Déclaration de M. Michel Rocard, ministre de l'agriculture, sur la production et la politique céréalières, Angers le 16 juin 1983.

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Circonstance : Congrès de l'AGPB ( producteurs de blé ) à Angers

Texte intégral

Monsieur le président, mesdames et messieurs,


Mon entrée en fonctions au ministère de l'agriculture est intervenue dans une période où se tiennent traditionnellement beaucoup de congrès professionnels.

Cela m'a donné de nombreuses occasions d'expliquer les lignes de force de la politique que j'entends mener.

Votre congrès m'offre aujourd'hui la possibilité de préciser ces lignes pour un secteur de production particulier. Je le fais d'autant plus volontiers que ce secteur – nous en reparlerons longuement – joue un rôle essentiel dans la stratégie de croissance de l'agriculture française.

Il se trouve actuellement confronté à des difficultés.

Face à celles-ci, je partage vos inquiétudes ; mais je crois, et c'est ce que je voudrais vous dire, que vous avez les moyens de les surmonter.

La campagne 1982-1983 a vu la production et la collecte de blé dépasser les niveaux les plus élevés atteints jusqu'à présent. Ces résultats, qui confirment une nouvelle fois l‘importance du potentiel de croissance de la production française, constituent un élément rassurant face aux inquiétudes qui ont pu être formulées ces dernières années sur un risque de plafonnement de nos capacités.

Mais cette campagne a vu également s'alourdir les menaces diverses qui pèsent sur les débouchés de la France et de la communauté et sur leur politique céréalière.

Ainsi que nous pouvions le craindre depuis le début de la crise internationale, la demande mondiale a actuellement tendance à se contracter. Malgré l'importance des besoins non satisfaits dans le monde, l'aggravation de la situation financière de nombreux pays en voie de développement, et même de certains pays socialistes, ne leur permet plus de faire face au coût de leurs achats. Sur ce marché resserré, la concurrence a été d'autant plus vive que, dans le même temps, la production atteignait des niveaux élevés dans la plupart des pays exportateurs.

Cette concurrence, essentiellement dans le cas des Etats-Unis, a malheureusement pris des formes tout à fait excessives, et qui ne sont pas compatibles avec les usages normaux en matière de commerce international.

Alors que la commission des communautés, de sa propre initiative et nous aurons l'occasion d'en reparler avait accepté de limiter unilatéralement les exportations de la CEE et d'augmenter son stock de report, les Etats-Unis qui n'avaient pu obtenir au sein du GATT une remise en cause de la politique agricole commune, ont très clairement décidé de prendre par la force ce qu'ils n'avaient pu gagner par la diplomatie.

S'appuyant sur un dispositif de crédits « mixes » dont aucune argutie juridique ne peut dissimuler qu'il recouvre en fait une forme particulière de subvention à l'exportation, pratiquant dans de nombreux cas des prix qui sont à l'évidence des prix de dumping et recourant au besoin à d'autres arguments, d'ordre diplomatique, ils ont entrepris de chasser la communauté et la France de zones qui étaient leurs débouchés traditionnels, principalement dans le bassin méditerranéen.

La situation ainsi créée est grave, et je comprends tout à fait les inquiétudes que vous manifestez à son sujet. Elle nous incite d'abord à réagir fermement, en réaffirmant les positions traditionnelles de la France et en défendant ses intérêts. C'est ce qui a été fait, non sans succès, et je voudrais d'abord vous le rappeler. Elle nous incite ensuite à nous interroger sur ce que doit devenir notre politique céréalière dans la situation actuelle de l'Europe et du Monde. Nous en parlerons ultérieurement. Le développement de la production et des exportations de céréales constitue pour la France un intérêt vital, qu'elle ne peut accepter de voir remis en cause.

Dans une période où les importations inévitables d'énergie et de matières premières pèsent sur notre balance commerciale et ou la modernisation indispensable de notre appareil industriel conduit nécessairement à court terme à des importations de biens d'équipement, le maintien et le développement du solde positif de nos échanges agro-alimentaires est une condition essentielle de l'équilibre des échanges extérieurs et, par-là, de l'indépendance nationale.

