Texte intégral
Cette conférence doit être portée au crédit des Japonais qui ont réussi à rassembler des délégations de bon niveau. Ce matin, il y avait un nombre important de ministres des Affaires étrangères ou du Développement, et ils ont observé comme moi que la présence américaine était fortement assurée par deux secrétaires d'Etat. L'Europe était représentée d'une part par la présidence espagnole et Chris Patten et d'autre part, pour la plupart d'entre eux, par leur ministre du Développement ou de la Coopération. M. Kofi Annan était également présent.
On attendait des annonces, elles ont eu lieu. Il est un peu difficile de les comparer parce qu'elles ne recouvrent pas toutes forcément les mêmes réalités. Des offres précisent que l'aide humanitaire est comprise, certaines comportent des prêts à moyen et long terme ; d'autres, comme celles de la France, précisent que c'est hors aide humanitaire. Ce qui laisse ouverte la possibilité d'un complément, ultérieurement.
En ce qui nous concerne en tout cas, ce sont seulement des dons pour un montant de 27,5 millions d'euros. La part militaire, par exemple, n'a été prise en compte, en ce qui nous concerne, que pour ce qui est du déminage, qui participe bien de la reconstruction.
En tout cas, les offres sont là, qui sont la preuve d'un engagement assez important du Japon, et d'un engagement un peu plus important que prévu des Américains. Il y a eu une rallonge pour arriver au chiffre de 296 millions de dollars annoncés par Colin Powell ce matin, et un engagement de la part des Etats-Unis dans la durée. Le fait que les Américains s'engagent dans la durée est une bonne nouvelle du point de vue de la reconstruction de l'Afghanistan. L'Europe, globalement, a fait une offre importante : 550 millions d'euros annoncés par la présidence espagnole : 350 au niveau des Etats membres, 200 au niveau de la Commission. Il reste que, bien entendu, ces offres sont globales et ne sont pas assorties d'un calendrier de décaissement. C'est un souci, évidemment, pour ceux qui sont en charge des tâches urgentes.
La priorité, au-delà du déminage, c'est de donner au gouvernement transitoire les moyens de fonctionner. L'un de mes interlocuteurs me disait : "Il est très important que le gouvernement intérimaire dispose de moyens, c'est ce qui va le crédibiliser". Il faut que le gouvernement afghan ait des moyens de convaincre. Les moyens, ce sont le paiement des salaires des fonctionnaires : les enseignants, les services de santé et les moyens de sécurité. Il faut que le pouvoir afghan dispose d'une armée, d'une police. Les missions de la Force internationale, voire sa durée d'existence, dépendent de la vitesse avec laquelle vont se mettre en place des moyens afghans de sécurité. Sauf à laisser à nouveau l'Afghanistan s'enfoncer dans le désordre, nous avons l'obligation d'aider les Afghans à se donner des moyens de sécurité, sauf à accepter que la Force internationale doive durer, ce qui n'est pas l'objectif.
Une autre priorité, très clairement affichée est l'éradication du pavot. Ce qui renvoie là aussi à des moyens immédiats. Par exemple, la livraison immédiate de semences. Certains proposent qu'on leur paie très vite les stocks de coton qui ne leur ont pas été achetés jusqu'à présent parce que c'est comme ça qu'on arrivera à les convaincre de détruire leurs cultures de pavot. Il y a une pression très forte en ce qui concerne la lutte contre la drogue, non seulement de la part des Etats-Unis dont on sait l'importance qu'ils attachent à ce dossier, non seulement de la part de l'Europe, mais aussi de la part de pays voisins, par exemple les Iraniens qui en ont fait une priorité très forte.
La question du partage de ces moyens entre les différentes agences va évidemment se poser. Le PNUD est là en position centrale, mais il y a d'autres agences ; par exemple l'UNICEF, qui a un rôle considérable à jouer ici, parce que l'UNICEF c'est la santé des enfants, c'est l'éducation, c'est la scolarisation. Il va y avoir un besoin de moyens spécifiques. Il y a des questions un peu plus structurelles, telles que la monnaie. Vous avez entendu M. Karzaï dire ce matin : "Nous avons besoin d'une monnaie". Cela renvoie davantage évidemment aux institutions financières internationales mais c'est aussi une grande affaire qui va nécessiter probablement plus de temps et dont il faut se préoccuper dès à présent.
J'évoquais la drogue tout à l'heure. J'ai eu l'occasion de dire au président Karzaï qui m'a reçu pour la deuxième fois - j'avais eu la possibilité de le rencontrer le jour même de son arrivée à Kaboul -, que je le félicitais pour la décision qu'il avait prise de mettre la drogue justement hors la loi, enfin le pavot hors la loi, il y a déjà maintenant une semaine. C'était important qu'il le fasse avant cette conférence. C'est un signe auquel nous étions très attentifs.
