Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur l'efficacité de la politique de la concurrence, Paris le 13 février 2002.

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Circonstance : Colloque organisé à l'occasion du 15ème anniversaire du conseil de la concurrence sur le thème : " l'efficacité de la politique de la concurrence ", à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, le 13 février 2002

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames et Messieurs les vice-Présidents et membres du Conseil,
Mesdames et Messieurs,
Je remercie le Conseil de la concurrence que je félicite d'avoir choisi de célébrer son 15ème anniversaire de la plus belle et de la plus simple des façons : dresser le bilan de l'action parcourue et se projeter dans le futur. Depuis 1986, les échanges sont devenus plus globaux, le marché a gagné en extension, est apparu l'euro : dans ce contexte, la concurrence est plus que jamais l'un des fondements de la compétitivité et du développement économique, mais, pour que la compétition n'évolue pas de manière anarchique, les pouvoirs publics doivent établir des règles du jeu. Il ne peut y avoir d'économie durablement compétitive sans compétition réellement équitable.
Nous mesurons peut-être encore mieux qu'hier que, comme la globalisation, la concurrence doit être régulée. C'est la raison d'être du droit de la concurrence dont les règles doivent régulièrement être adaptées tant au niveau national qu'à l'échelon communautaire. C'est le sens de la loi française du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques. L'Union européenne est en train de procéder pour sa part à une modernisation et la France soutient cette démarche. Avant d'avancer quelques idées sur le thème de vos débats, je voudrais livrer deux convictions.
La première, c'est qu'il faut prévenir les entraves à la concurrence et que prévenir, c'est d'abord expliquer. Nous devons sensibiliser les entreprises et nos concitoyens au fait qu'ils ont beaucoup à gagner quand la concurrence joue pleinement. Au-delà de l'action de votre institution et de celle de la Direction Générale de la Consommation, de la Concurrence et de la Répression des Fraudes, je veux souligner l'effort réalisé dans cette voie par la Commission Européenne, sous l'impulsion notamment du Commissaire Monti, à l'origine de la Journée européenne de la concurrence, qui se tient chaque année et que Paris a accueillie au cours de la Présidence française. Elle permet de faciliter le dialogue entre les représentants des autorités de concurrence et la société civile, contribuant au développement d'une véritable culture de la concurrence. Le consommateur doit prendre mieux conscience du lien qui existe entre son pouvoir d'achat et une politique de la concurrence efficace. Quant aux entreprises, elles savent qu'il n'y a ni croissance durable, ni stratégies viables sans échanges organisés.
Ma seconde conviction, c'est que la sanction des atteintes au bon fonctionnement du marché est indispensable. Le Gouvernement français a récemment complété l'arsenal des instruments de détection et de sanction des pratiques anticoncurrentielles : moyens d'enquête accrus, institution d'une procédure de clémence incitant les entreprises à coopérer avec les autorités pour démanteler et sanctionner les cartels les plus pénalisants pour l'économie, recours élargi aux mesures d'urgence, augmentation du plafond des sanctions jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires mondial. L'accroissement des moyens du Conseil de la concurrence, que j'ai moi-même voulu, devrait permettre d'instruire et - ce qui est nécessaire - de juger plus rapidement les affaires. Prévention et, s'il le faut répression, doivent inciter les entreprises à intégrer en amont le droit de la concurrence dans leur stratégie commerciale. A partir de ces instruments, nous pouvons désormais envisager d'autres évolutions.
Une première priorité doit consister à moderniser le contrôle des concentrations. Certains s'accommoderaient volontiers d'un contrôle a posteriori des abus de position dominante. Si celui-ci reste indispensable, je ne le crois pas suffisant car en matière économique aussi, le dommage est parfois difficilement réparable et la victime finale est le consommateur. Le contrôle des concentrations possède une vertu préventive et il agit sur les structures de l'économie. Aujourd'hui, la libéralisation des échanges met en concurrence les entreprises sur des marchés de plus en plus vastes : rechercher la taille critique pour affronter la compétition mondiale, dégager des économies d'échelle pour réduire les coûts de revient et soutenir la recherche-développement est légitime. Le contrôle des concentrations vise à trouver un juste équilibre entre la compétitivité des entreprises sur la scène internationale et la préservation d'une concurrence loyale, bénéfique pour les consommateurs et les entrepreneurs.