Or, nous savons tous que l'excèdent réaliser dans le secteur des céréales représente l'essentiel du solde positif global et que ce secteur a toujours été l'un des plus dynamiques de nos exportations. Cette constatation devrait suffire à elle seule, pour faire comprendre à nos différents partenaires que la France ne peut pas accepter une remise en cause des positions acquises dans ce domaine.

J'ajoute toutefois que, en cette matière, l'équilibre des échanges n'est pas le seul élément à prendre en compte. Depuis la création de la communauté, la France a largement contribué à l'équilibre des productions communautaires, grâce à l'existence sur son sol de grandes exploitations qui pouvaient se spécialiser, dans de bonnes conditions, dans les productions végétales mécanisées. Personne n'a intérêt aujourd'hui à ce que cet équilibre se trouve trop profondément perturbé.

Pour ces motifs, la France ne peut accepter d'abord que la fixation des prix de campagne soit guidée par la volonté de rapprocher les prix communautaires des prix constatés à l'extérieur de la C.E.E.

Cette idée est parfaitement ridicule lorsqu'il s'agit des prix mondiaux. Tout le monde devrait savoir depuis longtemps que les marchés mondiaux restent des marchés d'ajustement, malgré l'importance des échanges qui s'y opèrent et malgré le rôle directeur qu'y jouent, en moyenne période, les prix intérieurs des principaux exportateurs. Les prix mondiaux se déterminent de manière trop aléatoire et trop fluctuante pour offrir une référence économique quelconque.

L'idée peut paraître plus séduisante s'il s'agit de se rapprocher des prix intérieurs de nos principaux concurrents commerciaux. Mais elle ne résiste pas non plus à l'analyse.

Le rapport introductif présenté à votre congrès montre bien les disparités profondes qui existent entre les conditions de production des céréales aux Etats-Unis et en France, on ne peut pas raisonnablement soutenir que des productions faites dans des conditions aussi différentes doivent avoir les mêmes niveaux de coût et de prix ; sauf si l'on se réfère, sans le dire, à la vieille théorie des avantages comparatifs dont nous savons bien qu'elle ne  peut pas aboutir à une organisation équilibrée des rapports économiques et politiques internationaux, mais seulement à accroître la tutelle des plus forts sur les autres.

Les résultats des négociations communautaires prêtent toujours à interprétation. Pour ce qui concerne la France, j'ai accepté l'accord final sur les prix parce qu'il ne me paraissait pas raisonnablement possible d'espérer aboutir à un meilleur accord dans la situation actuelle de la communauté et parce que les prix fixés, grâce à la modulation introduite dans le démantèlement des M.C.M. négatifs, ne s'éloignent pas trop de ce qui est souhaitable en termes de hiérarchie. Je n'ai en aucune manière accepté l'idée selon laquelle le niveau de prix fixé pour les céréales tiendrait compte de la nécessité de le rapprocher des cours mondiaux.

La France ne peut pas accepter non plus le principe de la coresponsabilité, qui a été posé en 1980 dans des conditions un peu hâtives, soit appliqué sans que soit assuré simultanément un meilleur respect de la préférence communautaire.

En effet, l'accroissement des exportations de céréales françaises et communautaires sur le marché international n'est, pour l'essentiel, que la contrepartie des importations croissantes de céréales et de produits de substitution et même, dans une large mesure, des importations de tourteaux d'oléagineux, qui n'apportent pas que des protéines dans les rations des animaux.

Il est donc hors de question que la France admette une politique de coresponsabilité qui ne soit pas assortie d'une meilleure maîtrise des importations et d'un accroissement de la préférence communautaire.

Nous devons reconnaître que, jusqu'à présent ce préalable a été, dans l'ensemble, compris par la communauté.

L'application de la coresponsabilité a été très clairement liée, notamment dans sa durée, à l'évolution des importations de produits de substitution, et subordonnée à la mise en oeuvre d'accords tendant à maîtriser ces importations.

