Texte intégral
Madame le ministre des Affaires étrangères,
Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,
Je me fais ici l'interprète de tous pour remercier le Président Bongo et lui exprimer notre reconnaissance pour la qualité de son accueil.
Nous voici donc réunis, entre deux sommets, à l'un des moments privilégiés du dialogue politique franco-africain où il est nécessaire de faire le point sur l'action entreprise. C'est notamment l'occasion de nous interroger sur la situation de l'Afrique dans un monde complexe et en pleine évolution ; l'occasion également de préciser comment la France, fidèle à sa tradition, entend vous aider à relever les défis qui se posent à vous.
Ne nous dissimulons pas la réalité. Le continent africain traverse une période difficile et les enjeux sont à hauts risques. S'ils ne parviennent pas surmonter leurs difficultés, les Africains se retrouveront rapidement marginalisés, sans espoir de rattrapage, non seulement par rapport aux pays industrialisés mais même par rapport aux autres pays en développement.
Ces difficultés sont diverses et chacun peut en mesurer l'ampleur. Il s'agit d'abord de la croissance économique. À partir de la fin des années soixante-dix, l'Afrique s'est mise à décliner. Les taux de croissance se sont affaissés tandis que le flux des investissements s'est raréfié.
À ce jour, une telle situation n'a pu véritablement être maîtrisée. Pourtant, il est chaque jour plus indispensable de s'y atteler. Ne serait-ce que parce que la crise économique s'est doublée, entretemps, d'une crise financière d'une gravité exceptionnelle.
La chute des revenus d'exportation, liée en grande partie à la sous-évaluation du coût des matières premières, ne cesse de peser sur un endettement externe qui obère aujourd'hui la capacité de manœuvre d'un grand nombre d'entre vous.
Les difficultés de l'Afrique ont également, je dirais même surtout, une dimension sociale dont la portée est considérable. Elle présente plusieurs facettes. Comment ne pas évoquer, à cet égard, l'exode rural qui frappe un grand nombre de pays de ce continent et l'accroissement corrélatif des populations urbaines ? Dès la fin de ce siècle, ces populations devraient dépasser en nombre celles des campagnes. Or, ces populations sont déracinées et échappent à tous les liens traditionnels. Elles sont ainsi porteuses d'une instabilité dont vous ressentez la gravité chaque jour un peu plus. En outre, la jeunesse domine désormais la structure d'âge de la plupart de vos pays. Ce qui est, certes, un atout inestimable pour l'avenir. Mais pour l'heure, cette jeunesse est, essentiellement dans les grandes villes, une force de contestation. Les blocages de la croissance, l'approfondissement des inégalités, la marginalisation de cette jeunesse sont la cause de ses déséquilibres.
L'un des grands drames que doit affronter aujourd'hui le continent africain est aussi l'expansion des maladies épidémiques qui atteignent votre vitalité en décimant une partie de vos forces vives, notamment votre jeunesse: paludisme, tuberculose et sida sont à présent des fléaux qu'il convient de conjurer à tout prix.
Je propose d'en faire une des priorités de la coopération française. Je saisirai d'ailleurs l'occasion de ce voyage pour mesurer personnellement l'étendue des ravages.
Le sous-développement n'est pas une fatalité
La juxtaposition de ces difficultés explique qu'il n'existe pas de recette miracle. Pourtant, relever les défis reste plus que jamais l'objectif à atteindre. Or, ces défis, l'Afrique ne peut en aucun cas envisager d'en sortir victorieuse en restant confinée dans un immobilisme frileux.
Avec l'effondrement des régimes de l'Europe de l'Est, les relations Nord-Sud ne sont plus tributaires, aujourd'hui, de la dimension Est-Ouest. Les systèmes politiques de coercition s'essoufflent un peu partout dans le monde tandis leur succèdent des sociétés plus ouvertes et plus libres.
