Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, bonsoir. Est-ce que l'on peut d'abord avoir votre sentiment sur ces trois mois et sur cette question : la guerre est-elle finie, est-elle suspendue ?
R - Bonsoir. Sur ces trois mois, je pense que nous avons bien réagi. Je pense que les Etats-Unis ont eu une réaction légitime ; elle a été reconnue comme telle, à l'origine ; nous l'avons soutenue ; elle est en train d'atteindre ses objectifs. Je pense que nous avons eu raison d'être solidaires et de soutenir cette action ciblée sur l'organisation Al Qaïda, voilà ce que l'on peut dire.
D'autre part, je crois que nous avons assez vite saisi que la question de l'Afghanistan était aussi un problème humain, le problème d'une société à construire et à reconstruire. Nous avons entamé le processus politique pour préparer l'Afghanistan de demain il y a très longtemps, avant même que l'action militaire soit à son terme. Je crois que, là aussi, nous avons eu raison de prendre les devants.
Q - Permettez-moi d'insister simplement sur un point qui est quand même très important pour tout le monde, c'est la double personnalité du Mollah Omar et de Ben Laden. Quelle est la position de la France là-dessus ? Est-ce qu'il faut les laisser courir ou est-ce qu'il est clair et net pour la coalition qu'il faut les trouver et, soit les juger, soit les éliminer ?
R - Là-dessus, nous nous sommes exprimés très clairement, aussi bien le président de la République que le Premier ministre et moi-même. Les Etats-Unis feront ce qu'ils ont à faire. En ce qui concerne la justice, si la question se pose, nous Français, n'aimons pas les tribunaux d'exception. Nous pensons qu'un tribunal international ad hoc serait la meilleure solution, même si les tribunaux normaux sont également compétents.
Q - Ce matin, vous avez vu Colin Powell, le secrétaire d'Etat américain. De très nombreux sujets ont été abordés. Il y a la suite de la guerre contre le terrorisme et puis il y a l'idée de la force multinationale, dirigée ou pas par les Britanniques et le rôle de la France.
R - A Bonn, quand les Afghans se sont mis d'accord entre eux, ils ont prévu qu'il y aurait une force internationale de sécurité. Nous sommes en train d'y travailler. Il faut confirmer l'accord des Afghans. Il faut, d'une part, faire une résolution au Conseil de sécurité qui détermine ce que peut être le mandat de cette force qui va commencer par s'installer en toute sécurité, d'autre part mettre en place la nouvelle administration provisoire et, enfin, décider qui va être en Afghanistan dans les prochains jours. A partir de là, nous verrons s'il faut ou non développer cette force.
L'aide à la sécurité de l'Afghanistan peut également prendre d'autres formes : le déminage, qui est très important dans ce pays ; la formation, pour que les Afghans puissent avoir une véritable armée, ce qui n'a jamais été le cas dans ce pays. Nous sommes en train - les Anglais, les Allemands, les Français, les Italiens, les Turcs et beaucoup d'autres pays - d'examiner sous quelle forme nous allons participer à cet effort de sécurité et être à côté des Afghans. Cela va se déterminer dans la semaine.
Q - Est-ce que cela se fera sous commandement britannique ? Parce qu'il y a la question de savoir de que sera exactement le rôle de la France.
R - Il ne faut pas prendre les choses dans ce sens. Nous faisons un effort collectif. Nous menons la même politique, celle qui a été déterminée par le Conseil de sécurité et nous avons tous la même approche. Il n'y a donc pas de compétition ou de rivalité pour des rôles ou des lignes différentes. C'est un peu comme dans les Balkans : nous avons réussi à faire, en tant qu'Européens, des efforts considérables en Bosnie, en Macédoine, au Kosovo et personne ne se rappelle quel pays commandait tel groupe à tel moment ; d'autant que ce sont des responsabilités tournantes. Ce qui nous intéresse, c'est que l'addition des contributions européennes soit significative dans l'Afghanistan de demain, sur les différents plans dont j'ai parlé. Dans la semaine, nous verrons qui est en mesure de fournir le plus d'éléments pour commencer. En général, la nation leader, pour des raisons de commandement et d'organisation, est celle qui peut fournir le plus à ce moment-là. Après, nous nous organisons entre nous pour voir s'il y a des roulements.
Q - Permettez-moi une question ironique et une question de fond. La question ironique, c'est l'arrivée du porte-avions Charles de Gaulle, le 15 décembre. Est-ce qu'il n'arrive pas après la fin des événements ?
R - Ce n'est pas l'avis des Américains, en tout cas, qui jugent cela très utile et très important. D'autant que personne ne connaît exactement la suite des événements. Il y a beaucoup de forces américaines qui ont été déployées dans la région et qui n'auront pas participé directement aux opérations. Elles ont été déployées par sécurité pour avoir le choix. Après, c'est le déroulement des opérations qui détermine l'usage.
