Texte intégral
Le Jour : Cette année, pour le 1er mai, FO a choisi de s'adresser plus particulièrement aux jeunes. Pourquoi ?
Marc Blondel : Le chômage est dans la tête des jeunes. Imaginez un gosse dont le père est au chômage et dont le frère ne trouve pas de premier boulot… Comment envisage-t-il son avenir ? FO s'est toujours adressée aux jeunes. Notamment en ce qui concerne le travail des enfants, dans les pays en voie de développement. On ne peut pas faire de dumping social sur leur dos. Léon Jouhaux le disait avant moi ! Nous, pays industrialisés, qui achetons ces produits, validons une telle aberration. Sans compter qu'avec une attitude pareille, il y a de quoi couler l'économie mondiale !
Le Jour : Et les jeunes en France et en Europe ?
Marc Blondel : Ils sont perdus. Mon rêve, au risque de paraître provocateur : qu'ils se révoltent davantage. Ce qui est le plus grave, c'est de les voir se résigner. Les syndicats pourraient avoir un rôle à jouer.
Le Jour : Justement ! Les syndicats ont perdu leur crédibilité. Les salariés ont-ils encore confiance en eux ?
Marc Blondel : Nous y voilà ! Je ne suis pas d'accord avec ce point de vue ! Si on raisonne en termes d'effectifs, les syndicats français ne sont pas au mieux, mais cela n'a rien à voir avec la confiance. Les sondages le disent : les Français ont encore foi en la force syndicale pour influer sur les grands courants sociaux.
Le Jour : Mais ils n'adhèrent pas !
Marc Blondel : Quand je lance un mot d'ordre, je ne m'attends pas à voir la queue sur l'avenue du Maine ! FO préfère avoir moins d'adhérents et des militants plus motivés. Les Français n'aiment pas être encartés. On n'a pas nécessairement besoin d'être syndiqué pour recevoir l'appui des syndicats.
Le Jour : Y a-t-il un syndicalisme du futur ?
Marc Blondel : La réflexion passe d'abord par l'Europe. Personne n'en parle, mais FO fait partie de la CES (Confédération européenne des syndicats). Les gouvernements se préoccupent peu de l'Europe sociale. Pourtant, c'est aujourd'hui qu'il faut en poser les bases. FO insiste depuis longtemps sur la nécessité de mettre en place un droit social européen.
Sur le plan international, nous encourageons également l'inscription d'une clause sociale dans les accords du GATT. Il ne faut plus croire qu'on puisse envisager un problème comme le chômage, dans un cadre seulement national.
Le Jour : On annonce 200 000 chômeurs supplémentaires à la fin 1992. Certains politiques disent : « C'est trop grave, n'en parlons pas ! » Qu'en pensez-vous ?
Marc Blondel : Cela me révolte bien sûr ! Le chômage, il faut en parler ! Mais il faut arrêter de dire n'importe quoi. FO dit au gouvernement : « Aidez-nous à maintenir le pouvoir d'achat et à augmenter les salaires ! » Cette augmentation est une nécessité tant sociale qu'économique. Directement, pour la consommation, ou indirectement pour la protection sociale collective.
Le Jour : On parle beaucoup du partage du temps de travail. Quel est votre avis sur ce type de mesures ?
Marc Blondel : Réactionnaire ! C'est une aberration pure et simple qui ne se fait jamais dans l'intérêt du salarié. Cela n'a jamais encouragé la croissance. Or c'est par la reprise de la croissance que nous pourrons lutter contre le chômage. Si on commençait à appliquer strictement le Code du travail, on ne serait pas obligé d'en venir à des idées pareilles ! On pourrait aussi commencer à geler les procédures de licenciement dans les entreprises dont l'État est actionnaire principal. Franchement, que faut-il penser de cette politique de plans à répétition ? C'est toujours le salarié qui en fait les frais. Et c'est odieux !
Le Jour : Et l'exclusion ?
Marc Blondel : C'est un sujet crucial. Il faut que chacun soit responsabilisé. Savez-vous comment on fabrique des exclus ? C'est très simple. Depuis une dizaine d'années, la part de l'État dans le financement de l'indemnisation du chômage est passée de 50 à 23 %, et cela correspond de fait à un désengagement progressif de sa part. Ce refus de prise de responsabilité ne peut que renforcer l'exclusion. FO a essayé de créer des syndicats de chômeurs, mais c'est très difficile. Ils ne se mobilisent pas. Autrefois, les syndicats servaient de relais. On passait au syndicat, et les gars vous disaient s'il y avait du boulot. Je me demande si cela n'était pas une bonne chose. Les syndicats ont complètement perdu ce rôle-là…
Le Jour : Vous avez dit que vous ne croyiez pas aux grandes messes, à volonté consensuelle de type de celle que vient d'organiser Edouard Balladur ?
Marc Blondel : Ce que j'ai dit c'est que je n'étais pas d'accord sur le terme de « partenaires sociaux ». Partenaire, cela sous-entend qu'on soutient, qu'on valide. FO est tout à fait opposé à un pacte social à l'italienne ou à l'allemande. Le rôle des syndicats est de renvoyer la balle, de réagir. Je préfère de loin la notion « d'interlocuteurs ». Les syndicats ne sont pas là pour être les collaborateurs, ni les coéquipiers des gouvernements.
Le Jour : Vous avez encore l'intention de pousser des « coups de gueule » ?
Sourire de l'interlocuteur…