Déclaration de M. Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche, sur la coopération franco-allemande en sciences humaines et sociales grâce à la création du Centre interdisciplinaire d'Etudes et de Recherches sur l'Allemagne, Paris le 29 novembre 2001.

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Circonstance : Inauguration du Centre interdisciplinaire d'Etudes et de Recherches sur l'Allemagne (CIERA) à Paris le 29 novembre 2001

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Monsieur l'Ambassadeur,
Monsieur le Président de l'Office allemand d'échanges universitaires,
Mesdames et Messieurs,
Je suis heureux d'inaugurer aujourd'hui avec vous le Centre interdisciplinaire d'études et de recherche sur l'Allemagne, le CIERA.
Le CIERA est le fruit de l'accord signé en septembre 1997 à Weimar par les gouvernements allemand et français. La déclaration commune des chefs d'Etat et de gouvernement soulignait ceci :
"Nous pensons qu'il faut encore approfondir la connaissance réciproque des réalités de nos pays. L'ouverture prochaine en France d'un centre d'études et de recherche sur l'Allemagne répond à ce besoin, en contribuant à la formation pluridisciplinaire des futurs spécialistes des réalités allemandes contemporaines."
A la suite du sommet de Weimar, l'Office allemand d'échanges universitaires et la Délégation aux relations internationales et à la coopération du ministère français alors chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche ont lancé un appel d'offre conjoint en vue de la mise en uvre de ce projet.
Cette démarche commune se traduit aujourd'hui par la constitution du CIERA, qui rassemble neuf institutions au sein d'un Groupement d'intérêt public : le Centre national de la recherche scientifique, l'Ecole des hautes études en sciences sociales, l'Université de Cergy-Pontoise, l'Université Lumière Lyon-II, l'Université de Paris Sorbonne Paris-IV, l'Ecole normale supérieure de lettres et sciences humaines de Lyon, l'Institut d'études politiques de Grenoble, la Fondation Maison des sciences de l'Homme, et le Centre d'information et de recherche sur l'Allemagne contemporaine.
Cette énumération ne saurait laisser de côté un partenaire essentiel, sans lequel le CIERA n'existerait pas aujourd'hui : l'Office allemand d'échanges universitaires, le DAAD, qui a encouragé cette initiative et s'est engagé à soutenir le nouveau centre pendant dix ans.
Je salue très chaleureusement la présence ce soir à mes côtés du secrétaire d'Etat allemand aux affaires étrangères, Jürgen CHROBOG, de l'ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne, Fritjof von NORDENSKJÖLD, et du Pr Theodor BERCHEM, président du DAAD, dont je sais l'action inlassable au service de ce projet. A tous trois, je veux dire, au nom du Gouvernement français, ma vive reconnaissance devant cette action exemplaire de partenariat franco-allemand.
Je souhaite aussi féliciter et remercier les responsables et les membres des institutions de recherche et d'enseignement supérieur qui ont adhéré à la démarche prospective que leur proposaient le DAAD et les tutelles françaises. Ils ont accepté de jouer le jeu de la préparation d'un projet soumis à une expertise franco-allemande de haut niveau. Ils ont fait le choix de se rassembler au sein du CIERA, afin de mettre en commun leurs moyens dans le domaine des études allemandes et des sciences sociales appliquées au terrain allemand. Grâce à eux, et à l'action du délégué aux relations internationales et à la coopération, Thierry SIMON, le CIERA existe désormais.
La création du CIERA répond au besoin de redonner aux études sur l'Allemagne toute leur place dans notre dispositif de recherche
C'était le cas il y a cent ans.
De la fin du XIXe siècle à la Seconde guerre mondiale, en effet, l'Allemagne fut l'un des points essentiels de cristallisation de la réflexion française en sciences sociales. Des universitaires français de premier plan, tels Emile DURKHEIM, Ernest LAVISSE ou Marc BLOCH, allèrent se former ou s'informer dans les universités allemandes. Le système universitaire français se transforma à la fin du XIXe siècle sous l'effet de ce que Claude DIGEON a heureusement qualifié de "crise allemande de la pensée française".
Cette situation privilégiée de l'Allemagne plaça les experts et les spécialistes français de ce pays dans des positions importantes au cur de l'Etat et de la vie publique. Elle influença en outre le développement des études germaniques en France, et renforça l'audience de ses représentants les plus éminents, y compris dans les institutions de formation des élites de la Troisième République, telles l'Ecole normale supérieure de Lucien HERR ou l'Ecole libre des sciences politiques d'Emile BOUTMY.
