPA, et du COPA tout entier, pour le travail accompli par votre Confédération et en particulier par votre Commission "Marché Commun, dont je tiens ici à remercier de tout coeur son Président, M. THIESEN.
Le travail de la CIBE est essentiel pour le COPA dans l'élaboration de ses prises de position dans le secteur betteravier et sucrier, que ce soit dans le cadre de la fixation annuelle des prix agricoles et des mesures connexes, ou dans le cadre plus général de l'évolution de la PAC et des relations commerciales internationales.
Je voudrais à cet égard tout particulièrement remercier la CIBE pour l'excellente étude qu'elle vient de réaliser en collaboration avec le Comité européen des fabricants de sucre, sur le régime sucrier de l'Union européenne. Cette étude vient particulièrement à point au moment où l'agriculture et les agriculteurs européens sont confrontés à de redoutables échéances.
Ma présence parmi vous se veut être également l'expression de la communauté d'intérêts qui unit l'ensemble des producteurs agricoles européens, et de leur solidarité. Cette solidarité n'a jamais été autant nécessaire qu'aujourd'hui.
Que ce soit le passage à la monnaie unique, l'ouverture des négociations avec les PECO ou celles de l'Organisation Mondiale du Commerce, ou encore la mise en oeuvre de la prochaine réforme de la politique agricole commune, sans oublier l'approfondissement des relations avec les pays du Sud, les agriculteurs européens doivent faire preuve d'unité et trouver des positions communes pour ne pas laisser les institutions bruxelloises décider seules de leur avenir.
Ce faisant, notre rôle, à nous responsables agricoles, est, avant tout, de définir le rôle et la place que nous voulons pour l'agriculture et les agriculteurs dans l'économie et la société européenne, quels que soient les pays, les régions et les productions. Et de faire partager aux autres nos convictions et nos propositions.
Nous savons tous que cela ne va pas de soi. Même si toute l'histoire de la construction de l'Europe agricole, même si la raison d'être du COPA, consistent justement à surmonter nos différences et à promouvoir, ensemble, un type d'agriculture qui contribue véritablement à l'équilibre, à l'identité, à l'âme de l'Europe.
Pour le COPA, comme pour tous les agriculteurs, le grand défi de cette fin du XXème siècle consistera à repenser l'agriculture à l'aune de la mondialisation des échanges.
Loin de nous, l'idée de récuser cette mondialisation des échanges. Nous n'imaginons pas un continent européen vivant dans un système d'autarcie agricole et alimentaire.
Dans le domaine agro-alimentaire, l'Europe est la première puissance exportatrice mondiale. Elle doit le demeurer et jouer pleinement son rôle dans l'équilibre alimentaire de la planète. Il y a là un enjeu économique et géostratégique majeur.
Exportatrice, l'Europe est également déjà le marché agricole et alimentaire le plus ouvert aux échanges internationaux. Nous ne lui en faisons pas le procès.
Nous attendons en revanche d'elle qu'elle contribue à une certaine "moralisation" de ces échanges, pour que "mondialisation" ne rime pas avec "laisser faire, laisser aller".
Nous attendons également que l'Europe refuse que l'on banalise totalement l'agriculture dans les règles commerciales internationales.
Elle doit faire admettre à ses partenaires internationaux que sa politique agricole n'est pas simplement conçue pour exporter quelques tonnes de blé, de viande ou de lait en plus. La PAC a pour objet que l'agriculture européenne remplisse toutes les missions que lui demandent les citoyens européens.
C'est que l'Europe possède un modèle agricole unique au monde : celui d'une agriculture multifonctionnelle qui, sur un même espace, produit de la richesse, des emplois et des paysages.
Un modèle qui correspond aux attentes d'une société préoccupée par le devenir de ses emplois et soucieuse de tout ce qui contribue à sa qualité de vie.
En Europe, l'agriculture n'a pas seulement en effet pour vocation de produire des produits agricoles, sains et de qualité à usage alimentaire et non alimentaire mais elle joue également un rôle essentiel dans l'occupation et l'aménagement du territoire, l'emploi et l'animation du milieu rural, la préservation des ressources naturelles et de l'environnement et la beauté des paysages.