Les Européens se sont mis d'accord sur une formule de maintien d'une contribution "substantielle", ce qui vaut, en quelque sorte, engagement collectif à poursuivre notre aide. Nous serons attentifs à la manière dont les autorités afghanes vont gérer la question des Droits de l'Homme, et en particulier le droit des femmes. Nos opinions publiques y sont très attentives. Je l'ai dit aussi au président Karzaï ce matin. Il m'a dit, et je suis bien d'accord avec lui, qu'on sort d'une grosse dizaine d'années où les droits des femmes ont été bafoués, ce qui a induit des comportements qui ne vont pas forcément changer rapidement. Je lui ai rappelé d'ailleurs ce matin une anecdote qu'on m'avait racontée à Kaboul, qui me paraît assez intéressante et qui est la suivante : des jeunes femmes, peut-être des jeunes filles, qui se voyaient reprocher de continuer à porter la burqua, ont répondu à la personne qui me racontait cela : "on montrera notre visage quand vous aurez donné un autre visage à Kaboul". C'est un bon résumé de notre responsabilité aussi, c'est-à-dire qu'il faut vraiment que les choses changent pour que les comportements changent aussi. C'est une responsabilité qui engage à la fois le gouvernement afghan et la communauté internationale.
Au-delà de ces deux priorités que sont déminage et pavot d'une part, et consolidation d'un Etat d'autre part - ce qui veut dire notamment construction d'administrations - la France va s'attacher également à deux secteurs qui nous paraissent essentiels et qui sont liés, l'éducation et la santé. Je rappelle, s'il en était besoin, que deux lycées de Kaboul, Esteqlal pour les garçons, et Malalaï pour les filles - qui ne sont pas à proprement parler des lycées français - sont des lycées dans lesquels la France a pris une part importante. D'abord à leur construction, mais aussi parce que le français y avait une part importante. On n'y enseignait pas en français mais il y avait un enseignement important du français, ce qui fait d'ailleurs qu'une part significative des élites afghanes y a fait ses études et entretient avec la France une relation particulière. Là encore le président Karzaï a dit ce matin : "Beaucoup d'élites afghanes ont été formées dans ces lycées et beaucoup ont d'ailleurs poursuivi leurs études supérieures en France". Ceci nous crée en quelque sorte l'obligation d'aider à la réouverture dans les meilleures conditions possibles de ces deux établissements d'enseignement importants. Nous posons comme condition, bien sûr, que l'accès des établissements soit libre et que les filles, en particulier, y soient acceptées. Cela va de soi. J'ouvre une parenthèse : nous aurons été deux à nous exprimer en français ce matin : votre serviteur, mais aussi le ministre afghan de la Reconstruction, ce qui, je ne le cache pas, m'a fait plaisir. Que dans cette réunion, où il y avait quand même une majorité d'anglophones, le ministre afghan chargé de la Reconstruction s'exprime en français, n'est pas totalement neutre.
Autre secteur où nous avons là aussi commencé à nous impliquer : la santé ; avec en particulier l'hôpital d'Ali Abad, qui avait déjà des attaches avec les hôpitaux de Lyon. Il y avait dans la mission que nous avons envoyée il y a quelques semaines des représentants des hôpitaux de Lyon et la relation a été rétablie. L'hôpital d'Ali Abad n'a pas été totalement détruit mais est fortement abîmé. Il s'est déplacé dans des installations provisoires. Nous aidons au fonctionnement de la structure provisoire existante, nous avons envoyé du matériel : radios, équipement, tables d'opération. Nous avons également envoyé des personnels pour servir le matériel et faire de la formation. Ces matériels étaient dans l'avion que nous avons posé à Bagram début décembre. La deuxième question à l'étude, beaucoup plus lourde, est celle de la reconstruction de l'hôpital d'Ali Abad. Malgré sa bonne volonté, la France n'imagine pas pouvoir financer à elle seule la reconstruction de cet hôpital. Il faudra donc des partenaires multilatéraux ou bilatéraux. Je viens d'évoquer avec le ministre japonais chargé de l'Afghanistan l'éventualité d'une coopération franco-japonaise autour de cet équipement. Ce qui serait assez dans la ligne de la coopération que nous avons déjà en Afrique où souvent il y a une coopération franco-japonaise autour des questions de santé ou hospitalières.
Nous sommes en train de renforcer nos moyens propres à Kaboul : aujourd'hui, un chargé d'affaires, M. Schuh, fait un travail remarquable ; dans quelques semaines arrivera un ambassadeur. Un chargé de coopération se prépare à arriver dans quelques jours. Il sera en quelque sorte l'homme pivot pour la coopération française en Afghanistan. Il va être chargé d'établir le lien avec les administrations d'une part, les ONG et les entreprises d'autre part car, le moment venu, notamment pour ce qui est des infrastructures, de la reconstruction, des grands services - transports, électricité, téléphone, eau - il faudra bien que ce soient des professionnels de ces secteurs qui s'en occupent. Nous espérons que les entreprises françaises sauront être au rendez-vous que les Afghans leur donnent. Nous sommes en train de voir si nous pouvons renforcer notre présence auprès des agences onusiennes, de façon à être mieux à même de suivre notre propre coopération et les moyens que nous y mettons.
Q - Sur les infrastructures, il y a un problème important en Afghanistan et dans la région : c'est la question énergétique. Qu'avez-vous l'intention de créer dans cette partie du monde ?
