Texte intégral
Le rôle international de la France en matière d'action humanitaire et de droits de l'Homme est aujourd'hui incontestable. La France véhicule une certaine image, certaines valeurs qui sont reconnues dans le monde. Cela se reflète désormais dans le fait que ce ministère délégué soit rattaché aux Affaires étrangères.
Depuis deux mois que je dirige ce ministère, j'ai travaillé comme un coureur de fond. J'ai rencontré beaucoup d'organisations non-gouvernementales. J'ai rencontré beaucoup de représentants de différents pays, des Ambassadeurs et j'ai beaucoup consulté. Je me suis rendue en Érythrée, je me suis rendue à Djibouti, je me suis rendue en Somalie, j'y ai beaucoup circulé et j'ai rencontré des femmes somaliennes qui, sur le terrain, font un travail considérable.
Je suis allée dans une région du sud de la Somalie (Baidoa) où j'ai pu mesurer l'ampleur du travail accompli par les ONG, qui ont commencé un travail de fond. Une association prépare les femmes à l'accouchement, arrête les processus de l'accouchement dans les maisons sous contrôle médical. Les femmes ont maintenant confiance et viennent accoucher là où il y a le suivi de l'enfant, les vaccins. Cette organisation est allée plus loin et s'est rendu compte que les problèmes des enfants dans cette région du monde étaient liés à l'eau. Dans cette zone, il y a de jolis bassins d'eau. Les gosses se baignent, on fait la lessive, les animaux s'abreuvent. Cette organisation, en accord avec l'armée, était en train de séparer trois bassins dont l'un pour que les gosses s'amusent, un autre pour les animaux, pour protéger l'eau. Quand on apprend que tout cela n'existe plus, que cette association a dû se replier, que le personnel de l'Ambassade de France est en train de quitter la Somalie, on a vraiment un sentiment d'angoisse.
Alors, je dis non à l'action humanitaire "coup de poing". Je ne ferai pas d'opérations spectaculaires de style "coup de poing", pour une raison très simple. L'action humanitaire d'urgence est indispensable et nécessaire, il faut la faire et je la ferai. Mais mon idée à moi, surtout après les événements de la Somalie, c'est qu'il faut aller plus loin, il faut permettre aux gens qui sont contraints d'accepter une aide alimentaire de se réinsérer, d'accéder à la dignité.
Je ne suis pas un partisan du "RMI humanitaire", qui consisterait à laisser des gens recevoir de la nourriture sans les aider à planter, à travailler. Ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu en Somalie m'a confirmé dans l'idée que l'action humanitaire doit être conduite vers la dignité du citoyen, qui ne doit pas assister, passif, à cette action en regardant tomber du ciel l'aide humanitaire.
Je dis que je ne conduirai pas non plus d'action humanitaire isolée, car il faut mettre en place une procédure de synergie. Je conçois mon ministère comme un véritable catalyseur avec d'abord un principe qui est le mien : le partenariat.
Avec qui ? D'abord avec ceux qui sont sur le terrain, c'est-à-dire les États. Leur faire admettre que l'action humanitaire c'est un moyen, ce n'est pas une fin, et qu'ils ne doivent pas rester à attendre d'autres États une aide humanitaire pour régler les problèmes de leur population.
L'action humanitaire doit être aussi conduite en tenant compte de l'action sur le terrain des ONG, qui font un travail bénévole considérable et souvent sont victimes d'agressions, de violences, d'incarcérations arbitraires.
Il faut donc concilier l'humanitaire d'État et l'humanitaire associatif dans un rôle de complémentarité, et c'est la raison pour laquelle j'ai demandé à M. Jean-Christophe RUFIN, qui est ici aujourd'hui, de conduire, compte-tenu de son expérience, une opération de réflexion qui puisse me permettre de mesurer l'action des ONG, de conduire avec les ONG une complémentarité dans des interventions.