Les progrès les plus significatifs ont été réalisés dans le cas du manioc, grâce aux accords d'autolimitation passés avec la Thaïlande, et par la déconsolidation partielle des droits pour les autres pays exportateurs membres du GATT. Des progrès plus limites ont été faits pour ce qui concerne les sons. Il reste en revanche à régler le cas des sous-produits de transformation du maïs, et en particulier celui du CORNGLUTENFEED. Pour lequel la France a accueilli favorablement les propositions de la commission tendant à fixer un contingent au-delà duquel le droit de douane pourrait être, au moins temporairement, déconsolidé. C'est le minimum qui doit être fait pour un produit qui est de toute évidence largement subventionné pendant sa fabrication.

Instruits par l'expérience et sachant qu'il vaut mieux combler les brèches dans la réglementation communautaire avant qu'elles ne deviennent béantes, nous avons également veillé à ce que le triticale soit soumis désormais à un prix de seuil. Par ailleurs, je vous rappelle que la diminution forfaitaire du prélèvement dont bénéficiait l'Italie sera supprimée à la fin de la présente campagne.

La décision d'incorporation de 2 à 3 millions de tonnes de blé tendre dans l'alimentation animale va également dans le bon sens. L'esprit dans lequel a été conçue la coresponsabilité suppose en effet que, lorsque les blés communautaires sont anormalement concurrencés sur les marchés tiers, les dispositions soient prises pour qu'ils trouvent des débouchés accrus sur le marché intérieur.

Cette décision n'a de sens toutefois que si elle se traduit par une augmentation de la consommation communautaire de céréales et non par la substitution de blé tendre aux céréales fourragères, et si elle ne n'entraîne pas de nouvelles distorsions entre pays de la C.E.E. en matière de coûts de l'alimentation animale. La délégation française au comité de gestion a reçu des instructions strictes pour y veiller. Il n'est pas certain, compte tenu des précédents constatés dans le cas de la poudre de lait notamment, qu'une procédure d'incorporation obligatoire soit la plus appropriée ; mais le respect des conditions posées par la France doit passer au moins par un contrôle effectif des quantités utilisées.

La France ne peut admettre, enfin, d'être agressée dans de telles conditions sur ses marchés traditionnels sans réagir.

Sur notre demande, une plainte a été déposée par la C.E.E. dans le cadre du GATT contre les conditions dans lesquelles les Etats-Unis ont conquis le marché égyptien de la farine. Cette plainte est en cours d'instruction depuis le 19 mai. J'étudie par ailleurs, en liaison avec ma collègue chargée du commerce extérieur, les conditions dans lesquelles les procédures de crédit à l'exportation pourraient être améliorées pour contrebattre la concurrence américaine.

Enfin, la France et la communauté ont réagi à la perte de certains débouchés traditionnels en diversifiant leurs exportations. Les débouchés importants qui ont pu être ouverts, notamment sur l'URSS et la Chine, ont assez largement compensé les reculs enregistrés dans d'autres pays. Les contacts nécessaires sont pris pour permettre de développer ultérieurement les exportations sur d'autres marchés potentiels qui se profilent, en particulier en Asie du sud-est.

 Au total, grâce à ces différentes mesures, grâce aussi à la reprise partielle de l'intervention sur le blé en Juin, grâce enfin aux dispositions prises pour dégager les installations de stockage des organismes collecteurs, la campagne 1982-83 se termine dans des conditions bien meilleures qu'on ne pouvait le craindre voici quelques mois. Malgré les problèmes rencontrés sur les marchés extérieurs, les exportations françaises sur pays tiers approcheront 8 millions de tonnes, marquant ainsi une nette progression par rapport aux campagnes précédentes.

Il est clair, néanmoins, que les difficultés rencontrées cette année ne sont pas passagères, même si elles ont été aggravées par l'importance de la récolte mondiale, et que nous devons nous interroger sur ce que pourront être les futures voies de notre expansion céréalière, et sur les réorientations nécessaires de notre politique agricole.

Les difficultés ne sont pas passagères, vous le savez.

