Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "La Montagne" le 6 juin 1998, sur la création d'un Conseil économique et social propre au PS et sur la conception du PS en matière de services publics.

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Circonstance : Création d'un comité économique et social propre au PS, à Paris, le 6 juin 1998

Média : La Montagne

Texte intégral

- Le PS a engagé une procédure de révision de sa doctrine sur le secteur public. Des pré-rapports vont être discutés aujourd'hui au conseil national du parti. Quel est l’objectif de cette procédure ? Ne s’agit-il pas d’un moyen, d’un habillage, pour faire admettre par les militants un certain nombre de privatisation ?

La convention sur l’entreprise est plus large que la simple réflexion sur le secteur public. Cela dit, on ne peut plus, en tant que socialistes, réagir au coup par coup par rapport à l'avenir de telle ou telle entreprise, comme on l'a vu pour Air France et pour Thomson par exemple.

Il nous appartient d'avoir une doctrine nous permettant de défendre ce qui doit rester dans la sphère de l’État, de définir ce qui doit s'y attacher à l'avenir dans de nouveaux secteurs d'activité et de déterminer ce qui peut être cédé lorsque les missions de service public ne s'y retrouvent plus.

Il faut aussi que nous précisions mieux quel est le rôle du secteur public, quelles sont les activités dont il peut avoir besoin, comment il peut répondre mieux encore qu’aujourd’hui à ses objectifs… Car il ne faudrait pas laisser à l'État ce qui produit des pertes et privatiser ce qui génère des bénéfices. Il ne faudrait pas non plus que les entreprises publiques soit mues par de simples critères de rentabilité et perdent le sens même de leur statut public.

Il était donc utile que le PS reprenne cette question pour guider l'évolution du gouvernement par rapport à telle ou telle entreprise nationale.

Les considérations d'aménagement du territoire devront aussi forcément être prises en compte, car un des rôles du secteur public, a fortiori des services publics, est d'assurer l’accès de tous à des prestations, quelle que soit la localisation de l’usager.

- Des entreprises publiques comme l’Aérospatiale et GIAT Industries pourraient-elles ou devraient-elles, selon vous, être privatisées afin de favoriser leur développement, notamment à travers des coopérations européennes ?

Non. Les entreprises de défense doivent être maintenues dans la sphère publique. C'est évident pour le GIAT. Pour l’Aérospatiale, ses activités ne sont pas toutes militaires ; il peut y avoir des alliances et des configurations différentes selon les secteurs d’activité, on le voit bien avec Airbus Industrie. Quant aux coopérations européennes, qui sont souhaitables pour faire face à la concurrence souvent hégémonique des États-Unis, elles ne passent pas nécessairement par une évolution du statut des entreprises publiques.

Pour le GIAT, s'il y a une coopération pour la fabrication de matériels avec des industriels européens, cela ne devra avoir aucune conséquence sur le statut de l'entreprise et sur celui de ses personnels. C'est la condition, en tout cas, que les socialistes posent.

- Comment cette démarche de révision de la doctrine du PS sur les entreprises publiques est-elle perçue par vos alliés, en particulier par le PC ?

Dès lors que l'on réaffirme la nécessité d'un secteur public, que l'on souhaite que les services publics s'adaptent tout en gardant leurs principes fondateurs, il n'y a rien qui puisse heurter qui que ce soit dans la majorité plurielle. Et je sais que nos amis communistes réfléchissent aussi à l'avenir des entreprises du secteur public dans la mondialisation actuelle.

Deux attitudes sont à proscrire : le statu quo, qui affaiblirait en définitive les entreprises ; et le changement brutal, qui ferait perdre leur caractère propre aux entreprises publiques.

- Vous avez évoqué l'éventualité de l'entrée de nouvelles activités dans le secteur public. Lesquelles, par exemple ?

On peut imaginer que certains domaines qui sont d’intérêt général puissent relever de l’intervention publique. Par exemple, tout ce qui est lié à l’environnement, et même à une forme de capital-risque pour les PME très innovantes.

Il n'y a pas de raison que le changement de statut se fasse toujours dans un sens. Il y a aussi a inventer les biens publics de demain. Je pense à la communication, aux nouvelles technologies, à la diffusion de services qui ne peut être laissée au seul marché, comme si, il y a un siècle, le système scolaire et universitaire avaient été laissé à la seule initiative privée.

- Le conseil national du PS va aussi entériner, aujourd’hui, la création d'un conseil économique et social du parti. Quelle sera sa mission ?

C’est Lionel Jospin, de retour à la tête du PS en octobre 1995, qui a souhaité la mise en place de cette instance. Les militants ont ratifié ce choix, qui consiste à constituer, à côté des instances élues du parti, un comité rassemblant des personnalités très différentes, membres ou non du PS, qui puissent apporter, par leur expérience, une réflexion utile à la direction du parti.

C'est un souci d'ouverture et d'élargissement à des secteurs professionnels de toute nature qui ne se retrouvent généralement pas dans les formations politiques. René Teulade, qui a été chargé de constituer ce comité et qui le présidera, représente parfaitement cette démarche par son passé mutualiste, syndical, son expérience ministérielle, ses responsabilités au CES national…

Cette instance comprendra pas loin de 200 membres (1) répartis en cinq sections (2) ; toutes les fédérations socialistes et les élus ont été consultés pour proposer des noms. C'est une formule très originale qui n'existe dans aucune formation politique française et qui témoigne bien de notre souci d'être à l'écoute de la société. C'est aussi un moyen de susciter des propositions qui seront ensuite discutées par les militants avant d'alimenter nos plates-formes programmatiques. C'est déjà ce type de démarche que nous avons engagée en vue de la convention de novembre sur l’entreprise, puisque nous allons consulter notamment des chefs d’entreprise, des cadres, des syndicalistes…

 

(1) Parmi les personnalités qui siégeront au CES du PS figurent Hubert Curien, Émile Biasini, Danielle Delorme, Georges Filloud, Jean-Paul Escande, Bertrand Poirot-Delpech, Pierre Arpaillan jege, Henri Cueco, Jean Lacouture et Alain Touraine.

Quatre Auvergnats et deux Limousins en font aussi partie : Jacques Fournet (ancien directeur de la DST et des RG, Puy-de-Dôme), Jean-Michel Guerre (association culturelle, Allier), Serge Longeon (syndicaliste CGT à l’équipement, Haute-Loire), Jacques Monconyoux (agriculteur, Allier), le colonel Jean-Claude Chauvignat (Corrèze) et Henri Vallade (conducteur de travaux, Creuse).

(2) Ces sections sont les suivantes : « les temps de la vie » (jeunesse, vie active, retraite, quatrième âge, formation, travail, loisirs…) ; « le cadre de vie » (logement, environnement, lieux de vie) ; « les activités relationnelles et la vie en société » (communication, culture, vie associative, transports, eau, énergie, flux migratoires… ; « les activités productives de la recherche et de la technologie » (approches économiques, droit du travail, forces syndicales…) ; « les protections civiles et sociales » (sécurité, justice, santé, défense, rôle de l’Etat).