Texte intégral
Question : (sur un éventuel débat à l'Assemblée nationale)
Le ministre : Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les députés, monsieur le Premier ministre. La réponse est tout à fait claire, elle est positive, et la représentation nationale sera saisie de cette question. Et c'est très exactement l'esprit du combat que nous sommes en train de mener aujourd'hui. Nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans un calendrier qui n'est pas le nôtre. Il n'est pas question pour nous d'être mis devant le fait accompli le 13 ou le 14 décembre. Nous devons avoir le temps de saisir la représentation nationale. Dans l'état actuel de mes informations, les discussions qui ont eu lieu hier et avant-hier entre M. Kantor et M. Brittan n'ont pas permis d'aboutir à tracer les lignes générales d'un accord. Et je le regrette profondément, parce que maintenant le temps presse. Et je le dis avec beaucoup de clarté : il faut que le 2 décembre, qui est le prochain rendez-vous du Conseil des ministres de l'Union européenne, des progrès suffisants aient été faits pour que nous puissions examiner à ce moment-là un pré-accord, et qu'ensuite les concertations internes et communautaires nécessaires puissent être organisées. C'est le sens du message que nous adressons aujourd'hui très fermement au négociateur. Tout espoir n'est pas perdu, puisque les discussions se poursuivent et qu'un prochain rendez-vous a été pris à Bruxelles vous le savez, entre M. Brittan et M. Kantor, pour le mercredi 1er décembre.
Je voudrais simplement ajouter que la position de l'Union européenne sur le fond est aujourd'hui parfaitement connue. Nous savons ce que nous voulons et nous l'avons dit à nos partenaires. Nous voulons une organisation mondiale du commerce qui fixe les mêmes règles pour tout le monde. Nous voulons ensuite des réductions des droits de douane qui soient équilibrées entre les différentes parties. Nous voulons en troisième lieu un régime qui nous permette de sauvegarder notre identité culturelle. Et enfin, dans le domaine agricole, nous ne voulons pas que la capacité exportatrice de la Communauté soit bridée, et qu'un seul hectare de jachère supplémentaire, comme l'a dit le Premier ministre, soit imposé à nos agriculteurs par rapport à ce que prévoit la réforme de la politique agricole commune.
Je terminerai par une dernière réflexion : je souhaiterais que l'Union européenne ne se laisse pas terroriser par des manifestations de puissance venues d'ici ou de là. Nous sommes aujourd'hui, quand je dis-nous, je parle de l'Union européenne, la première puissance commerciale du monde avec 40 pour cent des échanges mondiaux. Nous avons bien sûr besoin des autres, mais les autres ont besoin de nous et c'est la raison pour laquelle aucun accord ne peut être accepté qui ne soit équilibré, global et durable.
Jeudi 25 novembre 1993
RTL
P. Caloni : La négociation n'a pas fait de progrès selon vous, entre Américains et Européens. Est-ce que la France pourrait ne pas signer cet accord ?
A. Juppé : Si on reste au stade actuel, je ne vois pas comment nous pourrions signer. Mais la négociation se poursuit et un nouveau rendez-vous a été fixé pour mercredi prochain à Bruxelles entre le négociateur américain et le négociateur européen. Je serais tenté de dire, sans expression excessive, le rendez-vous de l'avant-dernière chance. Car si nous ne sommes pas en mesure la semaine prochaine d'examiner un pré-accord, alors on ne tiendra pas les délais.
P. Caloni : Quel est le dossier sur lequel vous attendez en priorité un geste des Américains ?
A. Juppé : Nous ne cessons de le répéter depuis plusieurs mois, la France et l'Union européenne ont défini leurs priorités. Nous avons quatre grands sujets de préoccupations : d'abord comment sera organisé demain le commerce mondial ? Nous souhaitons que les règles soient les mêmes pour tout le monde et que tel ou tel ne puisse pas déclencher à lui seul, des mesures de rétorsion. C'est une exigence de bon sens. Ensuite, c'est le cœur de la négociation, il faut que les réductions de tarifs douaniers soient équilibrées de la part de tous les partenaires. Troisième lieu : nous attachons beaucoup d'importance au sort qui sera fait à la culture et au bien de l'esprit. Nous souhaitons pouvoir maintenir nos systèmes spécifiques d'aide au cinéma ou à la production audiovisuelle. Enfin, il y a toute une série de secteurs où l'on n'a pas avancé : acier, textile, agriculture.
P. Caloni : Sera-t-il acceptable de réduire progressivement, comme on entend cette thèse se répandre, les exportations agricoles subventionnées ?
A. Juppé : Nous avons formulé des demandes, une clause de paix durable, un échelonnement dans le temps, des réductions d'exportations subventionnées. Nous avons deux préoccupations : il faut que l'Union européenne, et au sein de l'Union, la France, puissent maintenir globalement leur capacité exportatrice. Ensuite, il ne faut pas que nos paysans aient à subir un hectare de jachère supplémentaire par rapport à ce qu'a déjà provoqué la réforme de la PAC.
P. Caloni : Le 15 décembre, c'est la date butoir pour la signature l'accord. Pour la France, ce n'est pas forcément une date butoir ?