R - Je ne me suis pas encore posé la question. Si vous voulez me faire parler des grandes questions stratégiques, des parcours éventuels que les pipelines de la région pourraient emprunter, on pourrait en discuter. Mais vous voyez bien que là, déjà, on ne parle plus seulement des besoins afghans. Ce sont des questions stratégiques qui débordent le besoin énergétique afghan. Les Afghans auront évidemment à définir eux-mêmes les procédures de conception et de mise en uvre de ces politiques de coopération. Et si nous le réclamons, c'est parce qu'il y a un danger que cette reconstruction soit presque imposée, en tout cas décidée par d'autres, mise en uvre par d'autres, alors que l'objectif est bien que les Afghans s'approprient leur reconstruction. C'est un élément essentiel. Ce qui veut dire qu'il faut faire place aux Afghans dans les lieux où on doit en discuter, y compris auprès des institutions internationales. Je pense aux institutions financières. La question de leur énergie relève davantage d'eux. Je ne suis pas inquiet quant à la capacité des élites afghanes à conduire leur reconstruction, à condition que nous donnions les moyens à celles qui sont encore en Afghanistan de travailler, et que nous donnions les moyens à celles qui sont ailleurs de revenir. Le retour en Afghanistan de la diaspora afghane est une question centrale. Ce n'est pas simple pour eux qui ont des emplois ailleurs, mieux payés que ceux qu'ils vont pouvoir trouver en Afghanistan. Nous avons créé un programme spécial, "Cent cadres pour l'Afghanistan", pour identifier ces élites afghanes qui sont à l'étranger et les aider financièrement à revenir. C'est aussi comme cela que les Afghans vont pouvoir conduire eux-mêmes leur reconstruction. C'est un point très important. A propos de l'énergie, nous verrons le moment venu. J'ai compris qu'il y avait quand même, pas si loin, des richesses énergétiques qu'il devrait être possible de faire venir jusqu'en Afghanistan.
Q - 27,5 millions d'euros, ce n'est pas énorme, c'est beaucoup moins que d'autres pays européens...
R - J'ai dit qu'il faudrait comparer ce qui est comparable. Il y a deux pays qui se distinguent, c'est la Grande-Bretagne et l'Allemagne, qui ont une histoire particulière, eux aussi, avec l'Afghanistan, et je ne suis pas surpris qu'ils aient fait ce choix. Mais là encore, je le répète, la comparaison des offres n'est pas simple, parce qu'elles ne recouvrent pas forcément les mêmes réalités. J'ajoute enfin que, sans vouloir minimiser la question du volume, chacun voit bien que c'est la rapidité de décaissement qui va être essentielle. Nos interlocuteurs ne s'y sont pas trompés : ils nous ont remercié pour cette offre, ils nous ont remercié surtout de l'engagement que nous avons pris de décaisser rapidement les sommes qui ont été avancées.
Q - Vous pensez ajouter plus, plus tard dans l'année ?
R - J'ai dit à l'instant que je laisse ouverte cette possibilité, mais je ne prends pas d'engagement. Il appartiendra aux autorités françaises, dans quelques mois, d'évaluer, en concertation là-encore avec nos partenaires, comment les choses vont se passer. Je ne vous cache pas qu'il y avait un souci de la part des Européens : est-ce qu'on s'engageait sur un pourcentage par rapport à l'effort global, ou sur une somme, sachant que si les uns s'engagent sur des chiffres alors que les autres pourront ne pas respecter leurs engagements, on pourrait se retrouver dans une situation totalement déséquilibrée et, finalement, l'Europe finirait par payer l'essentiel. Or nous sommes soucieux d'un partage de l'effort.
Q - Que signifie "les mois immédiats" ?
R - Cela signifie que nous sommes prêts à nous engager, en fonction des projets qui vont arriver. Tout le monde ou presque a fait, et c'est bien, une première offre pour aider le gouvernement intérimaire. En ce qui nous concerne, il y a un million d'euros, déjà ordonnancé depuis quinze jours et qui sera dépensable avant le 10 février. Un deuxième décaissement de 2 millions d'euros va intervenir dans les jours qui viennent et devrait pouvoir être disponible fin février ou courant mars. C'est quand même un rythme très soutenu et c'est bien ce qu'attendent aussi bien le PNUD que plus largement les agences qui s'occupent du développement.
Q - Le million d'euros, c'est pour faire fonctionner l'Etat ?
R - C'est à la demande du PNUD, pour assurer très vite le paiement des salaires des fonctionnaires. Là encore, c'est pour consolider l'Etat. Nous avons utilisé le canal du PNUD qui a créé un fonds à cet effet.
Q - C'est compris dans les 27,5 millions ?
R - Oui, c'est compris. Ce n'est pas de l'aide humanitaire. Les deux millions qui suivent, c'est une convention qui a été signée à New York il y a quelques jours par le directeur de la coopération internationale et du développement, Bruno Delaye, qui prévoit là encore l'appui à l'administration mais sur des actions identifiées. Cela aussi va être disponible très vite.
Q - Je suis très étonné que les pays en développement, comme l'Iran et l'Inde, aient annoncé des contributions supérieures à 100 millions de dollars. Comment l'expliquez-vous ?
