Interview de M. Philippe Séguin, membre du bureau politique du RPR, dans "Le Quotidien de Paris" le 24 mars 1993, sur le deuxième tour des élections législatives, la lutte contre le chômage, les élections européennes de 1994, intitulé "Rompre avec la politique de renoncement".

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Média : LE QUOTIDIEN DE PARIS

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Le député-maire d'Épinal s'il sera loyal à l'égard d'un gouvernement dirigé par Édouard Balladur, il ne souhaite pas y participer. Il donne son point de vue sur l'immigration, l'insécurité, les bons résultats du Front national, la décentralisation et la lutte contre le chômage, espérant que le prochain gouvernement saura rompre avec la politique de renoncement. Par ailleurs, il se dit furieux contre ces candidats UDF qui se maintiennent au deuxième tour, alors qu'ils se retrouvaient, à l'issue du premier, derrière leur rival RPR. Et annonce qu'il entame, dès aujourd'hui, une "tournée des trahis", afin de soutenir tous les RPR menacés.

Le Quotidien : Dans plusieurs circonscriptions, le candidat UDF placé derrière le RPR se maintiendra au second. Cela vous paraît nombre de bavures acceptables à l'Union RPR-UDF ?

Philippe Séguin : Cela me paraît insupportable. Il ne s'agit pas de bavures, mais de décisions mûrement réfléchies prises officiellement au niveau national, au mépris des accords passés. De surcroît, avalisées par le RPR. Je trouve en effet regrettable qu'il n'y ait pas eu de mesures de rétorsion de sa part. Nous trahissons ainsi nos compagnons que le suffrage universel avait placés en tête. C'est la raison pour laquelle j'ai annulé tous les déplacements que la Rue de Lille m'avait demandé sauf celui de soutien à Alain Mérieux. Et de ma propre initiative, j'ai décidé d'apporter mon soutien à tous les trahis.

Le Quotidien : François Bayrou justifie ce maintien par le choix qu'il faut laisser aux électeurs ?

Philippe Séguin : Un semblable respect du suffrage universel aurait dû nous conduire à 577 primaires. Dans ce cas-là, le RPR n'en serait pas aujourd'hui à se demander s'il aura 10 ou 15 sièges d'avance, mais détiendrait 150 sièges de plus. Et c'est ainsi qu'avec un rapport de forces de 25 % des voix pour le RPR, 15 % pour l'UDF, l'on se retrouve à égalité.

Le Quotidien : C'est la première fois que vous êtes élu au premier tour dans votre circonscription d'Épinal Le vent porteur de la droite a donc soufflé si fort ?

Philippe Séguin : Le vent porteur ne suffit pas à tout expliquer. En 1986, j'ai été élu avec la plus faible marge qui soit : 74 voix. J'en suis donc réduit à considérer qu'il y a des causes spécifiques à mon succès. Mes gains les plus significatifs dans les communes ouvrières tendraient à prouver que mon travail a été payant.

Le Quotidien : Vous avez réclamé que l'on dise la vérité aux Français. L'UPF l'a-t-elle dite pendant cette campagne ?

Philippe Séguin : Je rends hommage à Édouard Balladur qui a su la dire avant les élections. Il a eu le courage d'annoncer qu'il faudrait augmenter les impôts indirects, et que cela ne suffirait peut-être pas. Je souhaite moi-même qu'il ne soit pas nécessaire d'augmenter la CSG.

Quand on parle des poinçonneurs du métro et des pompistes, quand on nous explique que la suppression de leur poste coûte cher à la collectivité pour un service moindre et qu'il serait plus habile d'orienter tout ou partie des fonds concernés vers la création d'emploi, il faut pousser le raisonnement jusqu'au bout et se donner les moyens de réorienter l'UNEDIC, système aujourd'hui paritaire et privé. Voilà un beau et grand chantier.

Le Quotidien : Il faut donc renationaliser ou recentraliser le système d'allocation chômage ?

Philippe Séguin : Il faut trouver un moyen de faire participer l'État à la gestion de l'assurance chômage en échange d'un effort exceptionnel de sa part.

Le Quotidien : Ceci irait à l'encontre de la tendance décentralisatrice de ces dernières années ?

Philippe Séguin : Il y a un certain nombre de tendances à l'encontre desquelles il faudra aller si on veut, comme on le dit, réduire le chômage qui n'a cessé d'augmenter depuis vingt ans, relancer l'aménagement du territoire qui n'est qu'un souvenir depuis douze ans, et plus généralement rompre avec la politique de renoncement qui est notre lot depuis des années.

Le Quotidien : Cette profession de foi vous paraît-elle en phase avec le credo d'un homme comme Édouard Balladur ?

