Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur les valeurs de la démocratie et du sport, notamment l'ouverture au monde, et le goût du jeu et de la fête, Paris le 3 juin 1998.

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Circonstance : Inauguration de l'exposition "Sport et démocratie" à l'Assemblée nationale le 3 juin 1998

Texte intégral

J'aime le sport. J'aime le pratiquer, le regarder, le savourer. J'aime son émulation, la connaissance et le dépassement de soi-même qu'il implique, les règles qu'il nous fixe, la beauté dont il porte souvent l'empreinte et le plaisir qu'il procure. Comme chacun, je constate aussi les évolutions qu'il subit, son impact puissant à la fois local et désormais mondial, parfois ses dérives et l'importance centrale qu'il a acquise sur plusieurs aspects de nos vies. Récusant la fausse et vieille coupure entre sport de masse et sport d'élite, je crois à la force d'intégration nationale et internationale qu'il possède. Je crois aussi que la politique ne doit surtout pas enrégimenter le sport, mais qu'elle peut et qu'elle doit l'aider, notamment parce que celui-ci peut être un formidable outil de démocratie.
Pas besoin d'être un grand spécialiste pour sentir que les mois de juin et juillet 1998 seront en France tout entiers tournés vers le sport. La coupe du monde de football, le tennis à Roland Garros et le cyclisme du Tour : le sport et la France vont vibrer ensemble. Bravo ! D'où notre idée de faire réfléchir à cette occasion, de montrer les relations entre sport et démocratie, et d'ouvrir pour cela, autour de ce beau thème, notre Assemblée Nationale.
La démocratie n'est pas un sport, elle n'est pas non plus un des beaux-arts, elle est une exigence. La République n'est indifférente ni au premier, ni aux seconds et grâce à elle, ils se retrouvent parfois tous les trois associés pour être ensemble célébrés. C'est une vérité que les anciens grecs savaient déjà pratiquer, à intervalle de quatre années, pour honorer l paix, la beauté et les divinités. Durant un mois, Sparte et Athènes se taisaient. Seuls les poètes et les athlètes rivalisaient pour une couronne de lauriers. Dans les épreuves, justice, concorde, égalité triomphaient. Il est un certain nombre de ces valeurs qui, à l'intérieur ou en dehors des stades, sont excellentes à rappeler aujourd'hui. L'Assemblée nationale, dans son rôle, n'a pas voulu l'oublier.
L'idée de cette exposition sur sport et démocratie est, comme je l'indiquais, née de l'engouement légitime suscité par l'organisation en France de la Coupe du Monde de football en juin 1998. Faire venir des équipes du monde entier sur nos stades, attiré en France, Etat membre d'une Europe en gestation, des supporters du ballon rond et des visiteurs très nombreux, était l'occasion de mener à bien ce projet. C'était également la possibilité d'engager une réflexion de fond sur le sport et sur les rapports qu'il entretient avec la Nation, dont il exalte souvent l'unité, la grandeur, mais dont il exaspère parfois aussi les ressentiments et les passions. « Plus haut, plus vite, plus fort », les gradins qui entourent la cendrée ou le tartan se transforment de temps à autre malheureusement en arènes et en terrains d'affrontements violents.
S'il faut, par souci de vérité, montrer du sport les ombres et l'utilisation détournée, il serait absurde d'en cacher les lumières. J'ai tenu à ce que cette manifestation garde la fraîcheur et l'aspect ludique qui donnent au sport sa beauté et son plaisir. Trois directions ont donc guidé notre démarche. D'abord l'ouverture au monde, incarnée par la venue en France de délégations de tous les continents, et le regard porté, à travers elles, sur notre pays par des milliards de téléspectateurs. Ensuite l'importance croissante du sport dans les sociétés contemporaines. Enfin la persistance du goût du jeu et de la fête, de l'effort gratuit et d'un bonheur partagé, pour le plaisir ou pour la performance, dont le sport reste un des plus éloquents modèles.
Comme on l'aura probablement noté, la première des vocations de l'Assemblée nationale n'est pas d'être un terrain de sports. Au sens classique en tout cas. Il y a longtemps qu'elle a quitté le Jeu de Paume. Mais, outre qu'à travers un budget, une politique de la ville ou la priorité donnée à l'éducation, il ne s'en désintéresse jamais, je crois qu'un parlement national doit porter son regard sur des phénomènes dont l'ampleur, aussi bien humaine qu'économique, connaît depuis quelques années une croissance considérable. La modernité, la proximité, la citoyenneté, cela consiste aussi à se préoccuper de ce qui fait l'intérêt et la passion des français. Autant, sinon plus qu'un monument à la gloire du sport, j'ai donc tenu, avec tous mes collègues et notre bureau, à faire de cette exposition également un moment de réflexion. Elle passe en revue, dans trois espaces distincts, les différents aspects, historique, politique et économique, qui font du sport un enjeu démocratique.
Il fallait qu'une telle exposition fût fidèle à ce qui doit rester le fondement du sport : le jeu. Elle est donc construite sur un mode ludique et selon une scénographie dynamique. Elle tente, dans un bâtiment construit voici deux siècles, de restituer la réalité vivante du sport. Elle intègre, en plus de photographies, d'affiches et de textes, des films et des objets, certains glorieux, d'autres insolites. Par exemple, le piolet de Pierre Mazeraud, les pointes de Roger Bambuck, le short de Guy Drut, les patins d'Alain Calmat. Oui vraiment, tout sera là ou presque. Sans négliger cette pièce étonnante : l'armoire de gymnastique de Léon Gambetta.
La plus récente exposition organisée dans nos murs a porté sur «  Les Révolutions de 1848 : L'Europe des Images ». Elle a rassemblé plusieurs dizaines de milliers de visiteurs. Son succès me fait penser qu'il en sera de même pour celle-ci.
Le Palais Bourbon, parce qu'il est la maison de tous et de toutes, devait s'unir à ce formidable moment d'échange et d'accueil que sera le rassemblement des meilleurs « onze » mondiaux. Pendant deux mois, l'exposition aura lieu, en plus des galeries traditionnellement réservées à ces manifestations, dans les jardins mêmes de l'Hôtel de Lassay. L'accès en sera libre. Nous retrouverons, au cœur de notre démocratie, ce mélange de culture, d'âges et de couleurs dont la Coupe du Monde est l'occasion.
Avec l'accord du ministère de la Jeunesse et des Sports Jean Durry, directeur du Musée national du Sport, a très aimablement accepté de concevoir et d'organiser, à partir notamment des remarquables collections du musée qu'il dirige, cette exposition avec les services de l'Assemblée. Il a mis son talent et ses grandes connaissances à notre disposition. Je l'en remercie chaleureusement. Je suis heureux que l'Assemblée Nationale, qui a su siéger sur ses bancs de nombreux sportifs, qui s'est souvent préoccupée du sport et devra le faire au fil de ses débats, lui ouvre aujourd'hui toutes grandes ses portes. Puissions-nous contribuer, à notre mesure, sans parti pris, mais avec ferveur, à ce que la fête que nous accueillons à partir du 10 juin se déroule de la plus belle manière.
Sur la route du stade de France, l'Assemblée nationale, le sport et la démocratie vous attendent. Bienvenue !