Q - Et pour faire le lien avec le Proche-Orient, il y a une interrogation de fond qui concerne l'Arabie saoudite, puisque beaucoup de gens disent qu'au fond, derrière Ben Laden, c'est l'Arabie saoudite et son défi avec l'Amérique. Est-ce qu'il n'y a pas là un risque, pour vous qui connaissez bien ces dossiers, de radicalisation de ce pays qui est quand même le pays central d'un point de vue culturel et d'un point de vue économique ?
R - Je ne pense pas que l'on puisse confondre la dérive folle d'Al Qaïda et de Ben Laden avec l'Arabie saoudite, qui l'a d'ailleurs privé de sa nationalité saoudienne car l'Arabie était la cible de Ben Laden. C'est d'ailleurs, d'abord et avant tout, pour protester contre la présence de bases américaines en Arabie qu'il est entré en résistance contre cette présence qui lui semblait tout à fait intolérable. Ce n'est qu'après qu'il est allé chercher le prétexte de la situation pathétique - réellement pathétique, mais c'est un prétexte pour lui - du peuple palestinien ou la situation des enfants iraquiens. Il ne faut donc pas mettre l'Arabie saoudite et Ben Laden sur le même plan. Aujourd'hui, l'Arabie est engagée comme tout le monde dans la lutte contre le terrorisme. Cela pose des problèmes compliqués, notamment en ce qui concerne la lutte contre le financement du terrorisme.
Q - Le deuxième grand dossier est le Proche-Orient. On évoque une solution française ou en tout cas une perspective française, pour obtenir une paix qui est actuellement plus proche du naufrage que de l'espoir.
R - La situation est très mauvaise. Pendant dix ans, on croyait se rapprocher de la paix et depuis un an, on voit que l'on s'en éloigne. C'est le désespoir, et peut-être pire encore qu'il y a dix ans, puisqu'on a l'impression que l'on n'est pas passé loin et que cela n'a pas marché. C'est pour cela qu'il n'y a quasiment plus de camp de la paix, ni en Israël, ni du côté palestinien. Mais c'est aussi parce que nous sommes vraiment sensibles à la situation poignante de ces deux peuples, qui sont enchevêtrés et qui devront un jour faire la paix, que nous ne baissons pas les bras.
Hier encore, nous avons fait à quinze une déclaration forte qui est très exigeante par rapport à l'Autorité palestinienne dans la lutte contre le terrorisme et très exigeante aussi par rapport au gouvernement israélien, à qui nous demandons le retrait de ses forces militaires, la levée des bouclages et le gel des implantations. Des exigences par rapport aux uns et aux autres qui sont indissociables : c'est une même politique.
Q - A propos du rôle de la mission de l'Européen et de l'Américain qui sont sur place, avez-vous le sentiment que Zinni, l'émissaire américain, joue le moindre rôle ou bien est-il impuissant, comme les observateurs ?
R - Si vous parlez d'impuissance, nous le sommes tous, sinon il y a très longtemps que les Etats-Unis auraient imposé leur solution. Rappelez-vous de l'engagement personnel de Bill Clinton. Il n'a pas réussi à faire accepter aux uns et aux autres le schéma de paix qu'il avait en tête. Si vous parlez d'impuissance, dites que le monde entier est impuissant. Ne dites pas que les Européens sont impuissants en particulier. Nous sommes confrontés à ce problème. Il est insupportable de voir cette situation. Nous ne baissons pas les bras et nous pensons qu'un jour ou l'autre les Israéliens accepteront de reprendre le processus politique et que les uns et les autres accepteront de faire les concessions clé que nous leur demandons.
Q - Et la double interrogation de beaucoup de gens qui nous écoutent : est-ce que le sous-entendu de Sharon c'est de se débarrasser de Yasser Arafat, et politiquement, et personnellement ? Et est-ce qu'Arafat a encore un rôle à jouer ?
R - Je crois que c'est Shimon Peres qui y a le mieux répondu. Le débat en Israël est très vivant, très démocratique, très libre, sur ces questions. Shimon Peres a dit que renverser l'Autorité palestinienne et Yasser Arafat serait la pire erreur dans l'histoire d'Israël, parce qu'il est convaincu, comme nous le sommes, comme je crois aussi les Américains qui parlent de la création d'un Etat de Palestine pour assurer la sécurité d'Israël et comme d'un objectif, que les Israéliens ont besoin d'un interlocuteur, d'un partenaire pour la paix. Les Israéliens n'ont plus confiance en lui mais les Palestiniens non plus n'ont plus confiance en eux. Alors, est-ce que, à cause de cela, on peut faire un constat d'échec et ne plus rien faire ? Ce n'est pas possible. Nous recommencerons inlassablement.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2001)
R - Bonsoir. Sur ces trois mois, je pense que nous avons bien réagi. Je pense que les Etats-Unis ont eu une réaction légitime ; elle a été reconnue comme telle, à l'origine ; nous l'avons soutenue ; elle est en train d'atteindre ses objectifs. Je pense que nous avons eu raison d'être solidaires et de soutenir cette action ciblée sur l'organisation Al Qaïda, voilà ce que l'on peut dire.
