Texte intégral
RTL : 25 mai 1993
P. Caloni : Un emprunt de 40 milliards de francs va être lancé, est-ce assez ?
P. Vasseur : Écoutez, ce n'est déjà pas mal ! Et si cela ne suffit pas on avisera. 40 milliards de francs réinjectés aujourd'hui dans l'économie, ça ne devrait pas être négligeable.
P. Caloni : Qu'est-ce que l'on en fait de ces 40 milliards ?
P. Vasseur : On affectera un certain nombre de crédits à des mesures spécifiques pour l'emploi, et notamment de traitement social. Mais surtout, il y aura un coup de pouce qui sera donné à un programme de grands travaux. Les grands travaux, c'est une technique classique ; quand l'économie ne va pas, on donne un coup de fouet au bâtiment et aux travaux publics. Ça a été notamment utilisé entre les deux guerres. Nous sommes en période de récession, nous sommes en période où les gens épargnent, ne consomment plus, il y a besoin d'une relance.
P. Caloni : Mais qui va acheter ou louer ces constructions, il faut de l'argent ?
P. Vasseur : Les 40 milliards seront mis en petite partie, pour essayer de relancer un peu le logement social, mais surtout pour relancer les grands travaux et notamment les travaux publics. Dans ce domaine, il y a des moyens, il y a des choses à faire. Et puis le logement, il y a un problème il faut qu'il y ait de la confiance pour que les gens se décident à acheter des logements. Mais il y a aussi des mesures qui peuvent inciter les gens à acheter. Quand on leur dit, par exemple, qu'ils vont pouvoir réduire de leurs revenus imposables les intérêts, quand on leur dit qu'ils vont pouvoir bénéficier de mesures qui fiscalement seront intéressantes, il y a des gens qui peuvent demain se retourner vers le marché immobilier.
P. Caloni : On sent bien aussi qu'on va relancer les idées de contrat emploi-solidarité. C'est la panacée ?
P. Vasseur : Mais nous sommes aujourd'hui dans une situation de l'emploi qui mérite que tous les moyens soient utilisés. Bien entendu, ce n'est pas une mesure merveilleuse, mais c'est un mal nécessaire. Et il faut bien se dire une chose : l'avenir nous imposera d'avoir recours à des mesures qu'aujourd'hui on écartait peut-être un peu facilement. Qu'on laisse un peu la place à l'imagination puisque tous les experts depuis 15 ans se sont trompés.
P. Caloni : On va nous reparler du partage du temps de travail, mais pas du partage des revenus ?
P. Vasseur : Il y a plusieurs façons de partager le travail. Il ne s'agit pas simplement de mettre tout le monde à 35 heures, il s'agit peut-être de voir qu'il y a un gâteau qui est insuffisant dans la société française, et qu'il faut agrandir le gâteau en offrant des emplois.
P. Caloni : Les privatisations, jusqu'où faut-il aller ?
P. Vasseur : Il y a suffisamment à faire en matière de privatisation pour se contenter dans un premier temps, du secteur concurrentiel. Moi, je suis prêt à ce que l'on aille jusqu'à la Régie Renault. Tout ce qui est aujourd'hui dans le secteur concurrentiel, qu'il s'agisse des banques, des assurances ou des entreprises de production, est susceptible d'être privatisable. J'ai le sentiment que nous avons un Premier ministre qui écoute ce que lui disent les formations politiques et les parlementaires.
P. Caloni : Vous avez écrit un bouquin : « La droite la plus bête du monde » ? Où est-ce que l'on en est en 1993 ?
P. Vasseur : En janvier 1988, quand j'avais écrit ce livre, j'avais mis un point d'interrogation, quelques mois après j'étais tenté de mettre un point d'exclamation. Parce que le sous-titre de ce bouquin c'était : « Sommes-nous certains d'avoir tout fait pour perdre l'élection présidentielle ? » Nous l'avons perdu, nous avons été stupides. J'estime aujourd'hui, que nous devons jeter un petit regard sur le passé pour éviter de recommencer à l'avenir, les erreurs que nous avons commises, notamment en matière de divisions, en matière d'improvisation. Nous devrions nous calmer un peu, marcher du même pas vers un but commun qui est celui de redresser l'économie française plutôt que de régler nos petites querelles. La querelle sur la liste européenne de l'année prochaine, c'est dans un an, ne donnons pas aux Français le spectacle de nos divisions et de nos interrogations politiciennes. Occupons-nous d'eux et un peu moins de nous.
Europe 1 : 27 mai 1993
J.-P. Elkabbach : Les ministres de l'Agriculture européens se sont mis d'accord sur les compensations céréalières et les quotas de production.
P. Vasseur : La France vient de marquer un point et un point important. L'agriculture, pour nous, c'est quelque chose de considérable. C'est un succès. Il reste à revenir devant les organisations agricoles pour leur présenter cet accord et pour discuter avec elles de la position qui doit être celle de la France face au compromis sur le GATT concernant les oléagineux.
J.-P. Elkabbach : Vous n'avez pas, peur de vous mettre dans la main des organisations agricoles ?
P. Vasseur : Je suis un homme de concertation. Je souhaite qu'un pouvoir politique, si fort soit-il, ne décide rien tout seul sans en discuter, avec la représentation nationale ou les représentants des agriculteurs. Le gouvernement a pris ses responsabilités, il est allé discuter avec les Européens, il a obtenu ce qu'il avait demandé, au moins en partie. Mais je souhaite qu'il y ait une discussion non pas pour que le gouvernement s'aligne sur la position des agriculteurs. Mais pour qu'il y ait une franche discussion sur ce problème des oléagineux qui aujourd'hui empoisonne les négociations. Je ne voudrais pas que nous assistions dans le pays à des surenchères. Je crois qu'il est utile que l'ensemble des agriculteurs, dans leur intérêt propre, se mettent autour de la table pour définir une position commune.
