Interview de M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement des transports et du logement, dans "La Revue de Sécurité routière" de février 1998, sur la sécurité routière.

Prononcé le 1er février 1998

Intervenant(s) : 

Texte intégral

Question 1
Le gouvernement s'est fixé un objectif particulièrement ambitieux lors du CISA du 26 novembre 1997 : diminuer de moitié le nombre des tuées en cinq ans. Comment comptez-vous le réaliser ?

Jean-Claude Gayssot
Il y a chaque jour 22 tués et 460 blessés sur les routes en France. C'est inacceptable. La plupart de nos voisins européens ont de bien meilleurs résultats que nous, ce qui me fait dire que la marge de progression est encore très importante. Un accident grave, c'est un drame humain, des souffrances terribles pour les victimes et leur famille, des pertes économiques importantes aussi. Il y a donc urgence. L'objectif que s'est fixé le Comité interministériel de Sécurité routière est ambitieux. Il n'est pas irréaliste. Le gouvernement a montré sa détermination à agir contre ce fléau; il faut maintenant que tous les relais – le réseau de la Sécurité routière, mais aussi les associations, les assureurs, les écoles… - se mobilisent. Mon rôle sera d'impulser sans relâche la politique novatrice et ambitieuse qui a été définie. Je compte pour cela rencontrer un certain nombre d'acteurs clé, comme les Sous-préfets à la Sécurité routière, le réseau de la Sécurité routière, les motards... et je me rendrai sur le terrain à l'occasion d'initiatives impliquant notamment les jeunes. Le principe d'un Comité interministériel annuel pour évaluer les progrès réalisés et, éventuellement, proposer des mesures complémentaires, me parait important dans la marche vers notre objectif. Évidemment, la question des moyens se pose. L'année dernière, la Sécurité routière a disposé d'un budget de 373 millions de francs. En 1998, il augmente de 18 % pour atteindre 440 millions. C'est insuffisant, mais c'est une première inflexion qui devra être confirmée.

Question 2
Un de vos premiers gestes de ministre en charge de la Sécurité routière a été de recevoir le rapport de la table ronde présidée par M. Verré, Comment l'avez-vous exploité ?

Jean-Claude Gayssot
Les mesures prises par le Comité Interministériel de Sécurité routière posent les premiers jalons de ce que pourrait être un processus continu de formation. Il s'est pour cela appuyé sur les mesures suggérées dans le rapport Verre qui est devenu un outil de référence sur le thème de la formation du conducteur et des autres usagers de la route. Si ce rapport a tant d'importance, c'est que les questions d'éducation et de formation sont cruciales. Elles sont d'ailleurs au cœur de notre démarche renouvelée de Sécurité routière.

Question 3
Derrière l'éducation à la sécurité routière, c'est tout le problème des jeunes qui est posé…

Jean-Claude Gayssot
Je compte en effet sur les jeunes pour faire évoluer le bilan de l'insécurité routière dans notre pays. Les jeunes sont les premières victimes de l'insécurité routière, mais je crois aussi qu'ils sont les premiers ouverts à des modifications d'attitude et de comportement. Sur la route, les jeunes sont victimes de leur inexpérience et aussi, dans certains cas, de leur insouciance, de leur envie de s'amuser. Plus qu'une politique coercitive visant à imposer des règles, je crois que la solution est dans l'éducation à la sécurité routière, la sensibilisation au risque, et cela, pas uniquement au moment crucial du permis de conduire, mais de la maternelle à l'âge adulte. C'est en associant les jeunes dès le plus jeune âge à l'objectif d'amélioration de la sécurité routière dans notre pays en se fondant sur des valeurs qu'ils partagent, qu'on réussira à modifier les comportements du plus grand nombre. S'ils sont convaincus, les jeunes peuvent avoir une influence considérable sur leur entourage.

Question 4
Le précédent CISR avait décidé un abaissement du taux d'alcoolémie, ce CISR a plutôt ciblé la vitesse. Pourquoi ?

Jean-Claude Gayssot
Parce que la vitesse est la première cause d'accident. En 1996, le simple respect des limitations de vitesse, de jour comme de nuit, aurait permis de sauver 3 300 vies. Le fait de s'attaquer aux grands excès de vitesse peut paraître symbolique, mais je compte sur un effet d'entraînement du type de ceux qu'on a observés en abaissant la limitation de vitesse en ville de 60 à 50 km/h ou en développant les zones 30. Si tous les automobilistes ne respectent pas strictement ces limitations, les vitesses moyennes pratiquées en ville ont tout de même considérablement diminué, ce qui s'est traduit par une réduction significative de la mortalité routière en milieu urbain.

Pour ce qui est de l'alcool au volant, je dirai qu'avec un taux d'alcoolémie de 0,5 g/l de sang, la France dispose d'une des réglementations les plus avancées. Plutôt que de prendre de nouvelles mesures, je crois que c'est plus sur le levier de la prévention qu'il faut agir. De nombreuses actions de sensibilisation sont faites en région, notamment auprès des jeunes. Il faut poursuivre sur cette voie : informer sur les risques, inciter à s'autotester avec des éthylotests, promouvoir des comportements fraternels pour que dans un groupe d'amis, il y en ait toujours un qui ne boive pas et qui puisse raccompagner les autres.

L'objectif de réduction de l'insécurité routière n'est évidemment pas du seul ressort du gouvernement. Il doit être celui de la société tout entière, à condition de ne jamais oublier que la société « en général », ça commence par chacun d'entre nous, et que la vigilance, pour être efficace, ne doit pas être exceptionnelle, mais ordinaire. habituelle, une sorte de réflexe de citoyenneté que l'on se doit, et que l'on doit aux autres.