Texte intégral
Q. - Que signifie pour la France le fait d'être l’hôte du monde entier à l'occasion de la Coupe du monde de football, non seulement en termes d’image, de commerce, mais aussi en termes de diplomatie ?
R. - La France est très heureuse et très fière d’accueillir le monde entier à cette occasion, dans un esprit d'amitié et de saine émulation sportive. Nous allons assister à un spectacle magnifique. Il va y avoir beaucoup de talent, beaucoup de joie, beaucoup d’énergie. C'est comme cela que nous concevons les contacts entre les peuples. C'est la plus belle des fonctions du sport, qui permet une sublimation de l'esprit de concurrence et de compétition. Cela va donner un immense plaisir à tous les spectateurs que nous allons accueillir dans les stades de la région parisienne, mais aussi dans toute une série d'autres villes de province. Nous en sommes très heureux.
Q. - De toute évidence, c'est un défi considérable. Ce spectacle va être le centre de toutes les attentions, le centre de tous les regards. 800 millions de personnes seront à l'écoute tous les jours et pendant toute la durée de la Coupe. Quelle est l'image que la France veut donner au monde d'elle-même à cette occasion ? Comment la France veut-elle qu’on la voit ?
R. - Comme elle est. Nous ne voulons pas chercher à « fabriquer » une image spéciale, à l'occasion de cette extraordinaire rencontre sportive. Et même si nous cherchions à le faire, il y aura tellement de visiteurs, tellement de commentateurs, qui se rendront en tous lieux, que cela rendrait la chose impossible. La France se montrera donc comme elle est : accueillante. Et je suis sûr que cela sera une occasion de rencontres, de coopération mutuelle qui fera peut-être plus en quelques semaines pour la compréhension internationale que d'autres événements plus classiques. Essentiellement, la Coupe du monde est une grande fête, pour tous les sportifs, pour ceux qui viennent en France et pour des centaines de millions de gens dans le monde… Cela fait plus d'un an que la France est concentrée sur cette organisation. Nous avons vraiment tout fait pour que cela se passe au mieux. Maintenant, nous attendons le beau spectacle.
Q. - Monsieur le ministre, dans le cadre des relations bilatérales, les relations entre la France et le Mexique ont été au cours des années très solides, mais elles ont également été très contrastées. Les grands penseurs français, comme Voltaire et Rousseau, ont été la source d'inspiration de l'indépendance du Mexique. Ensuite, naturellement, nous avons eu quelques conflits. Depuis, la France a été le berceau de grands peintres mexicains, de poètes, de penseurs, tels que Octavio Paz ou Carlos Fuentes. Je voudrais savoir comment la France voit le Mexique à la fin de ce siècle et au début d'un siècle nouveau ?
R. - Je trouve d'abord que votre présentation des relations franco-mexicaines, de leur base historique, intellectuelle, culturelle, est une excellent présentation. Les racines de notre relation sont extrêmement riches. Je vais faire, si vous me le permettez, une parenthèse : j’étais dans votre pays à Noël, chez mon ami l'ambassadeur Bruno Delaye, et à cette occasion j'ai rencontré beaucoup d’artistes, d’intellectuels. Ce qui m'a frappé une fois de plus, comme lorsque j'avais accompagné le président Mitterrand au Mexique en 1981 lors du sommet de Cancun, et comme à chaque rencontre à Paris, c'est qu'il existe une sympathie, une compréhension, une curiosité et un intérêt immédiats, une étincelle dans les contacts entre les deux pays. Et on se dit à chaque fois que les relations politico-diplomatiques et économiques ne sont pas à la hauteur de ces affinités. Donc une autre idée, et je crois qu'il s'agit d'une idée partagée, consiste à reconcevoir les relations franco-mexicaines dans les conditions d’aujourd'hui, pour en faire une relation bilatérale beaucoup plus forte, plus consistante. C'est tout le sens du voyage que le Président de la République effectuera au Mexique à l’automne prochain, pour donner corps et élan à cette relation, surtout si on considère le rôle du Mexique aujourd'hui par rapport à l'ensemble du continent américain. Le Mexique est véritablement une charnière entre l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud. Pour nous, il s’agit d’un Etat-clé.