R - Moi aussi, j'ai été très impressionné. Je pense que l'Iran, qui accueille deux millions de réfugiés afghans, est soucieux du retour dans leur pays de ces réfugiés. Je pense que c'est une des raisons, il y en a probablement d'autres, qui justifient ou qui expliquent l'effort tout à fait considérable qui a été annoncé par l'Iran. L'Inde a des raisons aussi, j'allais dire régionales, politiques sans doute aussi, de vouloir marquer sa volonté d'aider le gouvernement intérimaire. Mais si ceci entraîne une émulation entre eux et que l'Afghanistan en est le bénéficiaire, tant mieux. Le Pakistan avait aussi sans doute des raisons politiques.
Q - Tout cela est un peu désordonné. Les montants sont annoncés pour des périodes différentes. Cela va être compliqué à gérer pour l'administration intérimaire.
R - A mon avis, c'est maintenant qu'il va falloir reprendre tout ça. Il est prévu une réunion à laquelle vont participer les directeurs des agences onusiennes, où l'on devrait préciser un peu mieux les besoins, et voir comment cette offre, très importante mais très diverse, pourra être gérée.
Q - Est-ce que la part de la France est reprise dans les 550 millions d'euros ? Est-ce que cela s'ajoute à la contribution française au budget communautaire?
R - C'est évidemment dedans puisque cette offre de l'Europe, c'est la Commission et ce sont les Européens. La part de la France dans la contribution normale à la Commission représente quelque chose comme 17 à 18 % . Il y a une différence si on totalise la part des Etats membres et leur part à la contribution de la Commission. Il y a 27,5 millions d'euros pour la France qui sont dans l'annonce européenne, mais, je le répète, nous ne prenons pas en compte l'aide humanitaire. Or certains pays ont dit : "y compris l'aide humanitaire". C'est pour cela que la comparaison est très difficile.
J'ai conscience que cela complique votre exercice. Mais le mode d'emploi, en quelque sorte, de l'offre n'a pas été aussi précis sans doute qu'il l'eut fallu. Il va falloir le préciser.
Q - Peut-on comparer, en termes d'enjeux, de difficultés et de générosité, avec les deux autres grands chantiers du Cambodge et du Timor Oriental ?
R - Je ne sais pas, parce que Phnom Penh n'avait pas été aussi détruite que l'a été Kaboul. La reconstruction matérielle semble devoir être plus importante en Afghanistan. C'est à peu près comparable sur le plan des mesures de déminage, probablement plus important encore. Timor a fait partie des opérations lourdes aussi mais ce n'est pas la même échelle. Là c'est à l'échelle d'un pays. Timor c'est, en termes de population, un rapport de 1 à 20. C'est évidemment très différent. Ce sera probablement la reconstruction la plus lourde que la communauté internationale aura jamais eu à assurer. La comparaison est intéressante mais elle est un peu difficile.
Q - Le Japon a peut-être compensé
R - L'engagement du Japon n'est pas surprenant en soi parce que l'Asie a toujours quand même été pour eux un continent d'intérêt.
Q - Pour en revenir à l'Afghanistan, il y a surtout un intérêt stratégique. On s'est rendu compte qu'il fallait être dans ce pays aux confins de l'Asie centrale, de l'Inde, de la Chine...?
R - En l'absence d'Etat de droit en Afghanistan, c'est la stabilité de l'Asie centrale qui est remise en question, sans parler des effets que l'absence d'Etat de droit entraîne sur le plan de la grande criminalité, de la culture de la drogue et du terrorisme, dont au total, aujourd'hui, on n'aura pas beaucoup parlé.
Q - Avez-vous beaucoup parlé des problèmes de sécurité? Cela a des incidences pour l'action humanitaire...
R - C'est exact, cela renvoie à la mission de la Force internationale. Les derniers contacts que nous avons eus avec le ministre afghan de la Défense laissent entendre que ses missions pourraient aller au-delà de Kaboul. L'autre élément de réponse à la question de la sécurité, c'est la capacité à désarmer ces soldats, ce qui renvoie à un programme de désarmement, réhabilitation, réinsertion...
Q - On a déjà une idée de la manière dont cela va se faire? Au Mozambique, on avait payé...
R - C'est comme cela que les choses se passent. On paie et on essaie de remettre au travail, sur des projets à haute intensité de main d'uvre. Là, toute la question des infrastructures, par exemple, doit être appréciée avec la perspective de réutiliser un maximum de main d'uvre afghane, ce qui veut dire un salaire, une réinsertion dans la vie civile. Je suis convaincu qu'il y aura un programme DDRR : démobilisation, désarmement, réhabilitation, réinsertion, qui ne sera pas le moins coûteux.
Q - Comment avez-vous perçu l'engagement assez fort du Japon dans cette reconstruction ? D'habitude, il est assez discret, là il se met davantage en avant...
R - C'est une manière pour le Japon d'affirmer son identité asiatique. C'est une manière aussi, je pense, de jouer un rôle plus important sur la scène internationale.
Q - Est-ce que la France a été sollicitée pour l'évaluation du patrimoine archéologique ?
R - La question de l'identification et du retour des uvres qui ont été dispersées est d'ores et déjà à l'ordre du jour. Nous y travaillons avec l'UNESCO. Le musée Guimet prépare une exposition qui va présenter des uvres rassemblées par un peintre japonais. L'objectif est de rapatrier ces uvres dans un musée de Kaboul reconstruit. Ce ne sera pas simple. Les Japonais me semblent très sensibilisés à cette question, et cela fait partie des dossiers de coopération franco-japonaise.
