Interviews de M. Jean Poperen, membre du PS, à France-Inter le 1er avril 1993 et dans "Le Quotidien de Paris" le 3 avril, sur le débat au sein du PS notamment pour la mise en place d'une nouvelle direction à la suite de l'échec des socialistes aux élections législatives.

Prononcé le 1er avril 1993

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du comité directeur du PS le 3 avril 1993

Média : France Inter - LE QUOTIDIEN DE PARIS

Texte intégral

France Inter : 1er janvier 1993

France Inter : Que feront les socialistes demain lors du vote final ?

J. Poperen : Je ne suis plus membre de l'Assemblée nationale. Et je respecte pleinement la délibération de mes camarades et qui vont prendre leur décision. Je me pose la question : est-ce qu'en effet en l'état actuel des choses, nous devons être des arbitres de ce qui est une épreuve de force à l'intérieur de la nouvelle majorité.

France Inter : Mais entre un pro-européen et quelqu'un qui l'est moins, que choisissez-vous ?

J. Poperen : De nombreuses choses rentrent en ligne de compte. Très franchement, je suis trop respectueux de notre fonctionnement démocratique, que je ne veux en rien le fausser, si peu que ce soit.

France Inter : Est-ce que la sérénité va prévaloir avec vos amis du PS ?

J. Poperen : Je souhaite pouvoir avec beaucoup d'autres, faire prévaloir la voix du bon sens. Priorité à nos décisions politiques, une telle défaite a forcément d'abord des causes politiques. Il faut être clair. Nous avons fait autre chose que ce qu'on attendait de nous, il faut le dire dès maintenant clairement, ce n'est pas la responsabilité de tel ou tel. Nous étions tous dans le coup, il faut dire que nous nous sommes trompés et sur quoi. Et surtout naturellement dire pour l'avenir comment nous voyons les choses. Et en quelque mots, nous avons fait une politique de consensus social, et le recul des inégalités qui était attendu de nous, c'est là-dessus qu'on nous a amené au pouvoir il y a deux ans, on ne l'obtient pas par le consensus social. On l'obtient par une politique de confrontation sociale entre les divers partenaires sociaux pour parvenir à ce que j'ai proposé maintes fois et qui va finir par s'imposer, la recherche d'un véritable contrat social entre les divers partenaires de la société. Ça c'est l'exigence première, fondamentale qui domine toutes les autres. Quand on est socialiste, on ne fait pas ce que j'appellerais du libéral-socialisme qui n'est que la version édulcorée du libéralisme social de E. Balladur. Or c'est ce qu'on a fait. Le verdict est là, c'est assez clair. Deuxièmement, priorité à l'initiative en direction de toutes les forces de ce qu'on appelait naguère la gauche profonde, ce que j'appelle volontiers le parti du mouvement. Tous ceux-là, sans a priori, sans exclusive, dès maintenant, dès aujourd'hui, après notre comité directeur, il faut commencer à discuter avec eux. Dans ma propre commune, dès lundi soir, le groupe municipal majoritaire a décidé de réunir tous ceux qui se sont engagés dans la bataille de deuxième tour pour faire élire mon ancienne suppléante.

France Inter : Mais on a l'impression qu'au PS, les hommes ne sont pas d'accord.

J. Poperen : Ça c'est la vie démocratique mais vous ne m'entraînerez pas sur le terrain des querelles d'homme. Je comprends très bien qu'à un moment ou un autre, la politique s'incarne dans des hommes et des femmes, mais si nous commençons par-là après demain, alors ce sera la super déception. On ne rafistolera pas et on ne s'embarquera pas à nouveau dans des querelles d'hommes.

France Inter : Voyons ce qui va se passer en juillet prochain avec les état-généraux…

J. Poperen : Ce n'est pas décidé. Quelle que soit l'autorité de P. Mauroy et de M. Rocard, rien n'est décidé. J'ai lu le texte, on change la direction, c'est ça qu'on veut. Moi je ne commence pas par là. Et je ne parle pas de cela aujourd'hui, et je n'en parlerai pas samedi. Priorité à l'orientation politique, priorité à l'initiative pour rassembler sur le terrain toutes les forces disponibles. Et après on verra ce que cela donne au niveau de la direction de ce grand mouvement nouveau qu'il faut faire naître. Pas de rafistolage.

France Inter : Vous dites que le socialisme de la rupture, c'est fini. C'est ce qui devrait être la doctrine du futur PS ?

J. Poperen : Le socialisme de la rupture est fini depuis 12 ans et le socialisme du consensus, c'est ça qu'on a fait pendant au moins 11 ans, alors ça il faut que cela soit fini aussi.