Q. - Il est tout à fait sûr que le président Chirac sera reçu avec une affection véritable et une estime profonde de la part du Mexique. Et à cet égard, si vous me le permettez, je voudrais faire une parenthèse pour vous dire que M. l’ambassadeur, Bruno Delaye, et notre ambassadrice ici, Sandra Fuentes, ont été tout à fait fondamentaux pour diffuser non seulement ce qui va arriver dans les stades, mais également ce qu’il y a de meilleur dans l’histoire, dans la culture et dans la technologie de la France à l’heure actuelle. Le Mexique a toujours considéré la France comme un allié naturel au sein des pays développés et de l’Union européenne. Est-ce une bonne appréciation, est-ce exact ?
R. - Tout d’abord, s’agissant de votre remarque : c’est un très bon exemple de l’action moderne, intelligente et utile d’un ambassadeur, qui doit s’adapter à toutes les formes les plus nouvelles des relations internationales. Dans le cas d’espèce, celles-ci sont très denses. D’autre part, la France est un relais de la demande et de la démarche du Mexique par rapport à l’Union européenne. Un accord de partenariat a été signé entre le Mexique et l’Union européenne en décembre dernier. J’étais à cette réunion, j’y suis allé avec mes collègues de l’Union européenne, et je crois qu’on peut dire que la France a apporté une aide réelle pour la signature de cet accord. Nous avons pensé que c’était conforme à l’intérêt du Mexique et de l’Union européenne.
Q. - S’agissant des relations internationales, le Mexique a exprimé sa volonté de restructurer le Conseil de sécurité des Nations unies. Quelle est la position de la France sur ce sujet ?
R. - La position de la France est la suivante. Nous sommes tout à fait d’accord pour constater que le Conseil de sécurité actuel n’est plus assez représentatif du monde d’aujourd’hui. Il a été conçu après la Seconde guerre mondiale. Depuis, les choses ont évolué. A cet égard, nous trouvons légitimes les aspirations et les candidatures de l'Allemagne et du Japon. Mais le Conseil de sécurité, on le conçoit bien ne peut pas rassembler uniquement quelques grands pays de l’hémisphère Nord. Nous cherchons à aller vers un Conseil de sécurité qui soit plus représentatif, tout en restant aussi efficace. Le monde actuel, on le voit tous les jours, a vraiment besoin d'un organe de régulation des crises. Il faut donc que l'Amérique latine soit représentée, que l'Afrique et le monde arabe le soient également, ainsi que les autres partis de l’Asie qui ne le sont pas encore. Mais, pour autant, il ne faut pas porter atteinte au droit de veto : sinon, l'organisation des Nations unies redeviendrait aussi faible que la Société des Nations. Personne ne peut le souhaiter. Voilà la position de la France. Au-delà, la France considère que ce n'est pas à elle de déterminer, dans chacune de ces grandes régions, quel pays doit en être le représentant, si ce doit être toujours le même pays ou s'il faut organiser une alternance. Ce n'est pas à nous de le faire. Nous sommes très ouverts à toutes les propositions. Il faut maintenant un travail politique et diplomatique entre les pays concernés et dans chacun des groupes que j'ai cité. Voilà notre attitude générale et, comme on l'a vu dans les débats aux Nations unies ces derniers temps, la position française est très bien accueillie (…).
Q. - A l’initiative du Mexique s’est tenu à New York, la session extraordinaire de l'assemblée générale des Nations unies contre les drogues. Pouvez-vous résumer la position de la France telle qu’elle a été exprimée par le président Chirac ?
R. - Le président Chirac a développé deux points principaux lors de cette session extraordinaire à New York. Tout d'abord le concept de co-responsabilité : la lutte mondiale contre la drogue doit porter autant sur la demande que sur l’offre. C'est-à-dire que ce problème concerne tout le monde. Ce n'est plus uniquement les pays de grande consommation qui montrent du doigt les pays dans lesquels les drogues sont produites, en pratique les pays du Sud. Cela représente un grand progrès. Le deuxième point, c'est la notion de solidarité : on n'y arrivera que tous ensemble. Ce sont là les deux idées centrales. Cela dit, on sait bien qu'une assemblée générale des Nations unies, même si elle est très importante pour donner un signal au monde, ne peut pas régler à elle seule des problèmes aussi tragiques, aussi enracinés, et aux facettes aussi multiples. Il faut donc que la volonté d'agir se retrouve à tous les niveaux d’implication. Mais je crois que c'était une initiative très utile.
