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Le débat sur la bioéthique reprend demain à l'Assemblée nationale. Cette loi, réclamée depuis longtemps, a pourtant peu de chances d'être adoptée sous cette législature. Devant les protestations de différentes personnalités et députés, le Président de la République pourrait décider de convoquer une session extraordinaire en janvier. Une mesure qui permettrait d'effectuer les ultimes navettes nécessaires à l'adoption des textes. Hubert Curien, ministre de la recherche et de l'espace, donne son sentiment au JDD sur les trois projets de loi qui concernent l'utilisation du corps humain, l'identité génétique de l'homme et l'utilisation des fichiers de patients pour la recherche. Pour le ministre, ces textes trouvent un équilibre entre "la liberté de la recherche et la protection de la société".
Le Journal du Dimanche : La loi sur la bioéthique est enfin devant le Parlement. Vous n'étiez pas personnellement très favorable à une initiative législative dans ce domaine : avez- vous changé d'avis ?
Hubert Curien : Ma position a toujours été claire. Je souhaitais que la procédure législative fasse suite à une réflexion approfondie qui a été effectivement menée. Les hommes et les femmes qui sont capables de faire avancer la connaissance scientifique doivent pouvoir le faire avec la plus grande efficacité, mais en se conformant à des règles de société définies par la loi, par les règlements et par la déontologie. Les avancées de la connaissance sur la vie ne sont pas faites pour jouer mais pour comprendre, aider et soigner.
Mais j'ai toujours dit aussi que la science galopait plus vite que le droit. L'esprit des projets de loi actuellement discutés par le Parlement est bien de traiter les sujets qui peuvent faire l'objet d'une législation. De plus, il est prévu que les textes pourront faire l'objet d'une révision tous les cinq ans. Ce que je ne souhaitais pas non plus, c'est que l'existence de cas très particuliers, rendus possibles par la connaissance scientifique, ne fasse oublier les problèmes très généraux et essentiels pour notre société. Sur ce point, je peux être aussi très positif. Les lois proposées visent à endiguer des abus sans venir en rien troubler le déroulement de la vie de nos concitoyens. On a cherché et trouvé un équilibre satisfaisant entre les intérêts individuels et collectifs et entre la liberté de la recherche et la protection de la société.
Le Journal du Dimanche : Certains reprochent aux textes d'être flous et de faire l'impasse sur des sujets aussi brûlants que le statut de l'embryon et l'euthanasie.
Hubert Curien : Si cette loi énonce les principes essentiels sans entrer dans tous les détails, c'est pour donner une latitude de jugement à des gens à qui on doit faire confiance. Les médecins sont des hommes et des femmes qui ont besoin de notre confiance et qui la méritent. L'attitude devant la mort, c'est un problème de conscience. Chacun a le devoir d'aider ses proches à mourir paisiblement. Je ne crois pas qu'il soit bon de codifier cette question.
Sur statut de l'embryon, je ne me sens pas la capacité de légiférer sur le moment précis où commence la vie. Si j'admets toutes les interprétations, je ne pense pas qu'une partie de notre société puisse légitimement imposer aux autres des conceptions absolutistes. Ce serait prendre le risque de remettre en cause des avancées sociales comme l'interruption volontaire de grossesse, ce qui serait une erreur.
Le Journal du Dimanche : Jacques Testart parle de loi trop timide. Une position qui reste assez isolée chez les chercheurs et les médecins…
Hubert Curien : Dans notre monde moderne, chacun a besoin d'un guide. Les médecins souhaitaient des indications sur ce qui doit être considéré comme licite ou illicite. Les scientifiques s'emploient à faire avancer la Connaissance: c'est la fierté et l'honneur de l'homme de comprendre le monde dans lequel il vit, et mieux comprendre permet d'agir plus et plus vite dars tous les domaines ; c'est un fait de société. Pourtant, il faut le rappeler, il n'est nullement question de dicter sans nuance une conduite aux médecins mais de leur donner des cadres légaux d'action. Il n'est pas question non plus de brider les scientifiques mais de leur indiquer quelques obligations éthiques.
Le Journal du Dimanche : Avec l'affaire du sang contaminé, les Français ont vu leur confiance dans la science et les médecins sérieusement ébranlée. Pensez-vous que cette loi apaisera leurs craintes ?
Hubert Curien : Je ne sais pas, mais nous avons voulu éviter "le pot au feu" des scientifiques. Il faut, aujourd'hui plus que jamais, que science se confronte à société et à ses critiques. La science est essentielle pour notre monde moderne mais elle ne prend sa pleine valeur que si elle est comprise par le plus grand nombre. Il faut expliquer encore et toujours plus.
Il est vrai que l'affaire du sang contaminé a entraîné beaucoup de confusion dans les esprits. Mais elle ne peut conduire les Français à rejeter l'action des scientifiques et des médecins. Ce sont eux qui ont, très rapidement, découvert l'agent infectieux de cette terrible maladie qu'est le sida ; ce sont eux qui ont mis au point les tests de dépistage et proposé les mesures de prévention. Il me semble indispensable de tout faire pour maintenir la confiance qu'a le public dans la science et la médecine, Ces lois, qui sont actuellement débattues au Parlement, me semblent y contribue.
"La loi doit être votée rapidement"
Le Journal du Dimanche : Vous étiez vous-même ministre de la recherche à l'époque. Quelle est votre opinion sur cette affaire ?
Hubert Curien : Je n'ai pas à refaire le procès. Ce que je peux dire, c'est que, en 1985, les connaissances scientifiques étaient encore très incertaines dans le domaine du sida. Reprocher à l'un ou à l'autre d'avoir pris des décisions sur la base d'informations ou d'animations erronées par la suite serait injuste. La culpabilité ne peut être liée qu'à un usage dévoyé ou intéressé des informations dont on dispose.
Le Journal du Dimanche : Pour en finir, ces lois que beaucoup de personnes attendent risquent de ne pas être votées sous cette législature.
Hubert Curien : Je souhaite vivement quant à moi que ces lois soient votées rapidement. C'est aussi le vœu très clair de mes collègues, Michel Vauzelle et Bernard Kouchner, et également celui de très nombreux députés qui se sont exprimés à l'Assemblée.