Mais depuis la Seconde guerre mondiale, ce dispositif intellectuel et institutionnel a évolué. Dans un premier temps, il s'est affaibli. Le poids grandissant des études littéraires au sein de la "germanistique" s'accompagna d'une perte de contact avec les sciences sociales. Parallèlement, la connaissance des affaires allemandes recula chez les chercheurs en sciences sociales, à l'exception des sciences politiques.
Cet affaiblissement des compétences germaniques et cet effacement de la référence allemande pour les sciences sociales étaient certes paradoxal, au moment où commençait à se construire la Communauté européenne. Mais ils signalaient que l'Allemagne n'était plus le terrain de recherches privilégié qu'elle avait constitué auparavant.
J'observe cependant que depuis vingt ans s'amorce un retournement de tendance. La Mission historique française en Allemagne, créée en 1977 par l'historien Robert MANDROU et installée à Göttingen, a contribué à relancer la formation de jeunes chercheurs. Elle est désormais liée par convention au CNRS. La mise en place en 1985 du programme franco-allemand du CNRS et son intégration à partir de 1992 dans un programme Europe ont donné un élan nouveau à la coopération scientifique franco-allemande et à la constitution de réseaux de recherche.
Ce mouvement d'intérêt s'est amplifié à partir de 1989, avec la chute du Mur de Berlin et la réunification allemande. La mise en place d'allocations de recherche permettant à des doctorants de préparer leur thèse dans un centre de recherche allemand a accompagné ce regain des études sur l'Allemagne. Surtout, la création en 1992 à Berlin d'un centre de recherche franco-allemand en sciences sociales, le Centre Marc-Bloch, a offert aux chercheurs et aux doctorants un cadre d'accueil et d'orientation bien inséré dans le tissu universitaire berlinois.
Pour autant, il nous faut aller encore plus loin dans l'ouverture de la coopération franco-allemande à un large éventail de disciplines. La France manque de spécialistes de l'Allemagne, dans des disciplines comme la sociologie, l'économie, l'histoire, la géographie, l'anthropologie, l'histoire de l'art, le droit ou la philosophie politique.
Cette situation est d'autant plus critique que l'importance des relations franco-allemandes, les transformations que connaît l'Allemagne depuis 1989 et l'intégration européenne rendent toujours plus nécessaires la constitution de connaissances et la formation d'experts. Il nous faut aussi répondre par une politique de la qualité à la crise que connaissent les études allemandes en France, du fait de la diminution des effectifs étudiants et des redéploiements consécutifs des postes d'enseignants-chercheurs.
Telle est, Mesdames et Messieurs, dans son ampleur et dans sa diversité, la mission assignée au nouveau Centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'Allemagne.
Le CIERA dispose pour cela de moyens importants. Le DAAD s'est engagé à lui apporter un soutien annuel de 500 000 DM pendant dix ans. Du côté français, le ministère de la Recherche et le ministère de l'Education nationale allouent au CIERA une dotation spécifique de 400 000 F, à laquelle viennent s'ajouter les dotations des équipes membres, soit environ 500 000 francs, un budget de fonctionnement et des moyens en personnels alloués par les établissements français partenaires, deux postes d'ingénieurs apportés par le CNRS.
Ce budget est destiné à financer des bourses pour des séjours de recherche, pour le soutien des thèses en cotutelle franco-allemande, et pour les coopérations avec les Graduiertenkollegs allemands. Ces bourses sont attribuées au vu des résultats d'un appel d'offres, et ne sont donc pas réservées aux écoles doctorales des établissements membres du CIERA.
Par ailleurs, ce budget permettra de mettre en place des aides spécifiques pour des stages en entreprise bénéficiant d'un réseau de partenariats professionnels, ainsi que des journées d'études interdisciplinaires, et une université d'été d'initiation à la recherche.
Ainsi, le CIERA occupe d'ores et déjà une place centrale et reconnue dans le dispositif français de recherches sur l'Allemagne. Il offre de surcroît une solution exemplaire à la structuration du secteur des langues et civilisations étrangères, en fédérant et en mettant en réseau des équipes qui n'atteindraient pas la masse critique si elles demeuraient dans une logique disciplinaire de site.
