Interview de Mme Martine Aubry, membre du PS, à RMC le 28 juillet 1993 sur ses activités, les états généraux du PS, la spéculation contre le franc et la politique de l'emploi.

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Média : RMC

Texte intégral

Q. : Quatre mois que vous n'êtes plus ministre et que vous avez un bureau à l'Élysée. Que faites-vous depuis quatre mois ?

R. : J'ai pris un peu de repos. Et, surtout, je monte avec d'autres une Fondation sur les problèmes d'exclusion qui va m'occuper à quasi-temps plein à partir de la rentrée. Cette fondation va essayer de ramener un certain nombre de gens en marge de notre société à l'intérieur de celle-ci. Nous travaillons avec un certain nombre d'entreprises, avec des associations. Cela va être ma tâche essentielle pour les années qui viennent.

Q. : Vous paraissez heureuse de ne plus être aux affaires ?

R. : J'étais assez contente effectivement de reprendre une vie un peu normale et de m'attacher tout de même à continuer à travailler à ces problèmes d'exclusion.

Q. : Le congrès socialiste est dans trois mois. La motion majoritaire Fabius, Rocard, ex-Jospin sont-elles aussi floues ?

R. : E. Guigou et moi-même regrettons – et nous l'avons écrit à M. Rocard – que ce texte ne fasse pas les choix essentiels. Protectionnisme ou libéralisme ? Régime parlementaire ou présidentiel ? 35 heures sans baisser les salaires ou 35 en les baissant ? Ce sont des choix essentiels.

Q. : N'est-ce pas la vocation du Congrès de faire ces choix ?

R. : Oui. Il vaudrait beaucoup mieux sortir du Congrès avec un texte qui regroupe 65 % de socialistes mais que les Français considèrent comme crédible, plutôt que d'avoir un texte "attrape-tout" où il y a 90 % des socialistes, mais où nous n'avons pas fait les choix courageux qu'il faut faire et qu'attendent les Français pour considérer qu'il y a une alternative de gauche crédible. Jusqu'au Congrès, nous travaillerons pour que ces choix soient faits. Avec d'autres, nous déposerons des amendements. J'espère que d'ici le Congrès, et au Congrès, les choix seront faits afin que nous puissions être crédibles.

Q. : Les attaques sur le Franc sont-elles à votre avis dues à la mauvaise santé économique habituelle de la France, ou est-ce la sanction de déclarations d'hommes politiques français ?

R. : Cette spéculation, c'est la troisième vague depuis l'année dernière. À l'époque, l'opposition d'alors critiquait le gouvernement Bérégovoy sur sa politique. On voit bien que cela n'était pas lié à cela. Cette vague de spéculation contre le Franc est alimentée par les milieux anglo-saxons qui contestent le SME car ils sont pour un libéralisme intégral et parce que cela limite les gains spéculatifs. On trouve toujours des alibis : cette fois-ci c'était une étude de l'INSEE sur les prévisions maussades de l'économie française, ou cette conversation entre le Premier ministre et J. Chirac, ce dernier ayant porté, semble-t-il, quelques critiques à la politique économique. Il ne s'agit là que d'alibis. La situation économique de la France n'explique en rien cette vague de spéculation. Il faut tenir. Le gouvernement a raison de réagir comme il le fait.

Q. : Que pensez- vous de la façon dont le gouvernement a pris à bras-le-corps le problème du chômage depuis quatre mois. Y a-t-il une réussite à mettre à son actif ?

R. : Dans les discours, oui. Dans la pratique, je suis un peu déçue. On se retrouve finalement toujours avec la logique très classique : on fait des cadeaux aux entreprises, et on attend de voir comment cela va se passer. On a fait des cadeaux sur la TVA, apporté des aides très importantes sur l'apprentissage et l'emploi des jeunes… et on attend les résultats. Dans le programme de l'opposition, on nous avait parlé d'un pacte sur l'emploi. On nous avait dit qu'il y avait des engagements qui allaient être pris par les entreprises. Aujourd'hui, il n'y a eu aucun engagement sur le plan formel. On nous a vaguement fait des promesses. J'attends de voir ce que cela va donner à la rentrée, notamment sur l'embauche des jeunes. Pour le reste, je trouve que c'est assez flou. On n'a pas de grands axes. On ne voit pas très bien où va le gouvernement en matière d'emploi. Il y a deux terrains essentiellement. 1/ La réduction de la durée du travail. 2/ La création d'emplois dans les services et le développement des services de proximité et des services autour de la distribution. C'est là-dessus qu'il faut peser si on veut répondre à des besoins d'environnement, de qualité de vie, de sécurité et créer des emplois dans les mois qui viennent. Là, il n'y a rien de fait. Si on ajoute à cela les prélèvements très importants sur la consommation – augmentation de la CSG, de la Sécurité sociale, de diverses taxes, cotisation UNEDIC – je me demande si on ne pèse pas un peu plus sur la récession en taxant la consommation.