(source http://www.diplomatie.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2002)
On attendait des annonces, elles ont eu lieu. Il est un peu difficile de les comparer parce qu'elles ne recouvrent pas toutes forcément les mêmes réalités. Des offres précisent que l'aide humanitaire est comprise, certaines comportent des prêts à moyen et long terme ; d'autres, comme celles de la France, précisent que c'est hors aide humanitaire. Ce qui laisse ouverte la possibilité d'un complément, ultérieurement.
En ce qui nous concerne en tout cas, ce sont seulement des dons pour un montant de 27,5 millions d'euros. La part militaire, par exemple, n'a été prise en compte, en ce qui nous concerne, que pour ce qui est du déminage, qui participe bien de la reconstruction.
En tout cas, les offres sont là, qui sont la preuve d'un engagement assez important du Japon, et d'un engagement un peu plus important que prévu des Américains. Il y a eu une rallonge pour arriver au chiffre de 296 millions de dollars annoncés par Colin Powell ce matin, et un engagement de la part des Etats-Unis dans la durée. Le fait que les Américains s'engagent dans la durée est une bonne nouvelle du point de vue de la reconstruction de l'Afghanistan. L'Europe, globalement, a fait une offre importante : 550 millions d'euros annoncés par la présidence espagnole : 350 au niveau des Etats membres, 200 au niveau de la Commission. Il reste que, bien entendu, ces offres sont globales et ne sont pas assorties d'un calendrier de décaissement. C'est un souci, évidemment, pour ceux qui sont en charge des tâches urgentes.
La priorité, au-delà du déminage, c'est de donner au gouvernement transitoire les moyens de fonctionner. L'un de mes interlocuteurs me disait : "Il est très important que le gouvernement intérimaire dispose de moyens, c'est ce qui va le crédibiliser". Il faut que le gouvernement afghan ait des moyens de convaincre. Les moyens, ce sont le paiement des salaires des fonctionnaires : les enseignants, les services de santé et les moyens de sécurité. Il faut que le pouvoir afghan dispose d'une armée, d'une police. Les missions de la Force internationale, voire sa durée d'existence, dépendent de la vitesse avec laquelle vont se mettre en place des moyens afghans de sécurité. Sauf à laisser à nouveau l'Afghanistan s'enfoncer dans le désordre, nous avons l'obligation d'aider les Afghans à se donner des moyens de sécurité, sauf à accepter que la Force internationale doive durer, ce qui n'est pas l'objectif.
Une autre priorité, très clairement affichée est l'éradication du pavot. Ce qui renvoie là aussi à des moyens immédiats. Par exemple, la livraison immédiate de semences. Certains proposent qu'on leur paie très vite les stocks de coton qui ne leur ont pas été achetés jusqu'à présent parce que c'est comme ça qu'on arrivera à les convaincre de détruire leurs cultures de pavot. Il y a une pression très forte en ce qui concerne la lutte contre la drogue, non seulement de la part des Etats-Unis dont on sait l'importance qu'ils attachent à ce dossier, non seulement de la part de l'Europe, mais aussi de la part de pays voisins, par exemple les Iraniens qui en ont fait une priorité très forte.
La question du partage de ces moyens entre les différentes agences va évidemment se poser. Le PNUD est là en position centrale, mais il y a d'autres agences ; par exemple l'UNICEF, qui a un rôle considérable à jouer ici, parce que l'UNICEF c'est la santé des enfants, c'est l'éducation, c'est la scolarisation. Il va y avoir un besoin de moyens spécifiques. Il y a des questions un peu plus structurelles, telles que la monnaie. Vous avez entendu M. Karzaï dire ce matin : "Nous avons besoin d'une monnaie". Cela renvoie davantage évidemment aux institutions financières internationales mais c'est aussi une grande affaire qui va nécessiter probablement plus de temps et dont il faut se préoccuper dès à présent.
J'évoquais la drogue tout à l'heure. J'ai eu l'occasion de dire au président Karzaï qui m'a reçu pour la deuxième fois - j'avais eu la possibilité de le rencontrer le jour même de son arrivée à Kaboul -, que je le félicitais pour la décision qu'il avait prise de mettre la drogue justement hors la loi, enfin le pavot hors la loi, il y a déjà maintenant une semaine. C'était important qu'il le fasse avant cette conférence. C'est un signe auquel nous étions très attentifs.
Les Européens se sont mis d'accord sur une formule de maintien d'une contribution "substantielle", ce qui vaut, en quelque sorte, engagement collectif à poursuivre notre aide. Nous serons attentifs à la manière dont les autorités afghanes vont gérer la question des Droits de l'Homme, et en particulier le droit des femmes. Nos opinions publiques y sont très attentives. Je l'ai dit aussi au président Karzaï ce matin. Il m'a dit, et je suis bien d'accord avec lui, qu'on sort d'une grosse dizaine d'années où les droits des femmes ont été bafoués, ce qui a induit des comportements qui ne vont pas forcément changer rapidement. Je lui ai rappelé d'ailleurs ce matin une anecdote qu'on m'avait racontée à Kaboul, qui me paraît assez intéressante et qui est la suivante : des jeunes femmes, peut-être des jeunes filles, qui se voyaient reprocher de continuer à porter la burqua, ont répondu à la personne qui me racontait cela : "on montrera notre visage quand vous aurez donné un autre visage à Kaboul". C'est un bon résumé de notre responsabilité aussi, c'est-à-dire qu'il faut vraiment que les choses changent pour que les comportements changent aussi. C'est une responsabilité qui engage à la fois le gouvernement afghan et la communauté internationale.