J.-P. Elkabbach : Cet accord ouvre la voie à une meilleure harmonie des rapports avec les États-Unis. Peut-être un accord sur le GATT ?
P. Vasseur : C'est peut-être un peu rapide. Cela va renforcer la cohésion européenne face aux États- Unis, mais je reste méfiant parce que je pense que les intérêts européens et les intérêts américains ne sont pas toujours et pas nécessairement convergents.
J.-P. Elkabbach : Le marché pourra-t-il absorber les 21 privatisations ?
P. Vasseur : Si jamais on voulait que le marché les absorbe en une seule fois, certainement pas ! Il faudra certainement étaler dans le temps les privatisations.
J.-P. Elkabbach : Par qui faut-il commencer ?
P. Vasseur : Si j'avais un choix personnel à faire, je ne commencerais pas par les entreprises les plus attractives, les plus « sexy », celles qui gagnent de l'argent, celles qui inspirent confiance aux investisseurs. Dans le secteur bancaire la BNP, dans le secteur industriel, Rhône-Poulenc et une ou deux compagnies d'assurance, l'UAP, le GAN.
J.-P. Elkabbach : On ne se dépêche pas pour Renault. La CGT s'oppose à la privatisation de Renault ?
P. Vasseur : Renault pourrait figurer parmi les premières entreprises à privatiser compte tenu de ses résultats 1992. L'industrie automobile est actuellement dans une situation un peu difficile. C'est pour moi une simple question d'opportunité. La CGT devrait regarder comment s'est passée l'histoire. Renault n'a pas été nationalisé pour des raisons économiques mais simplement pour un contexte politique lié à des faits de collaboration. Il n'y a aucune raison de voir l'État fabriquer des automobiles.
J.-P. Elkabbach : À partir de quel moment vous jugerez que le Premier ministre aura gagné le pari du redressement ?
P. Vasseur : Il y a pour moi trois priorités en France. La première, c'est l'emploi, la deuxième, c'est l'emploi, la troisième, c'est l'emploi.
J.-P. Elkabbach : Donc quand il commencera à obtenir des résultats sur l'emploi, sur l'emploi et sur l'emploi ?
P. Vasseur : Absolument ! À partir du moment où nous aurons enfin stabilisé la dangereuse dérive du chômage, nous pourrons considérer que nous avons gagné notre pari.
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire autour de… ?
P. Vasseur : À partir du moment où le chômage cessera d'augmenter et j'espère que ce sera le plus rapidement possible.
J.-P. Elkabbach : Sinon...
P. Vasseur : Sinon, ce n'est plus un problème politique. Nous prenons un risque, un risque très grave, de révolution sociale dans ce pays. Et je ne parle pas à la légère.
J.-P. Elkabbach : Qu'est-ce qui empêche des Japonais, des Coréens ou des Américains de s'offrir une partie de l'industrie, des banques, des assurances françaises, du patrimoine français ?
P. Vasseur : Apparemment rien, et très sincèrement ça m'inquiète parce qu'il ne faut pas être naïf, il faut être pondéré dans son libéralisme. Il n'y a aucune raison pour livrer des pans entiers de l'économie française à des intérêts qui sont vraiment extérieurs aux préoccupations européennes.
J.-P. Elkabbach : Il y a ce risque aujourd'hui ?
P. Vasseur : Je crois que ce risque existe. Le gouvernement a voulu prendre des dispositions avec l'action spécifique. J'ai le sentiment que nous serons un certain nombre à l'Assemblée Nationale à essayer de renforcer un peu le système.
J.-P. Elkabbach : Les critiques les plus vives au gouvernement viennent de la majorité ?
P. Vasseur : Oui ou non, vivons-nous en démocratie. Dans une démocratie le Parlement doit avoir un rôle. Si jamais nous sommes là pour dire oui à tout ce que nous propose le gouvernement, autant que nous disparaissions et que les Français n'aient plus à se prononcer sur la vie du pays. Il est tout à fait légitime que les parlementaires que nous sommes, que les partis où nous nous trouvons aient un droit de regard, non pas un droit de critique mais éventuellement un droit d'amélioration.
Q : Donc, il n'y a pas de raisons que cela s'arrête ?
P. Vasseur : Pourquoi voulez-vous que ça s'arrête ? Ce que nous souhaitons, c'est rendre service au Gouvernement. On ne fait pas pression, on lui propose d'améliorer ses textes. Le gouvernement lui-même, trois semaines après nous avoir présenté un collectif budgétaire est revenu à la charge en proposant un grand emprunt. C'est bien la preuve qu'on peut toujours améliorer des propositions.
J.-P. Elkabbach : Ça veut dire qu'E. Balladur écoute et s'adapte ou il cède ?
P. Vasseur : Non, je crois qu'E. Balladur écoute et s'adapte. Et c'est l'une des grandes qualités qu'il a, des qualités de dialogue.
J.-P. Elkabbach : Est-ce qu'il y a une politique alternative à la politique Balladur au sein de la majorité ?
P. Vasseur : Il y a toujours des choix à faire. Si vous voulez me faire dire qu'il faut assainir les finances publiques, et qu'il faut faire en sorte qu'on relance l'activité, je vais vous dire oui, c'est la seule politique possible. Il y a peut-être quelques fois des manières de procéder qui sont différentes.
J.-P. Elkabbach : Vous avez aimé la victoire de l'OM ?
P. Vasseur : C'était fantastique. Je pense que B. Tapie doit encore être au lit parce qu'il doit être très très fatigué mais je voudrais lui dire bravo Bernard et en dehors de toute considération politique, merci pour le fabuleux plaisir que tu nous as fait.