Interview de M. René Monory, président du Sénat, dans "La Croix" du 28 septembre 1993, sur le bilan de sa première année à la présidence du Sénat.

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Média : La Croix

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"Un président du Sénat et un président de la République n'ont pas la même stratégie"

La Croix : Quel bilan tirez-vous de votre première année de présidence ?

René Monory : Comme chaque président qui arrive, j'ai tenté de modifier l'organisation du travail au Sénat. Il ne faut pas oublier que cette maison n'a connu que deux présidents en quarante-cinq ans. J'ai cherché à établir un dialogue plus large avec l'ensemble du personnel et à faire des progrès sur la transparence. Transparence sur les budgets, les salaires… Il reste à améliorer les conditions de travail des sénateurs, notamment en matière d'équipement télématique. Croyez-moi, ce n'est pas une révolution, mais simplement une évolution de cette institution face à l'évolution du monde moderne.

La Croix : Aux côtés d'un gouvernement et d'une Assemblée de même couleur politique, quel peut-être le rôle du Sénat ?

René Monory : Encore plus grand qu'avant. Le Sénat doit être imaginatif, indépendant, prospectif et fidèle. Prospectif parce que les sénateurs ont la chance d'avoir le temps devant eux, neuf ans sans risque de dissolution. Imaginatifs et indépendants parce que nous ne demandons l'accord de personne pour exprimer nos propositions. Et, paradoxalement, plus le Sénat sera indépendant, plus notre fidélité aura du poids.

La Croix : Mais n'êtes-vous pas particulièrement bien traité par Édouard Balladur ?

René Monory : C'est certes une évolution positive. Beaucoup de textes ont été votés en première lecture au Sénat et le Premier ministre est venu nous voir plusieurs fois. Il y a deux raisons à cette attitude. En premier lieu, Édouard Balladur a de bons contacts avec les sénateurs et moi-même. Ensuite, le Premier ministre connaît le sérieux des travaux du Sénat, et, globalement, nous sommes une chambre d'approbation moins turbulente que l'Assemblée nationale.

La Croix : Quelles sont les surprises que vous avez eues en vous installant dans le fauteuil ?

René Monory : Dès le premier jour, j'avais un objectif : redonner une reconnaissance internationale au Sénat. La surprise agréable que j'ai eue, c'est de voir qu'à l'étranger nos homologues attendaient beaucoup du Sénat. Leur intérêt est parfois plus important que celui qui portent les Français. Il y a également une attention toute particulière portée à la fonction de président du Sénat. C'est la même chose au plan national. Je ne m'imaginais pas recevoir autant de sollicitations. Cela veut dire que la fonction intéresse le grand public, beaucoup plus que je ne le pensais. J'ai également de nombreux contacts avec l'ensemble du gouvernement, le président de la République… Toutes les portes sont constamment ouvertes pour le président du Sénat, s'il reste dans son rôle et ne fait pas de politique partisane.

La Croix : Charles Millon vous a récemment cité parmi les présidentiables de l'UDF…

René Monory : Charles Millon me flatte beaucoup. Je pense que la fonction joue un rôle important dans ces suppositions. C'est agréable, c'est flatteur, mais cela ne change rien à ma détermination. Je n'ai qu'un objectif : donner au Sénat toute la dimension qu'il mérite. J'ai toujours dit que lorsqu'on arrivait à obtenir une fonction aussi importante que celle-ci, il ne fallait pas en désirer une autre, sinon on devient mauvais. Les stratégies pour devenir président du Sénat ou président de la République ne sont pas les mêmes. Un bon président du Sénat fait de son mieux pour le rayonnement de cette institution. C'est mon objectif. Un candidat à la présidentielle agit différemment pendant dix-huit mois pour ne pas être impopulaire. Si j'avais cette stratégie-là, je deviendrais un très mauvais président du Sénat. Je n'y tiens pas.