Au-delà de ces deux priorités que sont déminage et pavot d'une part, et consolidation d'un Etat d'autre part - ce qui veut dire notamment construction d'administrations - la France va s'attacher également à deux secteurs qui nous paraissent essentiels et qui sont liés, l'éducation et la santé. Je rappelle, s'il en était besoin, que deux lycées de Kaboul, Esteqlal pour les garçons, et Malalaï pour les filles - qui ne sont pas à proprement parler des lycées français - sont des lycées dans lesquels la France a pris une part importante. D'abord à leur construction, mais aussi parce que le français y avait une part importante. On n'y enseignait pas en français mais il y avait un enseignement important du français, ce qui fait d'ailleurs qu'une part significative des élites afghanes y a fait ses études et entretient avec la France une relation particulière. Là encore le président Karzaï a dit ce matin : "Beaucoup d'élites afghanes ont été formées dans ces lycées et beaucoup ont d'ailleurs poursuivi leurs études supérieures en France". Ceci nous crée en quelque sorte l'obligation d'aider à la réouverture dans les meilleures conditions possibles de ces deux établissements d'enseignement importants. Nous posons comme condition, bien sûr, que l'accès des établissements soit libre et que les filles, en particulier, y soient acceptées. Cela va de soi. J'ouvre une parenthèse : nous aurons été deux à nous exprimer en français ce matin : votre serviteur, mais aussi le ministre afghan de la Reconstruction, ce qui, je ne le cache pas, m'a fait plaisir. Que dans cette réunion, où il y avait quand même une majorité d'anglophones, le ministre afghan chargé de la Reconstruction s'exprime en français, n'est pas totalement neutre.
Autre secteur où nous avons là aussi commencé à nous impliquer : la santé ; avec en particulier l'hôpital d'Ali Abad, qui avait déjà des attaches avec les hôpitaux de Lyon. Il y avait dans la mission que nous avons envoyée il y a quelques semaines des représentants des hôpitaux de Lyon et la relation a été rétablie. L'hôpital d'Ali Abad n'a pas été totalement détruit mais est fortement abîmé. Il s'est déplacé dans des installations provisoires. Nous aidons au fonctionnement de la structure provisoire existante, nous avons envoyé du matériel : radios, équipement, tables d'opération. Nous avons également envoyé des personnels pour servir le matériel et faire de la formation. Ces matériels étaient dans l'avion que nous avons posé à Bagram début décembre. La deuxième question à l'étude, beaucoup plus lourde, est celle de la reconstruction de l'hôpital d'Ali Abad. Malgré sa bonne volonté, la France n'imagine pas pouvoir financer à elle seule la reconstruction de cet hôpital. Il faudra donc des partenaires multilatéraux ou bilatéraux. Je viens d'évoquer avec le ministre japonais chargé de l'Afghanistan l'éventualité d'une coopération franco-japonaise autour de cet équipement. Ce qui serait assez dans la ligne de la coopération que nous avons déjà en Afrique où souvent il y a une coopération franco-japonaise autour des questions de santé ou hospitalières.
Nous sommes en train de renforcer nos moyens propres à Kaboul : aujourd'hui, un chargé d'affaires, M. Schuh, fait un travail remarquable ; dans quelques semaines arrivera un ambassadeur. Un chargé de coopération se prépare à arriver dans quelques jours. Il sera en quelque sorte l'homme pivot pour la coopération française en Afghanistan. Il va être chargé d'établir le lien avec les administrations d'une part, les ONG et les entreprises d'autre part car, le moment venu, notamment pour ce qui est des infrastructures, de la reconstruction, des grands services - transports, électricité, téléphone, eau - il faudra bien que ce soient des professionnels de ces secteurs qui s'en occupent. Nous espérons que les entreprises françaises sauront être au rendez-vous que les Afghans leur donnent. Nous sommes en train de voir si nous pouvons renforcer notre présence auprès des agences onusiennes, de façon à être mieux à même de suivre notre propre coopération et les moyens que nous y mettons.
Q - Sur les infrastructures, il y a un problème important en Afghanistan et dans la région : c'est la question énergétique. Qu'avez-vous l'intention de créer dans cette partie du monde ?