Il doit être permis d'espérer la promotion, sur des bases réalistes et crédibles, d'une coopération internationale s'attachant à assurer la paix, la sécurité et le développement, en tenant compte des diversités de chacun. L'Organisation des Nations unies, affranchie dorénavant des tensions entre l'Est et l'Ouest, peut retrouver une véritable capacité de gestion et de résolution des crises : c'est-à-dire la plénitude de son rôle en matière de sécurité.
Le changement, sans excès, sans précipitation
Ainsi le monde change. L'Afrique ne peut et ne doit pas rester à l'écart de ce changement. Pour elle, il s'agit désormais, de participer pleinement à l'économie mondiale. Il n'est pas normal que ce continent, au regard des atouts considérables, dont il dispose, ne représente actuellement qu'une part infime des échanges internationaux. Il n'est pas normal que la plupart des pays africains continuent à avoir une croissance économique pratiquement nulle.
Certes, l'Afrique a commencé de bouger et les premiers signes annonciateurs ne doivent pas être négligés. Le continent africain doit aller plus loin encore. Toutefois, le changement ne doit pas déboucher sur une mystique qui n'aurait d'autre justification qu'elle-même. Il ne peut avoir d'autre raison d'être que de favoriser des progrès significatifs en matière économique et sociale ainsi que de préparer l'instauration d'États de droit.
C'est pourquoi le changement doit être préparé d'une manière sérieuse, sans excès ni précipitation. Désordonné et incontrôlé, il ne mène à rien d'autre qu'à l'instabilité. Or la démocratie ne saurait se bâtir sur le chaos. Les États, comme les populations, ne sont jamais gagnantes sous l'empire de l'anarchie.
Aussi les changements politiques nécessaires ont-ils besoin de sérénité : et de quiétude pour produire tous leurs effets. De même les changements économiques doivent-ils s'effectuer sans brutalité, en évitant de déstabiliser les structures sociales, sous peine de tout compromettre.
Dans ce contexte, compte tenu de telles exigences, que peut faire, que doit faire la France ? Soyez assurés qu'elle ne cessera d'œuvrer pour que l'Afrique s'affranchisse des dures conditions qui sont aujourd'hui les siennes.
Je souhaiterais que vous restiez convaincus de la détermination de notre engagement.
Solidarité, développement interrégional, sécurité
Plus que jamais, la France entend s'intéresser au Sud et à l'Afrique en particulier. Nous avons l'expérience d'une longue époque traversée ensemble qui nous dicte d'aider les pays qui nous sont liés par l'histoire, la culture ou la langue. Aider nos partenaires africains à s'intégrer à part entière dans l'économie et la société internationales, Aider ces mêmes pays à se doter d'États de droit. Tels sont bien les objectifs que nous nous sommes assignés. Nous ne faillirons pas à l'accomplissement de notre mission.
La présence de la France et son action en Afrique visent trois objectifs.
Le premier est de renforcer la solidarité envers les pays africains, notamment ceux qui nous sont le plus étroitement liés. Outre la coopération économique qui en représente la toile de fond, cette solidarité s'exerce ainsi sur le plan politique. Nous savons que nombre d'entre vous se sont engagés sur la voie de la démocratie. Nous saluons leurs choix tout en restant conscients des difficultés qu'ils suscitent parfois. Près de deux siècles auront été nécessaires à l'Europe occidentale pour s'installer dans des régimes démocratiques stables. La France ne mésestime donc pas la longueur et l'âpreté du chemin restant à parcourir. Forte de sa propre expérience, elle considère par ailleurs que cette recherche ne doit pas s'inscrire dans des cadres et schémas préétablis, surtout s'ils émanent de l'extérieur, et qu'il appartient à chacun d'entre vous d'en déterminer les conditions en toute souveraineté.
Le deuxième objectif de la France est de favoriser le développement interrégional, qui seul a un vrai sens économique. L'avenir, on l'a dit, est aux grands ensembles, cohérents et solidaires. C'est en regroupant leurs forces et en les harmonisant que les États peuvent le mieux tirer parti de leurs atouts. L'Afrique ne doit pas se dérober à ce mouvement. Certaines initiatives ont déjà é prises en ce domaine et nous avons tout lieu de nous en féliciter. D'autres suivront très certainement. L'harmonisation du droit des affaires, ce n'est qu'un exemple, est en cours.