D'autre part, je crois que nous avons assez vite saisi que la question de l'Afghanistan était aussi un problème humain, le problème d'une société à construire et à reconstruire. Nous avons entamé le processus politique pour préparer l'Afghanistan de demain il y a très longtemps, avant même que l'action militaire soit à son terme. Je crois que, là aussi, nous avons eu raison de prendre les devants.
Q - Permettez-moi d'insister simplement sur un point qui est quand même très important pour tout le monde, c'est la double personnalité du Mollah Omar et de Ben Laden. Quelle est la position de la France là-dessus ? Est-ce qu'il faut les laisser courir ou est-ce qu'il est clair et net pour la coalition qu'il faut les trouver et, soit les juger, soit les éliminer ?
R - Là-dessus, nous nous sommes exprimés très clairement, aussi bien le président de la République que le Premier ministre et moi-même. Les Etats-Unis feront ce qu'ils ont à faire. En ce qui concerne la justice, si la question se pose, nous Français, n'aimons pas les tribunaux d'exception. Nous pensons qu'un tribunal international ad hoc serait la meilleure solution, même si les tribunaux normaux sont également compétents.
Q - Ce matin, vous avez vu Colin Powell, le secrétaire d'Etat américain. De très nombreux sujets ont été abordés. Il y a la suite de la guerre contre le terrorisme et puis il y a l'idée de la force multinationale, dirigée ou pas par les Britanniques et le rôle de la France.
R - A Bonn, quand les Afghans se sont mis d'accord entre eux, ils ont prévu qu'il y aurait une force internationale de sécurité. Nous sommes en train d'y travailler. Il faut confirmer l'accord des Afghans. Il faut, d'une part, faire une résolution au Conseil de sécurité qui détermine ce que peut être le mandat de cette force qui va commencer par s'installer en toute sécurité, d'autre part mettre en place la nouvelle administration provisoire et, enfin, décider qui va être en Afghanistan dans les prochains jours. A partir de là, nous verrons s'il faut ou non développer cette force.
L'aide à la sécurité de l'Afghanistan peut également prendre d'autres formes : le déminage, qui est très important dans ce pays ; la formation, pour que les Afghans puissent avoir une véritable armée, ce qui n'a jamais été le cas dans ce pays. Nous sommes en train - les Anglais, les Allemands, les Français, les Italiens, les Turcs et beaucoup d'autres pays - d'examiner sous quelle forme nous allons participer à cet effort de sécurité et être à côté des Afghans. Cela va se déterminer dans la semaine.
Q - Est-ce que cela se fera sous commandement britannique ? Parce qu'il y a la question de savoir de que sera exactement le rôle de la France.
R - Il ne faut pas prendre les choses dans ce sens. Nous faisons un effort collectif. Nous menons la même politique, celle qui a été déterminée par le Conseil de sécurité et nous avons tous la même approche. Il n'y a donc pas de compétition ou de rivalité pour des rôles ou des lignes différentes. C'est un peu comme dans les Balkans : nous avons réussi à faire, en tant qu'Européens, des efforts considérables en Bosnie, en Macédoine, au Kosovo et personne ne se rappelle quel pays commandait tel groupe à tel moment ; d'autant que ce sont des responsabilités tournantes. Ce qui nous intéresse, c'est que l'addition des contributions européennes soit significative dans l'Afghanistan de demain, sur les différents plans dont j'ai parlé. Dans la semaine, nous verrons qui est en mesure de fournir le plus d'éléments pour commencer. En général, la nation leader, pour des raisons de commandement et d'organisation, est celle qui peut fournir le plus à ce moment-là. Après, nous nous organisons entre nous pour voir s'il y a des roulements.
Q - Permettez-moi une question ironique et une question de fond. La question ironique, c'est l'arrivée du porte-avions Charles de Gaulle, le 15 décembre. Est-ce qu'il n'arrive pas après la fin des événements ?
R - Ce n'est pas l'avis des Américains, en tout cas, qui jugent cela très utile et très important. D'autant que personne ne connaît exactement la suite des événements. Il y a beaucoup de forces américaines qui ont été déployées dans la région et qui n'auront pas participé directement aux opérations. Elles ont été déployées par sécurité pour avoir le choix. Après, c'est le déroulement des opérations qui détermine l'usage.