R - Je ne me suis pas encore posé la question. Si vous voulez me faire parler des grandes questions stratégiques, des parcours éventuels que les pipelines de la région pourraient emprunter, on pourrait en discuter. Mais vous voyez bien que là, déjà, on ne parle plus seulement des besoins afghans. Ce sont des questions stratégiques qui débordent le besoin énergétique afghan. Les Afghans auront évidemment à définir eux-mêmes les procédures de conception et de mise en uvre de ces politiques de coopération. Et si nous le réclamons, c'est parce qu'il y a un danger que cette reconstruction soit presque imposée, en tout cas décidée par d'autres, mise en uvre par d'autres, alors que l'objectif est bien que les Afghans s'approprient leur reconstruction. C'est un élément essentiel. Ce qui veut dire qu'il faut faire place aux Afghans dans les lieux où on doit en discuter, y compris auprès des institutions internationales. Je pense aux institutions financières. La question de leur énergie relève davantage d'eux. Je ne suis pas inquiet quant à la capacité des élites afghanes à conduire leur reconstruction, à condition que nous donnions les moyens à celles qui sont encore en Afghanistan de travailler, et que nous donnions les moyens à celles qui sont ailleurs de revenir. Le retour en Afghanistan de la diaspora afghane est une question centrale. Ce n'est pas simple pour eux qui ont des emplois ailleurs, mieux payés que ceux qu'ils vont pouvoir trouver en Afghanistan. Nous avons créé un programme spécial, "Cent cadres pour l'Afghanistan", pour identifier ces élites afghanes qui sont à l'étranger et les aider financièrement à revenir. C'est aussi comme cela que les Afghans vont pouvoir conduire eux-mêmes leur reconstruction. C'est un point très important. A propos de l'énergie, nous verrons le moment venu. J'ai compris qu'il y avait quand même, pas si loin, des richesses énergétiques qu'il devrait être possible de faire venir jusqu'en Afghanistan.
Q - 27,5 millions d'euros, ce n'est pas énorme, c'est beaucoup moins que d'autres pays européens...
R - J'ai dit qu'il faudrait comparer ce qui est comparable. Il y a deux pays qui se distinguent, c'est la Grande-Bretagne et l'Allemagne, qui ont une histoire particulière, eux aussi, avec l'Afghanistan, et je ne suis pas surpris qu'ils aient fait ce choix. Mais là encore, je le répète, la comparaison des offres n'est pas simple, parce qu'elles ne recouvrent pas forcément les mêmes réalités. J'ajoute enfin que, sans vouloir minimiser la question du volume, chacun voit bien que c'est la rapidité de décaissement qui va être essentielle. Nos interlocuteurs ne s'y sont pas trompés : ils nous ont remercié pour cette offre, ils nous ont remercié surtout de l'engagement que nous avons pris de décaisser rapidement les sommes qui ont été avancées.
Q - Vous pensez ajouter plus, plus tard dans l'année ?
R - J'ai dit à l'instant que je laisse ouverte cette possibilité, mais je ne prends pas d'engagement. Il appartiendra aux autorités françaises, dans quelques mois, d'évaluer, en concertation là-encore avec nos partenaires, comment les choses vont se passer. Je ne vous cache pas qu'il y avait un souci de la part des Européens : est-ce qu'on s'engageait sur un pourcentage par rapport à l'effort global, ou sur une somme, sachant que si les uns s'engagent sur des chiffres alors que les autres pourront ne pas respecter leurs engagements, on pourrait se retrouver dans une situation totalement déséquilibrée et, finalement, l'Europe finirait par payer l'essentiel. Or nous sommes soucieux d'un partage de l'effort.
Q - Que signifie "les mois immédiats" ?
R - Cela signifie que nous sommes prêts à nous engager, en fonction des projets qui vont arriver. Tout le monde ou presque a fait, et c'est bien, une première offre pour aider le gouvernement intérimaire. En ce qui nous concerne, il y a un million d'euros, déjà ordonnancé depuis quinze jours et qui sera dépensable avant le 10 février. Un deuxième décaissement de 2 millions d'euros va intervenir dans les jours qui viennent et devrait pouvoir être disponible fin février ou courant mars. C'est quand même un rythme très soutenu et c'est bien ce qu'attendent aussi bien le PNUD que plus largement les agences qui s'occupent du développement.
Q - Le million d'euros, c'est pour faire fonctionner l'Etat ?
R - C'est à la demande du PNUD, pour assurer très vite le paiement des salaires des fonctionnaires. Là encore, c'est pour consolider l'Etat. Nous avons utilisé le canal du PNUD qui a créé un fonds à cet effet.
Q - C'est compris dans les 27,5 millions ?
R - Oui, c'est compris. Ce n'est pas de l'aide humanitaire. Les deux millions qui suivent, c'est une convention qui a été signée à New York il y a quelques jours par le directeur de la coopération internationale et du développement, Bruno Delaye, qui prévoit là encore l'appui à l'administration mais sur des actions identifiées. Cela aussi va être disponible très vite.
Q - Je suis très étonné que les pays en développement, comme l'Iran et l'Inde, aient annoncé des contributions supérieures à 100 millions de dollars. Comment l'expliquez-vous ?
R - Moi aussi, j'ai été très impressionné. Je pense que l'Iran, qui accueille deux millions de réfugiés afghans, est soucieux du retour dans leur pays de ces réfugiés. Je pense que c'est une des raisons, il y en a probablement d'autres, qui justifient ou qui expliquent l'effort tout à fait considérable qui a été annoncé par l'Iran. L'Inde a des raisons aussi, j'allais dire régionales, politiques sans doute aussi, de vouloir marquer sa volonté d'aider le gouvernement intérimaire. Mais si ceci entraîne une émulation entre eux et que l'Afghanistan en est le bénéficiaire, tant mieux. Le Pakistan avait aussi sans doute des raisons politiques.