Dans une économie globalisée où les continents et les zones régionales sont en concurrence, l'Union européenne est le plus souvent l'échelon pertinent d'une régulation efficace. La France entend contribuer à la réforme engagée par la Commission et j'ai souhaité à cet égard interroger les entreprises françaises dans le cadre d'une large consultation que j'ai organisée. Le point de vue du Conseil de la concurrence est également attendu. Cette consultation porte sur quelques axes principaux. J'en formaliserai les résultats d'ici quelques jours, mais les conclusions sont déjà assez claires.
En matière de règles de compétence, nous devons trouver un équilibre entre, d'un côté, les avantages - simplicité, rapidité, coûts - que retirent les entreprises de ce guichet unique que représente la Commission et, de l'autre côté, la légitimité des Etats membres à examiner les dossiers qui affectent principalement leurs marchés nationaux. Depuis 1989, la plupart d'entre eux se sont dotés d'un système de contrôle des concentrations. La France vient de le rénover en imposant à l'Etat un effort particulier en termes de transparence, de simplicité et d'efficacité.
Face à des critères de compétence relativement complexes, le besoin de clarification est fort. C'est la tendance que je retiens des premières réponses que j'ai reçues. Soucieuses de simplicité, elles expriment aussi la crainte d'un encombrement de la Commission et d'un allongement des délais. Bruxelles s'interroge d'ailleurs sur les moyens à mobiliser pour effectuer et financer ce contrôle, évoquant par exemple l'idée de droits de notification. Je considère qu'il est nécessaire de rechercher une bonne allocation des ressources et qu'il ne serait pas opportun de supprimer tout contrôle national. La réponse est plutôt dans une meilleure coopération entre les autorités de concurrence - un des thèmes clés de votre colloque - en permettant des échanges réciproques. 2 dossiers viennent ainsi d'être renvoyés à la Commission à l'issue de l'accord conclu par 7 autorités nationales. C'est donc vers une clarification et une sécurisation des règles de compétence que nous devons aller dans un esprit d'équilibre entre les intérêts des acteurs
Un deuxième axe de la consultation que nous avons entreprise concerne l'amélioration des méthodes de travail de la Commission qui ont pu, dans des dossiers récents, susciter des controverses. Ainsi, le rapprochement General Electric/Honeywell a soulevé la question des mérites respectifs des approches américaine et européenne des tests de marché. Des réponses reçues, il apparaît qu'il n'y a pas pour les entreprises un choix unanime, chacun des tests ayant ses avantages et ses inconvénients, sans que des différences fondamentales soient toujours effectivement perçues. Les responsables d'entreprises mettent surtout en avant l'exigence de visibilité des méthodes d'analyse de la Commission afin d'assurer une certaine prévisibilité des décisions. Il faudra y répondre.
L'amélioration de la transparence des procédures sera également un des points majeurs de la contribution française à la réforme. Le contrôle des concentrations doit être irréprochable dans son déroulement. Il doit garantir aux entreprises une prise en compte équitable de leur point de vue et de celui de leurs concurrents, sur le fondement d'une analyse économique rigoureuse dans le cadre d'une procédure simple, rapide et transparente. Les 3 adjectifs sont essentiels. Cet aspect est unanimement évoqué dans les contributions qui m'ont été adressées.
Autre demande formulée : l'amélioration des recours contre les décisions avec, par exemple, l'introduction d'une procédure de référé plus compatible avec le temps des affaires. La légitimité du contrôle des concentrations sortirait renforcée d'un surcroît de transparence. Celle-ci doit s'exercer aussi au profit des Etats membres. Je souhaite que le comité consultatif puisse réellement porter une appréciation éclairée sur les dossiers. Les négociations avec la Commission se prolongeant parfois tard dans le temps, dans des conditions qui n'apparaissent pas équivalentes pour tous les dossiers, l'information n'est pas toujours assurée.
Au total, sans préjuger des résultats finaux de la consultation lancée par le Minéfi, je peux d'ores et déjà donc résumer les principales orientations de notre position : une clarification équilibrée des règles de compétence entre autorités nationales et communautaires, une meilleure visibilité des méthodes d'analyse, une plus grande transparence de la procédure, une association plus étroite des Etats membres et une voie de recours crédible et rapide. A quoi j'ajoute un élément très important.
Aux aspects juridiques de la réforme, il faut ajouter une dimension plus économique qui n'est pas abordée dans le livre vert de la Commission : quel doit être le rôle du contrôle des concentrations dans un contexte d'intégration européenne et de globalisation de l'économie ? Les entreprises qui poursuivent une stratégie internationale s'interrogent - avec raison - sur la pertinence d'analyses trop souvent centrées sur les marchés nationaux. L'approche ne doit pas freiner la constitution de groupes européens à égalité d'armes avec leurs concurrents sur le marché mondial, elle ne doit pas favoriser la prise de contrôle par des groupes extra-européens. A quoi servirait telle interdiction de concentration entre deux entreprises européennes, si c'est pour que l'une ou l'autre soit rachetée par un non-européen ? Délicate, cette question est essentielle et elle méritera des échanges avec la Commission. La synthèse des résultats de cette consultation que je rendrai publique d'ici 15 jours servira de point d'appui à l'élaboration de la position française.
