Article de M. Louis Viannet, secrétaire général de la CGT, dans "La Vie ouvrière" le 9 novembre 1992, sur l'opinion des salariés concernant les syndicats, et la nécessité de créer un débat sur le syndicalisme et la situation des salariés, intitulé "Le syndicalisme de notre temps".

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Média : La Vie ouvrière

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Les salariés ont besoin de construire un mouvement revendicatif puissant, large et surtout tenace. En tous domaines : emploi, salaires, conditions de vie, protection sociale ou retraite, la vie est faite de régression ou de remise en cause alors que progrès techniques et maîtrise du milieu naturel devraient conduire à l'épanouissement et à la satisfaction des besoins. Face à cette réalité insupportable, il est évidemment facile de conclure qu'action revendicative et luttes sociales vont presque de soi.

Pourtant, ce n'est pas le cas et, en même temps qu'ils expriment mécontentement, voire exaspération, nombre de salariés disent leurs doutes sur l'efficacité de l'action syndicale. Certains traduisent cela en termes d'insatisfaction envers les syndicats qui ne font pas "ce qu'il faut". Comme s'il était dans le pouvoir des syndicalistes d'obtenir des résultats sans la participation active des salariés et des syndiqués. C'est plus que jamais le moment d'en discuter. D'autres, mettant tout le monde dans le même sac, désignent pêle-mêle les signatures de mauvais accords dont ils font les frais, les divergences entre syndicats, le manque d'initiative et de luttes.

Bref, nombre de salariés ne se retrouvent pas dans le syndicalisme qu'ils côtoient. D'autant que l'explosion de la FEN, le départ précipité (au plein sens du terme) du secrétaire général de la CFDT donnent du crédit à toutes les considérations sur la "fin" du syndicalisme. Elle conforte les souhaits bruyamment exprimés d'un syndicalisme que certains patrons voudraient "fort", c'est-à-dire des employeurs et sachant, de surcroît, se "faire obéir" par les salariés.

Ouvrons donc le débat, vite, en grand, sans animosité mais sans concession sur le syndicalisme qu'il nous faut. Abordons de front les positions, les analyses, les attitudes des uns et des autres.

Pour ce qui concerne la CGT, nous voulons nous expliquer sur ce que nous proposons, sur la place, le rôle que nous souhaitons pour les syndiqués et les salariés dans cette recherche commune de ce qu'il faut construire ensemble pour être plus fort. Cela en lien étroit avec une mise en pratique de tous les jours.

Construire ensemble ! Ne trichons pas, c'est un sacré programme.

Au commencement est la revendication. "Élaborer démocratiquement les revendications et les porter jusqu'au bout avec les salariés", avons-nous dit au Congrès ! Nous l'avons dit, il faut donc le faire. Cela demande beaucoup d'efforts, d'imagination aussi pour dépasser la seule "collecte" des revendications.

Une bonne utilisation du cahier de revendications est une aide précieuse. Mais rien ne peut remplacer le dialogue, le débat. Il est aussi nécessaire de s'assurer de l'opinion des syndiqués et d'alimenter l'échange d'idées avec les salariés à l'appui duquel se formulera la revendication. Réussir cela n'est pas une mince affaire. Tous, toutes, nous savons combien les conditions de travail, la chasse aux temps morts, les horaires mobiles, la précarité représentent des obstacles. Pourtant, il faut s'y attaquer partout et le réaliser même imparfaitement.

Ne pas avoir le débat, c'est prendre le risque de laisser enfermer les revendications dans le  carcan de ce qui est "possible" en regard de la stratégie et des objectifs patronaux. C'est risquer de tomber dans les multiples pièges du "donne-moi un peu de ton salaire et je casserai un peu moins d'emploi" ou "travailler moins longtemps en gagnant moins, cela conserve l'emploi". J'en passe et des plus tristes encore.

Il faut un vrai débat sur la ou les revendications, celles qui rassemblent, autour desquelles chacun se retrouve malgré la diversité des catégories ou des situations. Mais, parler revendications, c'est parler de l'action pour les faire aboutir car, d'évidence, rien d'autre n'a encore été trouvé qui puisse éviter aux salariés de montrer leur force et leur détermination pour se faire entendre. Or nous sommes précisément à un moment où cette question se pose en termes nouveaux pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, l'idée "qu'il n'y aurait rien à faire" recule, au fur et à mesure que se vérifie dans la vie, dans la réalité que laisser faire, ne rien dire aboutit à stimuler les exigences patronales, aggraver les difficultés, encourager le gouvernement et surtout les patrons à continuer dans la même voie.

Ensuite, nombre d'exemples récents montrent que les luttes obligent bel et bien à modifier les décisions ou les choix. Les actions collectives paient. Seulement, l'enjeu étant très important, le patronat s'accroche, les conflits sont durs, longs et suscitent des effets qui peuvent être appréciés de façon contradictoire.

Si les résultats incitent à prendre le même chemin, la durée et la dureté nourrissent souvent des hésitations chez les salariés. 

Le sentiment pénible que l'on est face à une sorte de rouleau compresseur qui écrase, les uns après les autres, ceux et celles qui, à partir de leurs problèmes, tentent de s'y opposer, provoque également des réactions contradictoires.

De la loi Quilès pour les PTT à la loi Le Drian pour les dockers, des intermittents du spectacle aux mesures de délocalisation, des suppressions d'emplois par milliers, voire dizaines de milliers, aux créations de contrats emploi-solidarité (CES) : ces éléments nourrissent l'idée que, décidément, on ne fait pas le poids et qu'il est plus que temps de construire quelque chose de plus fort, de plus large, de plus durable.

C'est en prenant en compte tout cela que notre Comité confédéral national a décidé de mettre les forces de la CCT au service de la réussite d'une étape plus intense et plus forte de mobilisation. Non pas pour "suppléer", "remplacer" cette recherche systématique de discussion et de décisions sur le terrain, avec les salariés, mais pour donner plus de tonus et aider à ce que la question de l'action soit posée partout, avec la même volonté et la même recherche.

Ce n'est pas un début, puisque nous nous appuyons sur ce qui a déjà commencé, encore moins un aboutissement, car nous sommes lucides sur le chemin qui reste à faire. Non ! C'est une prise d'élan dans un processus qui va continuer de demander beaucoup d'acharnement.

L'ambition n'est pas d'obtenir en même temps le même niveau d'engagement partout, mais de viser à ce qu'il se passe quelque chose partout, avec toujours la même démarche : décider avec les salariés ; la même préoccupation : faire reculer résignation et abattement.

C'est donc bien la mise en œuvre de notre démarche, dans toutes ses dimensions, qu'il s'agit d'impulser avec plus de dynamisme, plus d'énergie, plus de ténacité. Il ne peut y avoir temps fort, qui soit vraiment un élément de confiance, que si chaque jour se multiplient les initiatives pour débattre avec les salariés et créer aussi les conditions pour qu'ils décident l'action. Pour faire grandir l'idée que l'unité d'action est possible, même si nous savons que sa réalisation va demander beaucoup d'efforts.

Mais de cela, nous traiterons dans un prochain article, à la lumière précisément de tout ce que nous aurons continué de faire progresser car, là aussi, nous sommes en train de passer du souhait à la réalisation.