Texte intégral
Date : 4 juin 1998
Source : le Progrès
Gérald Prévost
L'UDF peut-elle survivre à la scission de Démocratie libérale ?
François Bayrou
Nous sommes en train de construire un parti nouveau, une nouvelle UDF, qui est amenée à rassembler tous ceux qui ont une vision moderne de la politique, fondée sur la proximité, le dialogue, et capable, autour de valeurs fortes et d'un projet très concret pour la France, de dépasser les clivages vieillots de la politique française. Cette démarche novatrice et dynamique est en rupture avec les recettes du passé, fondées sur l'omnipotence de Paris, le règne des élites sûres d'elles-mêmes et une certaine condescendance vis-à-vis du terrain et de la base. Dans cette entreprise, je puis vous dire que le soutien de Raymond Barre, à qui je porte une admiration et une affection toutes particulières, m'est très précieux.
Gérald Prévost
Quelle place doit occuper Force démocrate dans l'UDF ?
François Bayrou
Je l'ai déjà dit : on ne fait pas de la politique pour défendre une étiquette. Force démocrate est actuellement en pleine expansion ; nous avons effectué un vrai travail interne de renouvellement, de modernisation. Et bien, il est naturel que le message démocrate trouve toute sa place dans la nouvelle UDF, si les militants, comme je le souhaite, en décident ainsi.
Gérald Prévost
Autour de quels pôles concevez-vous l'organisation de l'Alliance ?
François Bayrou
L'Alliance répond aux besoins d'unité et de pluralité que réclament nos électeurs. Il s'agit de renforcer les liens qui unissent les différentes familles de l'opposition, sans pour autant nous fondre dans un moule unique qui ne répond pas, me semble-t-il, aux préoccupations de nos concitoyens. Chaque sensibilité doit être préservée, qu’il s'agisse du pôle gaulliste ou du pôle libéral et démocrate. La diversité est source de richesse.
Gérald Prévost
Croyez-vous encore en la possibilité de créer un grand parti du centre droit ?
François Bayrou
Après les élections régionales, j'ai effectivement souhaité la création d'un grand parti fort et large, uni et responsable, sur l'espace politique du centre et du centre droit. Il s'agissait de réunir dans un parti du centre et de la droite modérée - éclairée serais-je tenté de dire - tous ceux qui croient à la conciliation de l'économie de marché et de la solidarité, de l'Europe et de la Nation, en un mot qui sache dépasser les schémas d'antan, qui ont tous montré leurs limites. Notre pays est à la fois libérai en économie et interventionniste en matière sociale, européen et attaché à la Nation française, attentif à la sécurité et ouvert au monde... Ces contradictions ne sont qu'apparence. La volonté de la nouvelle UDF est de concilier toutes ces aspirations, tout en restant intransigeant vis-à-vis des extrêmes et résolument opposé aux choix socialistes, dont on verra assez vite qu'ils ne sont pas bons pour la France.
Gérald Prévost
Vous allez rencontrer les militants, à Lyon, deux jours avant la convention nationale de l'UDF. Pour quel message ?
François Bayrou
Il s'agit de prendre le pouls du pays, d'écouter nos militants, bien plus que venir leur délivrer la bonne parole. Le temps où Paris venait dicter aux militants leur conduite a vécu. Un mouvement inverse doit apparaitre, qui ira de bas en haut, de la base au sommet, tant pour les décisions politiques d'importance, candidatures, élections... que pour le projet. II s'agit de reconquérir le cœur des Français par le dialogue et l'écoute. Voilà la manière dont je conçois la politique aujourd'hui. Voilà quelle sera la méthode de fonctionnement de la nouvelle UDF.
Date : juin 1998
Source : Démocratie Moderne
C'est une année éprouvante qui s'achève pour l'opposition et pour ses militants. L'onde de choc consécutive à la dissolution ne s'est pas arrêtée à la défaite électorale du printemps dernier. Elle a cheminé souterrainement jusqu'aux élections régionales et à ses lendemains. Les chiffres n'étaient pas mauvais. S'il avait fallu désigner un vainqueur aux points, dans des résultats somme toute équilibrés, c'est sans doute l'UDF et le RPR qui auraient été choisis au bénéfice de la surprise. Car la moitié des régions à droite et l'autre moitié à gauche, c'était déjà un résultat convenable alors que les sondages nous annonçaient une bérézina avec la perte de dix huit (!) régions. En fait, la gauche avait, dans les urnes, perdu six points. Il a fallu une singulière faute pour transformer cette bonne résistance de l'opposition en déroute morale et politique.
Les présidents de régions qui ont accepté de pactiser avec le Front national, en déconsidérant leur camp et en reniant la parole donnée, ont rendu service en même temps à la gauche et à l'extrême droite.
