Interview de M. Philippe Séguin, membre du bureau politique du RPR à France 2 le 2 avril 1993, sur sa nomination à la présidence de l'Assemblée nationale.

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Média : France 2

Texte intégral

P. Amar : C'est une élection triomphale.

P. Séguin : Oui, c'est une belle élection qui marque la volonté de la majorité de se présenter unie.

P. Amar : Qui a été élu, l'homme ou le politique ?

P. Séguin : En tout état de cause, je crois que les députés se sont donné un président, celui qui leur a semblé le mieux correspondre à la composition de l'Assemblée, le plus apte à faire valoir les droits de l'Assemblée dans le jeu complexe qui s'ouvre maintenant. Et j'ai eu l'impression que le fait que je fus un homme politique avec ses engagements qu'il n'a jamais renié, n'était pas fait pour les dissuader.

P. Amar : Et que vous conservez ?

P. Séguin : Plus que jamais. Je n'ai fait aucun compromis, je n'ai abandonné aucune de mes idées, renoncé à aucun des principes auxquels je crois. Cela étant dit, je suis président de l'Assemblée nationale et je suis tenu à exercer ces fonctions dans des conditions compatibles avec le bon fonctionnement de l'Assemblée.

P. Amar : Mais allez-vous garder votre liberté d'expression ?

P. Séguin : Bien sûr. D'ailleurs je crois que dès mon discours d'ouverture, j'ai eu l'occasion d'exprimer mes idées. Je les ai exprimées de manière différente de celle d'un meeting de campagne électorale, mais j'ai dit ce à quoi je croyais aussi bien s'agissant du destin de l'Europe que de la France.

P. Amar : Ne trouvez-vous pas ce gouvernement trop centriste ou trop européen ?

P. Séguin : On verra à l'usage. Mais je crois qu'on a tort de se laisser enfermer par un débat qui est clos qui est celui du Traité de Maastricht. Le Traité a été adopté par les Français, donc devient notre loi commune sous réserve que les Danois et les Anglais le ratifient à leur tour. Maintenant je crois que le problème européen se pose à un autre niveau. Le problème – et à cet égard, j'ai été très frappé dans la campagne électorale par la qualité de l'analyse des Français – est de savoir comment on fait pour que les pays en voie de développement de l'Est, d'Afrique, d'Extrême Orient ou d'Amérique du Sud puissent se développer sans pour autant remettre en cause nos propres systèmes sociaux, notre propre degré de développement. C'est là le problème majeur. Comment faire en sorte de rendre compatible notre développement, celui auquel nous continuons à avoir droit et le développement de ces pays qui est une nécessité absolue. Actuellement les choses sont organisées de telle façon, que c'est mauvais pour tout le monde. Les PVD ne se développent pas et leurs populations ne progressent pas. Et puis il y a nous, ils nous exportent leurs systèmes sociaux en même temps que leurs produits, c'est-à-dire la régression sociale.

P. Amar : Si le gouvernement sacrifie une catégorie de Français au profit de l'union européenne, vous le dénonceriez ?

P. Séguin : Je n'aurai pas besoin de m'exprimer en tant que président de l'Assemblée nationale, il se trouvera au sein de la majorité et de l'opposition, à laquelle je serai très attentif parce que j'entends garantir sa liberté d'expression, des gens pour le dire. Mais je ne crois pas que ce sera le cas.

P. Amar : Le Premier ministre est RPR, le président de l'Assemblée nationale est RPR, est-ce que vous ne risquez pas de subir le reproche de l'UDF ?

P. Séguin : Il est de tradition à l'Assemblée nationale que le président appartienne au groupe le plus nombreux. Cela étant dit, je ne crois pas que dans la mesure où le RPR, ce qui n'est pas le cas, aurait souhaité marquer sa volonté hégémonique, que j'en aurai été le meilleur instrument.

P. Amar : Ce poste vous intéresse pour le pouvoir ou pour l'influence qu'il peut donner ?

P. Séguin : L'influence et puis aussi le rôle qu'on peut avoir pour tenter un rééquilibrage des institutions. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on a beaucoup parlé de la composition sans précédent, c'est faux il y en a, en disant que c'était une hypothèque mais ça peut être aussi une chance. Dans la mesure où le gouvernement n'a pas le sentiment de risquer grand-chose, le moment est peut-être venu de procéder à un rééquilibrage nécessaire à l'expérience, entre l'exécutif et le législatif, entre le gouvernement et sa majorité et au-delà entre le gouvernement et l'Assemblée. Et j'ai bien l'intention de m'y attacher. De toute façon, il y a près de 500 députés qui appartiennent à la majorité, qui veulent apporter quelque chose à l'action commune, il va falloir bien s'organiser en conséquence.

P. Amar : Vous vous considérez comme le troisième ou le quatrième personnage de l'État ? 

P. Séguin : Les avis divergent sur ce point. Ne me laissez pas arbitrer, j'ai souhaité que nous ayons les meilleurs rapports possibles avec le Sénat, ce n'est pas le moment de les compromettre.