Q. - Vu du Mexique, Hubert Védrine est aujourd'hui l’image même du diplomate des temps nouveaux, avec une conception très novatrice des relations internationales. Comment concevez-vous le rôle de la diplomatie au XXIe siècle, dans un monde qui est certes globalisé, mais qui est également encore morcelé par les régionalismes et les nationalismes ?
R. - La plupart des gens ont une représentation de la vie diplomatique qui remonte à l'époque où il n'y avait de relations diplomatiques qu’entre vingt à trente pays. C'étaient des relations bilatérales, avec de temps en temps, de façon tout à fait exceptionnelle, une rencontre au sommet, portant sur des questions exclusivement politico-diplomatiques. La révolution diplomatique d'aujourd'hui consiste à gérer les relations entre cent quatre vingt cinq pays. Ces relations sont exponentielles, dans un monde global où nous dépendons tous les uns des autres, et on s'aperçoit que presque toutes les décisions doivent maintenant se prendre en négociant avec cinq, cinquante, voire cent cinquante autres pays. Nous négocions jour et nuit, dans plusieurs enceintes, sur des sujets très différents, technologiques, commerciaux, stratégiques, sanitaires, etc. La diplomatie doit donc être polyvalente, parce que c'est elle qui, dans chaque pays, doit apporter une vision synthétique et globale sur toutes ces négociations, pour identifier les priorités, arbitrer. Par exemple, si vous donnez satisfaction à un partenaire dans une enceinte, cela peut vous empêcher d'aboutir à un compromis dans une autre enceinte. La diplomatie joue là un rôle indispensable. Dans chaque pays, il y a bien évidemment des spécialistes. Mais il faut une vision d’ensemble, et que cette vision d’ensemble serve à ce que le monde soit mieux, que les conflits soient traités en amont, qu'on ait de moins en moins recours à la force. Il faut qu'un jour, le recours à la force pour régler les problèmes apparaisse comme une monstruosité aberrante. Il faut créer des enceintes, instaurer des mécanismes. Par exemple, l'Organisation mondiale du commerce (OMC), est un lieu de négociations, parfois très dures entre l’Europe, les Etats-Unis, le Japon, et d'autres grands pays, notamment d’Amérique du Sud. Mais presque tous sont présents, et tous ceux qui ont adhéré à l’OMC ont accepté la compétence de l'organe de règlement des différends. Chacun des points traités à l’OMC aurait, dans le passé, pu faire l'objet d'une guerre. Ce que je dis à tous ceux qui ont le sentiment, lorsqu'ils considèrent la situation au Cambodge, en Afghanistan, dans l'Afrique des grands lacs, au Kosovo ou ailleurs, que le monde ne progresse pas, c'est qu’au contraire il y a espoir, et que, lentement mais sûrement, et d'une façon ingrate, le monde progresse.
Q. - Vous avez dit un mot clé : l’espoir. Avant de terminer, je voudrais vous poser encore une question. Quels sont les rêves d'Hubert Védrine, et comment pensez-vous que l'on peut concrétiser ces rêves ?
R. - Vous savez, j'ai ce qu'on appelle une « éthique de responsabilité ». Je réponds à ce qui fait question, comme tout un chacun, simplement : en essayant de faire le mieux possible en fonction des moyens dont je dispose.
Avant de conclure, je tiens à vous dire que j'ai appris beaucoup de choses en lisant la littérature de votre pays. Ce n'est pas l'objet principal de l’entretien, mais je ne voulais pas vous quitter sans vous avoir dit cela.
Q. - Quel est votre auteur préféré parmi les Mexicains ?
R. - Carlos Fuentes. Mais j'en aime beaucoup d’autres.