Qu'ils aient tous appartenu à l'UDF était le symptôme d'un mal ancien et profond. L'organisation de notre confédération, addition de structures inégales et parfois rivales, obligeant à réunir six bureaux politiques différents pour prendre une position, la rendait incapable de gérer efficacement en période de crise. On le vit jusqu'à la caricature quand les félicitations des uns croisèrent les demandes d'exclusion des autres. C'est pourquoi j'ai pris la responsabilité d'en appeler à la naissance d'une famille politique refondée, affirmant clairement ses valeurs humanistes et son positionnement central, pour travailler à changer la politique française.
Le départ de Démocratie libérale nous donne, dans celte refondation, une responsabilité particulière. Avec beaucoup de libéraux humanistes, avec les démocrates et les républicains, il nous revient de faire naître, sans concessions, le parti politique unifié dont beaucoup d'entre nous rêvaient depuis longtemps. Pour moi, je ne transigerai pas sur la rénovation qu'il suppose dans les comportements, dans le projet et dans les idéaux. Désormais, nous le savons, la prochaine année politique peut être celle d'un espoir nouveau. Nos militants en décideront.
En même temps, et pour les mêmes raisons, l'Alliance se met en place. J'ai salué sa naissance parce qu'elle doit permettre enfin, après le temps de la désunion, l'entente entre des sensibilités différentes, chacun respectant l'autre, les uns plus à droite, les autres plus au centre, les uns plus nationaux, les autres plus européens, les uns plus jacobins, les autres partisans d'un pouvoir local fort, les uns plus libéraux, les autres plus solidaires. Certains parmi nous espéraient qu'un parti unique de l'opposition pouvait faire naître cette entente. D'autres, dont je suis, pensaient que des différences aussi profondes ne se laissent pas facilement gommer et que les cultures militantes ont aussi leur personnalité. Ce débat est estimable. Pour l'instant l'Alliance offre à chacun une possibilité d'affirmation dans un cadre commun. Ne manquons pas cette chance. Nous le devons à notre idéal, comme nous le devons à notre pays.
Date : juillet 1998
Source : Démocratie Moderne
La coupe du monde de football a aidé à tourner la page du printemps désordonné de l'opposition. Sommes-nous pour autant au bout des secousses, des « répliques » comme on dit lorsqu'il s'agit de tremblements de terre qui ont secoué notre paysage ? Probablement pas tout à fait. La transgression volontaire par certains de l'interdit dont l'opposition républicaine avait décidé de marquer ses rapports avec l'extrême droite, la difficulté de définir un projet politique au moment où les socialistes s'essaient à pratiquer le libéralisme, l'entrée dans la réalité du rêve européen et sa confrontation avec la volonté de vivre de la nation, les difficultés d'adaptation de la société française aux réalités d'un monde globalisé, marqué de la toute puissance de l'économie, tout cela n'a pas fini, je le crains, de travailler en profondeur notre Alliance.
Faut-il s'en désoler ? Au contraire. C'est le temps des ressourcements.
Depuis longtemps, vous le savez, je suis frappé par la mauvaise lecture que nous faisons collectivement de la crise de l'opposition républicaine. De plus en plus souvent, et de manière de plus en plus péremptoire, on entend les leaders de l'opposition dire : « si nous avons perdu, c'est parce que nous n'avons pas été assez à droite ! La prochaine fois, on verra ce qu'on verra ». Et chacun de reprendre à l’envi, sous une forme « civilisée », les thèmes de l'extrémisme. Je ne crois pas à ce chemin. C'est une régression et c'est l'aveu d'une défaite. Or ni les régressions, ni les humiliations n'ont jamais préparé l'avenir.
La vérité est que nous avons perdu en 1997 et 1998 au terme d'un long chemin de plusieurs décennies qui a vu l'alliance de la droite et du centre perdre peu à peu son enracinement dans le peuple de France, dans les préoccupations populaires, dans la réalité sociale. Cela est douloureux à dire. Mais sans cette lucidité, nous ne pourrons pas reconstruire. Probablement cela est-il commencé depuis très longtemps, depuis les années soixante-dix, dissimulé, des années durant, par le talent extraordinaire de Giscard, par la volonté et le caractère de Barre, par l'obstination de Chirac. Mais ni les uns ni les autres n'ont aussi à faire repousser les racines disparues. Où sont nos liens avec le monde du travail, avec les salariés du secteur privé, avec le monde du public et du para-public, avec l'entreprise même souvent, avec l'université, avec la recherche, avec l'édition et la création, avec les syndicats et les associations, où sont nos réseaux, les échanges intellectuels, les projets partagés ?
C'est tout cela qu'il faut reconstruire, patiemment, ambitieusement, obstinément.
C'est cela le véritable enjeu de la construction d'un mouvement nouveau, unissant la droite modérée et un centre fier de lui-même, qui commencera à la rentrée de septembre. Pour moi, c'est à cela que je consacrerai, avec vous, toutes mes forces.