Déclaration de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur la compétitivité des banques, la concurrence sur le marché financier européen, la préparation du passage à l'euro et l'organisation de la réduction du temps de travail dans le secteur bancaire, Paris le 23 octobre 1997.

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Circonstance : Convention du Crédit agricole sur le thème : "Les stratégies bancaires en l'an 2000" à Paris le 23 octobre 1997

Texte intégral

Monsieur le Président, Monsieur le Directeur Général, Messieurs les parlementaires, Mesdames et messieurs,
Permettez-moi tout d'abord de vous exprimer le plaisir que j'ai à me trouver parmi vous pour cette convention, et de pouvoir, à cette occasion, évoquer en votre compagnie " les stratégies bancaires en l'an 2000 ". Vous comprendrez aisément que je ne souhaite pas vous donner un cours de stratégie sur ce que devraient faire les banques dans le prochain siècle ! Ceci serait pompeux et le succès du Crédit agricole montre qu'il n'a pas besoin de leçons dans ce domaine.
Mon ambition sera plus modeste et, je l'espère, plus conforme à vos attentes. Je souhaite en effet profiter de l'occasion pour évoquer avec vous trois sujets qui me paraissent importants :
- la compétitivité du secteur bancaire est un gage de croissance et de réussite pour notre pays;
- il faut réussir la réduction du temps de travail dans le secteur bancaire;
- l'euro est notre frontière des prochains mois. Le secteur financier est à la pointe du combat. Je suis à vos côtés pour cette réussite collective.
I/ Un secteur bancaire compétitif, gage de croissance et de réussite.
A. J'ai noté avec beaucoup de satisfaction que les résultats du secteur se redressaient ce qui montre que les banques ont vaincu deux handicaps importants qui pesaient depuis longtemps sur elles :
*le niveau élevé des risques. Pour partie, il correspondait à des choix stratégiques hasardeux, mais, pour une autre partie, il résultait aussi d'une conjoncture économique morose : les faillites d'entreprises, surtout chez les PME, pesaient sur le niveau des provisions. De ce point de vue, le Crédit agricole a été plutôt épargné, en particulier grâce à sa politique de prudence - on peut dire de sagesse - face à la spéculation immobilière ;
*la faiblesse de la demande de crédit, qui limitait fortement les possibilités de croissance des encours et du chiffre d'affaires des banques.
Aujourd'hui, la situation s'améliore. Les risques ont été apurés et le climat conjoncturel s'est, surtout au cours des derniers mois, nettement amélioré. La croissance devrait atteindre au moins 2,3 % cette année et 3 % en 1998. Cette reprise, couplée aux mesures pour l'emploi qu'a décidées le Gouvernement, permettront donc de réunir les conditions de la création d'emplois, qui est notre priorité absolue.
Permettez moi de saisir l'occasion qui m'est donnée pour vous dire quelques mots de la situation sur les marchés financiers. La dégradation sensible de la bourse de Hong Kong a été ressentie sur les autres places, notamment à Paris.
L'économie réelle est solide ; la reprise est là en Europe, elle est profonde, elle est large, car elle s'étend à l'ensemble des secteurs et des pays. Le passé nous a souvent prouvé que des turbulences financières passagères pesaient moins qu'un mouvement économique de fond : il nous faut donc rester sereins, autant que déterminés à poursuivre une politique économique de croissance et de coopération internationale.
B. L'amplification du redressement de notre économie passe par le secteur bancaire. En effet, après des années de baisse ou de stagnation, on pourrait assister à une amélioration de la demande de crédit bancaire, condition fondamentale pour conforter une reprise de l'investissement, gage de pérennité et de solidité de notre croissance.
J'ai noté que les crédits bancaires devraient, en rythme annuel, croître d'environ 3 %, après des années de stagnation. Surtout, le mouvement qui se dessine aujourd'hui, c'est celui de la reprise de l'endettement des entreprises : les crédits bancaires aux sociétés progressent ainsi de près de 1,5 % en glissement annuel, notamment grâce à la reprise des crédits d'investissement.
J'espère, comme vous je suppose, que cette progression va s'accélérer. La capacité des banques à financer nos entreprises, notamment les PME, à accompagner la prise de risques est déterminante pour notre pays.
