Texte intégral
J.-P. Elkabbach : S. Pérès a confirmé un accord avec les Palestiniens. Quand la France a-t-elle su et l'a-t-elle tout de suite soutenu ?
A. Juppé : La France a été informée des négociations secrètes qui se tenaient à Oslo dans le courant de la semaine dernière. Nous avons immédiatement fait savoir que ce pas dans la direction de la paix nous paraissait décisif. Nous avons donc apporté notre soutien. Lorsque M. Rabin est venu à Paris au mois de juin, l'un des conseils que lui avait donnés la diplomatie française, c'était de négocier directement avec l'OLP. Ceci a été fait. Il y a là un élément d'une importance extraordinaire.
J.-P. Elkabbach : Êtes-vous prêt à recevoir Arafat ?
A. Juppé : J'ai rencontré des proches d'Arafat et des responsables de l'OLP, mais si M. Arafat venait à Paris, je le recevrais. La France a toujours manifesté une solidarité très forte avec Israël. J'avais avant hier au téléphone M. Pérès : je lui ai dit le soutien que nous lui apportons et nous avons convenu de nous voir le plus vite possible.
J.-P. Elkabbach : Arafat pourrait venir à Paris ?
A. Juppé : Ce n'est pas impossible. La France a également mobilisé les Douze de la Communauté pour que nous reprenions une coopération très étroite, à la fois avec les Palestiniens dans les territoires occupés et évidemment aussi avec Israël.
J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous savez ce que veut le Chancelier Kohl au sujet du GATT ? Qu'attendez-vous des Allemands ?
A. Juppé : Je crois que le voyage d'É. Balladur la semaine dernière à Bonn a été décisif et qu'il a permis de débloquer la situation. Je peux vous dire que la France n'est pas isolée. Prenons les deux exemples les plus importants dans cette négociation. D'abord, ce qu'on appelle la politique commerciale de la Communauté. Est-ce qu'elle est prête à se doter d'instruments lui permettant de réagir, comme le font les États-Unis dans certaines circonstances...
J.-P. Elkabbach : ...qui vous donnent des preuves de solidarité justement...
A. Juppé : Eh bien, j'ai multiplié depuis quelques jours les contacts avec mes collègues des Douze et je peux vous dire qu'en Espagne, en Irlande, en Italie, au Portugal, en Belgique, on soutient le point de vue français sur ce plan-là. Le deuxième aspect, c'est le volet agricole. Il y a là une difficulté mais nous sommes en train de convaincre nos partenaires, que nous ne pouvons pas accepter que la Communauté se fasse Hara Kiri d'une certaine manière et renonce à exporter 15 à 20 millions de tonnes de céréales sur les marchés mondiaux alors qu'elle est une grande productrice.
J.-P. Elkabbach : Cela veut dire que l'Europe est prête à accepter une phase de tension avec les États-Unis ?
A. Juppé : Dans toute négociation, il y a tension. Les États-Unis ne se sont pas privés il y a quelques temps, de mettre 100 % de droits de douane sur les aciers européens.
J.-P. Elkabbach : Si les Européens ne se rapprochent pas de la France, peut-on imaginer que vous laissiez votre chaise vide à Bruxelles ?
A. Juppé : Il y a des choses qui sont inacceptables. Nous ne pouvons pas accepter que notre agriculture soit sacrifiée et si nous ne convainquions pas nos partenaires, nous en tirerions bien sûr les conséquences.
J.-P. Elkabbach : Vous réunissez demain pour la première fois à Paris tous les ambassadeurs de France. Réformer le Quai d'Orsay, pour obtenir quoi ?
A. Juppé : Deux choses. Mieux utiliser l'extraordinaire réseau de compétences que représentent nos ambassades dans tous les pays du monde. C'est le deuxième réseau diplomatique du monde, après celui des États-Unis. Et à l'heure actuelle, l'information n'est pas suffisamment établie. Les ambassadeurs à l'étranger sont souvent un peu isolés. Je voudrais resserrer les liens entre les pays les plus lointains et l'administration centrale. Un deuxième problème, c'est que l'action extérieure de la France aujourd'hui est un peu éparpillée. Il faut essayer de la regrouper pour lui donner plus d'efficacité.
J.-P. Elkabbach : Si les Serbes reprennent leur offensive militaire, que feront à la fois les Casques bleus et les avions de l'OTAN ?
A. Juppé : Ce qui s'est passé cette nuit est tout à fait consternant. D'autant qu'on était tout près d'un accord. Et il n'y a pas d'excuse à ce que j'appellerais l'interruption et non pas la rupture de ces négociations. Il faut qu'elles reprennent. Sinon, ce sera davantage de souffrances et de morts. Le dispositif est aujourd'hui tout à fait opérationnel. Dans les dernières heures, il y a eu des incidents autour de Sarajevo. Dans les minutes qui ont suivi, les avions survolaient la zone.
J.-P. Elkabbach : En ce qui concerne le droit d'asile, vous souhaitez que la majorité durcisse jusqu'à l'épreuve de force ou qu'il y ait compromis ?
A. Juppé : La position du Premier ministre est d'une très grande sagesse et je l'approuve totalement. Il faut une réforme de la Constitution, sinon nous ne pourrons pas maîtriser l'arrivée sur le territoire national de dizaines de milliers de faux demandeurs d'asile supplémentaires. Il faut que cette réforme de la Constitution soit limitée. Il ne s'agit pas de remettre en cause les grands principes. Il s'agit de faire en sorte que la Constitution soit compatible avec nos engagements internationaux. Et il faut que la réforme passe par la voie parlementaire. Le Premier ministre continue à s'en entretenir avec le Président de la République et je suis sûr que la sagesse aidant des deux côtés, il y aura une solution.
J.-P. Elkabbach : Vous êtes partisan d'une cohabitation douce ?
A. Juppé : Il s'agit d'appliquer les objectifs de la politique gouvernementale. Le gouvernement a fixé ses objectifs, il les atteindra et je ne suis pas partisan en ce qui me concerne de casser la barque tous les matins.
J.-P. Elkabbach : Les universités d'été du RPR ont lieu dans deux jours. Comment J. Chirac peut-il se tirer de la difficulté, alors qu'E. Balladur a de meilleurs sondages que lui ?
A. Juppé : Ce qui compte, c'est de remobiliser le RPR qui a été l'un des instruments essentiels de la victoire des élections législatives de mars dernier. Il y a des échéances électorales prochaines, les élections cantonales, les élections européennes. J. Chirac est président du RPR, il va entraîner ses troupes. C'est à lui aujourd'hui de continuer à affirmer sa vision des choses pour le moyen terme.
J.-P. Elkabbach : Mais vous, vous pourriez faire campagne pour J. Chirac et rester ministre d'E. Balladu r?
A. Juppé : J'ai une fidélité au chef du gouvernement, qui m'a demandé d'assumer la conduite de la diplomatie française et j'en suis totalement solidaire. J'ai une fidélité personnelle à J. Chirac. Je les assumerais toutes les deux.
J.-P. Elkabbach : Vous dites : « J'ai deux amours »...
A. Juppé : Il ne faut pas prendre les choses à la légère.
J.-P. Elkabbach : Votre choix vous le faites dès maintenant ou à la fin 1994 ?
A. Juppé : Faites confiance à la sagesse des plus hauts responsables de ce pays.