Q - Et pour faire le lien avec le Proche-Orient, il y a une interrogation de fond qui concerne l'Arabie saoudite, puisque beaucoup de gens disent qu'au fond, derrière Ben Laden, c'est l'Arabie saoudite et son défi avec l'Amérique. Est-ce qu'il n'y a pas là un risque, pour vous qui connaissez bien ces dossiers, de radicalisation de ce pays qui est quand même le pays central d'un point de vue culturel et d'un point de vue économique ?
R - Je ne pense pas que l'on puisse confondre la dérive folle d'Al Qaïda et de Ben Laden avec l'Arabie saoudite, qui l'a d'ailleurs privé de sa nationalité saoudienne car l'Arabie était la cible de Ben Laden. C'est d'ailleurs, d'abord et avant tout, pour protester contre la présence de bases américaines en Arabie qu'il est entré en résistance contre cette présence qui lui semblait tout à fait intolérable. Ce n'est qu'après qu'il est allé chercher le prétexte de la situation pathétique - réellement pathétique, mais c'est un prétexte pour lui - du peuple palestinien ou la situation des enfants iraquiens. Il ne faut donc pas mettre l'Arabie saoudite et Ben Laden sur le même plan. Aujourd'hui, l'Arabie est engagée comme tout le monde dans la lutte contre le terrorisme. Cela pose des problèmes compliqués, notamment en ce qui concerne la lutte contre le financement du terrorisme.
Q - Le deuxième grand dossier est le Proche-Orient. On évoque une solution française ou en tout cas une perspective française, pour obtenir une paix qui est actuellement plus proche du naufrage que de l'espoir.
R - La situation est très mauvaise. Pendant dix ans, on croyait se rapprocher de la paix et depuis un an, on voit que l'on s'en éloigne. C'est le désespoir, et peut-être pire encore qu'il y a dix ans, puisqu'on a l'impression que l'on n'est pas passé loin et que cela n'a pas marché. C'est pour cela qu'il n'y a quasiment plus de camp de la paix, ni en Israël, ni du côté palestinien. Mais c'est aussi parce que nous sommes vraiment sensibles à la situation poignante de ces deux peuples, qui sont enchevêtrés et qui devront un jour faire la paix, que nous ne baissons pas les bras.
Hier encore, nous avons fait à quinze une déclaration forte qui est très exigeante par rapport à l'Autorité palestinienne dans la lutte contre le terrorisme et très exigeante aussi par rapport au gouvernement israélien, à qui nous demandons le retrait de ses forces militaires, la levée des bouclages et le gel des implantations. Des exigences par rapport aux uns et aux autres qui sont indissociables : c'est une même politique.
Q - A propos du rôle de la mission de l'Européen et de l'Américain qui sont sur place, avez-vous le sentiment que Zinni, l'émissaire américain, joue le moindre rôle ou bien est-il impuissant, comme les observateurs ?
R - Si vous parlez d'impuissance, nous le sommes tous, sinon il y a très longtemps que les Etats-Unis auraient imposé leur solution. Rappelez-vous de l'engagement personnel de Bill Clinton. Il n'a pas réussi à faire accepter aux uns et aux autres le schéma de paix qu'il avait en tête. Si vous parlez d'impuissance, dites que le monde entier est impuissant. Ne dites pas que les Européens sont impuissants en particulier. Nous sommes confrontés à ce problème. Il est insupportable de voir cette situation. Nous ne baissons pas les bras et nous pensons qu'un jour ou l'autre les Israéliens accepteront de reprendre le processus politique et que les uns et les autres accepteront de faire les concessions clé que nous leur demandons.
Q - Et la double interrogation de beaucoup de gens qui nous écoutent : est-ce que le sous-entendu de Sharon c'est de se débarrasser de Yasser Arafat, et politiquement, et personnellement ? Et est-ce qu'Arafat a encore un rôle à jouer ?
R - Je crois que c'est Shimon Peres qui y a le mieux répondu. Le débat en Israël est très vivant, très démocratique, très libre, sur ces questions. Shimon Peres a dit que renverser l'Autorité palestinienne et Yasser Arafat serait la pire erreur dans l'histoire d'Israël, parce qu'il est convaincu, comme nous le sommes, comme je crois aussi les Américains qui parlent de la création d'un Etat de Palestine pour assurer la sécurité d'Israël et comme d'un objectif, que les Israéliens ont besoin d'un interlocuteur, d'un partenaire pour la paix. Les Israéliens n'ont plus confiance en lui mais les Palestiniens non plus n'ont plus confiance en eux. Alors, est-ce que, à cause de cela, on peut faire un constat d'échec et ne plus rien faire ? Ce n'est pas possible. Nous recommencerons inlassablement.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 décembre 2001)