Texte intégral
Monsieur le député,
Monsieur le préfet,
Monsieur le président de l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture
Mesdames et Messieurs les élus
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs
C’est avec un grand plaisir que j’ai accepté de venir inaugurer cette manifestation agricole, placée sous le signe de l’équilibre des territoires ruraux.
Vous savez à quel point ce thème me tient à cœur. Mais je voudrais tout d'abord vous féliciter de l'organisation de ce festival, qui est la manifestation de l’intérêt que veut porter le monde agricole aux nouveaux défis qu'il doit relever. Ce sont des défis encore plus complexes, encore plus difficiles que les seuls défis de la production, qu'il a su relever avec succès.
Vous avez retenu comme thème général « Espace rural : notre équilibre ».
Le moment est venu, c'est vrai, de repenser la place de nos espaces ruraux au sein de la société française. Vous le savez, en 130 ans exactement, la proportion de la répartition de la population sur notre territoire national, s'est complètement inversée.
En effet, c'est en 1860 que notre pays a enregistré les plus fortes proportions de population rurale : à cette époque, 80 % de la population française vivait, travaillait, produisait la richesse nationale dans les communes de moins de 2 000 habitants, appelées des lors, communes rurales. La population urbaine ne représentait guère plus de 20 % de la population.
Aujourd'hui, la population urbaine rassemble plus des trois quart de la population française et vous savez que si l’on peut qualifier de rural le un quart restant, il n'y a plus de superposition entre population rurale et population agricole, puisque les actifs agricoles représentent environ 20 % de la population active de ces communes rurales. C'est donc un vrai bouleversement qui s'est opéré.
Dans son très beau livre intitulé « L'identité de la France », le très grand historien, Fernand Braudel, commentait ainsi ce phénomène qu’il appelait le chambardement de la France paysanne : « À mes yeux c'est le spectacle qui l'emporte sur tous les autres dans la France d'hier et plus encore d'aujourd'hui ».
Cette immense mutation a des répercussions sur l’équilibre qu'il nous faut reconstruire entre les espaces agricoles et les espaces urbains.
Si nous pensons que ces espaces tout en étant des espaces de production, sont aussi des espaces d'équilibre comme vous le dites, au regard d'une urbanisation grandissante, il faut prévoir et sauvegarder les espaces agricoles, notamment dans les zones de périurbanisation.
Il faut aussi trouver les règles de conduite à observer pour que l’activité agricole puisse coexister dans des espaces au sein desquels la fonction résidentielle remporte sur toutes les autres.
À cet égard, j'ai tenu à inscrire dans le projet de loi d'orientation agricole, que je présenterai mercredi prochain au Conseil des ministres, un titre entièrement consacré à la gestion de l'espace agricole et forestier. Mon objectif est de sauvegarder des terres à vocation agricole, en faisant en sorte que les intérêts agricoles et forestiers soient mieux pris en compte lors de l’élaboration des documents d'urbanisme et afin de protéger les exploitants agricoles contre des mises en cause abusives pour des nuisances résultant d'un fonctionnement normal de 1'exploitation.
Un deuxième aspect qui surgit quand on parle d'équilibre des espaces ruraux n'est plus seulement celui de l’équilibre entre la ville et la campagne, mais celui de l’équilibre des territoires ruraux entre eux, et vous savez que c'est là une question difficile tant pour la politique agricole, que pour la politique d'aménagement du territoire.
En effet, que constatons-nous aujourd'hui ?
Nous constatons que les territoires ruraux sont écartelés entre des espaces à forte croissance démographique et économique et des espaces à forte diminution des populations et réduction des activités. Les premiers sont situés à la très grande périphérie de l'agglomération parisienne et des métropoles régionales ainsi que le long des grands axes de communication et à proximité des zones littorales.
N'oublions pas que c'est bien dans ces communes rurales désenclavées et proches des villes, que l'on a enregistré ces quinze dernières années, les plus forts taux de croissance démographique.
À l’inverse, les zones enclavées ont connu tine baisse et surtout un vieillissement de leur population, ainsi qu'un relatif appauvrissement de leurs activités. On touche à une difficulté supplémentaire et lorsque l’on parle d'espaces ruraux, notre agriculture elle-même a tendance de plus en plus à concentrer ses productions dans les très grandes zones d'activités industrielles et commerciales.
C'est pourquoi notre politique agricole doit prendre en compte la dimension territoriale de l'agriculture, afin de maintenir des agriculteurs sur tout le territoire et freiner des concentrations qui seraient préjudiciables à l'équilibre agricole et rural que vous appelez de vos vœux.
Enfin la notion d'équilibre s'applique pleinement à l'agriculture et au métier d'agriculteur.
Ce qui est attendu de l'agriculture par nos concitoyens, c'est d'être une activité de synthèse, une activité diversifiée qui sache gérer les aspects économiques et de production, en même temps que les aspects environnementaux et sociaux.