L'expansion de l'agriculture française et des agricultures européennes se heurte à la saturation globale du marché communautaire au moment même où la persistance et l'approfondissement de la crise internationale pèsent sur les débouchés extérieurs en contractant la demande solvable. Certes, la C.E.E. est loin d'être autosuffisante dans tous les secteurs, et dans le vôtre en particulier. Mais vous savez bien que les lacunes de la protection communautaire ne bénéficient pas seulement aux pays tiers qui exportent sur l'Europe, mais aussi à ceux des pays partenaires qui en profitent pour s'approvisionner à moindre coût et, sur ces bases, pour imposer aux éleveurs français une concurrence inégale. La correction de ces inégalités, qui n'a pu être obtenue dans les années de croissance rapide, devient encore plus difficile à un moment où les conséquences de la crise exacerbent les égoïsmes nationaux.

Néanmoins, malgré ces difficultés, le marché intérieur communautaire reste incomparablement plus sûr que les marchés internationaux, en termes de prix et de régularité des débouchés, par ailleurs, les efforts d'exportation hors C.E.E., en raison de leur coût butent de plus en plus sur la contrainte budgétaire qui se resserre dangereusement.

Je sens bien que, pour ces différentes raisons, se fait jour et s'accentue une tendance au repli sur la communauté.

Je crois très profondément que nous ne devons pas y céder, même si les voies alternatives, dans l'immédiat, semblent étroites.

J'ai déjà eu l'occasion de dire que l'Europe n'a pas de raison de rougir de sa politique agricole ; elle ne soutient pas son agriculture plus que ne le font ses principaux concurrents ; elle n'a donc aucun motif pour accepter de se retirer, devant eux, du marché international. Cela d'autant, plus que, en dehors de ces concurrents personne ne le lui demande. Aucun de nos partenaires commerciaux ne souhaite actuellement que nous cessions de figurer parmi ses fournisseurs, pour la bonne raison qu'aucun d'entre eux n'a envie de se trouver confronté à un nombre trop limité de vendeurs, voire même à un seul. Nous venons de vérifier que certains n'ont interrompu leurs achats à la C.E.E. que sous le poids de pressions très fortes et que d'autres sont devenus clients de la communauté dans l'intention explicite de diversifier leurs approvisionnements.

 Au-delà de ces raisons, qui tiennent aux rapports entre Etats, interviennent également des motifs qui tiennent à la situation du monde. Les pays industrialisés ne pourront pas éternellement offrir le spectacle de partenaires qui se déchirent pour s'approprier les marchés solvables et pour s'interdire mutuellement de produire, pendant qu'une grande partie de la population mondiale souffre de sous-alimentation. Les pays en voie de développement ne peuvent pas être laissés durablement face à l'alternative de dépendre de l'aide alimentaire ou de tenter de développer leur autosuffisance par des augmentations, de leur prix intérieur sans doute intolérables pour eux dans l'immédiat.

La voix est étroite. Elle suppose que l'on sache combiner, pendant une assez longue période, l'aide alimentaire indispensable, les ventes commerciales et la coopération technique pour le développement.

En contrepartie des efforts faits par les pays tiers pour créer, par étapes, des conditions économiques plus favorables à la croissance de leur agriculture.

Mais il n'y en pas d'autre. Et nous n'avons pas de raison pour désespérer à priori de la capacité de l'Europe à s'y engager.

J'ai déjà indiqué publiquement à diverses reprises mes réticences vis-à-vis de toute réflexion, et à plus forte raison de toute négociation, sur la réforme de la P.A.C., qui viserait à adapter les acquis et les mécanismes de cette politique sans référence à un projet nouveau et mobilisateur. Il me semble que c'est notamment autour de celui que je viens d'esquisser que pourrait se nouer le dialogue.

Je n'ai pas pour autant la candeur de croire que c'est dans cette voie que nous trouverons rapidement les moyens de desserrer les contraintes qui freinent actuellement l'expansion de notre céréaliculture.