Il faut travailler enfin avec les administrations. Vous savez que dans les ambassades il y a un certain nombre d'attachés humanitaires qui, sur le terrain, mesurent mieux que les hommes politiques éloignés l'acuité des problèmes. Il faut travailler avec les différents ministères, cela va de soi : le ministère des Affaires étrangères auquel nous sommes rattachés directement, le ministère de la Défense, le ministère de la Coopération, le ministère de la Santé.
Pour ce qui est du ministère de la Défense, nous avons discuté la mise en place de certains mécanismes avec les responsables. Nous proposons au ministère de la Défense la possibilité que le service national comporte un volet qui soit le service national humanitaire. On s'aperçoit que la jeunesse de France et d'ailleurs dans le monde, est pleine de générosité, pleine d'enthousiasme, qu'elle a envie de faire quelque chose; on le voit sur le terrain avec les ONG.
J'ai rencontré une jeune infirmière de Lyon en Érythrée : lorsqu'on a hissé le drapeau d'indépendance de l'Érythrée elle avait connu l'Érythrée avant, pendant la période de guerre, de violence j'ai vu des personnalités très importantes du nouvel État se précipiter dans ses bras, l'embrasser, pleurer avec elle, parce que l'indépendance sur le terrain, elle avait essayé d'y apporter sa conception, son action, souvent difficile. Donc, je dis cet enthousiasme des jeunes, cette générosité il faut l'utiliser vers un service humanitaire.
Je suis, par ailleurs, en train de soumettre au ministère de la Santé une réflexion, qui devrait déboucher au mois de juillet.
J'entends ainsi utiliser les entreprises privées qui, depuis longtemps déjà, ont commencé un mécénat humanitaire. Tout à l'heure, quand j'évoquerai mes priorités, je vous parlerai de l'utilisation que nous nous attendons de cette coopération avec les entreprises privées.
En outre, je pense utiliser l'action des organisations internationales : notamment je souhaiterais que soit conduite avec efficacité une réflexion profonde sur le droit humanitaire. C'est la raison pour laquelle j'ai fait appel à l'expérience, à la connaissance, à la notoriété de M. le Doyen Bettati, ici à mes côtés pour me faire un certain nombre de suggestions, de propositions sur les initiatives à prendre en matière de droit humanitaire.
Cette conception humanitaire est un travail de fond, un travail en profondeur, un travail qui consistera aussi à attirer l'attention des différents ministères et du Premier ministre sur les actions menées sur le terrain, qui peuvent être le prélude d'initiatives. Je situe cette conception humanitaire autour de deux priorités.
Premières priorités, qui seront des priorités géographiques. Il va de soi que la Yougoslavie reste une priorité des priorités. L'Afrique également, et plus particulièrement la Corne de l'Afrique, l'Amérique avec les Caraïbes et notamment Haïti. Ma deuxième série de priorités concerne les enfants.
En ce qui concerne les priorités géographiques, je parlerai de la Yougoslavie. Qu'est-ce que nous avons fait ? Qu'est-ce que nous continuons à faire ? Nous allons évidemment continuer en Yougoslavie l'aide médicale, notamment dans des régions bosniaques comme Mostar, Sarajevo, Tuzla, Bihac et nous sommes en train de mettre en place un programme en Croatie avec la réhabilitation de jardins d'enfants et d'écoles, notamment pour de nombreux enfants orphelins, sans compter l'aide alimentaire en Croatie qui porte sur 700 enfants de moins de trois ans. Enfin le soutien aux associations. Nous avons enfin en Croatie un programme de protection maternelle et enfantine, de distribution de médicaments et de produits de première nécessité.
Afrique, Corne de l'Afrique : on dénombre 130 000 réfugiés à Djibouti et nous pensons qu'en accord avec le HCR, notamment Mme Ogata, nous allons conduire de façon efficace une aide au retour et une réhabilitation dans les régions d'origine de ces personnes déplacées. Cela nous parait une priorité parce que Djibouti actuellement ne peut pas supporter le poids de 130 000 réfugiés sur son territoire.