Philippe Séguin : Sans vouloir faire de tort à Édouard Balladur, je dois dire que je n'ai jamais senti de divergence radicale entre nous sur ce point.

Le Quotidien : À tout le moins, elle contredit la nouvelle vague de décentralisation souhaitée par Valéry Giscard d'Estaing ?

Philippe Séguin : La décentralisation ne doit pas être le prétexte au creusement de nouvelles inégalités. La décentralisation c'est le pouvoir de décision qui descend au plus près du citoyen, pas le chacun pour soi. Or, aujourd'hui, c'est le chacun pour soi.

Le Quotidien : Charles Pasqua a annoncé que le RPR tout enter soutiendrait un Premier ministre RPR nommé par François Mitterrand, même si ce n'était pas Jacques Chirac. Vous êtes dans cette même disposition d'esprit ?

Philippe Séguin : Absolument. En clair, si le RPR est majoritaire dans la majorité et qu'un non-RPR est appelé, nous ne le soutiendrons pas.

Le Quotidien : Les bons résultats électoraux du Front national et la possibilité d'obtenir des résultats rapides en matière d'immigration et d'insécurité inciteront le nouveau gouvernement à prendre des mesures spectaculaires en ces matières. Approuverez-vous cette priorité ?

Philippe Séguin : J'ai entendu avec étonnement que M. Méhaignerie faisait de l'immigration et de l'insécurité un des problèmes essentiels du pays. Je note qu'il liait les deux phénomènes, ce qui me paraît un point de vue conservateur et passéiste. L'insécurité et l'échec de l'intégration sont liés à titre principal au mauvais traitement des grands dossiers que sont l'éducation, le chômage, l'aménagement du territoire, la décentralisation, l'urbanisme. Inverser l'ordre des facteurs conduirait à l'inefficacité la plus totale.

Si le Front national est à ce niveau-là, ce n'est pas à cause de l'immigration et de l'insécurité, qui n'ont d'ailleurs pas été au cœur de cette campagne, mais parce que nous nous obstinons à lui laisser un certain nombre de thèmes sur lesquels il raconte n'importe quoi, et que les vrais problèmes ne sont pas traités. Il est possible de faire reculer le Front national, et nous sommes un certain nombre de maires à l'avoir prouvé.

Le Quotidien : La réforme du Code de nationalité devrait rapidement être déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale. Le voterez-vous ?

Philippe Séguin : Oui. Connaissant bien ce texte, je sais qu'il ne remet pas en cause nos principes fondamentaux, même s'il n'a pas en matière d'insécurité et d'immigration les vertus curatives que l'on prétend. À mes yeux, l'essentiel est le maintien du droit du sol contre l'ineptie du droit du sang.

Le Quotidien : Édouard Balladur, qui ne tarit pas d'éloges sur vous, verrait d'un bon œil votre présence dans gouvernement qu'il dirigerait éventuellement. Accepteriez-vous un ministère qui ne serait pas "choux farcis".

Philippe Séguin : Je souhaite le succès du nouveau gouvernement et je l'aiderai de toutes mes forces. Et la première façon de l'aider, même s'il m'en coûte, même si cela me remplit d'amertume, sera de ne pas y participer. Le nouveau gouvernement choisira, c'est clair, une stratégie "douce" de réduction des taux d'intérêt. J'ai été favorable à une stratégie radicale. Chacun sait, y compris à l'étranger, que je ne suis pas homme à renier mes idées. Dès lors, si je participais au gouvernement, la détermination de celui-ci s'en tenir à la stratégie annoncée serait frappée d'incertitude et l'on aurait les inconvénients des deux politiques à la fois.

Le Quotidien : Les élections européennes de 1994 vous donneront l'occasion de reprendre votre combat commencé lors du referendum sur Maastricht. La saisirez-vous en menant vous-même une liste RPR à la bataille ?

Philippe Séguin : Quand on en est à tenter de faire approuver le traité par les Danois en leur posant la question suivante : "Approuvez-vous Maastricht, étant précisé que cela ne vous est pas applicable ?", quand plusieurs pays dont la France crèvent allègrement, et pour longtemps, le plafond du déficit budgétaire de ne peut plus se réduire au sort de ce traité mort-né. Le vrai sujet aujourd'hui est plus que jamais de trouver les moyens de rendre compatible le développement des pays de l'Est, y compris la Russie, avec celui des pays de l'Ouest, et plus précisément avec le maintien de leurs systèmes sociaux. Il faut pour cela une autorité paneuropéenne qui régule les échéances, organise les aides et assure la compatibilité des efforts des uns et des autres. C'est le seul véritable enjeu. Tout le reste est chanson. Sans attendre 1994, je défendrai cette idée.