Pour assurer cette expansion, vous aurez – nous aurons ensemble – à mener des combats difficiles dans les prochaines années, ces combats n'ont pas de front privilégié : ils devront être les mêmes aussi bien à l'exportation que sur le marché intérieur communautaire.

Pour ce qui concerne l'exportation, je vous ai indiqué tout à l'heure ma volonté de ne pas accepter sans réagir la remise en cause de nos courants traditionnels, et les actions déjà entreprises dans ce sens.

A court terme, compte tenu de la situation du marché mondial, l'application de cette volonté passe inévitablement par une discussion internationale.

La France y est prête, sous deux conditions toutefois.

En premier lieu, il n'est pas question que cette discussion se déroule, comme cela a été le cas depuis un an, entre la C.E.E. et les Etats-Unis seulement, les autres pays exportateurs ne sont pas restés immobiles sur le marché ; aucun accord ne peut être discuté maintenant s'ils n'y sont pas impliqués.

Par ailleurs, l'affaire est trop importante pour que l'on puisse continuer à la traiter comme un simple problème de gestion des marchés. Si la commission des communautés européennes a vocation pour conduire une telle discussion au nom de la C.E.E., elle ne peut le faire désormais que sur la base d'un mandat clair défini par le conseil des ministres.

L'accroissement des exportations se heurte, vous le savez, aux difficultés budgétaires de la communauté. Votre organisation a depuis longtemps fait preuve de son sens des réalités, en acceptant l'idée d'une coresponsabilité des producteurs pour contribuer à la solution de ce problème. Sur cette question, il me semble que nos analyses sont proches. Le mieux serait sans doute que cette coresponsabilité prenne la forme d'une participation des producteurs à l'effort d'exportation, ce qui permettrait de dégager des ressources financières clairement affectées à cet objet. Mais, tant que nous n'avons pas la certitude qu'une telle participation sera effectivement payée par tous les producteurs de tous les pays membres, la solution appliquée actuellement au niveau de la fixation des prix reste préférable, étant entendu :

- qu'elle est indissociable d'une maîtrise des importations de produits de substitution ;
- qu'elle ne recouvre pas, dans mon esprit, la moindre idée de référence aux cours mondiaux.

Il n'y a pas, enfin, de politique d'exportation durable pour une céréaliculture française dont 40% des exportations de blé tendre vont désormais vers le marché mondial sans développement de stocks régulateurs, et sans un effort général sur la qualité des produits.

Pour ce qui concerne le stockage, l'action entreprise depuis 1981, avec la participation de l'O.N.I.C., sera poursuivie, aussi bien au niveau des capacités de transit dans les ports, qu'au niveau des capacités pour le stockage d'intervention, pour lesquelles un nouveau programme de 500.000 tonnes vient d'être lancé, s'ajoutant aux 1.300.000 tonnes créées dans les deux années précédentes.

Pour ce qui concerne la qualité, les équipements nécessaires sont actuellement mis en place pour permettre l'application effective en 1984 de la certification à l'exportation que l'O.N.I.C. a été chargé de mettre en oeuvre.

Sur le marché intérieur communautaire, les acquis obtenus en matière de maîtrise des importations de P.S.C., même s'ils restent à compléter, permettent d'envisager dans des perspectives plus favorables l'application du schéma-silo.

 La France a toujours attendu de ce schéma qu'il assure à la fois un meilleur respect de la préférence communautaire, une plus grande fluidité du marché, l'établissement d'une hiérarchie de prix plus conforme aux valeurs alimentaires réelles des différentes céréales, enfin une concurrence plus équilibrée entre les différentes zones de production européennes.

Ces objectifs doivent rester les nôtres. C'est dans cet esprit que j'ai accueilli favorablement les propositions de prix faites par la commission, qui vont dans le sens souhaitable en élargissant à nouveau l'écart entre le prix d'intervention et le prix indicatif.