Ce qui est attendu du métier d'agriculteur, c'est d'intégrer cette multifonctionnalité que je viens d'évoquer ; je crois parfaitement que c'est une chance et un hommage rendus au monde agricole que d'être attendu et sollicité par l'opinion et par notre société. Mais ce qu'il nous faut comprendre, c'est que ces attentes, à la fin du XXe siècle, ne sont pas les mêmes que celles qui se manifestaient au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Il s'est écoulé un demi-siècle ; un demi-siècle durant lequel les objectifs qui avaient été assignés à l'agriculture ont été atteints et même très largement dépassés.
Retrouver un équilibre, c'est reformuler ces objectifs, c'est enrichir nos orientations, pour que l'agriculture française soit capable, demain, comme elle l'a été hier, de servir l'intérêt général, tout en respectant les intérêts des agriculteurs. N'est-ce-pas en cherchant la convergence de ces deux objectifs que nous reconstruirons une place équilibrée pour l'agriculture et les agriculteurs au sein de notre société ?
Trouver un nouvel équilibre pour notre agriculture et nos territoires ruraux au sein de notre société, telle est bien l'ambition du projet de loi d'orientation qui sera la semaine prochaine déposée au Parlement.
Comme vous, j'ai la conviction que nous entrons dans une nouvelle période de l'histoire de l'agriculture et de la politique agricole.
Les exigences de cette nouvelle période, de cet avenir à construire, nous arrachent, je le reconnais, aux certitudes de cette période glorieuse et conquérante qui a fait de la France, encore largement déficitaire dans ses besoins alimentaires au lendemain de la seconde guerre mondiale, le premier exportateur mondial de produits agro-alimentaires transformés et le deuxième exportateur mondial de produits agricoles bruts. Nous entrons dans une période plus complexe, qui nous oblige à renouveler notre vision de l'agriculture et des politiques publiques qui y sont liées. Le temps est venu de reformuler les objectifs de la politique agricole en prenant en compte explicitement ses fonctions économiques mais aussi territoriales et sociales.
Je voudrais tout d'abord vous rassurer, je n’oublie pas la fonction économique de l'agriculture. Les agriculteurs seront, demain comme aujourd'hui, des producteurs de denrées alimentaires et de matières premières pour les industries de transformation. Mais les préoccupations sociales et environnementales ne sont pas étrangères à l'économie. Les exploitations agricoles ne pourront produire durablement que si elles prennent en compte les exigences de protection, et de renouvellement des ressources naturelles. Si elles ne le font pas, c'est leur capacité à produire et à commercialiser qui sera remise en cause.
Ce que l'on baptise « contraintes environnementales » constitue en fait une condition de la pérennité des exploitations.
De la même façon, en faisant de la production de services collectifs l’un des objectifs de la politique agricole, nous ne nous éloignons pas de l'économie agricole. Les jeunes ne s'installeront que s’ils trouvent un milieu rural vivant, offrant les services collectifs que tous nos concitoyens attendent. En contribuant au maintien de ce tissu social dans le monde rural, les agriculteurs travaillent pour eux-mêmes en même temps qu'ils travaillent pour les autres.
Et puis, n'ayons pas une vision trop restrictive de l'économie. Le développement du tourisme en zone rurale est producteur de richesses, dont une partie revient aux agriculteurs qui s'y investissent. Contribuer à son développement par la protection des paysages est une activité de nature économique aussi respectable que la production de blé ou de viande bovine.
L'économie agricole reste intimement liée aux politiques publiques. Comme vous le savez, en 1996, les concours publics à l'agriculture productive se sont élevés à 75 milliards de francs. Ceci signifie que plus de la moitié du revenu disponible des agriculteurs provient des fonds publics.
Nous ne devons jamais perdre de vue que ces soutiens, qui ont été légitimes pour encourager la production ou encore pour compenser des baisses de prix, sont menacés dans le court ou moyen terme, de perdre toute légitimité si celle-ci tire sa source dans le passé et non pas dans l'avenir.
L'avenir, c'est une agriculture qui va devoir affronter les conséquences d’une ouverture croissante des marchés mondiaux tels que les accords de Marrakech le stipulent. Ce qui signifie que la fixation des prix en agriculture sera de moins en moins protégée et s'effectuera de plus en plus par le marché.
L'avenir, c'est encore la gestion de nos territoires par la production. Nous savons à quel point les gisements de production de matière première sont désormais à tout moment, menacés de délocalisation. C'est vrai pour l'industrie, c'est vrai aussi pour l'agriculture.
Le maintien d’une agriculture sur l'ensemble du territoire national n'est plus inscrit dans la logique économique, il nous faut donc l'inscrire dans une logique politique.
Enfin, l'agriculture de demain, c'est aussi un ensemble d'hommes et de femmes exerçant ce métier d'agriculteurs et d'agricultrices.
Nous ne pouvons pas construire une politique publique, agricole, qui ne prendrait pas en compte la question de l'emploi et du travail et ceci pour deux raisons :
– la première parce que l'exclusion du monde du travail mine chaque jour les fondements de la cohésion sociale et représente un gâchis humain insupportable ;
– la seconde parce qu'une agriculture française ne comptant plus que 100 000 exploitations serait pour notre société un appauvrissement économique, culturel, social et politique, que nous refusons.
