Interview de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur les priorités de la prochaine législature, Paris le 7 février 2002.

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Circonstance : Parution d'un article de Laurent Fabius "Les chantiers de la gauche moderne", le 7 février 2002, dans un recueil de la Fondation Jean Jaurès

Média : Les Chantiers de la gauche moderne

Texte intégral

Dans un recueil de la Fondation Jean-Jaurès paru le 7 février 2002 (1), Laurent Fabius évoque les priorités de la prochaine législature :
Pourquoi faites-vous de la vérité un élément déterminant de la prochaine campagne présidentielle ?
L'élection présidentielle est un moment de vérité. Comment agir pour une croissance et une solidarité réellement durables ? Comment concilier l'économique et l'écologique ? Comment préparer le mieux possible nos concitoyens à la société de la connaissance ? Comment mener les évolutions clés dans nos systèmes de retraites ou dans le fonctionnement de l'État ? Voilà les enjeux de la prochaine législature. Il faut proposer des réponses dans le sens de nos valeurs. Pour cela, il n'y a qu'une méthode possible : la vérité. J'ajoute que faire de la vérité le métronome de 2002 permettra de lutter contre la démagogie du candidat d'en face.
Quelles seront les principales priorités de la prochaine législature ?
D'abord, le plein-emploi. Pour y parvenir, il faut à la fois faire reculer le chômage - comme nous l'avons fait depuis 1997 - et augmenter le taux d'emploi. Un effort sans précédent de formation devra être mené pour remplacer les salariés qualifiés qui vont partir en retraite. Avec l'accès à l'éducation permanente, ce sera l'un des buts du droit à la formation tout au long de la vie que nous proposons d'instaurer. Autre priorité, l'intégration, en agissant pour une meilleure sécurité qui est un droit démocratique fondamental. Former un ministère de la Sécurité publique, mobiliser davantage les maires sans en faire pour autant des " shérifs ", mieux prévenir et mieux punir la délinquance nous y aideront. L'intégration, c'est aussi une politique rénovée du logement social et une ambition de rénovation urbaine. Agir pour l'intégration, c'est également reconnaître aux étrangers durablement installés sur notre territoire le droit de vote aux élections locales. C'est un engagement de longue date qu'il est temps de tenir.
Par quelles réformes mettre en uvre "l'État partenaire" que vous appelez de vos vux ?
Cela passe par la décentralisation, donc l'affirmation de la région et des intercommunalités. De nouveaux transferts de compétences pourraient être précédés par des expériences pilotes. Des mécanismes plus ambitieux de péréquation financière entre les collectivités sont aussi nécessaires ainsi que la réforme de nos administrations. La simplification des procédures, la rapidité, la proximité et l'efficacité devront être partout à l'ordre du jour.
J'insiste aussi sur la modernisation de nos entreprises publiques. Pour leur permettre de conjuguer projet industriel, projet social et présence forte à l'international, il faudra procéder à certaines évolutions. Mais attention ! L'évolution n'est pas le démantèlement. L'État devra rester majoritaire notamment dans le secteur public de l'énergie. Des solutions adaptées à chaque entreprise devront être dégagées : le rail et la poste, par exemple, réclament un fort investissement de l'État.

Quels sont les fondements de "l'Europe référence" que vous proposez de bâtir ?
Elle a plusieurs dimensions. D'abord une croissance économique durable et solidaire. Renforcement de la coordination budgétaire entre nos pays, mise en place d'un véritable Conseil économique de l'Union, harmonisation fiscale : il s'agit de prolonger le succès de l'euro en ambition économique commune. Ensuite le soutien à l'innovation et à l'éducation. Nous devons favoriser le développement d'un capital-risque européen, multiplier les passerelles entre recherche publique, université et entreprise, créer un véritable brevet communautaire.
Enfin, dans un monde où le risque - technologique, sanitaire, alimentaire, environnemental - est omniprésent, l'Europe doit faire valoir le principe de vigilance. La préservation et la valorisation de l'environnement dans le cadre des objectifs fixés à Kyoto, la protection du vivant, la mise en uvre d'une politique sanitaire mondiale, voilà autant d'exigences que l'Union doit faire vivre dans les instances internationales.
Progresser en ces trois directions suppose de doter notre Union d'institutions plus efficaces et plus démocratiques. C'est la raison pour laquelle je souhaite que le prochain élargissement n'intervienne pas sans que la réforme des institutions lancée à Laeken soit en marche.
Comment "gouverner la globalisation" après Gênes et après le 11 septembre ?
La globalisation est un phénomène ambivalent : elle accélère la diffusion de la démocratie et des technologies, elle creuse les inégalités et s'accompagne d'une sorte de marchandisation du monde. Les chantiers les plus urgents sont les suivants. Celui de la démocratisation des enceintes internationales : une représentation systématique des pays les plus pauvres et un meilleur dialogue avec les ONG s'imposent. Celui de la régulation du commerce international : lancé à Doha, le nouveau cycle doit permettre d'accroître la participation du Sud aux échanges internationaux et de mieux articuler les normes commerciales avec les normes environnementale, sociale ou culturelle. Enfin celui du financement du développement : les besoins sont considérables et les aides publiques nationales ne suffiront pas. De nouveaux outils doivent être mobilisés : droits de tirage spéciaux, drainage de l'épargne privée vers un fonds de développement, voire taxations internationales. Lionel Jospin s'est récemment exprimé à ce sujet. Nous proposerons un plan d'action globale lors de la conférence de Monterey sur le développement qui se réunira en mars.
S'il vous fallait définir deux adjectifs pour définir la gauche moderne, lesquels choisiriez-vous ?
Justice et efficacité. Justice, parce que c'est la raison d'être de l'engagement socialiste. Contrairement à la droite, nous ne pensons pas que le marché crée de lui-même et comme par magie les conditions d'une société juste. La correction des inégalités et la volonté d'offrir à tous une vraie égalité des chances restent le fondement de notre engagement. Efficacité aussi, parce que sans elle, il ne peut pas y avoir de solidarité durable. Nos concitoyens veulent des services publics de qualité, une administration réactive et des politiques publiques adaptées à la diversité des attentes. Le socialisme doit être fidèle à ses valeurs et marcher pour avancer dans la bonne direction.
Propos recueillis par Claude Polak
(1) "Les chantiers de la gauche moderne", par Laurent Fabius. Les Notes de la Fondation Jean-Jaurès. Ed. Plon, février 2002. 95 p. 7,5 euros.
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 14 février 2002)