Il faut continuer dans cette voie, sans s'imaginer toutefois que les conditions d'un bon fonctionnement du schéma-silo sont toutes actuellement réunies. Indépendamment des efforts qui restent à faire pour la maîtrise des importations de P.S.C., il faut bien voir deux choses :

tout d'abord, l'une des conditions indispensables de la transparence du marché réside dans l'appréciation correcte des qualités des céréales commercialisées ; les techniques mises au point en France avec la collaboration active des producteurs peuvent en fournir les moyens ; il nous reste à en convaincre certains pays partenaires, dont les soucis de rigueur semblent malheureusement s'atténuer lorsqu'il s'agit d'appliquer des règles précises à leur propre production.

Par ailleurs, les conditions ne sont pas encore réunies pour que le schéma-silo assure à lui seul un fonctionnement harmonieux du marché. C'est pourquoi la France a déjà demandé à plusieurs reprises, en comité de gestion, que l'intervention au prix de référence sur le blé tendre pendant les premiers mois de la campagne soit reconduite en 1983, enfin et plus généralement les conditions d'un bon fonctionnement du marché céréalier ne reposent pas seulement sur sa réglementation propre. J'ai eu suffisamment l'occasion de m'exprimer sur le problème des montants compensatoires monétaires pour ne pas avoir besoin de reprendre la question devant vous. Il est clair que les conditions de concurrence dans le marché commun agricole resteront parfaitement inéquitables tant que ces dispositifs subsisteront ou du moins tant que leur dérèglement rapide ne sera pas rendu obligatoire par des engagements contraignants.

Vous connaissez la position et les actions de la France sur ce sujet.

Coresponsabilité indispensable pour le développement vers l'extérieur, compétitivité accrue sur le marché intérieur à l'abri de la préférence communautaire : vous savez ce que cela veut dire.

Cela signifie qu'il n'y a pas de voie réaliste pour assurer l'expansion de la céréaliculture française que dans le cadre d'une gestion prudente des prix. Toute autre hypothèse, en raison des concurrences possibles à l'intérieur de la C.E.E. et de la situation budgétaire, serait déraisonnable.

Cette voie n'est pas hors d'atteinte : c'est celle que vous avez suivie depuis plus de vingt ans, après la simulation initiale que vous a assuré la fixation des premiers prix communs.

Il faut donc prendre les moyens de la poursuivre, c'est-à-dire continuer l'effort de productivité qui est plus que jamais indispensable, en tenant compte toutefois des conditions économiques créées par la crise, et par l'accroissement du coût des matières premières importées. Cela ne signifie naturellement pas que la productivité passe désormais par une diminution de la production. Cela signifie, en revanche, dans les nouvelles structures de prix, que l'accent ne doit plus être mis seulement sur la productivité physique, mais plus globalement sur l'efficacité économique des techniques de production. Des actions comme les opérations blé-conseil et maïs-conseil vont, de ce point de vue, dans le bon sens. Il en va de même de celles entreprises plus récemment en faveur du développement des productions qui intéressent particulièrement le sud de la France : sorgho, riz, blé dur, blés de force – et qui présentent pour la plupart des déficits anormaux, face auxquels il fallait réagir.

Ces actions pourront s'appuyer sur la poursuite de l'effort de l'état en matière d'équipements collectifs, qui reste une priorité du ministère de l'agriculture pour le 9e plan. C'est le cas notamment du drainage pour lequel l'action conduite conjointement par le ministère et l'ONIC permettra d'adapter les interventions aux caractéristiques propres des différentes régions intéressées.

Vous souhaitez - c'est légitime – que les gains de productivité que vous pourrez faire ne soient pas confisqués simultanément par l'évolution des prix de marché et par celle de vos coûts d'approvisionnement. Il n'y a en effet aucune raison pour que les efforts demandés actuellement à tous les français en faveur du rétablissement des grands équilibrés économiques soient inégalement répartis. Je vous rappelle que les principaux produits entrant dans l'approvisionnement de vos exploitations font l'objet d'accords de modération qui fixent des normes assez rigoureuses pour les évolutions autorisées en moyenne annuelle, et que les services du ministère de l'économie en suivent attentivement l'application, en liaison étroite avec ceux du ministère de l'agriculture.