En Somalie, à la suite des incidents de ces derniers jours, la poursuite de l'aide humanitaire sera effectivement conditionnée par l'évolution de la situation politique et militaire. Mais je le dis clairement : en Somalie, l'aide humanitaire "coup de poing" n'a pas été accompagnée suffisamment d'un suivi sur le terrain et n'a pas permis encore le désarmement des factions sur le terrain, ce qui explique les incidents que nous connaissons actuellement. Nous savons que les incidents du début juin au cours desquels un certain nombre de Casques bleus ont été tués ou blessés, ont été provoqués à l'occasion d'une action de désarmement. On en a profité pour véritablement prendre les militaires dans un piège. Cette action de désarmement est l'une des priorités. Nous savons très bien que se livrent sur ce territoire des guerres tribales, des guerres entre chefs, lesquels s'entretuent pour prendre le pouvoir, tout cela au détriment des populations. Les tentatives de négociations notamment au mois de mars à Addis-Abbeba ont semblé d'abord donner un accord apparent sur le terrain, mais cet accord s'est révélé sans efficacité, sans résultat puisque la Somalie est encore livrée aux chefs rebelles qui s'affrontent.
Au Soudan, nous venons d'expédier une mission sur le terrain, et nous avons rencontré des représentants du ministère des Affaires étrangères soudanais. Notre position et la position de la France est claire; il ne peut être question pour nous de conduire une action d'intervention alimentaire et humanitaire en pénétrant dans le Soudan en catimini. Nous considérons que nous devons rentrer au Soudan par Khartoum, légitimement, et circuler librement dans le Soudan du Nord et dans le Soudan du Sud. Il ne peut être question pour nous de pénétrer furtivement dans le Sud ou dans le Nord. C'est la position qui est celle de la France : permettre à l'action humanitaire de s'exercer de façon transparente.
Quelle sera notre autre intervention en Amérique, plus particulièrement dans les Caraïbes ? L'un des pays les plus pauvres des Caraïbes est incontestablement la petite république indépendante d'Haïti, qui connait depuis des années et des années une situation d'instabilité. Nous avons décidé d'organiser en coopération avec l'OMS, une grosse intervention de vaccination et je voudrais rendre hommage au mécénat privé, puisque ce sont les laboratoires Mérieux qui nous permettent de faire cette action.
Voilà une action qui démontre bien une synergie entre les ONG, le mécénat privé, le ministère de la Coopération, le ministère de l'Action humanitaire et les structures françaises dans les Caraïbes. Je veux parler des départements français d'Amérique – Guadeloupe et Martinique – qui ont sur le terrain des possibilités d'interventions – nos infirmières. La lutte sera la vaccination contre l'épidémie de rougeole qui en Haïti provoque des morts (des enfants morts sont basculés dans des fosses sans être enterrés). Nous avons décidé de lancer une opération qui va porter sur des enfants de neuf mois à quatorze ans, soit trois millions d'enfants. C'est une opération extrêmement importante et qui va donc démontrer que l'action humanitaire ne doit pas être isolée, qu'elle doit être le résultat d'une synergie où tout le monde se mobilise pour l'intérêt général.
De même, je me suis entretenue avec le ministère de la Coopération pour étudier les moyens de mettre en place une installation de nature à dessaler l'eau de mer comme on l'a fait dans les départements d'outre-mer. Cette méthode de dessalement d'eau de mer permet ainsi aux populations de consommer de l'eau potable tout le monde sait que l'eau polluée est nuisible à la santé des enfants.
Voici donc sur le plan géographique les principales interventions sur lesquelles je vais essayer de me mobiliser.
Deuxième priorité, je vous l'ai indiqué, c'est l'enfant. Même si un seul enfant était victime de violence, je dirais que ce n'est pas acceptable. Or actuellement dans le monde il y a hélas des millions d'enfants qui sont victimes de travail forcé, de prostitution, de violences de toute sorte. Il y a près de quatre millions d'enfants qui sont des invalides de guerre, vous avez vu que durant les dernières années des enfants sont morts – près d'un million – à la suite de conflits, de guerres. Enfin 250 000 enfants dans le monde meurent de faim chaque semaine. Cela n'est pas tolérable. Ce n'est pas supportable et ce n'est pas la peine que dans la Convention internationale des droits de l'enfant, dans les dispositions des articles 35, 36 ou 37 on puisse décider qu'aucun enfant ne doit être exploité, qu'aucun enfant ne peut être victime de prostitution et que nous continuions à fermer les yeux.
