Interview de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, dans "La Tribune" du 12 novembre 2001, sur la connaissance par les Chinois de l'euro.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Tribune

Texte intégral


Q - Quelle est aujourd'hui la perception de l'euro en Chine ?
R - J'ai discuté de l'euro avec des représentants du gouvernement, des hommes d'affaires. J'en ai parlé à l'université. Ils connaissent l'euro même si c'est encore un peu abstrait pour eux, tant qu'il n'y a ni pièce ni monnaie.
Les Chinois ont toutefois une bonne appréciation de l'euro, car ils ont une conception multipolaire du monde, c'est-à-dire un monde qui ne soit dominé ni par une superpuissance ni par le dollar. Entre deux tiers et trois quarts du commerce extérieur de la zone euro sont libellés en euros.
Q - L'euro a-t-il des chances de devenir une monnaie importante en Chine ?
R·- La Chine a déjà eu recours à l'euro en mai dernier. J'espère que les conditions très favorables dont Pékin a bénéficié lors de cette première émission souveraine encourageront d'autres emprunteurs chinois à envisager des émissions libellées en euros. J'ai expliqué à mes interlocuteurs que l'économie européenne est fondamentalement saine et solide à moyen terme. La Chine en est convaincue. Ce pays est un des premiers détenteurs de réserves dans le monde, donc ses choix dans ce domaine sont importants.
Q - Les accès de faiblesse de l'euro ne sont-ils pas dissuasifs ?
R·- Les Chinois voient que l'euro est une monnaie jeune. De plus, ils comprennent que les pays européens, qui autrefois diversifiaient leurs réserves en utilisant des monnaies d'Europe, les diversifient à présent en utilisant des monnaies hors de la zone euro, ce qui a eu un effet sur la valeur externe de la monnaie.
Q - En quoi le modèle européen intéresse-t-il la Chine ?
R·- Ce qui intéresse la Chine, c'est l'intégration européenne. Les Chinois réfléchissent eux-mêmes à une zone de libre-échange avec l'Asean. Je sais que les autorités chinoises ont déjà compris l'importance de cette coopération, par exemple en gardant le yuan stable durant la crise asiatique, ce qui a contribué à arrêter la vague de dévaluations compétitives, et plus tard en prenant une part active dans l'initiative de Chiang Mai et à l'élaboration d'un réseau régional d'accords de swaps bilatéraux. Pour Pékin, c'est un autre aspect du multilatéralisme. Par rapport à la polarité des Etats-Unis et à celle de l'Europe, la troisième est celle d'Asie.
Q - Comment les propositions européennes en matière d'environnement sont-elles accueillies ?
R·- La Chine veille à maintenir un taux de croissance élevé : il sera sans doute de 7 % à 8 % cette année et il a doublé en dix ans. Mais elle s'intéresse de plus en plus à la notion de développement durable. Je leur ai dit à ce sujet que les propositions européennes sur l'environnement dans le cadre de l'OMC ne sont pas un protectionnisme déguisé. La Chine comprend ses responsabilités en matière d'environnement. Elle est un important émetteur de carbone.
Q - Avez-vous abordé la question du terrorisme ?
R·- Oui, le terrorisme doit être combattu sévèrement. Il a une base autonome. Mais il y a un terreau qui le favorise, c'est la pauvreté. Il faut donc s'attaquer à la question de la pauvreté. Ce sera la position défendue par l'Europe et les PVD. Est-ce que cela va se traduire dans les actes ?
Q - Le dialogue à Doha ne sera-t-il pas marqué par l'opposition Nord-Sud ?
R - Si on détend les normes sociales et environnementales, c'est au nom d'une certaine conception du développement qui devrait être favorable aux PVD, ce que certains d'entre eux contestent. D'où une situation paradoxale. L'une des finalités principales de la croissance, c'est de réduire la pauvreté./.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 13 novembre 2001)