Le dispositif adopté, en effet, s'organise en :
- un ensemble francilien, autour des universités de Paris IV et de Cergy-Pontoise, de l'EHESS, de la Maison des sciences de l'Homme et du CIRAC ;
- et un ensemble rhône-alpin, composé de l'Université de Lyon II, de l'Ecole normale supérieure de lettres et sciences humaines de Lyon, et de l'Institut d'études politiques de Grenoble ;
- Le CNRS, pour sa part, organisme national, assure une présence et des ouvertures sur l'ensemble du territoire.
Cette démarche en consortium signifie une répartition des rôles dont j'attends des synergies nouvelles. Les différentes universités et établissements partenaires apportent leur potentiel scientifique et leur expérience dans la formation doctorale de haut niveau. L'Université de Cergy-Pontoise apporte son expérience en matière de formations spécialisées au niveau du DESS. La Maison des sciences de l'Homme apporte son infrastructure et son savoir-faire dans la construction et la gestion des réseaux de recherche internationaux. Le CIRAC, enfin, apporte sa capacité de recherche, son expertise et son expérience dans les contacts avec le monde de l'entreprise.
Le CIERA veut ainsi mettre en place un modèle inédit de formation pluridisciplinaire en sciences sociales, qui s'appuie sur un réseau diversifié d'activités de formation et de recherche. Une entreprise de ce type ne saurait aujourd'hui être menée en dehors du contexte européen.
Le projet du CIERA tient compte de cette donnée de plusieurs manières :
- D'abord, par les coopérations bilatérales que conduisent depuis de longues années les établissements qui le constituent.
- Par les synergies qui existent déjà, et que je souhaite voir renforcées, avec le dispositif français existant en Allemagne, particulièrement le Centre Marc-Bloch de Berlin et la Mission historique française de Göttingen.
- Par les nombreux projets de recherche explicitement définis à l'échelle européenne, et dont certains bénéficient déjà de financements de l'Union européenne ou de la Fondation européenne de la science.
- Par sa volonté de s'insérer dans des formations à la recherche européenne sur le modèle de l'école doctorale ou dans des cursus de formation complémentaire à finalité professionnelle.
Ainsi, le CIERA sera pour les étudiants français un lieu de débat et d'ouverture vers des institutions allemandes ; pour les étudiants allemands, un lieu d'accueil et d'orientation dans les réseaux de formation et de recherche français ; et pour les uns et les autres, le point d'appui français des structures de formation à la recherche par la recherche qui sont en train de se constituer entre les pays européens.
Le CIERA illustre donc de manière exemplaire la manière dont nous souhaitons conduire la structuration et l'internationalisation des sciences humaines et sociales
J'ai placé cette double démarche au cur de mon action ministérielle. L'enjeu est important, puisqu'il s'agit de donner davantage de sens à nos sociétés. Et pour cela, dans les sciences humaines et sociales comme dans tous les autres domaines du savoir, il faut doter notre pays des structures scientifiques capables de s'insérer avec succès dans l'espace européen de la connaissance que nous bâtissons.
Il faut atteindre la masse critique, et donc rassembler et fédérer. Il faut aussi accroître et faciliter l'ouverture au monde, et en tout premier lieu à l'Europe, des institutions et des acteurs de la recherche.
C'est dans cet esprit que j'ai encouragé le développement de grands équipements pour les sciences humaines et sociales. Je mentionnerai d'abord les Maisons des sciences de l'Homme, ce maillon original de notre dispositif scientifique. Leur vocation interdisciplinaire et leur objectif d'intégration intellectuelle et fonctionnelle sont en effet la clé d'une bonne insertion dans la recherche internationale. C'est pourquoi j'ai appuyé la constitution d'un réseau des MSH doté d'une charte et d'une convention. Je souhaite ainsi favoriser ce que je qualifierai d'aménagement scientifique du territoire.
C'est pour les mêmes raisons que j'ai soutenu le projet d'Institut national d'histoire de l'art, qui vient d'être créé par le Gouvernement, ou encore la réforme des centres de recherche français à l'étranger, dont l'importance est connue dans plusieurs domaines des sciences humaines, comme l'archéologie ou les études classiques.
Pour autant, la structuration des sciences humaines et sociales ne saurait se limiter à ces grands équipements. Ils sont indispensables, mais ils ne sont pas suffisants. Je souhaite encourager la mise en place de réseaux, favoriser le renouvellement des méthodes de travail, accélérer le recours aux nouvelles technologies de l'information et de la communication, et j'annoncerai sous peu des initiatives en ce sens.