Je considère qu'à Vienne, à la Conférence mondiale des droits de l'Homme, nous devons intervenir pour donner à ces enfants les moyens d'accéder dignement à l'âge adulte en incitant les Nations à mettre en place un mécanisme juridique : possible que nous puissions accepter, nous pays développés, nous pays riches de consommer des produits dont nous savons qu'ils proviennent de l'exploitation du travail des enfants ? C'est le problème que je pose à la conscience de chacun, un problème de droit international, moral, de protection de l'enfant.
Je me rends à Vienne pour la Conférence mondiale des Droits de l'Homme qui aura lieu du 14 au 25 juin. Parmi les thèmes qui seront soulevés, je vais insister sur le thème de l'enfant comme je vous l'ai indiqué et je vais demander la possibilité de mettre en place un comité d'éthique pour permettre d'étudier et de sanctionner les violations graves portées aux enfants du monde. A ces enfants de la rue, à ces enfants qui ne fréquentent pas les écoles et qui subissent la violence des hommes.
À Vienne, j'entends soulever aussi le problème des enfants déplacés, de ces enfants qui ont une nationalité, certes, mais qui du fait de leur déplacement se trouvent coupés totalement, souvent sans pièce d'identité, de leur pays d'origine. De quelle nationalité sont ces enfants conçus dans les camps, nés dans la rues et qui meurent parfois dans les rues ? J'ai appris que beaucoup d'entre eux ne sont parfois même pas déclarés à l'état civil. Nous ne pourrons donc laisser se pérenniser une telle situation.
C'est la raison pour laquelle l'action en profondeur que mon Ministère doit conduire exige justement que je sois entourée de personnalités qui m'apportent des réflexions, en faits et en droit, sur la conduite de cette action.
La France, nous le savons, est une vieille démocratie. France, nous le savons dispose de savoir-faire, elle l'a démontré en mettant en place une assistance technique en matière électorale, notamment grâce à des magistrats, pour faciliter les élections, au Cambodge par exemple. Elle en avait fait de même pour tenter de reconstituer l'état-civil d'Haïti, en déplaçant des gendarmes qui, sur le terrain, ont recensé les gens.
Ces mécanismes dont disposent la France peuvent permettre, au niveau des droits de l'Homme, une nouvelle coopération qui consistera à développer la démocratisation dans tous les pays.
De même nous pensons qu'il ne faut à aucun prix accepter la "régionalisation" des droits de l'homme. La déclaration des droits de l'Homme repose sur l'universalité, qui est un principe auquel la France est attachée.
Nous considérons également qu'il est nécessaire, et c'est une proposition de la France, qu'il faut instituer un Haut Commissaire aux droits de l'Homme. À quoi cela va-t-il servir ? Nous sommes aperçus que le directeur du Centre des droits de l'Homme à Genève, une personnalité connue et honorable, M. Ibrahim Fall, qui fait un travail considérable, avait toutes les difficultés du monde pour s'auto-saisir de dossiers de violations massives des droits de l'Homme. Nous pensons que ce futur Haut Commissaire doit avoir les moyens, lorsque l'urgence s'impose, de pouvoir conduire des actions, instruire des dossiers.
Dans le domaine des droits de l'Homme et de l'action humanitaire les interventions sont difficiles parce qu'elles touchent l'Homme et ne peuvent jamais rentrer dans un cadre déterminé à l'avance. Un travail considérable a déjà été accompli dans le monde entier pour défendre les droits de l'Homme, même si toutes ces actions peuvent parfois apparaitre abstraites. Mais ce qui est fondamental, c'est d'agir en profondeur, afin que des sillons soient tracés pour conduire des actions efficaces qui, demain, vont laisser des traces dans l'humanité. C'est le sens de la mission que je vais conduire et qui sera toujours une mission en profondeur.
Je vous remercie de votre attention.