Interview de M. Pierre Mauroy, sénateur PS, à RTL le 7 novembre 1993, sur la réduction du temps de travail, le conflit d'Air-France, la politique de M. Balladur notamment vis-à-vis du secteur public et sur le projet de loi de peine perpétuelle.

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Média : Emission Le Grand Jury RTL Le Monde

Texte intégral

Passages importants.

Être socialiste aujourd'hui (…), c'est d'abord être dans l'opposition, c'est-à-dire en face de la droite ; c'est avoir des idées ; c'est être porteur d'un grand projet ; c'est aussi participer au mouvement du monde (…) ; c'est être à l'unisson du monde. (…)

Les socialistes sont partout où il y a des hommes et des femmes opprimés. (…) L'Internationale socialiste est la seule formation au monde qui soit sur tous les continents avec les plus démunis. (…)

Être socialiste, c'est être dans l'espérance d'un monde meilleur, et sans doute plus solidaire et plus fraternel. (…)

Réduction du temps de travail et lutte contre le chômage

Le fléau des fléaux, c'est le chômage. (…) Il induit d'autres maux : le problème des banlieues, la drogue, par exemple. (…)

La gauche reviendra au pouvoir si elle est capable d'avoir un projet pour réduire le chômage, si elle est capable de dessiner la perspective d'une société d'activités pour chacun – je ne dis pas de plein emploi. (…)

La grande majorité de la droite ne veut pas des 32 heures. Cependant, quelques-uns se disent : pourquoi pas ? (…)

La gauche ne peut absolument pas accepter que l'on aille vers une réduction du temps de travail s'il s'agit dans le même temps de réduire dans des proportions inacceptables les revenus. (…) Comment ceux qui sont soumis à la politique sociale du Gouvernement, à une perte de leur pouvoir d'achat, à l'angoisse du chômage, pourraient-ils voir leurs revenus salariaux réduits ? (…)

Je m'inscris dans la perspective des 32 heures, avec Michel Rocard et de la même façon, c'est-à-dire avec passion. (…) Je m'inscris dans la perspective d'une société qui travaille moins, et qui a plus de temps libre pour se cultiver davantage. (…)

Il faut procéder par étapes.

Les 32 heures se placent dans la perspective d'une autre société. (…) Cela demandera du temps. (…) Il faudra convaincre toute la gauche (…) et nous mettre d'accord aussi avec nos partenaires européens. Dans les prochains mois, nous travaillerons activement pour avancer dans cette voie. Mais, en chemin, il y a des mesures à prendre en ce qui concerne la lutte contre le chômage, qui me paraît aujourd'hui l'essentiel. (…)

La perspective des 32 heures est ouverte. Je l'ai d'ailleurs moi-même ouverte avec le passage aux 39 heures. (…)

Nous ne disons donc pas que les 32 heures doivent être immédiates. Ce n'est pas possible dans une période de récession où l'on essaie de trouver les moyens d'avoir une croissance. (…)

Le passage des 40 aux 39 heures

La réduction du temps de travail nous la portions. (…) Jamais les organisations syndicales n'avaient envisagé une perte de salaire. (…) Il y avait un débat interne au parti socialiste. (…) La réduction d'une heure devait se faire sans diminution des revenus. Mais le problème se posait pour continuer, et moi, je voulais continuer. (…)

Q. : Combien d'emplois ont-ils été créés par le passage aux 39 heures ?

R. : Personne n'est capable de le dire exactement. L'objectif était de descendre au moins jusqu'à 37 heures. (…) Je me battais sur la crête des 2 millions de chômeurs. J'avais lancé en outre quelque chose qui à l'époque faisait bondir tout le monde : le traitement social du chômage. J'ai fait école. (…)

Quand on parle de partage du travail, il faut se rendre compte que le chômage est déjà un partage. (…) Mais c'est le partage le plus inacceptable. (…) Ceux qui ont du travail doivent avoir une prise de conscience permettent un système où l'on puisse diminuer le temps du travail avec la participation de tous, dans certaines conditions. (…)

On sent que les Français ne croient pas en l'avenir. (…) Ils ressentent une certaine désespérance. (…) Ceux qui s'amusent avec des allumettes en parlant de diminution des revenus ne se rendent pas compte qu'ils risquent l'explosion. (…)

La popularité de M. Balladur

La cote de M. Balladur baisse tous les jours. (…) Moi aussi, j'ai connu un état de grâce, et pendant un an. L'état de grâce ne dure pas. (…)

Le rejet des socialistes s'exprime encore, mais de moins en moins. Chaque jour qui viendra, ce rejet diminuera. (…)

Le conflit d'Air France et les acquis sociaux

Il est sûr que la politique du Gouvernement actuel est une politique de régression sociale. (…) On s'avance pour remettre en cause certains acquis sociaux, et on recule (…) car on se rend compte que ce n'est pas possible. (…)

Le plan d'Air France était le plan du Gouvernement. Celui-ci s'est « aventuré ». (…) Il a reculé. Je ne dis pas qu'il a eu raison de reculer (…), je dirai plutôt qu'il a eu tort de s'aventurer. (…)

Q. : Auriez-vous accepté qu'un membre de votre entourage prenne la présidence d'Air France ?

R. : Ce sont des gens libres, au service de l'État. Ils servent la République. (…) Il est normal que l'on appelle ceux qui sont capables à de hauts postes de responsabilités. (…) Compte tenu de la gravité de la situation d'Air France, il ne me déplaît pas que ce soit justement dans l'entourage des socialistes qu'on ait trouvé le meilleur. (…)

Le Premier ministre et les entreprises publiques

Le Gouvernement se met en avant dans le secteur public. Le conflit d'Air France en a donné un exemple. Nous étions quant à nous beaucoup plus prudents. (…) J'ai, en ce qui me concerne, toujours parlé de l'autonomie des entreprises publiques et nous étions attentifs à leur laisser une liberté de gestion. (…)

Je suis surpris quand j'entends dire qu'il ne peut y avoir de licenciements dans le secteur public. (…) C'est donc qu'il servirait à quelque chose ! (…) Mais M. Balladur passe du côté cour au côté jardin en marquant son intérêt pour le service public tout en privatisant à tour de bras. (…) Il y a là une contradiction majeure.