Q - Tout cela est un peu désordonné. Les montants sont annoncés pour des périodes différentes. Cela va être compliqué à gérer pour l'administration intérimaire.
R - A mon avis, c'est maintenant qu'il va falloir reprendre tout ça. Il est prévu une réunion à laquelle vont participer les directeurs des agences onusiennes, où l'on devrait préciser un peu mieux les besoins, et voir comment cette offre, très importante mais très diverse, pourra être gérée.
Q - Est-ce que la part de la France est reprise dans les 550 millions d'euros ? Est-ce que cela s'ajoute à la contribution française au budget communautaire?
R - C'est évidemment dedans puisque cette offre de l'Europe, c'est la Commission et ce sont les Européens. La part de la France dans la contribution normale à la Commission représente quelque chose comme 17 à 18 % . Il y a une différence si on totalise la part des Etats membres et leur part à la contribution de la Commission. Il y a 27,5 millions d'euros pour la France qui sont dans l'annonce européenne, mais, je le répète, nous ne prenons pas en compte l'aide humanitaire. Or certains pays ont dit : "y compris l'aide humanitaire". C'est pour cela que la comparaison est très difficile.
J'ai conscience que cela complique votre exercice. Mais le mode d'emploi, en quelque sorte, de l'offre n'a pas été aussi précis sans doute qu'il l'eut fallu. Il va falloir le préciser.
Q - Peut-on comparer, en termes d'enjeux, de difficultés et de générosité, avec les deux autres grands chantiers du Cambodge et du Timor Oriental ?
R - Je ne sais pas, parce que Phnom Penh n'avait pas été aussi détruite que l'a été Kaboul. La reconstruction matérielle semble devoir être plus importante en Afghanistan. C'est à peu près comparable sur le plan des mesures de déminage, probablement plus important encore. Timor a fait partie des opérations lourdes aussi mais ce n'est pas la même échelle. Là c'est à l'échelle d'un pays. Timor c'est, en termes de population, un rapport de 1 à 20. C'est évidemment très différent. Ce sera probablement la reconstruction la plus lourde que la communauté internationale aura jamais eu à assurer. La comparaison est intéressante mais elle est un peu difficile.
Q - Le Japon a peut-être compensé
R - L'engagement du Japon n'est pas surprenant en soi parce que l'Asie a toujours quand même été pour eux un continent d'intérêt.
Q - Pour en revenir à l'Afghanistan, il y a surtout un intérêt stratégique. On s'est rendu compte qu'il fallait être dans ce pays aux confins de l'Asie centrale, de l'Inde, de la Chine...?
R - En l'absence d'Etat de droit en Afghanistan, c'est la stabilité de l'Asie centrale qui est remise en question, sans parler des effets que l'absence d'Etat de droit entraîne sur le plan de la grande criminalité, de la culture de la drogue et du terrorisme, dont au total, aujourd'hui, on n'aura pas beaucoup parlé.
Q - Avez-vous beaucoup parlé des problèmes de sécurité? Cela a des incidences pour l'action humanitaire...
R - C'est exact, cela renvoie à la mission de la Force internationale. Les derniers contacts que nous avons eus avec le ministre afghan de la Défense laissent entendre que ses missions pourraient aller au-delà de Kaboul. L'autre élément de réponse à la question de la sécurité, c'est la capacité à désarmer ces soldats, ce qui renvoie à un programme de désarmement, réhabilitation, réinsertion...
Q - On a déjà une idée de la manière dont cela va se faire? Au Mozambique, on avait payé...
R - C'est comme cela que les choses se passent. On paie et on essaie de remettre au travail, sur des projets à haute intensité de main d'uvre. Là, toute la question des infrastructures, par exemple, doit être appréciée avec la perspective de réutiliser un maximum de main d'uvre afghane, ce qui veut dire un salaire, une réinsertion dans la vie civile. Je suis convaincu qu'il y aura un programme DDRR : démobilisation, désarmement, réhabilitation, réinsertion, qui ne sera pas le moins coûteux.
Q - Comment avez-vous perçu l'engagement assez fort du Japon dans cette reconstruction ? D'habitude, il est assez discret, là il se met davantage en avant...
R - C'est une manière pour le Japon d'affirmer son identité asiatique. C'est une manière aussi, je pense, de jouer un rôle plus important sur la scène internationale.
Q - Est-ce que la France a été sollicitée pour l'évaluation du patrimoine archéologique ?
R - La question de l'identification et du retour des uvres qui ont été dispersées est d'ores et déjà à l'ordre du jour. Nous y travaillons avec l'UNESCO. Le musée Guimet prépare une exposition qui va présenter des uvres rassemblées par un peintre japonais. L'objectif est de rapatrier ces uvres dans un musée de Kaboul reconstruit. Ce ne sera pas simple. Les Japonais me semblent très sensibilisés à cette question, et cela fait partie des dossiers de coopération franco-japonaise.
(source http://www.diplomatie.diplomatie.gouv.fr, le 25 janvier 2002)