A. Juppé : Nous sommes prêts à garder cette date à l'esprit à une condition c'est qu'avant le 15 nous ayons eu le temps de réfléchir à ce que pourrait être l'accord final. Il faut des concertations à Douze, il en faut aussi au niveau national.
P. Caloni : Au niveau nation c'est le débat au Parlement que vous acceptez ?
A. Juppé : Ce n'est pas que nous l'acceptons, c'est que nous le proposons, nous le décidons.
P. Caloni : C'est une question de L. Fabius qui vous a amené à le dire ?
A. Juppé : Oui, mais le Premier ministre l'avait déjà envisagé et il est évident que pour un sujet d'une telle importance, le gouvernement demandera au Parlement et au Sénat d'en débattre.
P. Caloni : Avec un vote ?
A. Juppé : La procédure sera fixée le moment venu.
P. Caloni : Quel sont les avantages et les inconvénients d'un vote ou pas ?
A. Juppé : Il semble normal qu'au terme d'un débat de ce type on se prononce naturellement.
P. Caloni : P. Bérégovoy en son temps aussi avait organisé un débat sur le GATT…
A. Juppé : À l'époque, les positions du gouvernement n'avaient pas la clarté de celles que nous avons données aujourd'hui. J'insiste sur ce point : nous avons un Conseil des ministres de l'Union européenne le 2 décembre. Il faut que ce jour-là nous soyons en mesure de délibérer sur d'autres choses que de vagues promesses ou des conversations de salons. Il nous faut un pré-accord. Et si nous n'avons pas le 2 décembre la possibilité d'examiner un pré-accord, alors on ne pourra pas conclure la négociation le 15.
P. Caloni : Quel est l'autre sujet de préoccupation du ministre des Affaires étrangères en dehors du GATT ?
A. Juppé : La liste serait longue. Mais, par exemple, lundi prochain, à Genève, nous tiendrons une conférence très importante: je voudrais évoquer l'ex-Yougoslavie. Nous voyons des images insoutenables, l'hiver est venu à Sarajevo. L'Union européenne, à l'initiative de la France et de l'Allemagne, a décidé de prendre ses responsabilités et aussi de placer les parties concernées devant leurs responsabilités. Nous avons invité, lundi prochain, à Genève, à la fois, les Serbes, les Croates, les Bosniaques, pour leur dire : "voilà ce que nous vous proposons, il faut maintenant s'en sortir, il faut faire des concessions territoriales supplémentaires au profit des Musulmans, il faut respecter un statuquo, un modus-vivendi entre Serbes et Croates. Si vous faites cela, alors nous sommes prêts à nous engager dans un plan de suspension de levée progressive des sanctions." J'espère que cette initiative importante de l'Union européenne va permettre de débloquer la situation.
P. Caloni : Toute idée que vous soyez tête de liste aux élections européennes est-elle écartée ?
A. Juppé : Ce n'est pas le problème. J'étais hier à la réunion des deux groupes de la majorité, Assemblée nationale et Sénat, et j'étais très impressionné par le climat d'union qui règne dans cette majorité. Cette union ne s'est pas démentie depuis huit mois, elle n'a jamais fait défaut au gouvernement, les Français la souhaitent profondément. Le RPR veut être un peu à la pointe de cette union. Il rappelle ce qu'il a proposé à ses partenaires de l'UDF, à savoir l'élaboration en commun d'un projet pour l'Europe et sur cette base, la constitution d'une liste d'union.
P. Caloni : On peut imaginer qu'en juin prochain il y ait deux listes, soutenues chacune d'entre elle par certains membres du gouvernement ?
A. Juppé : Non ce serait absurde. Nous souhaitons une liste d'union et nous disons qu'il faut aussi commencer à préparer les élections municipales.
P. Caloni : L'UDF se méfie beaucoup de cette idée de repousser les municipales après les présidentielles…
A. Juppé : C'est un autre problème ; ce que j'ai proposé hier, c'est que la Commission d'investiture du RPR et de l'UDF puissent d'ores et déjà commencer à préparer les investitures de façon à ce que tout ceci se passe dans le meilleur climat. En ce qui concerne la date, j'ai écouté le ministre de l'Intérieur qui nous a dit que selon lui, il y avait des arguments juridiques et administratifs pour que le calendrier initial, à savoir élections municipales en mars, élection présidentielle fin avril, soit modifié. On ne peut pas raccourcir le mandat des conseils municipaux, ça ne s'est jamais fait et sans doute le juge constitutionnel ne l'accepterait-il pas. Il faut donc le rallonger de quelques mois pour permettre aux élections présidentielles de se dérouler en toute sérénité.
P. Caloni : Pas d'arrière-pensées comme le craignent certains responsables de l'UDF, de faire les municipales avant les présidentielles ? Ce serait favorable à un RPR s'il est élu…
A. Juppé : Il ne faut pas avoir peur du RPR comme ça. C'est une force politique qui a le vent en poupe, nous sommes prêts au dialogue et encore une fois, nous sommes déjà prêts à préparer ensemble les investitures. C'est faire preuve de bonne volonté que je sache.
P. Caloni : Qui pourrait être un bon candidat en 95 à Bordeaux ?
A. Juppé : Nous en parlerons. Les investitures c'est fait pour ça.