Q. : Que pensez-vous du plan quinquennal qui va sortir dans quelques semaines et qui prévoit la baisse des charges et les emplois de service ?

R. : Je n'ai pas vu de ligne directrice dans cette loi quinquennale. J'ai retrouvé pour l'instant beaucoup des fonds de tiroirs que nous avions depuis des années. Il y a une mesure qui m'apparaît bonne et que j'avais préconisée avant les élections, qui est la fiscalisation des allocations familiales parce qu'elle baisse le coût du travail pour les bas salaires. Cette mesure, à elle seule, ne permet pas de créer des emplois, mais elle va dans le bon sens. Pour le reste, je vois plutôt un catalogue. Attendons de voir comment le ministre du Travail va présenter lui-même cette loi.

Q. : Vous mettez une mauvaise note au gouvernement Balladur ?

R. : La situation est très difficile en matière d'emploi. Il serait prématuré de donner une mauvaise note. Je ne vois pas de clarté, je vois même un grand flou dans la politique sur l'emploi actuellement. J'attends de voir ce que sera cette loi quinquennale. J'attends surtout de voir si le patronat, comme il le dit sans engagement précis, va effectivement faire des efforts à la rentrée après tous les cadeaux qui lui ont été offerts : 50 milliards de francs, ce n'est pas négligeable. D'autant que ce sont les salariés, une fois de plus qui ont payé le maximum.

Q. : Vous donnez des leçons, mais lorsque vous étiez en place vous n'avez pas eu des résultats fantastiques à montrer ?

R. : C'est bien pour cela que je ne viens pas donner de leçons ! Je viens dire qu'il était prématuré de donner une appréciation générale. Je sais que la situation est très difficile. Je ne l'oublie pas car je l'ai aussi vécu.

Q. : Depuis que vous n'êtes plus aux affaires, vous avez davantage de temps pour réfléchir sur ce problème du chômage qui risque de gangrener la société française en son entier. Avez-vous des idées sur la façon dont il faudrait aborder le problème pour le régler, si c'est possible de le régler ?

R. : Aujourd'hui, le gouvernement ne peut plus faire tout, tout seul. Lorsqu'il dit "Pavez, et faites-moi confiance", cela ne suffit pas sur le chômage, ni sur d'autres domaines. Si on veut réduire le chômage, il faut que chacun s'y mette. Le travail au noir doit disparaitre. Les gens doivent consommer des services. Il faut qu'ils changent en partie leur mode de consommation. Les élus locaux doivent créer autour d'eux des services de proximité, sur l'environnement, sur la sécurité, qui améliorent la qualité de vie des citoyens et qui créent en même temps des emplois. Pour cela, il faut solliciter les gens. Il faut les mobiliser sur un projet, et pas seulement dire "Payez ! Le reste, je m'en occupe". On verra bien dans les mois qui viennent que cela ne suffit pas. Le développement des services dans notre pays est un élément essentiel pour lutter contre l'emploi. Je n'admets pas les gens qui disent qu'il s'agit de "petits boulots". Ce sont des métiers où on demande beaucoup de responsabilité et d'autonomie. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas un métier technique dans les mains qu'on n'a pas un métier. C'est surtout sur cela qu'il faut porter l'accent. En la matière, les besoins de notre pays sont immenses.

Q. : Personne ne voit la manière dont la situation du chômage pourrait s'améliorer…

R. : C'est très compliqué, parce qu'il faut changer notre façon de voir les choses. On ne peut pas continuer à dire "On baisse les charges" comme le fait le gouvernement, ou "On attend la croissance", il va falloir organiser autrement le temps de travail et consommer beaucoup plus de services. Cela nécessite de changer de mode de pensée. Il faut négocier avec les pays de l'Est en voie de développement – notamment en Asie – car ces pays ne respectent pas un minimum de règle sociales. C'est le dossier du GATT. Il faut que la France continue à jouer un rôle important pour peser là-dessus. Sinon, on n'aura plus d'industrie en Europe d'ici 10 ans.

Q. : Pour les européennes, quelle tête de liste ?

R. : Il faut une bonne tête de liste, mais surtout un bon projet. Il faudra faire des choix. Que va-t-on faire par rapport au GATT. Quoi sur l'Europe politique, sociale ? Il faut peser sur nos partenaires pour que l'Europe sociale soit une réalité. Quand on aura un projet, il faudra choisir une tête de liste qui soit le plus à même de le porter. Cela va être long. Les états généraux ont été une bonne étape pour le PS. J'espère que nous allons continuer à débattre d'ici au Congrès et sortir avec un projet de gauche crédible.