Vous souhaitez également que les actions de développement menées en faveur des cultures céréalières bénéficient de financements en croissance. Ainsi que je vous l'ai déjà indiqué, monsieur le président, je ne suis pas fermé a priori à une discussion sur ce sujet, malgré les tensions qui pèsent sur les ressources disponibles, tout particulièrement cette année en raison des incertitudes sur le volume de la production agricole. Il convient toutefois, avant tout examen de ce sujet, que les étapes prévues précédemment soient franchies, notamment pour ce qui concerne le fonctionnement de l'I.T.C.F. J'ai pris acte du fait que les partenaires intéressés avaient sensiblement rapproché leurs points de vue, suffisamment en tout cas pour qu'un accord paraisse désormais possible, et je m'en réjouis.

Il me reste, mesdames, messieurs, un dernier mot à vous dire.

Vous avez la réputation, sans doute justifiée pour une partie au moins d'entre vous, de ne pas être parmi les agriculteurs les plus défavorisés de France. A ce titre, votre solidarité a été souvent sollicitée vis-à-vis des autres catégories de producteurs, ou en votre propre sein.

Il est juste de reconnaître que vous avez généralement répondu à ces sollicitations, que ce soit au niveau de la solidarité passant par les transferts financiers ou à celui de la solidarité plus immédiate dont vous avez sur faire preuve, quand il le fallait, vis-à-vis des éleveurs en difficultés. Je sais que vous vous préparez d'ailleurs à le faire à nouveau cette année, et je vous en remercie.

J'ai bien saisi que, au moins sur le plan de la solidarité financière, vous commencez à éprouver quelques réticences, et que le recouvrement en cours des taxes modulées vous fournit l'occasion de le manifester.

Je comprends que la date à laquelle ce recouvrement est opéré cette année n'est pas la plus heureuse, puisqu'elle coïncide avec l'une des échéances annuelles de l'imposition sur les revenus, et cela dans une période ou la trésorerie des céréaliculteurs est généralement moins à l'aise que dans les mois suivant la récolte.

Dans ce contexte, j'ai été tout à fait sensible aux arguments qui m'ont été présentés par votre président, concernant les difficultés de trésorerie que peuvent rencontrer les producteurs des zones récemment affectées par la pluie ou les inondations.

Sur ma demande, le ministre de l'économie et le secrétaire d'état chargé du budget ont bien voulu en tenir compte, en invitant leurs services à adapter avec compréhension les échéances fiscales et parafiscales pour les producteurs des zones touchées par les calamités, dans les cas où l'examen des dossiers individuels en montrerait la nécessité.

Voilà, monsieur le président, mesdames, messieurs, ce que je souhaitais vous dire. Ne pouvant solliciter exagérément votre attention, je n'ai pu répondre aussi précisément que je l'aurais voulu à toutes vos interrogations.

Nos occasions de contact ne se limitent pas, heureusement, à ce congrès. Vous pourrez reprendre avec mes services, avec mes collaborateurs, et si besoin avec moi-même, le dialogue commence aujourd'hui.

Ce dialogue, nous l'établissons dans une période difficile, d'autant plus difficile, d'ailleurs que la France n'a pas sur mesurer dès 1974 l'ampleur et la gravité de la crise internationale, et qu'elle n'a donc pas su saisir toutes les occasions qui lui étaient donnés de réagir. Je pense tout particulièrement, sur ce plan, à l'évolution de la politique agricole commune.

Nos marges de manoeuvre sont donc devenues plus étroites, et les possibilités d'action de l'Etat plus limitées.

Je souhaite vous avoir convaincus que mon intention est bien de les utiliser au mieux et en tout cas de ne pas céder sur ce qui constitue les intérêts vitaux de notre politique agricole.

Le reste vous appartient. Beaucoup dépendra de vos efforts de productivité et d'organisation. Je n'avais pas de doute, en venant, sur vos capacités à les poursuivre.

Je n'ai pas de doute, en quittant ce congrès, sur l'énergie que vous pouvez y consacrer.