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Édouard Balladur rencontre, aujourd'hui, les responsables politiques et syndicaux du pays sur le dossier du GATT. Hier soir, sur TFI, il n'a toujours pas parlé de veto sur le volet agricole du commerce mondial. Pour sa part, le ministre de l'Agriculture a souligné : "Notre démarche est d'éviter la crise." Dans un entretien accordé à "l'Humanité", André Lajoinie souligne, de son côté, que "la France a déjà trop cédé". Il souligne la nécessité que notre pays oppose son droit de veto à tout accord contraire à ses intérêts fondamentaux. Les communistes agissent pour transformer le GATT en une nouvelle instance de coopération, dégagée de la tutelle américaine, et permettant un progrès pour tous les peuples.
L'Humanité : Le Premier ministre vous reçoit aujourd'hui avec les présidents des groupes parlementaires communistes pour discuter des négociations du GATT. Qu'allez-vous lui dire ?
André Lajoinie : Nous allons solennellement lui demander de tirer la dure leçon de l'expérience qui peut être résumée de la façon suivante la France a déjà trop cédé. C'est la raison pour laquelle nous nous trouvons dans la situation actuelle où, forts des capitulations successives de notre pays et de la Communauté européenne, les dirigeants des États-Unis sont plus arrogants que jamais. Ils ne parlent même plus de négocier. Ils veulent imposer leur loi impitoyable pour mettre l'Europe et la France à genoux. Nous ne l'accepterons pas. Nous demandons donc gouvernement de résister et nous exigeons de lui qu'il ait la même fermeté que le général de Gaulle en 1966, en opposant son veto. Malheureusement, ses récentes déclarations sur la possibilité d'accepter des accords partiels vont plutôt dans le sens d'une capitulation camouflée.
L'Humanité : En quoi la France a déjà trop cédé ?
André Lajoinie : Dès 1962, le gouvernement français et la Communauté européenne ont ouvert les frontières, sans contreparties aux importations de produits céréaliers et de matières grasses végétales américains. En 1986, le gouvernement Chirac a accepté d'inclure l'agriculture, les secteurs du tourisme, du textile, des communications et celui de la propriété intellectuelle dans ces négociations. Puis, en 1992, le gouvernement Bérégovoy a accepté la réforme négative de la politique agricole commune et a donné sa caution pour que la Commission européenne négocie le préaccord agricole de Blair House. Et, en juin dernier, le gouvernement Balladur a capitulé sur l'accord des oléagineux. Ainsi, de concessions en abandons, les gouvernements successifs ont affaibli la position de la France et renforcé l'arrogance américaine.
L'Humanité : Si la France acceptait les exigences américaines, quelles en seraient les conséquences ?
André Lajoinie : Elles seraient catastrophiques. En matière agricole, ce serait une aggravation de la PAC qui déjà met 15 % des terres en friche, puisque le préaccord de Blair House réduirait de 21 % nos exportations agroalimentaires. Ce serait une accélération dramatique de la désertification rurale avec de terribles conséquences, humaines, écologiques et de déséquilibres du territoire. En matière culturelle, l'invasion, sans entraves, des films et productions audiovisuelles américains leur assurerait le monopole culturel. Ce serait la perte de l'identité culturelle nationale, accompagnée de terribles suppressions d'emplois. Comment le gouvernement américain peut-il justifier, comme il vient de le faire, cette inclusion des biens culturels dans le GATT, alors qu'aujourd'hui il exporte 75 % des programmes de télévision et de cinéma en Europe, tandis qu'il n'en importe que 2 % des mêmes pays ? Capituler sur ces deux grands dossiers, ce ne serait pas sauvegarder les autres secteurs, puisque des menaces comparables pèsent aussi sur l'aéronautique, les textiles, les télécommunications, les transports, les services. Au total, ce seraient des centaines de milliers d'emplois supplémentaires supprimés. La France en serait saccagée.
L'Humanité : Que pensez-vous de cette campagne suivant laquelle l'utilisation de veto français déclencherait une crise ?
André Lajoinie : La crise, les populations la vivent déjà douloureusement. Elle s'amplifierait considérablement, comme je viens de le dire, si la France capitulait dans les discussions du GATT. L'expérience de 1966, où le général de Gaulle avait utilisé le droit au veto, montre que la France peut se faire respecter et trouver des soutiens auprès de peuples qui subiraient également des conséquences préjudiciables.
L'Humanité : Quelles propositions allez-vous faire pour sortir de l'impasse actuelle ?
André Lajoinie : Premièrement, je le répète, la France doit opposer son veto à tout accord mettant en cause ses intérêts fondamentaux. D'autre part, nous allons proposer que la France prenne une initiative nouvelle de grande ampleur. Elle doit cesser de déléguer ses pouvoirs à des commissaires européens non élus, qui négocient en dehors des peuples et contre eux. Elle doit faire respecter le principe de la préférence communautaire et refuser la substitution à ce principe "d'une économie ouverte où la concurrence est libre" prônée par Maastricht. Enfin, elle doit agir pour transformer le GATT en une nouvelle instance de coopération, dégagée de la tutelle américaine, qui agirait dans le respect de la souveraineté de chaque pays, pour refuser le dumping social, pour mettre en place des mécanismes de clauses sociales, de protection de l'environnement, de correction des taux de change, de relèvement des prix de matières premières, d'actions pour vaincre la famine et le sous-développement.