C. C'est dans cet environnement que doit être placé l'impératif de compétitivité du secteur bancaire, auquel les pouvoirs publics doivent concourir. J'ai noté les encouragements de MM. Barsalou et Douroux à ce sujet.
M. Douroux a souligné les excellents résultats obtenus à l'étranger et sur les activités de marché. Il faut rappeler cette réalité : nos banques - et le Crédit agricole le démontre avec d'autres - ont un professionnalisme, un dynamisme, une capacité d'innovation qui leur donnent un réel rayonnement international. Je m'en félicite.
Ceci met en évidence, par contraste, les faiblesses de notre marché domestique. J'entends parfois dire que le Gouvernement se désintéresse des banques. Ce n'est pas vrai. La réforme bancaire constitue un sujet souvent discuté, mais rarement suivi d'effet. Je préfère pour ma part en discuter peu et essayer de trouver, de manière sereine mais déterminée, les voies de l'amélioration. Et celles-ci passent nécessairement par un souci commun de prendre en considération les contraintes de l'autre : c'est dans la construction de ce dialogue que les pouvoirs publics et la profession bancaire trouveront les voies du succès.
Quelle est la traduction de ces intentions ?
M. Douroux estime qu'il faut accepter la disparition des banques mal gérées et en situation de faillite, dès lors que l'actionnaire ne veut plus investir. Certes, mais il faut aussi que les déposants et les clients bénéficient d'une protection adéquate et efficace. Celle-ci peut, à certains égards, être améliorée. J'espère que nous y parviendrons ensemble.
Vous avez également évoqué la question de la réforme des Caisses d'épargne. Comme vous le savez, le Gouvernement a confié à R. Douyère le soin de mener une mission de concertation sur la modernisation du statut des Caisses. Cette modernisation s'inscrit nécessairement dans une volonté de conforter la pérennité des Caisses, de favoriser leur adaptation à un environnement en pleine évolution et de renforcer notre système bancaire. Cette réforme ne peut être isolée de son contexte.
Vous avez enfin évoqué la question de la rémunération de l'épargne réglementée. Aujourd'hui, compte tenu de nos performances en matière d'inflation, cette épargne bénéficie d'un taux de rémunération élevé. Plusieurs professionnels des PME ou du logement social estiment que le taux des prêts qu'ils obtiennent grâce aux fonds collectés sur les différents livrets est trop élevé et les empêchent d'investir. Je crois qu'il faut en tout cas tenir compte de deux impératifs : une juste rémunération de l'épargne populaire, une charge d'intérêt aussi faible que possible pour les PME ou les organismes d'HLM qui se financent grâce à ces fonds.
Compte tenu de l'arrivée prochaine de l'euro et du renforcement de la concurrence qui en découlera sans doute, j'ai souhaité que M. Ullmo ancien secrétaire général du Conseil national du crédit et du titre, mène une mission de réflexion et de concertation sur certains aspects des relations entre les banques et leurs clients, afin de définir un partenariat permettant de concilier amélioration de la compétitivité, qualité du service et prise en compte des besoins des plus modestes.
J'espère que, sur ces différents chantiers et sur tous ceux que vous n'avez pas évoqués, nous pourrons avancer concrètement et rapidement.
II/ Il faut réussir la réduction du temps de travail dans le secteur bancaire.
Le Gouvernement a, vous le savez, annoncé une loi d'incitation et d'orientation avec pour objectif l'abaissement de la durée légale à 35 heures en l'an 2000. Cette décision répond d'abord à un objectif de création d'emplois. Elle s'inscrit aussi dans une perspective sociale et je dois, de ce point de vue, saluer la déclaration de M. Barsalou sur les valeurs du Crédit agricole en la matière.
Les 35 heures représentent un défi important pour le Crédit agricole, comme pour toute la profession bancaire. L'abaissement de la durée légale interviendra à peu près au même moment que l'introduction de l'euro. Il faut donc qu'elle se fasse sans porter atteinte à la compétitivité des banques, c'est-à-dire sans accroître durablement leurs coûts. Il est vrai que l'existence d'un grand réseau d'agences parfois de petite taille peut compliquer l'exercice et rend indispensable des initiatives permettant d'adapter l'organisation sans dégrader le service rendu au client.
