Texte intégral
D. Brocard : Sur cet état des lieux de la France, quelle est votre opinion ?
M. Blondel : L'état des lieux est beaucoup plus psychologique. Le problème de fond c'est qu'il y a une dégradation économique qui a conduit à un accroissement du chômage qui atteint aujourd'hui les 3,6 millions. Il faut passer par le redressement des comptes, peut-être… Mais, ce que j'aimerais, c'est que le plan qui va être annoncé soit un plan de relance qui permette de réduire le chômage qui devient maintenant un problème de fond : social et aussi sociétal, car cela va tout faire exploser.
D. Brocard : L'augmentation de la CSG est le moyen choisi par le gouvernement pour résorber une partie du déficit de la Sécurité sociale. C'est le moyen que vous auriez choisi ?
M. Blondel : Je ne suis pas au gouvernement. Je ne veux pas mélanger les genres. Et comme nous avons eu l'occasion de le dire à E. Balladur, nous voulons être restaurés dans notre position d'interlocuteur. Nous ne voulons être ni partenaires, ni collaborateurs, mais des interlocuteurs. Ce que nous voulons, c'est dire : M. Balladur vous prenez des initiatives, quels sont les objectifs, et nous vous dirons si nous pouvons les supporter ou pas. Or, la CSG va remettre en cause une partie du pouvoir d'achat. Elle risque d'étouffer l'économie et cela peut être contradictoire avec l'objectif tracé, si l'objectif est bien de réduire le nombre de chômeurs.
D. Brocard : Quelles sont les solutions possibles ?
M. Blondel : Est-ce qu'on peut considérer les dépenses, notamment les déficits en matière de régime sociaux, comme étant de même caractère que les déficits d'une entreprise par exemple ? Je ne le crois pas, les déficits sociaux, c'est une répartition, c'est une redistribution. Si on rentre dans le détail, peut-on considérer les salariés au même niveau que d'autres catégories ? Le régime général finance et compense d'autres régimes qui sont déficitaires. Donc la solution apportée pour le financement devrait être la plus équitable et la mieux répartie possible. Il faut faire attention de ne pas pénaliser toujours les salariés. Et dans ce domaine, la CSG n'est pas la meilleure des choses. J'ai cru comprendre que l'on voulait faire quelques exonérations, le cas échéant, de cotisations pour les allocations familiales jusqu'au Smic. Est-ce que nous pourrons négocier convenablement les salaires ? Parce que les prélèvements, c'est bien beau, mais encore faut-il que nous ayons des salaires. Il ne faut pas simplement voire strictement les recettes supplémentaires pour l'équilibre, il faut que cela crée un mouvement. Pour l'instant, je n'ai pas d'encouragement de la part de M. Balladur.
D. Brocard : Sur la durée des cotisations ?
M. Blondel : Le gouvernement, s'il remet en cause les 37 ans et demi, cela veut dire qu'il remet en cause la retraite à 60 ans. C'est tout, il le dit. Mais je rappelle qu'en 1982, quand la gauche est arrivée au pouvoir et qu'elle a proposé la retraite à 60 ans, nous avons répondu : qui la financera ? Dix ans après, ce n'est peut-être pas tenable. Si ce n'est pas tenable, M. Balladur la remet en cause. En ce moment, l'endroit où on est le plus sensible, c'est chez les préretraités, retraitables et retraités.
D. Brocard : Vous mettiez en garde le gouvernement contre le risque et le danger de l'austérité…
M. Blondel : De manière douce, M. Balladur est en train de nous faire un plan d'austérité. Je ne sais pas si psychologiquement, il n'aurait pas été plus clair de dire les choses. J'ai l'impression que les gens vont s'en rendre compte progressivement et que cela va créer un mécontentement qui va sourdre et ensuite se développer.
D. Brocard : R. Barre disait que notre protection sociale était trop luxueuse par rapport aux moyens du plan.
M. Blondel : Je ne peux pas accepter cela, et je m'étonne même que M. Barre l'ait dit. Il y a en France des enfants qui naissent dans des départements, notamment ruraux, et qui ont le ventre rond, comme les petits africains. Il y a des gens au RMI, et leur situation physique est en moyenne détériorée quatre fois plus que la moyenne des gens. Non, nous n'avons pas des régimes sociaux qui sont au-dessus de nos moyens.
D. Brocard : Quel est le bilan social que vous tirez de cette dernière période ?
M. Blondel : Si l'on regarde en compte, il est bénéficiaire. Si l'on regarde plus large, je remarque que depuis ces dix dernières années, une série de dispositions plus ou moins heureuses s'accompagnent de résultats assez concrets, mais aussi de conséquences, notamment financières, qui sont importantes.
D. Brocard : Le dialogue social instauré par E. Balladur vous apparaît-il différent de ce qu'il était auparavant ?
M. Blondel : Oui ! L'une des erreurs du gouvernement de gauche a été de nous considérer comme faisant partie des partenaires permanents et lorsque les décisions étaient prises par le gouvernement de gauche, elles ne devaient pas donner lieu à contestation dans la limite où celui-ci espérait représenter l'intérêt général, y compris l'intérêt des salariés. Le dialogue était de cette façon rompu. M. Balladur est beaucoup plus clair : nous sommes des interlocuteurs, nous discutons, et c'est lui qui décide ensuite. C'est son rôle, il sera jugé là-dessus. On va restaurer le rôle du syndicat.