Mais, là encore, il convient d'être prudent. L'intégration régionale, elle non plus, n'est pas une fin en soi et il serait dommageable qu'elle se réduise à un slogan, évitant aux intéressés de prendre leurs problèmes à bras-le-corps. L'intégration doit être sans cesse réévaluée d'une manière pragmatique, en ne perdant jamais de vue les réalités locales et régionales. Certaines régions africaines sont probablement mieux armées que d'autres pour y parvenir plus rapidement. Il en va ainsi de l'Afrique occidentale qui bénéficie à bien des égards de l'armature solide que confère l'existence de la zone franc et qui s'achemine vers la création d'une communauté économique autour de l'Union monétaire d'Afrique de l'Ouest.
Le troisième objectif est celui de la sécurité à la dimension du continent. L'Afrique est minée aujourd'hui de zones de destruction inquiétantes. La situation de la Somalie ou celle du Libéria sont, malheureusement, bien connues.
Dans d'autres pays, une instabilité politique persistante et des affrontements ethniques remettent en cause les équilibres péniblement échafaudés. L'impératif de sécurité est plus grand qu'il n'a peut-être jamais été. Sur ce plan-là non plus, la France ne se dérobera pas à ses engagements. Vos pays savent bien qu'ils peuvent compter sur notre soutien. Personne ne contestera ainsi l'intérêt de notre coopération militaire qui garantit la stabilité de plusieurs pays du continent et fait ainsi partie intégrante de l'aide au développement. Chacun sait aussi quel rôle positif joue la France au sein du Conseil de sécurité des Nations unies pour la résolution des crises et des conflits.
Afin de pouvoir donner à sa politique une pleine efficacité, la France s'emploiera inlassablement à améliorer son outil de coopération. Celui-ci a acquis une importance, considérable depuis que, au moment même des indépendances, le général de Gaulle en a inventé le concept.
Le dessein africain de la France
La France aujourd'hui se situe parmi les pays développés dont les efforts sont les plus significatifs. Compte tenu de nos propres contraintes financières aujourd'hui très pesantes, il est important de travailler à améliorer la qualité de ce levier et de nous imposer systématiquement une obligation de résultat. Nous nous y employons actuellement.
La France doit d'abord atténuer les coûts sociaux des changements en Afrique. Aider à l'amélioration du niveau de santé des populations en luttant contre les fléaux qui mettent les États en péril.
Elle doit aussi apporter son soutien en finançant les investissements de ses partenaires dans les domaines où ils ont des chances d'être performants demain. Mais ces aides doivent être mieux ciblées sur le plan sectoriel et favoriser l'avènement d'un partenariat bien compris.
La France doit, en outre, convaincre les opinions et les gouvernements africains de la nécessité de la réforme économique. Les enjeux véritables ne sont pas toujours bien perçus.
L'Afrique ne se réformera réellement que si les Africains eux-mêmes sont convaincus de la nécessité du changement. Nous serons de leur côté car, vous le savez, il y a un dessein africain de la France.
Comme le Premier ministre, M. Édouard Balladur, l'a affirmé dans sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, la solidarité franco-africaine sera "sans faille mais exigeante".
Exigeante, en effet, car nous la concevons comme un véritable partenariat entre États responsables. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi.
Vous pourrez, pour tout cela, compter sur la France et compter sur moi qui serai, si vous le voulez bien, le ministre de la France en Afrique, et le ministre de l'Afrique en France.
Comme le Premier ministre, M. Édouard Balladur, l'a affirmé dans sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale, la solidarité franco-africaine sera "sans faille mais exigeante".
Exigeante, en effet, car nous la concevons comme un véritable partenariat entre États responsables. C'est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi.
Vous pourrez, pour tout cela, compter sur la France et compter sur moi qui serai, si vous le voulez bien, le ministre de la France en Afrique, et le ministre de l'Afrique en France.