Voilà pourquoi nous voulons reconnaître les fonctions multiples de l'agriculture.
Voilà pourquoi nous voulons dire, avec ce projet, que le métier d'agriculteurs est appelé à se complexifier et non pas à s'appauvrir.
Cette orientation générale correspond, je crois, à ce que nos concitoyens attendent quant à la place de l'agriculture dans notre société. Elle correspond aussi à l'idée que les agriculteurs se font de leur métier et de sa dignité. C'est peut-être cela l'identité européenne de l'agriculture.
L'Europe, précisément, cherche une voie nouvelle pour sa politique agricole.
J'ai eu l'occasion à plusieurs reprises de m'exprimer sur le paquet Santer. L'heure est venue pour la France d'être une force de propositions, de telle sorte que la politique agricole européenne ne devienne pas, au fil des ans, le talon d'Achille de la construction européenne, mais qu'elle en demeure au contraire le fer de lance.
Mais comment la PAC pourrait-elle être un ferment pour bâtir l'Europe si elle continuait durablement à reposer sur les postulats qui étaient ceux de 1960 ? Soyons clairs, la question que nous nous posons en France autour de la préparation de la loi d'orientation agricole, nous devons la porter dans le débat européen puisque c'est là que se joue principalement la grande question de la relégitimation des aides publiques.
Alors, quelle doit être la position française dans ce débat ?
Nous contenterons-nous de demander un peu moins de baisse des prix et un peu plus de compensations ?
Même si nous obtenions cela, je pense que nous aurions échoué, car nous aurions manqué l'occasion de faire une véritable réforme de la PAC.
Celle qui nous est proposée, c'est de poursuivre la course sans fin à In compétitivité pour vendre des produits de base sur le marché mondial. Comme nous ne sommes pas en mesure de le faire sans aides, l'essentiel des moyens publics serait consacré à donner sous forme d'aides directes aux agriculteurs, le revenu qu'ils ne pourront pas tirer du marché.
Mais que penser d'un système dans lequel les aides publiques représenteraient en moyenne 110 % du revenu disponible des céréaliers et 210 % de celui des producteurs de viande bovine, car ce serait là le résultat de l'application du paquet Santer ?
Quelle serait la nationalité économique et la pérennité d'un tel système ?
Poursuivre dans cette voie, c'est emmener les agriculteurs dans une impasse. Il est temps de refonder la politique agricole commune sur de nouveaux objectifs, de sortir progressivement d'un système qui a eu ses vertus, mais qui conduit aujourd'hui à l'appauvrissement de notre agriculture, en la spécialisant sur un type de production pour lequel nous n’avons aucun avantage par rapport à nos partenaires. Les atouts de l'agriculture européenne pour l'avenir, ont pour nom innovation, produits élaborés à haute valeur ajoutée, recherche, marketing, identification, différenciation des produits, etc. C'est à ces défis qu'il faut nous atteler.
Loin de faire de la LOA un exercice hexagonal ou un avatar du début européen, notre ambition est de faire de cette loi une nouvelle approche européenne de la politique agricole et une anticipation face aux défis mondiaux que nous avons décidé de relever.
En effet, alors même que se déroulent les négociations européennes, commence à s'amorcer le débat sur la réforme de l'organisation mondiale du commerce. Le fil conducteur qui traverse ces négociations nationales européennes et mondiales, c'est bien le découplage entre les aides et la production.
Je vous invite à vous préparer à ces échéances, sachant que c'est aussi le moyen pour notre agriculture, de rester présente sur les marchés mondiaux, pour l'agriculture européenne, de demeurer le pivot de la construction de I'Union, pour l'agriculture française, de répondre aux nouvelles demandes qui lui sont adressées.
Voilà pourquoi il faut inventer un nouveau projet pour la politique agricole.
Ce qui m'anime dans ce projet c'est :
– premièrement, de garder au monde agricole et à l'agriculture toute leur place dans une société qui change beaucoup et dans un monde qui lui aussi évolue très vite. Mon ambition c'est que le service rendu par le monde agricole a notre société soit reconnu pleinement ;
– deuxièmement, c'est d'aider le monde agricole à comprendre qu’il est attendu par nos contemporains, mais qu'il n’est pas attendu aujourd'hui comme il l’était en 1960. Ce qui est attendu de l'agriculteur, aujourd'hui, c'est qu’il exerce pleinement un métier qui produit des richesses pour le marché, des richesses d'intérêt public comme les paysages, l'eau, l'environnement. C'est qu'il exerce un métier plus riche et plus complexe que celui de seul producteur de matière première. Être agriculteur, c'est exercer un métier enfin qui met en contact à la fois avec le marché, mais aussi avec la Nation.
Traçons ces nouveaux chemins, ils ne sont pas seulement ceux de l'avenir de votre métier, ils peuvent aussi contribuer à construire l'avenir de notre pays.