France Inter : Donc, il ne faut pas que cela devienne un parti social-démocrate ?

J. Poperen : Moi je propose la politique du contrat qui correspond à une société évoluée comme la nôtre. Mais la politique du contrat c'est la discussion, c'est le compromis social entre les diverses forces, c'est la politique de capitulation du salariat. Nous sommes entrés dans la phase de la mondialisation de l'économie, la question posée et à laquelle malheureusement la réponse commence d'intervenir, est qui paiera les frais de la mondialisation ? Et notamment sur le marché du travail, est-ce que cela voudra dire une surexploitation de l'ensemble des salariés ? Pour le moment, c'est le chemin que ça prend. Quand les travailleurs écossais imposent leurs conditions sociales désastreuses à l'ensemble de l'Europe au dépend des travailleurs français de Dijon, c'est cela que ça veut dire. Ça veut dire que les frais de cette énorme mutation, c'est sur le salariat qu'on va les faire porter. Moi, je dis non et les socialistes sont là pour empêcher cela, ou alors je ne sais pas à quoi ils servent.


Le Quotidien de Paris : 3 avril 1993

Le Quotidien : Le « plan de paix » de Pierre Mauroy vous parait-il de nature à empêcher que le comité directeur d'aujourd'hui tourne au règlement de comptes entre Michel Rocard et Laurent Fabius ?

Jean Poperen : Soyons clairs : c'est la question de la direction du PS qui intéresse le plus Michel Rocard et Laurent Fabius. L'initiative de Pierre Mauroy se situe dans ce cadre. Ce qui me paraît caractéristique de toute cette affaire c'est qu'on parle exclusivement boutique au lieu de parler politique ! Malgré la tornade électorale, on continue à inverser l'ordre des priorités. Rien ne se fera si nous n'affirmons pas, d'abord, notre volonté de rompre avec cette politique du consensus qui nous a menés au désastre.

Le Quotidien : N'était-ce pas la vocation du big bang rocardien ?

Jean Poperen : Je constate que le big bang n'a pas eu l'effet annoncé. Il s'est plutôt résumé à un effet d'annonce ! Michel Rocard a eu raison de montrer que nous comprenions la nécessité de reconstruire la gauche. Il s'est trompé en pensant que c'était suffisant pour créer une dynamique.

Le Quotidien : Et il se trompe en demandant aujourd'hui une remise à plat totale, que ce soit par un congrès ou par des « états généraux » de la gauche ?

Jean Poperen : Commencer par réunir le PS en congrès, c'est le meilleur moyen de tout bloquer, de tout verrouiller !

De même, la question de l'homme qui doit être à la tête de l'appareil ne peut pas être posée en préalable, puisqu'il faut précisément bouleverser en profondeur non seulement cet appareil mais l'ensemble des structures. De grâce, ne nous lançons pas dans ce type de procès, d'autant que les responsabilités sont partagées, au gouvernement comme au parti. Arrêtons avec ces comportements suicidaires ! En tout cas, que personne ne compte sur moi pour participer à un « printemps d'introversion ». Dès l'effondrement du communisme à l'Est, j'ai demandé que l'on prenne des initiatives. On a continué à vivre repliés sur nous-mêmes. On a commencé à penser aux écologistes, par exemple, trois mois avant les élections. On s'est précipités pour tirer leurs sonnettes. Et aujourd'hui, on retombe dans les mêmes erreurs. J'entends parler d'associer vaguement les sympathisants à notre réflexion : ce n'est pas du tout de cela qu'il s'agit.

Il faut, dès maintenant, essayer de faire travailler ensemble les multiples composantes du peuple de gauche. De l'extrême gauche à l'extrême centre. Cela prendra du temps : on ne peut rien espérer de sérieux, à mon avis, avant la fin de l'année. Mais plus tôt on commencera, plus tôt on aura des résultats.

Le Quotidien : Vous refusez « l'introversion », mais les socialistes peuvent-ils se dispenser de faire leur autocritique ?

Jean Poperen : Je suis le premier à reconnaître qu'il est difficile de distinguer le social-libéralisme que nous avons pratiqué du libéralisme social d'Édouard Balladur. Je n'ai cessé de proposer – et notamment à la direction du PS – une politique contractuelle de justice sociale. On a systématiquement sacrifié les intérêts vitaux du salariat aux exigences de la compétitivité. C'est ce choix qu'il faut remettre en cause, mais pas par des changements de façade et pas entre nous. L'urgence, c'est de prendre les initiatives les plus diverses possible pour reconstruire patiemment, sur le terrain le tissu de la gauche, En donnant la priorité absolue aux idées, aux orientations.