Autre élément à prendre en compte : la politique de la concurrence excède le cadre du droit de la concurrence et elle s'inscrit, plus largement, dans une logique globale de régulation. Celle-ci n'est pas un choix conjoncturel mais le pivot d'une démocratie économique réelle, dans laquelle chaque acteur - chef d'entreprise, salarié, consommateur, usager - peut se retrouver. Parce que le marché ne peut seul tenir lieu de contrat entre l'économie et la société, il revient à l'Etat partenaire, garant du temps long et de l'intérêt collectif, de fixer et de faire appliquer des règles du jeu loyales et transparentes.
Réguler, c'est parfois introduire la concurrence dans des secteurs où elle n'existe pas encore, à condition que le consommateur ou l'usager en tire avantage. La réponse paraît aujourd'hui assez claire pour le téléphone. Une analyse approfondie est nécessaire pour l'électricité en ce qui concerne les particuliers. Pour les entreprises, la situation est plus simple : l'électricité est un facteur de production qu'elles doivent pouvoir obtenir au meilleur prix.
S'agissant de l'évolution des entreprises publiques dans un contexte concurrentiel, une feuille de route s'impose : le démantèlement doit être empêché, l'immobilisme doit être rejeté. Pour les pouvoirs publics, il s'agira dans le futur d'opérer des choix favorables à un service sûr et de qualité, au cur d'une société qui doit rester solidaire et avec un aménagement du territoire équitable, tout en permettant à ces entreprises de nouer des alliances stratégiques afin de consolider leur compétitivité. Ces exigences rencontrent désormais de l'écho. Pour ma part, je souhaite une évolution pragmatique et différenciée au service d'un projet industriel et social performant. Comme je l'ai déjà souligné, l'électricité n'est pas le rail, le gaz est différent de la poste. Aussi conviendra-t-il de trouver des solutions adaptées à chaque secteur, à chaque entreprise, à chaque service.
Réguler la concurrence, c'est aussi la réintroduire lorsqu'elle est entravée - c'est l'option que j'ai choisie par exemple pour la distribution de carburant sur les autoroutes - ou lorsqu'elle ne s'exerce pas au bénéfice de tous les acteurs. C'était le cas des PME jusqu'alors largement exclues des marchés publics. Le nouveau code des marchés publics permet de corriger cette situation. Les PME mais aussi les collectivités locales y trouveront leur compte.
Enfin, la politique de la concurrence doit s'imposer comme un levier pour la régulation du commerce mondial. Les pays en développement sont bien souvent les premières victimes des pratiques anticoncurrentielles, je pense aux cartels qui en sont la forme extrême. A Doha, en novembre dernier, le principe de l'ouverture de négociations sur la concurrence au sein de l'OMC a été fixé pour les prochaines années. Il s'agira de proposer la création d'un corpus de règles minimales et souples, adaptées aux besoins de chaque pays. L'Union européenne et les États qui la composent, à partir de leur expérience commune, ont inspiré et soutenu ce mouvement. Nous serons vigilants, la France au premier chef, à l'égard du respect intégral de cet engagement.
Mesdames et Messieurs, des échanges non régulés érodent la confiance des citoyens et ils nuisent au développement de l'économie. Un manque de transparence aboutit au même résultat. La spectaculaire faillite d'Enron aux Etats-Unis montre, une fois de plus, la nécessité notamment d'ajouter des règles publiques pertinentes aux seules lois du marché. Rechercher un meilleur équilibre dans les relations commerciales au profit du consommateur, améliorer la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles, clarifier le contrôle des concentrations : les objectifs sont connus. Ils exigent de la part des pouvoirs publics et des acteurs économiques des modes d'action et d'intervention diversifiés, adaptés aux défis de l'économie globale et des sociétés ouvertes.
A toutes les échelles, dans toutes les instances, la France et singulièrement le Minéfi sont actifs. C'est aussi et d'abord le cas du Conseil de la Concurrence auquel je rends hommage et qui, appuyé sur ses 15 années d'expérience, s'attache à promouvoir, avec volonté et dans l'indépendance, un fonctionnement régulé des marchés. C'est ce chemin qu'ensemble, nous devons renforcer.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 14 février 2002)