L'identité de l'agriculture européenne repose sur l'équilibre entre les Hommes, les productions et les territoires, c'est-à-dire autour
- d'une agriculture performante et compétitive, capable d'innover et d'approvisionner tous les marchés, locaux, européens ou internationaux en produits agricoles et alimentaires sûrs et de qualité;
- d'une agriculture occupant, aménageant le territoire et jouant un rôle central d'entraînement dans le reste de l'économie rurale et dans l'animation des campagne;
- d'une agriculture durable s'inscrivant dans un projet à long terme qui vise à améliorer la qualité de vie, à favoriser la diversité des usages et des pratiques agricoles, à préserver les ressources naturelles et l'environnement en Europe;
et donc autour
- d'une agriculture favorisant l'initiative individuelle, la responsabilité personnelle et la solidarité;
- d'exploitations à taille humaine, réparties sur l'ensemble du territoire et qui demeurent transmissibles;
- de la volonté d'assurer le renouvellement de générations, afin que la population active agricole ouest-européenne puisse être stabilisée et jouer un rôle en matière de développement rural;
- d'une organisation effective de ses marchés agricoles (contrairement aux pays qui ont choisi de déréglementer totalement les leurs);
- d'une préférence communautaire rénovée, notamment autour du respect de ses normes sanitaires et de qualité;
Prenant acte des conclusions du Conseil agricole du 19 novembre 1997, c'est précisément ce modèle d'agriculture européenne que le Sommet des Chefs d'Etat et de Gouvernement qui s'est réuni à Luxembourg en décembre dernier, a exprimé la volonté de développer à l'avenir.
Mais la Commission est restée sourde à cette volonté. Elle n'a tenu aucun compte de ces conclusions lorsqu'elle a présenté le 18 mars dernier ses propositions juridiques de réforme de la PAC.
La Commission continue imperturbablement à présenter des propositions correspondant à des modèles d'agriculture dont la société et les agriculteurs européens ne veulent pas.
Tous unis nous devons forcer les gouvernements de nos Etats à exiger de la Commission qu'elle réoriente fondamentalement ses propositions de réforme de la Politique Agricole Commune.
L'Europe a besoin d'une politique agricole qui:
permette de développer son modèle d'agriculture existant qui répond aux attentes de la société européenne, des producteurs jusqu'aux consommateurs;
assure un revenu équitable aux agriculteurs : la politique de baisse systématique des prix agricoles non entièrement compensée que propose la Commission n'est pas acceptable;
soit commune, pour éviter la création de distorsions et concurrence et ne porte pas en elle des germes de renationalisation;
soit cohérente et permette d'établir un réel équilibre entre les Hommes, les produits et les territoires;
soit globale et concerne tous les secteurs de production et contribue à renforcer la cohésion économique et sociale;
maintienne les mécanismes des organisations communes de marché en tant qu'éléments de régulation des marchés;
comporte un volet socio-structurel et rural clairement défini et un financement bien identifié;
prépare l'agriculture européenne à l'élargissement à l'Est et aux futures négociations dans le cadre de l'OMC, pour éviter que les agriculteurs européens ne soient amenés à payer à chaque fois;
soit moins bureaucratique et allège et simplifie les obligations administratives des agriculteurs.
Pour pérenniser son modèle agricole et éviter une désertification accrue de la grande majorité des campagnes, vidées de leurs agriculteurs, l'Europe doit opérer un tournant.
Tout en continuant de soutenir les produits avec des politiques de marché adaptées à chaque secteur, nous sommes désormais tenus d'infléchir les orientations de la PAC en faveur des Hommes et des territoires.
Il s'agit d'installer des jeunes agriculteurs et de pérenniser les exploitations, en ayant une approche plus globale, plus multifonctionnelle que par le passé de l'activité agricole.