Dans ce contexte, je me félicite que l'AFB ait indiqué hier qu'elle souhaitait donner " à chaque entreprise bancaire les meilleures chances de relever les défis des prochaines années et les moyens d'atteindre l'objectif des 35 heures fixé par le gouvernement " et, pour cela, qu'elle proposait d'engager rapidement une discussion avec ses partenaires sociaux.
Ces exigences - compétitivité, innovation au service du client, qualité du dialogue social - ne sont pas propres à votre secteur. Elles pèsent sur toutes les entreprises, dans des conditions chaque fois spécifiques. Le Gouvernement en est conscient. C'est pourquoi il invite à la négociation, c'est pourquoi il est décidé à faire preuve de souplesse, c'est pourquoi enfin il a annoncé un mécanisme d'aide incitative. Il a fixé l'objectif, sans contrainte ; il vous laisse, avec les partenaires sociaux, le choix des moyens.
III/ Réussir l'euro
La reprise économique a sans doute facilité les efforts des pays européens. Les faits sont là : l'euro sera notre monnaie le 1er janvier 1999 et l'Union économique et monétaire sera large dès le début.
A. Dans cette aventure, les établissements de crédit sont en première ligne :
ils constituent un rouage essentiel pour que l'arrivée de l'euro s'opère convenablement, et pour que chacun d'entre nous puisse progressivement prendre possession de cette monnaie.
Je note d'ailleurs avec plaisir que le Crédit agricole, bien conscient de l'importance de la tâche des banques dans la réussite de l'introduction de l'euro, figure parmi les établissements bancaires qui ont demandé au ministère des finances le plus grand nombre de brochures " l'euro et moi ". Ces brochures que nous avons éditées avec l'appui de la Commission européenne et qui seront distribuées, entre autres, par les établissements de crédit, font partie de la grande campagne de communication sur la monnaie unique que le Gouvernement s'apprête à lancer d'ici un mois.
Évidemment, pour les banques, le passage à l'euro implique d'importants efforts.
Elles doivent adapter leurs circuits de traitement de l'information et des flux financiers, ce qui, comme le passage à l'an 2000, se traduit par des surcoûts que l'administration fiscale accepte d'ailleurs de considérer comme déductibles.
Elles doivent aussi, et ceci est fondamental, former les hommes et les femmes qui, en contact avec le public, auront la tâche de faire fonctionner et d'expliquer l'euro à chacun de nous.
Elles doivent enfin permettre le basculement des marchés financiers 1999. La plupart des établissements sont déjà sur la bonne voie.
B. De leur côté, les pouvoirs publics sont conscients de leur responsabilités, tant dans la préparation des administrations que pour ce qui concerne celle de l'économie. C'est dans ce contexte que nous procédons actuellement à l'élaboration d'un " scénario de basculement français " qui reprendra l'ensemble des décisions prises et du cadre défini pour le basculement de notre économie. Nous rédigeons aussi des articles législatifs permettant le passage à l'euro des acteurs économiques et des banques : sera ainsi concerné la redénomination de la dette publique ou privée, la comptabilité, qui pourra être tenu en francs ou en euros dès le 1er janvier 1999, la faculté de convertir le capital social, les règles d'arrondis, etc.
Dans ce cadre, le paiement des impôts en euro sera possible dès janvier 1999 et je souhaite avancer rapidement sur les déclarations fiscales.
C. Ces efforts conjoints doivent permettre à nos banques d'occuper une place significative en Europe. Il est probable qu'il ne sera donné qu'à quelques établissements, demain, de figurer parmi les banques globales sur l'ensemble du grand marché financier européen.
Le Crédit agricole a naturellement vocation à en faire partie. MM. Barsalou et Douroux ont vanté, beaucoup mieux que je ne saurais le faire, les atouts, la spécificité, la force de votre groupe. Faire ainsi le choix de l'international, de la banque globale, tout en préservant ses valeurs et sa culture d'entreprise, c'est un superbe défi. Je n'ai pas de doute sur votre capacité à le surmonter et, demain comme aujourd'hui, à figurer parmi les établissements les plus importants dans le secteur bancaire, en France, en Europe, et même au niveau mondial.
Je vous remercie.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 1 août 2002)