Dans cette perspective, la création du CIERA est exemplaire. Elle répond à l'exigence de mise en réseau, à la mutualisation des ressources documentaires et des initiatives d'enseignement et de recherche. Elle évite les travers que seraient le repli local, l'inflation bureaucratique ou l'interdisciplinarité de façade. C'est pourquoi le CIERA peut légitimement aspirer à devenir un outil scientifique de référence.
Il constitue également un bon exemple d'internationalisation des sciences de l'Homme et de la société. Je me suis attaché à encourager cette dimension dès mon arrivée au ministère, parce que j'ai la conviction que ces domaines de la connaissance peuvent nous aider à dessiner les traits de la société européenne du futur. J'ai donc mis en place l'an dernier une Action concertée incitative dénommée "Internationalisation des sciences de l'Homme et de la société". Elle a pour mission de restructurer le domaine de la recherche en relations internationales, d'accompagner la réforme en cours des centres français à l'étranger, et de développer les études comparatives. J'ai également demandé au Conseil national de coordination des sciences de l'Homme et de la société, que j'ai installé en mars 2001 et qui est présidé par le professeur Robert ILBERT, d'uvrer à l'ouverture européenne et internationale de la recherche française dans ces domaines.
Dans cet esprit, je souhaite que le type de dispositif qui est mis en place aujourd'hui autour du CIERA puisse être étendu aux études portant sur d'autres pays et d'autres aires culturelles.
Je rappellerai enfin l'importance de l'événement qui nous réunit aujourd'hui pour la coopération franco-allemande dans le domaine de la recherche
Je veux d'abord souligner les convergences qui rapprochent Allemands et Français dans l'entreprise commune d'édification d'une Europe des savoirs.
Avec nos amis allemands, nous nous efforçons d'uvrer afin d'intégrer pleinement les sciences de l'Homme et de la société au sein du 6e programme-cadre de recherche et développement.
Durant la présidence française de l'Union européenne, l'an dernier, j'ai souligné l'enjeu de cette intégration. Les sciences humaines et sociales ont longtemps fait figure de parentes éloignées et de parentes pauvres dans l'espace européen de la recherche. J'ai plaidé pour qu'elles sortent de leur statut de discipline d'appoint, de disciplines " ancillaires ", pourrait-on dire, placées au service d'autres sciences. Elles doivent trouver leur place de plein droit dans le 6e PCRD, car elles permettent à tous les Européens de comprendre d'où ils viennent pour mieux tracer les chemins du futur. Je souhaite que cette ambition soit confirmée lors du prochain conseil européen de la recherche, le 11 décembre.
Dans ce contexte européen, la coopération franco-allemande en sciences humaines et sociales a une vertu toute particulière, celle de l'expérimentation. J'en citerai trois exemples.
Je rappellerai d'abord que j'ai souhaité que ce thème soit inclus pour la première fois dans les domaines traités à l'occasion du Forum scientifique franco-allemand, qui se tiendra les 10 et 11 février prochains à Paris.
Ensuite, j'ai appris avec intérêt la réussite des Assises interdisciplinaires de la recherche allemande sur la France, qui se sont tenues au mois de juillet dernier à Berlin, à l'initiative de l'ambassade de France en partenariat avec l'Université technique de Berlin. Des attentes ont été exprimées à cette occasion, notamment de la part des jeunes chercheurs allemands. Deux propositions, qui ont émergé lors de ces assises, sont en cours de développement, en liaison avec le DAAD et l'Université franco-allemande : la mise sur pied d'ateliers interdisciplinaires pour jeunes chercheurs franco-allemands, et l'organisation à Berlin, à l'été prochain, de la première université d'été franco-allemande des jeunes chercheurs.
Enfin, je remarque que l'une des premières tâches du CIERA consistera à organiser, au mois de mars 2002 à Paris, l'équivalent français de la rencontre de Berlin : des assises interdisciplinaires de la recherche française sur l'Allemagne.
Mesdames et Messieurs,
Je me réjouis de toutes ces initiatives, qui contribueront à alimenter l'indispensable vivier de la recherche franco-allemande. Je compte sur le nouveau Centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'Allemagne pour jouer un rôle essentiel dans ce dispositif. Je remercie les institutions, tout particulièrement nos partenaires allemands, et les chercheurs qui ont choisi de participer à ce projet de consortium stimulant et novateur. Et je souhaite bonne chance au CIERA.
(Source http://www.recherche.gouv.fr, le 30 novembre 2001)