Pour cela, la Politique Agricole Commune doit reconnaître et valoriser de façon plus équilibrée les trois grandes fonctions que l'agriculture remplit dans notre économie et notre société:
- la fonction de production bien-sûr
- mais également la fonction territoriale
- et la fonction sociale (emploi, accueil, animation des campagnes ...).
Comment ?
Certains outils existent déjà pour cela, que cela soit à travers les fonds structurels - aides à la qualité, aides aux organismes économiques, aides aux jeunes agriculteurs, entre autres - ou à travers les aides agri-environnementales par exemple. Il faut les développer.
Mais ces outils ne seront pas suffisants. Il faut en inventer d'autres !
L'adaptation à la demande des consommateurs, la diversification des activités, l'emploi, la recherche d'une plus grande valeur ajoutée et de nouveaux débouchés (comme les énergies renouvelables), la traçabilité des produits, les pratiques agronomiques plus respectueuses de l'environnement, constituent des préoccupations transversales à l'ensemble des agriculteurs en Europe.
Nous devons trouver les instruments de politique agricole nécessaires pour aider et inciter les agriculteurs européens à aller dans le sens de cette agriculture plus adaptée, plus pointue dans ses pratiques et ses techniques, avec une palette de produits et de services plus larges. C'est ainsi, au bout du compte, qu'ils créeront plus de valeur ajoutée et assureront le mieux leur avenir.
Il ne s'agit pas d'empiler de nouvelles primes sur les primes existantes. Il s'agit de repenser l'architecture des mécanismes de la Politique Agricole Commune afin d'aboutir à une politique plus équilibrée entre:
- ce qui doit revenir à la gestion des marchés et au soutien des produits,
- et, par ailleurs, le soutien indispensable aux Hommes et aux territoires.
Avec l'Agenda 2000, la Commission se préoccupe essentiellement du premier volet de la politique agricole. Le second n'est encore qu'embryonnaire. Tout reste à faire sur ce plan-là d'ici à 2006, notamment pour que les agriculteurs des PECO trouvent des règles du jeu claires et durables lorsqu'ils nous auront rejoints.
On l'aura compris: une fois de plus, les négociations à l'OMC et l'avenir de la PAC sont intimement liés.
L'Europe doit être offensive lors des prochaines négociations. Elle ne doit se laisser dicter les règles de libéralisation des échanges par personne. Elle doit au contraire négocier en fonction de ses échéances propres.
A cette attitude offensive sur le plan international, l'Europe doit ajouter un devoir d'imagination sur le plan interne.
Car l'Europe doit se donner les moyens de ses ambitions pour pérenniser une agriculture qui ne soit pas axée uniquement sur la fonction de production, mais remplissent également ses missions en termes d'emplois, d'occupation de l'espace, de respect de l'environnement et des paysages. En bref, une agriculture et des agriculteurs qui contribuent à la qualité de la vie sur notre continent.
C'est aussi cela promouvoir l'identité européenne. Et un projet aussi important nécessite des moyens: c'est pourquoi nous avons fait du maintien de la ligne directrice agricole un préalable à toute réforme de la Politique Agricole Commune.
J'en conviens : nous devrons, au sein du COPA, faire un puissant effort d'imagination, si nous voulons penser l'avenir de la PAC sans avoir recours aux modèles économiques clés en main que nous proposent certains de nos grands partenaires internationaux.
C'est au prix de cet effort que le COPA sera un partenaire incontournable des institutions européennes et des différents Etats membres.
Mais pour y arriver, encore faut-il que les agriculteurs ne se divisent pas mais qu'au contraire ils renforcent leur cohésion et leur solidarité autour d'un syndicalisme agricole puissant à la fois au niveau national et au niveau européen.
C'est là tout le sens du combat que je mène depuis 25 ans au niveau français.
C'est aussi ce que je m'efforce de réaliser au niveau du COPA depuis que j'en ai pris la Présidence. L'appui de tous m'est indispensable à cette fin. Je ne doute pas un seul instant que je peux et pourrai compter sur la CIBE pour m'aider à réaliser cette ambition !
D'avance je vous en remercie.
(source http://www.fnsea.fr, le 14 février 2002)