Q. : Que pensez-vous de la valse des PDG ?

R. : En France, nous avons des règles : lorsqu'il y a changement de majorité, des changements surviennent à la direction des entreprises publiques. Nous en avons décidé, et la droite le dénonçait tous les jours, je vois que le Gouvernement en place fait de même. Tout est dans la manière. (…)

J'en vois certains qui sont placés à la tête d'établissements qui resteront dans le secteur public alors que d'autres sont placés à la direction d'établissements qui passeront dans le secteur privé. (…)

Avec les nominations à l'UAP et à la BNP, notamment, on voit que c'est le réseau du capitalisme, que l'on veut dire moderne, qui se met en place. (…) Mine de rien, on assiste à l'emprise du pouvoir capitaliste sur des entreprises qui faisaient jusque-là partie du secteur public ou semi-public. (…)

Avec le Gouvernement, nous assistons à l'arrivée d'un pouvoir financier. (…) Ceux qui sont placés à la tête d'entreprises qui passeront au privé sont là pour durer. (…) S'il y avait une alternance, on voit mal comment nous pourrions changer cet état de fait, à moins de renationaliser, mais ce n'est pas dans notre programme. (…)

Le projet de prison à perpétuité pour les assassins d'enfants

Je comprends très bien que ces crimes abominables soulèvent la passion, la colère et que l'on demande un châtiment exemplaire. Ces criminels sont peut-être peu nombreux, mais ils sont odieux et il est bien normal que la société se mette en situation de les empêcher de nuire. (…)

Mais je m'étonne que le Garde des sceaux, qui paraît souvent si mesuré, ait pu prendre une décision aussi rapide. (…) La peine incompressible a été abaissée à 18 ans lors de la réforme du code pénal : la droite et la gauche étaient tout à fait d'accord. (…)

Il y a des gens qui, après avoir purgé une longue peine, sont transformés. Il y en a d'autres qui ne le sont absolument pas (…). Des peines définitives ne sont pas en harmonie avec l'amour que l'on porte à la vie, quel que soit le caractère odieux des crimes. Si après les avoir suivis en prison, on s'aperçoit qu'il n'est pas possible de remettre en liberté certains êtres, il faut les garder en prison à perpétuité. (…) Ce projet apporte une réponse trop rapide et finalement trop simple. Il vise à satisfaire rapidement l'opinion publique, mais il ne peut pas satisfaire la justice et ceux qui connaissent ces problèmes. (…)

Q. : Que pensez-vous de la proposition de rétablissement de la peine de mort formulée par 137 députés ?

R. : Je suis contre le rétablissement de la peine de mort. (…) Dans le monde actuel, tout le monde se recroqueville, a peur, et le Gouvernement de droite sait jouer des peurs. (…) Devant tous les problèmes de l'instruction, on pourrait aussi rétablir la Question ! Ce serait indigne de notre aventure humaine, indigne du mouvement de la République, du mouvement des idées qui sont allées vers le progrès et la civilisation. (…) Une démocratie se doit, sur ces problèmes, de rester attentive, ferme, décidée, ne doit pas craindre d'imposer des châtiments durs et quelquefois impitoyables. Mais il ne faut pas oublier que nous sommes à la fin du XXe siècle et qu'il ne peut pas être question de retourner en arrière, au Moyen Âge. (…)

Bernard Tapie

Bernard Tapie est un homme de convictions à gauche, qui s'est battu avec la gauche. Il a par conséquent sa place à gauche. Quant à savoir s'il est capable de mener la rénovation des Radicaux de gauche, la connaissance que j'ai de ces derniers et celle que je peux avoir de Bernard Tapie me conduisent à penser qu'ils ne sont pas tout à fait sur la même longueur d'ondes. Mais peut-être que la rénovation est à ce prix. (…)

La situation en Algérie

Pauvre Algérie ! Ce qui se passe en Algérie est odieux et tout à fait inacceptable. Le Gouvernement français ne peut pas l'accepter. (…) Je comprends tout à fait la position du ministre de l'Intérieur. Mais là encore, il ne faut pas manipuler la peur et surtout prendre en garde de ne pas relancer un mouvement xénophobe à l'égard de tous les Algériens et Algériennes qui sont sur notre territoire, qui y travaillent, qui honorent leur nationalité, qui sont devenus Français ou qui ont des enfants français. (…)

L'internationale socialiste et le rapprochement entre Israël et l'OLP

À l'intérieur de l'Internationale socialiste, il y a un comité Moyen-Orient (…) qui a joué un rôle essentiel. (…) Un travail considérable a été fait. (…) À plusieurs reprises, je suis allé en Israël lorsque la droite y était au pouvoir. J'ai toujours dit que l'on arriverait à ouvrir le chemin de la paix lorsque la gauche reviendrait au pouvoir en Israël. J'ai travaillé pour qu'il en soit ainsi. (…)